[De la science hermétique]

Nul n’ignore plus maintenant les progrès extraordinaires qu’a accomplis la science hermétique. Toute la jeunesse moderne en est imbue, et je ne serai pas audacieux en affirmant après M. E. Goudeau —qui l’a dit dans un premier Paris du Figaro — que les deux tiers des élèves de l’École polytechnique connaissent et admirent Lucas, Saint-Yves d’Alveydre, Éliphas Lévy. Des cohortes serrées de littérateurs et de poètes se groupent autour de la bannière mystérieuse où s’étale le pantacle stellaire. Les simples d’esprit et les humbles ont aussi trouvé là leur consolation et leur refuge. Un initié me racontait, il n’y a pas très longtemps, qu’il fut très étonné d’apercevoir dans la loge d’un portier tous les livres d’occultisme, en ordre et soigneusement reliés. Et cet homme répondit aux questions de l’initié : « J'ai depuis trente ans, un à un, ramassé sur les quais ces vieux bouquins, et soigneusement je les garde et je les lis parce qu’ils m’ont appris la vérité. » Plusieurs centaines de revues ésotériques s’éparpillent dans le monde entier. Je citerai comme les principales : l’Étoile, d'Alber Jhouney, l’Aurore, de Mme la duchesse de Pomar, et l’Initiation, de Papus. Deux journaux des plus boulevardiers ont ouvert leur troisième page à des renseignements astrologiques. Enfin nos savants ont convenu que les vieilles doctrines des kabbalistes, des chiromanciens et des alchimistes n’étaient pas aussi erronées qu’on l’avait cru de prime abord. Un homme d’un mérite transcendant et d’une incontestable sincérité, le docteur Crookes — à qui nous devons la découverte de l’état radiant dans la matière — ne vient-il pas de contrôler les phénomènes spirites par des appareils photographiques afin d’écarter toute illusion des sens, et n’ai-je pas sous les yeux les procès-verbaux de ce grave témoin à propos des phénomènes de bilocation et des apparitions tangibles de Katie King? Je renvoie les plus curieux aux livres récents du docteur Paul Gibier et de Lermina.

Il est certain qu’il n’est pas de miracle dans le sens du mot surnaturel, mais il ne faut pas a priori repousser des faits réels dont l’explication ne nous est pas encore possible. D’ailleurs, admettons que les lois de [page 310] la nature sont infinies, et nous ne nous étonnerons plus de certaines anormalités. Je ne veux pas me prononcer entièrement sur le spiritisme, qui, à la condition d’être sincère, n’est encore la plupart du temps que puéril. Inutile de discuter les démoniaques et leurs puissances de jettatura, qui sont pourtant de très dangereuses suggestions. De plus hautes questions d’intellectualité nous attirent.

Les anciens avaient formulé en une inscription célèbre le conseil le meilleur pour devenir un sage : Γνωτι σεαυτον. La physiognomonie, la chyriognomie, la chiromancie, l’astrologie (lorsqu’une intelligence profondément intuitive et cultivée en aura fait la synthèse), nous donneront-elles, avec toute la certitude possible, la connaissance de nous-même et des autres? Nous pourrions donc alors être à nous-même et aux autres notre providence. Ainsi nous acquerrons la paix du cœur par la science des causes, nous nous épargnerons les révoltes inutiles, les blasphèmes, le suicide, certains crimes, enfin tout ce qui diminue la personnalité.

Néanmoins, il ne faudrait pas rester uniquement passif dans cette lutte du bien et du mal qui fait le fond de l’existence. Si la défensive est bonne, l’offensive est meilleure. Nous devons nous améliorer nous-même et améliorer nos semblables. Il ne suffit pas d’être des saints, il faut encore être des apôtres.

C'est cet esprit de charité qui paraît avoir manqué à l’enseignement hermétique de Villiers et qui a peut-être incité cet esprit solitaire à terminer Axël par un double meurtre consenti.

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