CHAPITRE VII - Kabbale, Martinisme et Anarchie, pages 117-123 

Nous avons déjà dit que l'Eques a Capite Galeato n'est, au fond, ni un protestant, ni un musulman, ni un catholique ; il est, uniquement, un pur adepte de la Maçonnerie. Mais son Rit Primitif ne professe-t-il pas les dogmes Martinistes ? Sans doute, car tout Régime Maçonnique doit professer une doctrine philosophique et religieuse, quelle qu'elle soit. C'est au XVIIIe siècle la loi fondamentale de toutes les Sectes que nous avons étudiées. Extérieurement donc, et bien qu'il soit athée, le marquis professe, enseigne, défend la doctrine Martiniste dans les Loges des hauts initiés. Mais les dogmes du Juif Martinez, exposés par d'Haute rive, et brillamment expliqués par L. CI. de Saint-Martin, ne sont point faits pour gêner les conceptions du marquis. Ils viennent au contraire appuyer ses idées les plus subversives. En quelques brèves formules, que nous lui empruntons, voici le résume de ce que nous n'osons appeler son système religieux et philosophique : Dieu est un et [page 118] trine : intelligence force, volonté ; père, fils, esprit. L’Éternel est un centre. La création est sa circonférence. L’Éternel  émana l'Homme ou Adam ou le Mineur. Adam, ou HOMME ROUX OU RÉAUX, signifie : Être REHAUSSÉ EN GLOIRE SPIRITUELLE divine. L’Eternel ÉMANA Adam dans un corps de gloire incorruptible, qui n'était assujetti à aucune influence de la partie élémentaire. Immatériel, l'Homme n'avait aucun besoin d'un aliment matériel, toute sa forme étant purement spirituelle. En l’émanant, Dieu lui avait donné pour mission d'attaquer, de combattre, de réduire les esprits pervers, et d'opérer ainsi leur réconciliation. L'Homme se serait perpétué par son VERBE, en opérant une forme de gloire, semblable à la sienne, dans laquelle Dieu aurait fait descendre un esprit. Quelle fut la faute d'Adam ? Pur souffle de l'Éternel, il osa, malgré Dieu, prétendre lire dans l'infinité de Dieu, et mérita d'être opprimé par la majesté divine. Les esprits pervers, qu'il avait mission de combattre et de réduire, pour opérer leur réconciliation, eurent bientôt conscience du grave attentat commis par l’Homme contre l'Éternel. Ces esprits démoniaques firent dévier la pensée d'Adam. L'Homme convoita les plaisirs sensibles ; sa convoitise donna l'existence à l'OBJET et à la COMPAGNE de son malheur : la femme. Si l’Homme n'eût jamais péché, la femme n'eût jamais été.

Précipités par la justice de l'Eternel du centre des régions célestes, l’Homme et sa compagne furent contraints d'aller se revêtir dans les abîmes de la terre d'une forme semblable à celle que nous avons. Le couple humain devint sombre et ténébreux, par le crime de l’Homme et par la nudité où il se trouva. L’Eternel dépouilla Adam de son corps de gloire, ainsi que l’Ecriture le raconte d'une manière emblématique, en disant que Dieu leur fit des habits. Or l'habit, qu’il leur fit, n'est autre chose que la forme matérielle, qui couvre [page 119] notre être spirituel. L'Homme parcourra désormais sa carrière temporelle, pour parvenir à sa réintégration. C'est par la pensée active et par la pensée seule qu'il pourra se purifier, et s'unir directement à l’Eternel.

Ce que nous appelons le corps n'étant qu'une enveloppe ÉPHÉMÈRE, un élément HÉTÉROGÈNE, une sorte d'entrave, une logette obscure, où l'âme est comme enfermée in carcere duro, l’esprit immatériel et pensant n'a pas à se préoccuper de ce qui se passe dans ce corps matériel-temporel. Les souillures de ce fantôme ténébreux, les actions les plus abominables de cet odieux étranger ne sauraient pénétrer jusqu'à la forme spirituelle et doivent la laisser indifférente. L'Esprit purifié par la pensée, remontera un à un, grâce aux esprits demeurés bons, et malgré les esprits diaboliques, les degrés de cette échelle du haut de laquelle son orgueil le précipita. Parvenu au terme, dépouillé enfin de son enveloppe mortelle, par ce que nous appelons très improprement la mort, et que nous devrions nommer la réintégration, il rentrera pour toujours dans le sein qui l'avait émané.

Fils de Dieu, Dieu lui-même, il ne saurait trouver dans ses semblables un être supérieur à lui. Il est l'égal de tous les autres esprits et tous les autres esprits sont ses égaux. Tous les êtres matériels, qui nous entourent, cette nature visible, ces mondes qui roulent au-dessus de nous, ne sont que le prolongement de notre corps, et donc, ne sont pour l’esprit qu'une prison agrandie. Temporelles, caduques, faites pour retourner au néant, ces choses doivent être pour nous comme si elles n'étaient pas.

Tel est en résumé le système de l’Eques. Ce n'est pas autre chose, redisons-le, que du Martinisme, c'est-à-dire au fond, de la Kabbale juive.

On entrevoit déjà les conséquences de pareils principes : Point d'autorité, et, donc, point de gouvernement ; point de lois, et, donc, point de législateur ; point [page 120] de famille ; point de société ; plus de nationalités ; plus de frontières ; plus de patries. La Religion naturelle n'est qu'un vain mot. Et donc, c'est l'athéisme pratique le plus affreux ; c'est le plus abject matérialisme ; c'est le nihilisme le plus absolu.

Nous laissons de côté les combinaisons et les considérations mystiques, fondées sur les nombres et les Rites pratiqués par les adeptes, et les évocations, les conjurations en honneur parmi eux...

Voilà donc le système théosophique de l'Eques a Capite Galeato. Qu'on relise attentivement le texte entier des Actes Constitutifs de son Régime. Qu'on relise en particulier ces déclarations : « Nous ne négligerons pas de rappeler à nos Frères que toute puissance établie vient de Dieu, que... etc. » Cette pièce unique, admirée par les Grands-Officiers du Grand Orient de France, et par les Maîtres les plus savants de cette époque, ne nous apparaît-elle pas comme un monument de la plus insigne mauvaise foi ? N'est-elle pas bien faite pour éclairer les aveugles volontaires, et pour forcer la conviction des plus incrédules ?

Or, cette pièce est pour nous peu de chose. Pour pénétrer l'âme de l'Eques a Capite Galeato, il faut lire ce qu'il a écrit, il faut entendre l'écho fidèle de ce qu'il a dit. En lisant ce qui va suivre, le lecteur doit avoir constamment présents à la pensée, la doctrine historique, politique, religieuse, philosophique et morale du créateur du Rit Primitif, et le but où il tend, c'est-à-dire l'anéantissement de toute autorité et de la Religion catholique.

  Source gallica.bnf.fr / BnF : CHAPITRE VII - Kabbale, Martinisme et Anarchie, pages 117-123