[Les deux premiers arcanes]

Dans le Monde occulte, à travers la conversation de maître Janus et d’Axël, s’énoncent les deux premiers arcanes du réel savoir : l'esprit de renoncement et l’esprit d’humilité.

— Maître, dit le jeune élève, je sais que, selon la doctrine ancienne, pour devenir tout-puissant, il faut vaincre en soi toute passion, oublier toute convoitise, détruire toute trace humaine, assujettir par le détachement.

— Homme, si tu cesses de limiter une chose en toi, c’est-à-dire de la désirer, si par là tu te retires d’elle, elle t’arrivera, féminine, comme l’eau vient remplir la place qu’on lui offre dans le creux de la main. Car tu possèdes l’être réel de toutes choses en ta pure volonté et tu es le dieu que tu peux devenir.

Plus loin, maître Janus s’explique :

— Si tu ne dépouilles à jamais, d’un seul coup, toute miséricorde pour les attirances de l’argile, ton esprit, plus lourd de chaque rêve accompli, sera pénétré par l’instinct, s’enchaînera dans la pesanteur, et ton heure une fois révolue, jouet, dans l’impersonnel, de tous les vents de la limite, disséminé, conscience éparse en tes anciens désirs, vaines étincelles, tu es strictement perdu.

Mais ces sacrifices qui donnent des puissances et des mérites exceptionnels ne peuvent s’allier qu’avec la modestie la plus complète et l’humilité et cet oubli de soi que recommande l’Initiation : « Les mages réels ne laissent point de nom dans la mémoire des passants et leur sont à jamais inconnus... Leur nombre depuis le temps est le même nombre, mais ils forment un seul esprit. »

Oui, toute la science est là, dite en phrases splendides pour l’éternité, mais l’expansion de cette science est passée sous silence. Villiers a omis l’esprit de charité, cette loi de l’amour qui régit les âmes, comme la loi de la pesanteur régit les corps. C’est à ce point de vue que le poète de l’Êve future et d’Axël se différencie des mages plus modernes. Alber Jhouney, le plus savant et le plus doux d’entre eux, a mille fois proclamé cette volonté de faire de toute l’humanité une sorte de chaîne mystique où chaque chaînon serait intimement soudé à son voisin et ainsi à tous les autres. Quand donc cessera l’acharnement des combats pour l’existence, et quand l’équilibre social permettra-t-il que les débiles s’appuient sur les forts sans avoir à craindre d’être dévorés ?

Je crois, d’ailleurs, que les poètes martinistes Émile Goudeau et Stanislas de Guaita, le kabbaliste Ély Star et le docte Papus, se rallient à cette doctrine fraternelle, que paraissent répudier des artistes outranciers, tels que Joséphin Péladan.

Ah ! le secret de tels efforts est-il permis de le révéler en ouvrant ces âmes précieuses où germe l’avenir ? Nous avons subi un certain nombre de gouvernements; ils furent pour la plupart anarchiques, quoique autoritaires. Leurs principes sont discutés avec acharnement, sans que jamais l’accord se soit fait dans une synthèse humanitaire. Au même titre que Platon et que les Zoroastres, oserai-je proposer le gouvernement des mages ? Aussitôt on se récrie et l’on sourit. Pourtant, il y a huit mille six cents ans — c’est M. le marquis de Saint-Yves d’Alveydre qui nous l'enseigne dans sa Mission :des Juifs — les Initiés possédèrent le pouvoir pendant le cycle de Ram, dans l’immense empire du Bélier, qui donna son nom aux Aryas, et dont nous retrouvons la tradition scientifique et sociale dans l’ordre dorien des Abramides, dans les œuvres doriennes de Moïse, dans les enseignements de Jésus-Christ et enfin dans ce que le second Testament et principalement saint Jean nous laissent entrevoir de leur doctrine ésotérique.

Je laisse la parole à l’auteur des Missions :

« L’autorité n’appartient jamais à la Force, et, comme je l’ai dit dans la Mission des souverains, il faut en chercher les symboles premiers au foyer, dans la mère et dans les grands parents, sans parler ici des morts.

« Cette autorité réelle a pour caractère d’être désarmée des sanctions exécutives dont le Père tient le bâton de commandement et qui constitue le pouvoir. [page 311]

« Cette autorité, faite uniquement de force intellectuelle et morale, de sagesse et d’amour, instruit, éduque et vivifie; elle ne juge que pour perfectionner, elle ne châtie que pour guérir, elle ne condamne jamais.

« Dans l’État social, telle est aussi la véritable Autorité, la seule devant laquelle, depuis le souverain jusqu’au dernier des artisans, tout le monde puisse et doive, d’un bout de la terre à l’autre, s’incliner, fléchir le genou et se relever, instruit, éduqué, vivifié, pour obéir, en accomplissant son devoir et en vivant heureux, chacun à son rang.

« Or la totalité des corps enseignants porte seule ce caractère divin de l’autorité, car la science s’étend depuis le centre de la terre jusqu’au sommet des cieux, depuis la Nature physique jusqu’à cette nature intellectuelle qui est la Confidente de l’Esprit de Dieu et la Mère de l’Intelligence humaine. »

Ne croyez-vous pas que bientôt nous serons accablés d’une lassitude immense provenant de l’infusion exagérée de l’égalitarisme dans notre système de gouvernement? Si nos organes physiques ont une certaine ressemblance, quelle différence pour les organes moraux et quelles divergences d’aptitudes ! Le règne de l’injustice, qu’elle vienne d’en haut ou d’en bas, ne saurait durer longtemps. Et n’avons-nous pas fait, nous les contemporains, l’expérience de brusques engouements des foules et de leurs détachements plus brusques encore? Sans doute, nous devons nous résigner à abdiquer l’impossible prétention à une universelle égalité, et nous nous réunirons tous autour des libertés et des fraternités réciproques.

Et ce sera seulement après le sacrifice de l’égalité spirituelle que nous aurons enfin l’égalité des cœurs, la meilleure de toutes, par laquelle le génie et la puissance donneront spontanément la main aux faibles et aux souffrants; la fusion de l’humanité sera dès lors si intime que la mort même ne séparera plus les cœurs mêlés...

JULES BOIS.

 bouton jaune Villiers de l’Isle d’Adam et l’occultisme contemporain