Barruel 1919 t3a1819 – Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, Vol 3

Augustin Barruel (1741-1820)

Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, Vol 3

Observations préliminaires

Extrait, page XI

… De nos jours les Martinistes et diverses autres Sectes ont de même leurs prétentions à l’Illuminisme. Pour la fidélité de l’histoire, distinguant leurs complots et leurs dogmes, je les réduits à deux espèces. Il est aujourd’hui des Illuminés à l’Athéisme et des Illuminés de la Théosophie. Ceux-ci sont plus spécialement les Martinistes, dont j’ai fait connaître le système dans le second volume et les Swedemborgistes, dont je dirai en temps et lieu que ce qu’il m’a été possible de savoir de leur Secte. Les Illuminés dont je vais dévoiler la conspiration sont ceux de l’Athéisme.

Chapitre VIII. Sixième partie du Code illuminé ; Classe intermédiaire ; Chevalier Écossais de l’Illuminisme

Extrait : pages 104-105.

Qu’on se rappelle ici ce qu’on a vu dans le second volume de ces mémoires, sur cette apocalypse des Martinistes, intitulée Des erreurs et de la vérité. Là, il fut une époque où l’homme dégagé de ses sens, libre de la matière, était bien plus encore libre des lois et du joug politique auquel il ne s’est trouvé soumis que par sa chute ; là, tout l’effort de l’homme doit être aujourd’hui, de secouer le joug de nos anciens gouvernements, pour recouvrer son ancienne pureté, son ancienne liberté, et réparer sa chute. Là encore, j’aurais pu montrer l’absurde idéalisme faisant de nos sens une vaine apparence, pour ne faire de leur prostitution qu’un crime chimérique, (*) là enfin, ce système de toute corruption [105] et de toute désorganisation, a été de tout temps la doctrine et le secret de la philosophie.

Note

* En exposant dans mon second volume la doctrine religieuse et politique des Martinistes, je ne suis pas entré dans ces détails sur leur espèce d’Idéalisme, et j’avoue franchement que je n’avais pas assez conçu le sens de leur Apocalypse sur cette partie de leur doctrine. J’ai vu depuis ce temps-là un homme assurément de beaucoup d’esprit, et bien en état de saisir tout système tant soit peu intelligible ; c’est M. l’Abbé Bertins, résidant aujourd’hui à Oxford. Il m’a fait sur les Martinistes le même reproche que d’autres m’ont fait sur les Rose-Croix, en me disant que tout ce que j’avais dit était vrai, mais que je n’avais pas dit toute la vérité. J’en ai pourtant bien dit sur ces Messieurs-là ; d’ailleurs il ne faut dire que ce dont on peut donner les preuves. Ici, M. Bertins voulut bien entrer dans quelques détails sur les leçons du fameux Saint-Martin même. Elles confirment parfaitement tout ce que j’ai extrait de la doctrine des. Martinistes, sur la nature de l’âme, sur la prétendue origine de cette âme faisant partie de Dieu, de l’essence de Dieu, de la même substance ; mais ce que je n’avais .[105] pas dit, c’est que d’après le même système, la matière n’a pas une existence réelle, ou du moins qu’elle existe tellement à part, qu’elle est tellement nulle pour l’âme, qu’il n’y a et ne peut y avoir aucun rapport entre elle et l’âme ; qu’elle est enfin pour nous comme si elle n’était pas. J’avais vu les conséquences de cette doctrine dans ce que m’avait dit un jeune homme fort estimable, (M. le Vicomte de Maimbourg) que des Martinistes voulaient aussi entraîner dans leurs erreurs ou leurs horreurs. Lorsqu’il s’agissait des plaisirs des sens, au feu tout cela, lui disaient-ils dans leur morale, au feu ; donnez au feu tout ce qu’il vous demande ; ce n’est pas là l’esprit ; tout cela n’affecte pas l’âme ; et ce feu, c’est la matière, ce sont les sens, c’est le corps. Ne serait-ce pas dans le même sens que les Martinistes nous disent : « En vain l’ennemi me poursuit par ses illusions. Il ne faut pas qu’ici-bas la matière ait mémoire de moi. Les délices de la matière, est-ce l’homme qui les goûte ? lorsque ses sens ont de la peine ou du plaisir, ne lui est-il pas aisé de voir que ce n’est pas lui qui éprouve cette peine ou ce plaisir ? » (L’Homme de désir, par l’auteur des Erreurs et de la vérité, n° 235.) Quels affreux logogriphes ! Si toutes les passions des sens sont étrangères à l’homme, s’il peut les satisfaire sans que son âme en soit meilleure ou pire, quelles monstrueuses conséquences [148] pour les mœurs ! Aussi un Martiniste Danois, consulté par M. de Maimbourg, et plus franc que les Frères Enrôleurs, lui disait-il : Mon cher Monsieur, gardez-vous bien d’entrer dans nos mystères. J’y suis malheureusement engagé, moi ; je voudrais vainement me retirer, je ne le puis. Pour vous, gardez-vous bien de vous livrer à ces gens-là. Le conseil, fut suivi par le jeune Vicomte. Quant à M. Bertins, la partie était trop forte pour Saint-Martin. Il fallait raisonner avec un homme qui objectait sans cesse : Si mon âme est partie de Dieu, et substance de Dieu, mon âme est Dieu. Après trois mois de leçons auxquelles on sent bien que M. Bertins ne se prêtait que par curiosité, le sieur Saint-Martin finit par dire : Je vois bien que jamais je ne convertirai un Théologien ; et il abandonna un homme plus fait pour l’instruire que pour recevoir ses leçons.