Article Baader, t.4, p.1023-1024

1885 La gde encyclopédie baader t4BAADER (Franz von), philosophe allemand, né à Munich le 27 mars 1765 et mort dans cette ville le 23 mai 1841. Troisième fils d'un médecin, il étudia à Ingolstadt et à Vienne la médecine et les sciences naturelles ; il fut, pendant quelque temps, à Munich, le collaborateur de son père, puis se mit à l'étude de la minéralogie et de la chimie. A l'école des mines de Freiberg, où il passa trois ans, il travailla sous la direction du célèbre minéralogiste Werner et se lia avec Alexandre de Humboldt. Il composa alors, sur des sujets techniques, un certain nombre de dissertations qui ont été longtemps fort estimées. Puis, il partit pour l'Angleterre et l'Ecosse en 1792; il y visita les mines et tous les établissements métallurgiques ; il se lia avec Stewart, Erasme Darwin, Thomson. En 1798, il est à Hambourg où il entre en relations avec Jacobi, Perthes, Claudius; il revient à Munich en 1798. Appelé au conseil des monnaies et des mines, il est, en 1807, chargé de la direction générale des mines. En 1808, il est nommé membre de l'Académie royale. C'est vers cette époque qu'il trouve le moyen de substituer le sel de Glauber à la potasse dans la fabrication du verre. Il s'occupait en même temps de travaux philosophiques et publiait, en 1809, ses Contributions à la philosophie dynamique opposée au mécanisme. Cet ouvrage contient, dit Hoffmann, l'esquisse de sa philosophie tout entière. En 1812, il met une préface à la traduction que donnait Schubert du traité De l'esprit des choses, publié par Saint-Martin en l'an VIII ; en 1813, il demande à la physique le fondement de la morale; en 1816, il cherche à persuader aux empereurs d'Autriche, de Russie et au roi de Prusse que la Révolution française a fait naître le besoin d'une alliance nouvelle et plus étroite entre la religion et la politique ; il contribue, dans une certaine mesure, à la formation de la Sainte-Alliance. Il compose des ouvrages sur l'Eucharistie , sur l'Eclair, père de la lumière, sur le Concept du Temps, sur la Divination et la puissance de la Foi. Il fait des études approfondies sur les pères de l'Eglise, les scolastiques, les théosophes et les nouveaux philosophes ; parmi ces derniers il relit surtout Kant et Hegel. Relevé de ses fonctions en 1820, il cherche à fonder une académie des sciences religieuses destinée à s'opposer aux jésuites, à réunir les églises d'Orient et d'Occident et à réconcilier les diverses communautés protestantes. C'est alors qu'il compose ses Fermenta cognitions. En 1825 et 1826, il fait paraître une série d'articles sur les œuvres de Heinroth, de Bonald, de Lamennais et une lettre à J. Görres. Nommé professeur, lors de la translation à Munich de l'université de Landshut, il se consacre tout entier à l'enseignement. Ses conférences furent suivies par un public nombreux et brillant; il s'occupa successivement de la science de la connaissance, des doctrines et des écrits de J. Böhme, mais surtout de la philosophie de la religion. Il fit paraître, en cinq parties, de 1827 à 1838, les résultats auxquels l'avaient conduit ses études. Nous citerons, parmi ces publications, l'écrit sur l'Emancipation de la science catholique à l'égard de la dictature romaine, celui qui traite du catholicisme oriental et occidental, dont la portée n'a été bien comprise, dit Hoffmann, qu'après le dernier concile du Vatican. Indiquons encore, en 1839, la Révision de la philosophie de l'école hégélienne, en 1841 la lettre à Schubert, sur la nécessité de réviser la science des choses naturelles, humaines et divines. Marié une première fois, en 1.800, à Francises de Reisky, il devint veuf en 1835; il épousa alors Maria Robel; il mourut le 23 mai 1841. Un certain nombre de ses disciples, Franz Hoffmann, Jul. Hamberger, E. Aug. von Schaden, Christoph Schlüter, Anton Lutterbeck et Fr. von Osten-Sacken, ont fait paraître les œuvres déjà publiées et les œuvres inédites du maître en seize volumes (1861-1860), avec des introductions et des éclaircissements. La philosophie de Baader a été, de nos jours, l'objet de nombreux et importants travaux (V. la Bibliographie).

Si l'on en croyait Hoffmann, Baader serait dans l’histoire de la philosophie « une force (Grösse) incomparable » ; aucun philosophe n'aurait laissé autant à l'écart la poussière des écoles et la contrainte des systèmes, aucun ne serait plus exempt de contradictions internes et ne s'accorderait mieux avec lui-même ; il serait le fondateur de la philosophie de l'avenir. L'auteur de l'article Baader, dans le Dictionnaire philosophique de Franck, a accepté en grande partie cette appréciation, qui nous parait inadmissible. Il suffit de dire que la philosophie de Baader a été le résultat, d'un côté de ses études médicales, mathématiques et scientifiques, de l'autre des lectures qui lui firent connaître Kant, Fichte, Schelling, J. Böhme et Saint-Martin ; qu'elle a eu une influence assez considérable sur la philosophie de la nature et la théosophie de Schelling; que Baader a fort bien saisi les côtés faibles des grands systèmes contemporains de Kant, de Fichte, de Schelling et de Hegel; qu'il a contribué à discréditer, pour un certain temps, le panthéisme en Allemagne ; qu'il y a dans ses ouvrages des aperçus ingénieux, des vues nouvelles et des idées fécondes; qu'il a été peut-être un des auteurs de l'apparition en Bavière du vieux catholicisme et qu'il mérite aujourd'hui encore d'être lu et étudié. Mais nous ne croyons pas que l'avenir aille chercher sa philosophie dans les œuvres de Baader.

Baader est l'adversaire des déistes et des théologiens qui refusent à la raison toute valeur spéculative. Sa philosophie religieuse est le fondement, en même temps que la partie la plus originale, de toutes ses doctrines. La religion, dit-il, naturelle et nécessaire à l'homme, est aussi ancienne que l'humanité elle-même; elle est unique, mais peut prendre des formes diverses. Dieu est le père de tous les hommes et s'est manifesté à tous les peuples : aussi trouve-t-on partout des traces d'antiques révélations; les Celtes et les Chinois, les Américains et les hommes du Nord ont des traditions qui, rapprochées les unes des autres, nous font découvrir, sous des noms différents, des croyances analogues sur la création du monde et ses révolutions, sur l’apparition de l'homme et sur sa chute. Le culte se retrouve chez tous les peuples; il conserve à l'homme le vif sentiment de ses besoins, de la félicité et de la lumière célestes; il le fait participer à l'une et à l'autre, car Dieu ne peut se soustraire à la prière par laquelle l'homme se soumet à la volonté divine; sa volonté remplit l'espace laissé vide par la volonté des créatures, comme l'air remplit le vide. Mais après sa chute, l'homme n'était plus capable de rececevoir [sic] et de supporter la lumière primitive; celle-ci a dû, pour ainsi dire, déchoir elle-même et s'adapter au milieu dans lequel vivaient les hommes déchus. C'est ce qui explique que, tout en admettant la valeur objective des inspirations ou des visions, on puisse trouver en elles quelque chose de relatif et de subjectif. Toutefois, l'homme déchu doit se réhabiliter; pour qu'il concoure à cette œuvre de restauration dont Dieu est l'artisan principal, il faut qu'il sache, dès l'origine, non seulement ce qu'il est, mais encore ce qu'il a été et ce qu'il sera dans l'avenir. Des envoyés divins ont appris à l'homme ce qu'il a perdu, ce qu'il peut espérer, ce qu'il doit faire et souffrir pour revenir à son état primitif. Ils lui ont appris que les puissances divines lui viendraient en aide; ils lui ont fait [page 1024] connaître les vertus des astres et les lois de la terre, sur laquelle, dit Baader après Saint-Martin, se prépare la substance qui sert de base et de premier degré à la génération ou à la renaissance de tous les êtres de l' univers.

Ces agents de la divinité prenaient la forme humaine et transmettaient leurs enseignements par l'action, par la parole et par l'écriture; on conserva leurs traits, mais on altéra leurs doctrines; on les transforma eux-mêmes en dieux et la mythologie prit naissance. Interpréter la mythologie en faisant appel .aux héros, à l'astronomie et aux forces de la nature ou à l’art hermétique, c'est ne donner que des explications ou fausses ou insuffisantes; il faut, pour comprendre les mythes, en retrancher d'abord ce qui s'y est mêlé postérieurement; on n'y trouve plus alors que l'histoire primitive de l'humanité dans ses rapports avec le Dieu qu'elle a partiellement perdu et avec la nature qui sera le théâtre de sa réhabilitation. C'est aux traditions des sages et de leurs disciples que les mystères antiques, trop souvent considérés comme des preuves de folie ou d'imposture, ont dû leur origine; c'est aux altérations qu'ont subies ces traditions, aux formes diverses qu'elles ont prises tout d'abord, qu'il convient d'attribuer la diversité et les altérations des mystères chez les différents peuples. Enfin, c'est dans l'Ancien et le Nouveau Testament, interprétés surtout par Böhme et Saint-Martin, qu'il faut chercher l'histoire la plus complète, la plus fidèle de l'origine des hommes et des révélations divines. Ils sont le complément nécessaire de la révélation par la conscience, qui fait connaître à tous les hommes la présence réelle de Dieu. L'histoire de l'humanité n'est qu'une évolution en vue d'un but unique : la création a préparé l'apparition de l'homme; la nature et l'humanité ont travaillé à la venue du Christ; elles travaillent, depuis qu'il est ressuscité, à le faire venir une seconde fois et à amener la réhabilitation universelle.

Baader avait eu, dans son enfance, des accès de somnambulisme, suivis d'une fièvre cérébrale qui avait arrêté pendant un certain temps le développement de son intelligence. Il s'est beaucoup occupé par la suite des phénomènes du magnétisme animal et du somnambulisme; il a étudié les œuvres des théurgistes, des alchimistes et des magiciens; il a voulu unir la philosophie et la théosophie, pour constituer une véritable philosophie de la nature. Il a semé dans les divers écrits qui avaient pour but de constituer cette philosophie nouvelle, un certain nombre d'observations qui mériteraient aujourd'hui d'être recueillies par ceux qui traitent scientifiquement les obscurs et merveilleux phénomènes du somnambulisme et de ce qu'on appelait autrefois le magnétisme animal. F. PICAVET

BIBL.: Franz von Baaders sämmtliche Werke; Leipzig, 1851-1860, 16 vol. ; le quinzième volume contient sa biographie et sa correspondance; les dix premiers volumes comprennent la Science de la connaissance, la Métaphysique, la Psychologie et l'Anthropologie, la Philosophie de la société et de la religion ; les autres volumes comprennent les Journaux, les Eclaircissements aux ouvrages de Saint-Martin et de Böhme, les écrits posthumes sur les Temps, la Société, des Eclaircissements et des Gloses sur Thomas d'Aquin et autres. Sur Baader, consulter Franz HOFFMANN, Die specul. Entwicklg. der ewig. Selbster-zeugung Gottes, aus Baaders Schriften Zusammengetragen; Amberg, 1835. — Du même, Vorhalle zur specul. Theolog. Baaders; Aschaffenbourg, 1836.— Du même, Die Grundzüge der Societeitsphilos. von Franz Baader; Würzbourg,1837. — Du même, Fr. von Baader ais Begründer der Philos. der Zuhunft; Leipzig, 1836.-- Du même, Die Weltalter, Lichtstrahlen ans Baaders Werken; Erlangen,1868. — J.-A.-B. LUTTERBECK, Ueber d. philos. Standpunht Baaders; Mayence, 1851.— Du même, Baaders Lehre vom Weltge bande; Francfort,1866. — HAMBERGER, Die Cardinalpunkte der baaderschen Philos.; Stuttgart,1885. - Du même, Christenthum und moderne Cultur; Erlangen, 1863. — Du même, Physica sacra od. d. Begriff d. himmlisch. Leiblichkeit; Stuttgart, 1869. — Du même, Versuch e. Charakteristik der Theosophie Franz Baaders (Theolog. Studien und Krillken; Jahr. 1867, pp. 107-123). - Th. CULMAN, Die Princepien der Phil. Fr. von Baaders und E.-A. von Schadens (Z. f. Ph., vol. XXXVII, pp. 192, à 226 et vol. XXXVIII, pp. 73-102). — K.-Ph. Fischer, Zur hundertjähr, Geburtstagsfeier Baaders, Versuche, Charakterislik seiner Theosophie und ihres. Verheiltnisses z. d. Systemen Scheliings und Hegels, Daubs und Schieiermachers; Erlangen, 1865, etc. - Allgemeine Deutsche Biographie (art. Fr. v. Baader par Hoffmann). — Dictionnaire philosophique (art. Baader par X...). — J. WILM, Histoire de la philosophie allemande, vol. VI, pp. 408-418.—BAUMANN, Kurze Darstellung der Phil. F. von. Baaders (. Monatshefte, 1878, p. 321-340).

J.-A.-B.

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