Compte-rendu par Charlier Gustave du livre de Joseph Buche, L'École mystique de Lyon, 1776-1847.
Revue belge de philologie et d'histoire, tome 15, fasc. 1, 1936. pp. 163-165.
Buche (Joseph), L'École mystique de Lyon, 1776-1847, Paris, Félix Alcan, 1935. un vol. petit in-8° de xi-306 pages. Prix : 25 fr. fr.
Une École ? Si l'on veut ! Une tradition plutôt, dont, pendant [page 164] plus d'un demi-siècle, une série d'écrivains et de penseurs vont se transmettre le flambeau assez fumeux, et dont marquent les étapes une suite d'œuvres souvent confuses, mais où des éclairs percent parfois les brumes de Myrelingues.
En fait, c'est la partie la plus originale de l'idéologie romantique à Lyon que M. Joseph Buche étudie avec un soin averti dans ce livre remarquablement documenté. Il semble, à première vue, suivre une marche un peu cahotante et capricieuse, avec de brusques arrêts et de subtils détours. L'unité en apparaît mieux dès qu'on a saisi qu'il a pour axe l'œuvre même du doux Ballanche, dont l'auteur s'efforce d'éclairer les origines et de préciser l'influence. C'est pour en marquer le point de départ qu'il est amené à esquisser l'histoire de l'illuminisme à Lyon à la fin du XVIIIe siècle, à évoquer les curieuses figures de J.-B. Willermoz et de Claude de Saint-Martin, « le philosophe inconnu », et à montrer le prolongement des tendances martinistes dans le petit groupe formé, au début du siècle dernier, autour de Cl.-J. Bredin, et qui s'est appelé tout à tour « la Société chrétienne » et « la Petite Académie », groupe où l'on s'intéresse à Boehme et où se rencontre le grand Ampère.
M. Buche s'attache cependant davantage encore à revendiquer pour son héros une part d'influence sur divers grands écrivains qui se sont inspirés de lui plus qu'ils n'ont voulu le laisser soupçonner. Et voici d'abord un nouvel et pénétrant examen des obligations qu'a le Chateaubriand du Génie de Christianisme au Ballanche de l'essai Du Sentiment. Sur ce point, la cause est à peu près entendue. Comme le constate, non sans un peu d'exagération, M. Edouard Herriot dans sa cordiale préface, « il faut que l'orgueil de M. de Chateaubriand l'admette : son livre se trouve déjà tout entier en germe, et plus qu'en germe, dans cet essai dont la lecture est offerte à quelques initiés, en 1797, dans une imprimerie lyonnaise ». Ce sera ensuite Victor Hugo, qui, à son tour, ira puiser dans l'Homme sans nom de 1820 les éléments qui lui permettront de rattacher son Manuscrit de l'Évêque au grand dessein des Misérables. Et Alfred de Vigny, qui empruntera au même penseur les traits de son Éva, « fille de saint Orphée ». L'influence se prolongera dans le milieu lyonnais avec le Laprade de la première période, celle de Psyché, l'étrange Blanc Saint-Bonnet et même les tentatives d'idéologie picturale de Paul Chenavard, qui ne laissent pas de rappeler celles de notre Wiertz.
Ces indications n'épuisent du reste pas le contenu singulièrement riche de ce savant ouvrage. On y rencontre encore, au passage, Edgar Quinet et Sully-Prudhomme, même les poètes polonais Mickiewicz et Krasinski, même M. Henri Bergson… [page 165]. Tant M. Buche s'ingénie à dépister, à travers l'espace et le temps, les rejets inattendus de la pensée de Ballanche I Quoi qu'il en soit de ces derniers rapprochements, son livre montre à merveille comment des recherches précises d'érudition locale peuvent aboutir à des résultats qui intéressent l'histoire générale des idées et des lettres. — Gustave Charlier.
Source : Revue belge de philologie et d'histoire : Compte-rendu par Charlier Gustave du livre de Joseph Buche, L'École mystique de Lyon, 1776-1847