[Les grands objets]

On ne pouvait être moins propre à l'état militaire que ne l'était Saint-Martin : « J'ai reçu de la nature, disait-il, trop peu de physique pour avoir la bravoure des sens. [Mon Portrait, 42] – J'abhorre la guerre, j'adore la mort. » [Mon Portrait, 952]. En restant quelque temps au service, il faisait le plus grand sacrifice aux volontés de son père. Il quitta le régiment en 1774, à Lille, pendant un semestre : « Ces semestres que j'allais toujours passer à Bordeaux déplaisaient un peu à M. Langeron (le colonel) ; j'étais même obligé de jouer au fin avec lui et avec mon père pour cultiver mes grands objets dans ce pays-là, comme si j'eusse eu de mauvais desseins : témoin l'affaire des recrues pour lesquelles je supposai une mission. » [Mon Portrait, 952]. Ces grands objets [200] en vue desquels il se permettait de légers mensonges étaient la culture des sciences occultes et ses liaisons avec les initiés de Bordeaux ; mais nous éviterons absolument de parler de ce que nous ignorons.

Une fois retiré du service, Saint-Martin vécut dans le monde et dans la belle société du XVIIIe siècle ; il voyagea en France et à l'étranger, en Angleterre, en Italie ; il vit Rome, mais à son point du vue. Il résida à diverses reprises à Lyon, où il y avait, comme à Bordeaux, un foyer de mysticité et de je ne sais quelles sciences secrètes. Tout en admettant sans contrôle et sans critique le merveilleux qui faisait le fond et l'attrait de ce genre d'opérations, Saint-Martin, plus tourné au moral, ne se livrait pas sans réserve à des procédés où la curiosité s'irritait sans cesse et où le cœur profitait si peu ; et lorsqu'en 1792, à Strasbourg, il lui fut donné auprès d'une amie, madame Boechlin [sic], de connaître les ouvrages allemands de Jacob Boehm, qu'il appelle le Prince des philosophes divins, il crut pouvoir renoncer absolument à toute cette physique périlleuse et pleine de pièges, pour ne plus cultiver que la méditation intérieure.