1934-1935 - L'École mystique de Lyon
Joseph Buche, agrégé de l'Université, secrétaire général de l'Académie de Sciences ; Belles-Lettres et Arts de Lyon. – I vol. in-8° de 306 pages, Alcan.
Comptes-rendus du livre de Joseph Bouche L'École mystique de Lyon
- Semaine religieuse du diocèse de Lyon - Joseph Buche, L'École mystique de Lyon, 1776-1847
- Revue d'histoire et de philosophie religieuses : Joseph Buche, L'École mystique de Lyon, 1776-1847, par Jacques Marty
- Revue belge de philologie et d'histoire : Compte-rendu par Charlier Gustave du livre de Joseph Buche
1934 - Semaine religieuse du diocèse de Lyon
21 décembre 1934 - Bibliographie, pages 45-46
Joseph Buche , L'École mystique de Lyon (1776-1847)
M. Joseph Bûche vient d'apporter une précieuse et intéressante contribution à l'étude de l'âme lyonnaise. Il importe, cependant, de ne pas se méprendre : les écrivains qu'il rassemble sous le titre d'« école mystique » de Lyon n'offrent aucun des caractères qu'un théologien reconnaît aux auteurs mystiques des diverses écoles de spiritualité. Il est trop évident que Ballanche, A.-M. Ampère, Victor de Laprade, Julien Bredin, Blanc de Saint-Bonnet, Paul Chenavard n'entreraient que malaisément dans les rangs de la spiritualité thérésienne, bénédictine, dominicaine ou salésienne. Henri Bremond les eût écartés de sa route, s'il avait eu le temps d'en venir jusqu'à eux.
Ce n'est que faute d'un meilleur terme que M. Joseph Bûche parle d'école mystique. Il ne le fait cependant pas sans raison, puisque le problème religieux fait le fond de toutes les spéculations philosophiques du groupe lyonnais qu'il étudie en historien probe et averti et non pas en théologien.
C'est une singulière histoire que celle de ces esprits inquiets et de ces âmes généreuses qui, en dépit de leurs croyances religieuses de tradition catholique, vont demander à l'illuminisme, à la théosophie et à la kabbale une réponse aux grands problèmes de la souffrance, de la mort et de la destinée. Francs-maçons pour la plupart, membres de cette loge de la Bienfaisance où se coudoient gentilshommes provinciaux, riches négociants et chanoines comtes de Lyon, les doctrines de Saint-Martin, le philosophe inconnu, et de Martinez de Pasqually. Ils ne voient aucune incompatibilité entre l'illuminisme et leur foi ; c'est un fait. Bien plus, ils y trouvent un stimulant. N'est-ce pas Joseph de Maistre qui écrit : « Ce système est chrétien jusque dans les sciences ; il accoutume les hommes aux dogmes et aux idées spirituelles. » Les événements sanglants de la Révolution trouvent les Martinistes prêts à faire le sacrifice de leur vie et plusieurs d'entre eux meurent avec un héroïsme admirable.
La Révolution n'étouffe pas dans le sang les idées nouvelles ; elles se propagent et on les retrouve dans cette « Société chrétienne » dont le grand Ampère, récemment converti au catholicisme, est le président et Ballanche l'un des membres les plus influents. Tous les ouvrages de Ballanche sont imbus de la doctrine martiniste, et ils ont contribué à élargir au XIXe siècle ce courant de religiosité vague et d'humanitarisme social, où l'on rencontre les noms de Lamartine, de Victor Hugo, de Georges Sand, de Vigny, de Jean Raynaud, les Fouriéristes, les Saint-Simoniens et peut-être même Auguste Comte.
On pense bien que l'orthodoxie, si peu vétilleuse soit-elle, répugne à ces rêveries nuageuses. M. Bûche ne l'ignore pas et le signale loyalement. En dépit de ses intentions droites, Ballanche n'a pas su se défendre de l'erreur, et le syncrétisme religieux qu'il élabore a beau réserver une place de choix au catholicisme, il n'en demeure pas moins inacceptable. Faut-il croire que le tempérament lyonnais le prédisposait et l'inclinait à cette doctrine généreuse et embrumée ? Faut-il y voir la rançon du brouillard légendaire de la ville aux deux fleuves ?
Ceux qui liront l'ouvrage de M. Bûche pourront répondre à ces questions. L'analyse qu'il fait de ce mouvement religieux et philosophique, dont l'importance n'est guère contestable, éclaire, d'une manière pénétrante tout un aspect de l'âme lyonnaise.
Au surplus, s'ils portent encore quelque intérêt aux questions littéraires, ils pourront exercer leur sagacité à résoudre quelques problèmes dont l'exposé n'est ni banal, ni ennuyeux. Il s'agit tout simplement de l'influence de Ballanche sur le « Génie du Christianisme » et sur un chapitre des « Misérables », sans préjudice de celle qu'il a exercée sur la « Psychée » de Victor de Laprade et l'« Eva » de Vigny. Ajoutez à cela une foule de souvenirs qui ne peuvent nous laisser indifférents, où sous les noms de Bossan, Borel, Jannot, sont consignés maints détails archéologiques ou artistiques de notre passé le plus récent. Le livre de M. Buche ne peut que développer en nous le culte de la petite patrie. Il y a plus, en nous montrant l'intensité et la persistance du courant mystique dans le passé, de notre ville, il nous apprend à nous en défier dans le présent. C'est un bon livre et une bonne action.
Source gallica.bnf.fr / BnF : Compte-rendu du livre de Joseph Buche, L'École mystique de Lyon (1776-1847)
1935 – Revue d'histoire et de philosophie religieuses
Joseph Buche, L'École mystique de Lyon, 1776-1847, par Jacques Marty
In : Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 15e année n°6, Novembre-décembre 1935. pp. 561-562.
Revue des livres
Le grand Ampère, Ballanche, CL-Julien Bredin, Victor de Laprade, Blanc Saint-Bonnet, Paul Chenavard. 1 vol. in-8°, xi-306 pages. Préface de M. Édouard Herriot. Paris, Alcan, 1935.
Précieuse contribution, documentée à souhait et présentée avec autant de sobre élégance que de pénétration, à l'histoire littéraire, morale, philosophique et religieuse de la première moitié du XIXe siècle. Si la grande et laborieuse cité lyonnaise, la ville des martyrs de 177, se distingua déjà, sous les souffles de la Renaissance, comme l'un des premiers foyers de l'humanisme français, si, plus tard, le jansénisme gallican y fleurit d'une manière spécialement originale et vivace, les dernières années de l'ancien régime y préparent une nouvelle lignée d'esprits méditatifs et puissants qui, autour d'Ampère et de Ballanche, feront manifestement école en ces temps si troublés où s'opère le passage du classicisme au romantisme.
M. Buche met en lumière, à l'aide de textes des plus concluants, « ce que Ballanche a dû, par diverses entremises, à la philosophie étrange mais éminemment religieuse du célèbre Louis-Claude de Saint-Martin, lui-même disciple du mystérieux Martinès de Pasqually ; le rôle des loges lyonnaises apparaît là prépondérant. Parmi les manifestations de l'illuminisme qui foisonnaient à la fin du XVIIIe siècle, il importe de noter que les « Martinistes » se distinguent en ne versant ni dans l'occultisme, ni dans une théosophie débridée, ni a fortiori dans l'alchimie. Aussi bien Ballanche maintiendra-t-il toujours sa propre tendance apocalyptique dans des limites plutôt sévères, et ce serait méconnaître l'envergure de son esprit que de faire écho aux appréciations assez condescendantes dont il fut l'objet, vers la fin de sa vie, de la part de plusieurs de ses contemporains. Chateaubriand lui-même, qui — M. Buche nous semble l'établir avec rigueur — lui devait non seulement l'expression : Génie du christianisme, mais plus d'une des vues qu'il orna des magnificences de son style, fut parfois injuste pour ce « bon » Ballanche comme il l'appelait volontiers, et que Mme Récamier appréciait avec plus de justice. On sait que Ballanche repose dans le même tombeau que celle-ci, au Père-Lachaise, non loin de son ami Ampère.
À plusieurs égards, Ballanche a été un précurseur et un initiateur. Si lui-même devait beaucoup à Vico, un peu moins à Herder, passablement à Charles Bonnet et à Mme de Staël, on retrouve ensuite son influence très nette sur Carlyle, sur le Vigny des Destinées, sur le Hugo des Misérables (cf. chap. 14, extrêmement curieux), sur Michelet et Quinet, en ce dernier cas par contact personnel.
Les protestants retiendront spécialement, parmi les amis de Ballanche, de la Société chrétienne et de l’Académie de Lyon, le nom du préfet de Gasparin (1831), père du célèbre et militant écrivain confessionnel Agénor de Gasparin, — et celui du pasteur lyonnais Touchon, assez oublié sans doute, sur la figure attachante duquel M. Buche rappelle opportunément l'attention (p. 86, 93 ss.). Ballanche aurait dû notamment à son ami Bredin et à Touchon lui-même la thèse de la réconciliation finale de Satan avec Dieu ; ici encore Victor Hugo, avec sa Fin de Satan, « laïcisera peut-être la doctrine des épreuves providentielles de Ballanche ». (P. 95.)
Chacun des autres chapitres de ce riche volume nous arrêterait longuement ; les appendices à leur tour font connaître des personnalités lyonnaises également éprises d'un haut idéal religieux ; chemin faisant, un Sully-Prudhomme, un Puvis de Chavannes après son original devancier Paul Chenavard, sont évoqués comme ayant exprimé sinon le mysticisme même des Ballanche ou des Bredin, du moins quelque inspiration voisine. Ces dernières années, M. Buche se plaît à retrouver dans les deux sources d'Henri Bergson une réelle parenté avec la philosophie de l'histoire selon Ballanche et ses amis, s'opposant nettement comme eux « aux rêveries de J.-J. Rousseau ».
Nous sommes donc assuré que les lecteurs devront, comme nous-mêmes, au diligent et érudit auteur, un profit spirituel qui lui vaudra leur juste gratitude.
Source Revue d'histoire et de philosophie religieuses : Joseph Buche, L'École mystique de Lyon, 1776-1847, par Jacques Marty
Compte-rendu par Charlier Gustave du livre de Joseph Buche, L'École mystique de Lyon, 1776-1847.
Revue belge de philologie et d'histoire, tome 15, fasc. 1, 1936. pp. 163-165.
Buche (Joseph), L'École mystique de Lyon, 1776-1847, Paris, Félix Alcan, 1935. un vol. petit in-8° de xi-306 pages. Prix : 25 fr. fr.
Une École ? Si l'on veut ! Une tradition plutôt, dont, pendant [page 164] plus d'un demi-siècle, une série d'écrivains et de penseurs vont se transmettre le flambeau assez fumeux, et dont marquent les étapes une suite d'œuvres souvent confuses, mais où des éclairs percent parfois les brumes de Myrelingues.
En fait, c'est la partie la plus originale de l'idéologie romantique à Lyon que M. Joseph Buche étudie avec un soin averti dans ce livre remarquablement documenté. Il semble, à première vue, suivre une marche un peu cahotante et capricieuse, avec de brusques arrêts et de subtils détours. L'unité en apparaît mieux dès qu'on a saisi qu'il a pour axe l'œuvre même du doux Ballanche, dont l'auteur s'efforce d'éclairer les origines et de préciser l'influence. C'est pour en marquer le point de départ qu'il est amené à esquisser l'histoire de l'illuminisme à Lyon à la fin du XVIIIe siècle, à évoquer les curieuses figures de J.-B. Willermoz et de Claude de Saint-Martin, « le philosophe inconnu », et à montrer le prolongement des tendances martinistes dans le petit groupe formé, au début du siècle dernier, autour de Cl.-J. Bredin, et qui s'est appelé tout à tour « la Société chrétienne » et « la Petite Académie », groupe où l'on s'intéresse à Boehme et où se rencontre le grand Ampère.
M. Buche s'attache cependant davantage encore à revendiquer pour son héros une part d'influence sur divers grands écrivains qui se sont inspirés de lui plus qu'ils n'ont voulu le laisser soupçonner. Et voici d'abord un nouvel et pénétrant examen des obligations qu'a le Chateaubriand du Génie de Christianisme au Ballanche de l'essai Du Sentiment. Sur ce point, la cause est à peu près entendue. Comme le constate, non sans un peu d'exagération, M. Edouard Herriot dans sa cordiale préface, « il faut que l'orgueil de M. de Chateaubriand l'admette : son livre se trouve déjà tout entier en germe, et plus qu'en germe, dans cet essai dont la lecture est offerte à quelques initiés, en 1797, dans une imprimerie lyonnaise ». Ce sera ensuite Victor Hugo, qui, à son tour, ira puiser dans l'Homme sans nom de 1820 les éléments qui lui permettront de rattacher son Manuscrit de l'Évêque au grand dessein des Misérables. Et Alfred de Vigny, qui empruntera au même penseur les traits de son Éva, « fille de saint Orphée ». L'influence se prolongera dans le milieu lyonnais avec le Laprade de la première période, celle de Psyché, l'étrange Blanc Saint-Bonnet et même les tentatives d'idéologie picturale de Paul Chenavard, qui ne laissent pas de rappeler celles de notre Wiertz.
Ces indications n'épuisent du reste pas le contenu singulièrement riche de ce savant ouvrage. On y rencontre encore, au passage, Edgar Quinet et Sully-Prudhomme, même les poètes polonais Mickiewicz et Krasinski, même M. Henri Bergson… [page 165]. Tant M. Buche s'ingénie à dépister, à travers l'espace et le temps, les rejets inattendus de la pensée de Ballanche I Quoi qu'il en soit de ces derniers rapprochements, son livre montre à merveille comment des recherches précises d'érudition locale peuvent aboutir à des résultats qui intéressent l'histoire générale des idées et des lettres. — Gustave Charlier.
Source : Revue belge de philologie et d'histoire : Compte-rendu par Charlier Gustave du livre de Joseph Buche, L'École mystique de Lyon, 1776-1847
