1898 - La Paix universelle, revue indépendante

1898 paix universelleHuitième année – n°176-177 – 16 mars au 15 avril 1898

Magnétisme transcendantal

Philosophie – Physiologie – Psychologie

Directeur : A. Bouvier

Préludes martinistes dans le Congrès de l’Humanité

(suite et fin) pages 54-56

La loi du Karma et celle des Cycles se fondent avec les dernières formules d'un système social qui s'édifie sur les décombres du fatalisme théologique et puisent de nouvelles forces vitales de la philosophie même de l'histoire qui, rendant plus évidente la nécessité d'une doctrine nouvelle à un moment donné, nous montre aussi, d'un coup d'œil précis, les phases par lesquelles elles passent [page 55] jusqu'à la désagrégation naturelle, les causes qui lui ont donné l'impulsion initiale n'existant plus.

La société qui, pour nous occultistes, est l'organisme psychique du règne humain et, par conséquent, triple comme l'est chaque créature vivante, devra nécessairement, à l'avenir, être basée sur la Synarchie. Nous devons comprendre plus que jamais que l'époque de l'individualisme, les temps de la déclaration des droits individuels, avec la grande révolution de 1789, sont clos pour jamais. Quoi que puissent en penser les Libertaires qui s'appuient sur l'individualisme philosophique du XVIIIe siècle, l'humanité s'éloigne du séparatisme pour tendre vers l’unité. Aujourd'hui, pour hâter le triomphe de l'Unité sur la Multiplicité, de l'Altruisme sur l'Égoïsme, pour établir, contre l'anarchie, la république universelle du devoir et de la fraternité entre les peuples de toute la terre, les lois morales de l'ésotérisme deviendront un auxiliaire puissant. Le travail des occultistes donne à l'homme des sciences la force qui lui est nécessaire en lui faisant entrevoir les destinées de l'humanité future formant une chaîne avec des mondes plus avancés que le nôtre ; c'est une colonne de feu qui illumine les âmes soupirant après la vérité, colonne milliaire sur le chemin à parcourir pour arriver à la grande harmonie qui conduit à la découverte des systèmes incompris ou tournés en dérision et en protège le mystère ; c'est une arche symbolique en laquelle, comme un énervant arôme, brûle (éternel hommage aux forces bienfaisantes incarnées dans les initiés modernes) la flamme destinée à purifier l'air corrompu d'une société en pleine déchéance.

Admirons-les, ces occultistes, et suivons avec sympathie les efforts qu'ils font pour réunir en une seule famille tous ceux que n'a pas encore souillés cette fange dont le flot monte de toutes parts, ceux auxquels sourit encore une aurore lointaine et resplendissante, ceux que réjouit un perpétuel mirage d'idéalisme... Admirons-les de ces lieux encore fermés au limpide azur du ciel des Idées et des Espérances, éclairant les modernes réalités morales et les voies jonchées de fleurs immaculées comme les neiges qui brillent sur les cimes des Alpes, telle une blanche lumière emblème des conceptions humanitaires de l'occultisme, de cet occultisme qui, malgré les diverses écoles qui le composent, contient la véritable clef des mystères de l'univers, qui est la genèse de toute lueur d'Humanisme, sur lequel s'appuie la loi sociale organique de l'avenir, qui renferme, enfin, dans ses aspirations, comme toutes les propriétés du triangle sont renfermées dans sa définition, presque le Vrai Absolu.

Silencieux et Inconnus, nous ne cherchons aucune autre récompense que celle de la légitime satisfaction du devoir accompli ; aucune joie matérielle ne peut se comparer à celle que procure l'élan mystique vers le plan divin, aucune désillusion ne peut troubler notre félicité, aucune brutalité ne peut nous forcer à retourner sur nos pas. Dussions-nous succomber dans l'âpre lutte contre l'égoïsme dominateur, notre esprit, si nous domptons nos sens, s'envolera heureux pour aller revivre de la vie du Cosmos, tandis que les molécules dont est formé notre corps charnel, poussière inutile baisée par le soleil, se transformeront en fleurs odorantes ou en herbes malsaines.1790 lcsm homme desir

« L'amour est le principe et le foyer de tous les secrets, de toutes les vertus. N'est-ce pas l'Amour qui a proféré les deux plus superbes prières qui aient été communiquées aux hommes, celle que Moïse a entendue sur la Montagne et celle que le Christ a prononcée devant ses disciples et devant le peuple assemblé? » (Saint-Martin.)
[Louis Claude de Saint-Martin, L'homme de désir. Lyon, Grabit, 1790, chant 101, p.165.]

Cet amour doit se développer par l'Initiation : sans la connaissance, en effet, on ne peut atteindre la pureté ; sans la pureté on ne peut aimer et, par suite, être tolérant ; sans amour il ne peut y avoir harmonie ni fraternité ; sans fraternité, point de liberté. Mais avec l'absolue liberté de chaque individu, l'humanité devra fatalement disparaître, précisément en vertu de l'amour.

« Notre but est d'arriver au bien-être, et, pour l'obtenir, il faut se soumettre à une loi qui consiste dans l'union des êtres qui composent l'humanité. »

Ainsi s'exprime Posdnicheff dans la fameuse Sonate à Kreutzer de Léon Tolstoï —

« et lorsque régnera cette loi le genre humain n'existera plus, ou du moins il serait impossible de se faire une idée de ce que sera la vie lorsque sera accomplie la fusion de tous les êtres. »

Et jusque-là ? Jusque-là, luttons de toutes nos forces pour la lumière et l'amour, préparons-nous à ce sacerdoce humanitaire par le travail intérieur ; ne pouvant nous affirmer par le nombre, affirmons-nous par les idées, un jour nous serons la collectivité ; faisons en sorte que le cœur de tout homme soit un temple de la vertu.

Tout initié qui tua la bête qui est en lui et fait le conquête de soi-même, résolvant ainsi l'énigme du sphinx ; qui comprend, par analogie, les lois de l'univers ; qui sent qu'il n'y a qu'une seule religion, reflet du silence suprême (dans lequel réside l'Être des Êtres) identique dans tous les temps et dans toutes les initiations, parce qu'elle luit à l'esprit de quiconque a écarté le Dragon du seuil en vue du bien ; qui sait que le désir est la racine de l'être, se crée par conséquent chaque jour son idéal et se prépare sa propre destinée (parce qu'il est libre dans le cercle de la fatalité qui l'entraîne et qu'il doit allier sa volonté à la providence) ; qui médite souvent les Vers dorés de Pythagore, unique catéchisme de l'occultiste ; qui accomplit le seul sacrifice à offrir à la divinité, c'est-à-dire du Moi humain inférieur au Moi divin supérieur, mettant, au-dessus de tout, l'amour de Dieu et des Principes pour obtenir la vision intérieure ; trouvera, avec la vie de l'âme le Saint Graal, après avoir bu, comme dans les initiations de l'antique Orient, à la tasse de l'oubli et à celle de la mémoire, afin d'oublier les erreurs mayaviques et naître à la vérité spirituelle. Plein d'amour (l'Amour est le fils aîné de l'Absolu), il franchira les trois degrés de l'occultisme : Purification, Illuminations, Union pour contempler et, par conséquent, savoir, annihilant toute passion, faisant en lui un vide complet, pour pouvoir recevoir le feu sacré. Avec l'amour, il arrivera au silence absolu, par écouter la voix de Manas, avant d'entendre la divine harmonie qui l'appelle, parce qu'il identifie de nouveau sa volonté (entraînée par les cones rebelles tombés avec lui) à la volonté divine. Aimant, il pourra communiquer avec les pures intelligences et arriver à la plénitude de son être devenu parfait pour obtenir la réintégration universelle qui renouvellera la nature et finira par purifier le principe même du mal. Avec l'amour, il s'élèvera au-dessus de Maia pour se réfugier dans cet océan de lumière qui coule au delà des rumeurs mondaines... Avec l'élan mystique de l'amour il se résorbera dans l’Unité parce qu'avec le feu, igné, de l'amour, natura renovabitur integra [La nature se renouvelle dans son intégrité par le feu], et l'amour est une des deux forces entre lesquelles se soutient toute société harmonique : expansion et attraction, amour et liberté.

Mais l'Âme-Soleil qui réside en nous et veut s'élancer à la conquête de la science et de la résurrection finale, ce qui équivaut à dire retrouver le Christ et faire un avec le Père, doit être mystiquement conçue par une Vierge Immaculée, être née de la fille de David, être sa propre reine, être baptisée avec l'eau et avec le feu, c'est-à-dire régénérée par l'intelligence et par l'intuition, ou, en d'autres termes, par l'eau qui vient de la terre et le feu qui descend d'en haut ; elle doit être tentée dans le désert de la vie, blessée aux cinq parties extrêmes de sa personnalité, aux cinq sens matériels, crucifiée, ensevelie ; elle doit accomplir les douze travaux d'Hercule dont on retrouve le symbole dans le Zodiaque et dans les douze étoiles qui couronnent la Vierge Immaculée. L'âme épurée qui conçoit l'esprit, le moi divin qui est en nous, le Christ divin, l'âme devenue soleil, devient un centre de force et de vie pour l'Humanité.

C'est ainsi [page 56] que la mission des âmes élevées correspond à celle que le soleil cosmogonique accomplit dans toute la nature. La correspondance entre les deux étant parfaite, il en découle que l'histoire de l'Âme est écrite là-haut dans la voûte étoilée ; aussi le Psalmiste a-t-il pu s’écrier : Caeli enarrant gloriam Dei [Ps.19 (18) Les cieux racontent la gloire de Dieu]. Dans les cieux se trouve donc écrite l'histoire de l'Âme, de même que celle du Soleil : et Zodiaque est l'Hiéroglyphe le plus splendide et le plus vrai de l'Âme-Soleil.

C'est le plan Astral que nous devons émouvoir ; c'est en vain qu'un initié tenterait d'agir sur les masses s'il n'est parvenu, auparavant, à se rendre maitre des forces occultes qui régissent l'humanité paresseusement ignorante. La force des sociétés ésotériques réside dans le silence autant que dans l'affinité psychologique qui lie les adeptes entre eux, dans l'unité des idées et dans la tactique commune à chacun d'eux. Plus sera serré le lien hyperphysique qui unit les membres d'une association, quelque éloignés qu'ils soient les uns des autres, plus sera puissant le levier de la propagande et plus tôt, et d'une façon plus prodigieuse se réalisera l'idéal suprême.

La foule profane ignore les lois occultes qui la régissent, et peut être comparée au sauvage qui se fait tuer en manœuvrant une arme qu'il ne connait pas, plutôt que de s'en servir pour sa défense ; mais les initiés assez avancés pour explorer les régions de l'Absolu, après avoir dynamosé leur volonté et purifié leur cœur, forment une chaîne solide dont les maillons sont actuellement rivés par les élémentaux et que l'union des intuitifs vivifie, de telle sorte que le secret d'une part (afin d'éviter la pernicieuse influence de ces formes-pensées créées inconsciemment par les adversaires et suivre la hiérarchie nécessaire aux grades initiatiques), de l'autre le parfait accord existant entre les divers affiliés qui leur permet de se communiquer le secret de la grande Harmonie renversent facilement les obstacles élevés par une ignorance aveugle, et permettent à la famille éparse d'agir comme un seul homme.

Les persécutions ne servent à rien : frappés injustement, les martyrs d'un idéal deviennent l'âme invisible de cet idéal même, et c'est avec une ardeur plus grande que d'autres poursuivent l'œuvre interrompue. C'est ainsi que s'explique la fulgurante résurrection de l’Ésotérisme après une période de victoires remportées par la Papauté.

Ce qui doit importer, pour le moment, c'est la conquête de la Gnose : j'entends par là non celle que certains occultistes considèrent comme un ensemble systématique de doctrines philosophico-religieuses, ce qui en est une fausse interprétation, mais la véritable Gnose ou illumination intérieure. La Gnose est incommunicable et indicible comme est incommunicable et indicible le divin Tétragrammaton : c'est la résultante glorieuse de la Connaissance du Moi.

Saluons l'Astral des pensées-pensées, bonnes, justes, fraternelles : édifions la nouvelle Jérusalem sur le binaire granitique Jakin-Boas, symbole du parfait équilibre entre le masculin intellectuel et le féminin intuitif ; mais, voulons oser, sachons aussi nous taire, jusqu'à ce que nos frères de l'au-delà nous autorisent à parler. Sachons nous taire, mais sachons aussi lever l'épée symbolique. Défendant le Gnosticisme pur, nous renverserons le faux Gnosticisme, c'est-à-dire le sectarisme romain. Ainsi s'évanouiront les injustices qui fermentent dans le sein de l'ordre social moderne.

Voilà pourquoi le martinisme transforme le S. I. en Roi et en Pontife de soi-même : le veut prêtre et magistrat, savant et juste.

Occultistes de toutes les traditions, spiritualistes de toutes les écoles : unissons-nous !...

Fulgence BRUNI. [Fulgenzio Bruni, frère martiniste italien]

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