1935 – Revue d'histoire et de philosophie religieuses

Joseph Buche, L'École mystique de Lyon, 1776-1847, par Jacques Marty

In : Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 15e année n°6, Novembre-décembre 1935. pp. 561-562.

Revue des livres
Le grand Ampère, Ballanche, CL-Julien Bredin, Victor de Laprade, Blanc Saint-Bonnet, Paul Chenavard. 1 vol. in-8°, xi-306 pages. Préface de M. Édouard Herriot. Paris, Alcan, 1935.

Précieuse contribution, documentée à souhait et présentée avec autant de sobre élégance que de pénétration, à l'histoire littéraire, morale, philosophique et religieuse de la première moitié du XIXe siècle. Si la grande et laborieuse cité lyonnaise, la ville des martyrs de 177, se distingua déjà, sous les souffles de la Renaissance, comme l'un des premiers foyers de l'humanisme français, si, plus tard, le jansénisme gallican y fleurit d'une manière spécialement originale et vivace, les dernières années de l'ancien régime y préparent une nouvelle lignée d'esprits méditatifs et puissants qui, autour d'Ampère et de Ballanche, feront manifestement école en ces temps si troublés où s'opère le passage du classicisme au romantisme.

M. Buche met en lumière, à l'aide de textes des plus concluants, « ce que Ballanche a dû, par diverses entremises, à la philosophie étrange mais éminemment religieuse du célèbre Louis-Claude de Saint-Martin, lui-même disciple du mystérieux Martinès de Pasqually ; le rôle des loges lyonnaises apparaît là prépondérant. Parmi les manifestations de l'illuminisme qui foisonnaient à la fin du XVIIIe siècle, il importe de noter que les « Martinistes » se distinguent en ne versant ni dans l'occultisme, ni dans une théosophie débridée, ni a fortiori dans l'alchimie. Aussi bien Ballanche maintiendra-t-il toujours sa propre tendance apocalyptique dans des limites plutôt sévères, et ce serait méconnaître l'envergure de son esprit que de faire écho aux appréciations assez condescendantes dont il fut l'objet, vers la fin de sa vie, de la part de plusieurs de ses contemporains. Chateaubriand lui-même, qui — M. Buche nous semble l'établir avec rigueur — lui devait non seulement l'expression : Génie du christianisme, mais plus d'une des vues qu'il orna des magnificences de son style, fut parfois injuste pour ce « bon » Ballanche comme il l'appelait volontiers, et que Mme Récamier appréciait avec plus de justice. On sait que Ballanche repose dans le même tombeau que celle-ci, au Père-Lachaise, non loin de son ami Ampère.

À plusieurs égards, Ballanche a été un précurseur et un initiateur. Si lui-même devait beaucoup à Vico, un peu moins à Herder, passablement à Charles Bonnet et à Mme de Staël, on retrouve ensuite son influence très nette sur Carlyle, sur le Vigny des Destinées, sur le Hugo des Misérables (cf. chap. 14, extrêmement curieux), sur Michelet et Quinet, en ce dernier cas par contact personnel.

Les protestants retiendront spécialement, parmi les amis de Ballanche, de la Société chrétienne et de l’Académie de Lyon, le nom du préfet de Gasparin (1831), père du célèbre et militant écrivain confessionnel Agénor de Gasparin, — et celui du pasteur lyonnais Touchon, assez oublié sans doute, sur la figure attachante duquel M. Buche rappelle opportunément l'attention (p. 86, 93 ss.). Ballanche aurait dû notamment à son ami Bredin et à Touchon lui-même la thèse de la réconciliation finale de Satan avec Dieu ; ici encore Victor Hugo, avec sa Fin de Satan, « laïcisera peut-être la doctrine des épreuves providentielles de Ballanche ». (P. 95.)

Chacun des autres chapitres de ce riche volume nous arrêterait longuement ; les appendices à leur tour font connaître des personnalités lyonnaises également éprises d'un haut idéal religieux ; chemin faisant, un Sully-Prudhomme, un Puvis de Chavannes après son original devancier Paul Chenavard, sont évoqués comme ayant exprimé sinon le mysticisme même des Ballanche ou des Bredin, du moins quelque inspiration voisine. Ces dernières années, M. Buche se plaît à retrouver dans les deux sources d'Henri Bergson une réelle parenté avec la philosophie de l'histoire selon Ballanche et ses amis, s'opposant nettement comme eux « aux rêveries de J.-J. Rousseau ».

Nous sommes donc assuré que les lecteurs devront, comme nous-mêmes, au diligent et érudit auteur, un profit spirituel qui lui vaudra leur juste gratitude.

 Source Revue d'histoire et de philosophie religieuses : Joseph Buche, L'École mystique de Lyon, 1776-1847, par Jacques Marty