Calendrier perpetuel 1835Année 1835

- Louis-Claude de Saint-Martin dans les ouvrages d'Ulrich Guttinguer (1787-1866)
- Sainte-Beuve, Volupté
- Charma - Réponses aux questions de philosophie
- Guillon – Histoire générale de la philosophie
- Heine – Œuvres – I. De l’Allemagne
- Abel Hugo - France pittoresque - Indre et Loire
- La France littéraire T17 - Histoire des préjugés littéraires
- La France littéraire, T19 - Saint-Martin, l'Illuminé par Jules Bruneau
- Marmier – Études sur Gœthe
- La Revue de Paris  - Balzac - Le Lys dans la vallée - Extraits concernant Saint-Martin : T. 23 ; T 24
- La Revue de Paris - Mémoires d’un comte de Lyon - T. 21
- Rabelais - Œuvres
- Balzac – Le livre mystique - Tome II - Séraphita
- Lerminier - Au-delà du Rhin: la politique, la science

Louis-Claude de Saint-Martin dans les ouvrages d'Ulrich Guttinguer (1787-1866)1835 philosophie religieuse

Arthur ou Religion et solitudeArthur, ou Religion et solitude. 3e partie (1834) sans nom d'auteur

Philosophe religieuse ou Esprit de Saint-Martin

Présentation des livres de Guttinguer  dans diverses revues  : Revue des deux Mondes (1835) ; Revue de Rouen et de Normandie (1835) 

Fables et Méditations (1837) : Sur une pensée de Saint-Martin

La correspondance d'Ulrich Guttinguer avec Sainte-Beuve

=> Voir sur le site : Louis-Claude de Saint-Martin dans les ouvrages d'Ulrich Guttinguer (1787-1866)

Volupté - Charles-Augustin Sainte-Beuve

volupte tome1
Tome premier - Bruxelles, 1835 - Louis Hauman - http://books.google.fr/books?id=S7AUAAAAQAAJ
Extraits concernant Louis-Claude de Saint-Martin
- IV –  pages 69-71
- X –  page 219-221
- XII –  pages 264-270
Tome second - Bruxelles, 1835 - Louis Hauman - http://books.google.fr/books?id=VbAUAAAAQAAJ

Volupté, tome premier - Extraits, pages 69-71 

L'hiver, qui me parut long, s'écoula : avec le printemps, mes retours au manoir se multiplièrent et n'eurent plus de nombre. Tout un cercle de saisons avait déjà passé sur notre connaissance, j'étais devenu un vieil ami. La chambre que j'occupais désormais, non plus pour une nuit seulement, mais quelquefois pour une semaine entière et au-delà, avait vue sur les jardins et sur la cour de la ferme, au-dessus de la voûte d'entrée. J'y demeurais les matinées à lire, à méditer des systèmes de métaphysique auxquels mon inquiet [70] scepticisme prenait goût, et que j'allais puiser, la plupart, aux ouvrages des auteurs anglais depuis Hobbes jusqu'à Hume, introduits dans la bibliothèque du marquis par un oncle esprit fort. Quelques écrits bien contraires du Philosophe inconnu me tombèrent aussi sous la main, mais alors je m'y attachai peu. Cette curiosité de recherche avait un périlleux attrait pour moi, et, sous le prétexte d'un zèle honnête pour la vérité, elle décomposait activement mon reste de croyances. Lorsqu'au travers de ces spéculations ruineuses sur la liberté morale de l'homme et sur l'enchaînement plus ou moins fatal des motifs, quelque bouffée du printemps m'arrivait, quand un torrent d'odeurs pénétrantes et de poussières d'étamines montait dans la brise matinale jusqu'à ma fenêtre, ou que, le cri de la barrière du jardin m'avertissant, j'entrevoyais d'en haut la marquise avec ses femmes, en robe flottante, se dirigeant par les allées pour boire les eaux, selon sa coutume de huit heures en été, à la source ferrugineuse qui coulait au bas, — à cet aspect, sous ces parfums, aux fuyantes lueurs de ces images, rejeté soudainement dans le sensible, je me trouvais [71] bien au dépourvu en présence de moi-même. Mon entendement, baissant le front, n'avait rien à diminuer du désœuvrement de mon cœur, le livre rien à prétendre dans mes soupirs. Plus de foi à un chemin de salut, plus de recours familier à l'Amour permanent et invisible ; point de prière. Je ne savais prier que mon désir, invoquer que son but aveugle ; j'étais comme un vaincu désarmé qui tend les bras. Toute cette philosophie de la matinée (admirez le triomphe !) aboutissait d'ordinaire à quelque passage d'anglais à demi compris, sur lequel j'avais soin d'interroger M. de Couaën au déjeuner. La marquise, en effet, qui était là, se donnait parfois la peine de me faire répéter le passage pour m'en dire le sens et redresser ma prononciation.

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1835 – Charma - Réponses aux questions de philosophie

1835 questions philoRéponses aux questions de philosophie contenues dans le programme adopté pour l'examen du baccalauréat ès lettres
Par Antoine Charma, professeur de philosophie à la faculté de Caen
Paris, librairie classique et élémentaire de L. Hachette, ancien élève de l’École Normale, rue pierre Sarrazin, n° 12
1835 - https://books.google.fr/books?id=OlcOAAAAQAAJ

IIIe série. Philosophie, n° 41 - § 9 Mysticisme particulier connu sous le nom de quiétisme

Pages 190-191

SAINT-MARTIN, dit le Philosophe inconnu, naquit à Amboise, d'une famille noble, en 1743. Il fut initié au mysticisme par les martinistes, secte que venait de fonder et que dirigeait Martinez Pasqualis ; et il se livra avec eux à toutes les folies de la théurgie et à la recherche du grand œuvre. Les livres de Böhme achevèrent de l'illuminer: Böhme était, selon lui, la plus grande lumière humaine qui eût jamais paru. Saint-Martin, après avoir vécu dans une profonde obscurité, [p.191] mourut, en 1803, d'une attaque d'apoplexie, au village d'Aunay. Ses principaux ouvrages portent les titres qui suivent : 1° Des erreurs et de la vérité, ou. les hommes rappelés au principe universel de la science; 2° Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers, avec cette épigraphe tirée de l'ouvrage précédent : « Expliquer les choses par l'homme, non l'homme par les choses ; » 3° l'Homme de désir ; 4° Ecce homo ; 5° Nouvel homme; 6° De l'esprit des choses, avec cette épigraphe : « Mens hominis rerum universalitatis speculum est; » 7° le Crocodile ou la guerre du bien et du mal arrivée sous le règne de Louis XV, poème épico-magiquc en 102 chants, mêlé de prose et de vers ; enfin il a traduit en français quelques uns des ouvrages de Böhme. Quelques lignes extraites du livre des Erreurs et de la vérité donneront une idée de la forme énigmatique sous laquelle cette philosophie s'enveloppe : « Autrefois l'homme avait une armure impénétrable, et il était muni d'une lance composée de 4 métaux et qui frappait toujours en 2 endroits à la fois ; il devait combattre dans une foret formée de 7 arbres, dont chacun avait 16 racines et 190 branches; il devait occuper le centre de ce pays ; mais s'en étant éloigné, il perdit sa bonne armure pour une autre qui ne valait rien ; il s'était égaré en allant de 4 à 9; il ne pouvait se retrouver qu'en revenant de 9 à 4. » Cependant ce n'est pas toujours dans ce style que Saint-Martin écrit, et on trouve de temps à autre, dans ses livres, des pages remarquables à la fois par l'originalité de la pensée et par l'élégance du style.

1835 – Guillon – Histoire générale de la philosophie

1835 hre philosophieHistoire générale de la philosophie ancienne et moderne jusqu’à nos jours, ou supplément à la bibliothèque choisie des pères grecs et latins
Par M.-N.-S. [Sylvestre] Guillon
Professeur d’éloquence sacrée dans la faculté de théologie de Paris, aumonier de la reine des français, évêque du Maroc.
Tome IV - Paris. Depélafol, libraire éditeur, rue Git-le-Cœur, n° 4 - P. Méquignon, rue des Saints Pères, 16
1835 - http://books.google.fr/books?id=3XYgHHvyD9IC

Chapitre VI – Récapitulation de tout l’ouvrage – Philosophie du dix-neuvième siècle

3°. – École éclectique – Article Saint-Martin, pages 280-281

A sa tête, nous plaçons l'auteur du livre des Erreurs et de la vérité (Lyon, 1775. 1 vol. in-8°), et d'autres productions marquées du même caractère, M. de Saint-martin, distingué par le nom de philosophe inconnu. Ce n'est ni un catholique, ni même précisément un chrétien, dans le sens vulgaire du mot ; mais il a [p.281] des dogmes communs avec les Chrétiens et les Catholiques. On pourrait le compter indifféremment parmi les gnostiques ou les illuminés, affectant de paraître en rapport avec le monde spirituel, s'élevant de grade en grade jusqu'aux connaissances les plus sublimes : prétention des éclectiques d'autrefois, tels qu'ils dominaient à Alexandrie, se composant un système de doctrines choisies ailleurs.

1835 – Heine – Œuvres – I. De l’Allemagne

1835 HeineŒuvres de Henri Heine
Par Heinrich Heine
V – De l‘Allemagne
Paris. Eugène Renduel, rue des Grands Augustins, 22
1835 - http://books.google.fr/books?id=XF8mAAAAMAAJ

Extrait, page 110

Je devrais naturellement parler aussi de Jacob Bœhm, car il a également appliqué la langue allemande à des démonstrations philosophiques. Mais je n'ai pu me décider encore à le lire, même une seule fois : je n'aime pas à me laisser duper. Je soupçonne fort les preneurs de ce mystique d'avoir voulu mystifier les gens. Quant au contenu de sa doctrine, Saint-Martin vous en a donné quelque chose en langue française ; les Anglais l'ont aussi traduit. Charles Ier avait une si grande idée de ce cordonnier philosophe, qu'il envoya tout [p.111] exprès à Gœrlitz un savant pour l'étudier. Ce savant fut plus heureux que son royal maître ; car, pendant que celui-ci perdait le chef à Whitehall par la hache de Cromwell, l'autre ne perdit à Gœrlitz que l'esprit par la théosophie de Jacob Bœhm.

1835 – Abel Hugo – France pittoresque

1835 france pittoresqueFrance pittoresque ou description pittoresque, topographique et statistique des départements et colonies de la France offrant en résumé pour chaque département et colonie […] avec des notes sur les langues, idiomes et patois, sur l'instruction publique et la bibliographie locale, sur les hommes célèbres, etc. ... accompagnée de la statistique générale de la France…
Par Abel Hugo, ancien officier d’état major, membre de plusieurs sociétés savantes et littéraires, auteur de l’Histoire de Napoléon
Tome second
Paris, chez Delloye, éditeur de la France militaire, place de la Bourse, rue des Filles Saint Thomas, 13
1835 - http://books.google.fr/books?id=hWUVAAAAQAAJ

Indre et Loire – Notes biographiques (pages 98-99)

La Touraine s'honore d'avoir produit un grand nombre d'hommes pieux dont les vertus ont été honorées de la canonisation. Elle a donné un pape à l'Église catholique, Martin IV, né à Reignac, et un roi à la France, Charles VIII, né à Amboise.

Elle a produit des illustrations dans tous les genres. On remarque parmi ses hommes de guerre plusieurs maréchaux de France, tels que les Boucicaut, les D'Erfiat, les D'Humières, les Rochefort, et des généraux, qui se sont distingués pendant les guerres de la République et de l'Empire : l'héroïque Meusnier, tué à Mayence ; le fameux Menou, général en chef en Egypte; l'habile Marescot; le général Pillet, qui nous a si vivement retracé les horreurs commises par le gouvernement anglais sur nos malheureux prisonniers, etc., etc.

— La poésie française y est représentée par Racan et par Grécourt, dont les talents et les ouvrages sont de nature si diverse. — La poésie latine, par Commire, Rapin, Quillet, etc. — L'art dramatique y compte Néricault-Destouches, un de nos premiers auteurs comiques du second ordre, et Bouilly, notre contemporain, auteur du drame de l'Abbé de l'Épée et d'une foule d'ouvrages qui ont obtenu un succès général et l'estime de tous les gens de bien. — Les personnages dont le département s'honore encore à divers titres, sont : le surintendant des finances Semblançay, dont la mémoire, juridiquement réhabilitée, avait été d'avance lavée de toute souillure par de beaux vers de Clément Marot ; le célèbre curé de Meudon, le caustique Rabelais ; le savant orientaliste Cayet ; l'illustre Descartes, homme de génie comme philosophe et comme mathématicien ; le géographe André Duchesne ; le receveur général Graslin, qui a tant contribué aux embellissements de la ville de Nantes.

— Le célèbre médecin Heurteloup ; le musicien Lambert, qui fit les délices de la cour de Louis XIV; l'horloger Julien Le Roy, habile mécanicien ; l’abbé de Marolles, [p.99] traducteur infatigable, grand amateur d'estampes, dont le cabinet a servi de base à la précieuse collection de la Bibliothèque royale ; l'intrépide marin Pointis, vainqueur de Carthagène ; Jenson et Plantin, imprimeurs du XVIe siècle, célèbres dans les annales de la typographie. Saint-Martin, chef de la secte des illuminés du XVIIIe siècle, longtemps caché sous le titre de Philosophe inconnu ; Beroalde de Verville, auteur du Moyen de parvenir, un des livres les mieux écrits du XVIe siècle ; le peintre Vignon, estimé au commencement du XVIIe siècle ; le baron de Breteuil, ministre des princes français à Coblentz et pendant l'émigration ; la marquise de La Ferandière, dont les poésies fugitives sont remplies de grâce et de délicatesse, etc. — Enfin, le pays qui avait produit Agnès Sorel pour Charles VII, a fourni Gabrielle d'Estrées à Henri IV et La Vallière à Louis XIV. Parmi les contemporains, outre les noms que nous avons déjà cités, nous mentionnerons encore Alfred De Vigny, auteur du beau roman de Cinq-Mars, jeune poète qu'une verve soutenue, un talent gracieux et un style pittoresque, placent à coté d'André Chénier ; Balzac, écrivain original dont les compositions philosophiques et les ouvrages d'imagination obtiennent un succès si mérité ; Chalmel, auteur d'une bonne Histoire de Touraine ; Bretonneau, médecin distingué par ses connaissances scientifiques ; G. De La Billenerie, ancien magistrat, connu par divers ouvrages de jurisprudence et par une Histoire critique des Jésuites, publiée à l'époque de leur toute puissance, et qui a obtenu un grand succès.

1835 - La France littéraire

1835 france litteraire 17La France littéraire
Tome dix-septième
Paris, bureaux de la France littéraire, rue des grands Augustins, n° 20
1835 - https://books.google.fr/books?id=RXMEAAAAQAAJ

Article : un chapitre de l’histoire des préjugés littéraires, Dante. Auguis, de la Société des Antiquaires.

Extrait, page 24

Je le demande, est-ce bien là de la poésie ? Quel traité d’anatomie, composé par Copernic, quel chapitre de Kant, quelle vision de feu saint Martin, quelle illumination de Jacob Behem [sic], quelle folie de Schwedemborg [sic], seraient plus arides, plus obscurs et plus extravagants ? Si les admirateurs du Paradis voulaient être de bonne foi, ils avoueraient que leur admiration n’est excessive que parce qu’elle est en proportion de la peine qu’ils ont eue à comprendre.

 

1835 - La France littéraire - Saint-Martin, l'Illuminé par Jules Bruneau

1835 france litteraireLa France littéraire

Tome dix-neuvième

Paris
Bureaux de la France littéraire
20, rue des Grands-Augustins

1835

Nous avons mis des titres entre crochets dans cet article qui est long. Également, lorsque des citations de Louis-Claude de Saint-Martin, nous avons donné les références des chants de l'Homme de Désir.

Nous avons ajouté à l'article de Jules Bruneau (1810-1837), quelques références pour connaître cet auteur décédé à 27 ans : Qui est Jules Bruneau, l'auteur de cet article ?

Qui est Jules Bruneau, l'auteur de cet article ?

Une première indication est donnée dans la Bibliographie de la France (13 avril 1839, p. 169) dans laquelle est mentionné :

« À la mémoire de Jules Bruneau, ses amis, 1838 »
Recueil de morceaux en prose de J. Bruneau, sans Notice sur l'auteur. Angers, impr. de Pavie, 1839, in-8.

Cette référence est reprise

- Dans La France littéraire ou dictionnaire bibliographique des savants... de Joseph Marie Quérard (1846, p. 4) :

« À la mémoire de Jules Bruneau, ses amis, 1838. » Angers, impr. De Pavie, 1844, in-8° de 144 pages.
Recueil de quelques morceaux en prose de Jules Bruneau. L'un d'eux est sur Mme Récamier. Le volume ne contient aucune notice sur J. Bruneau. »

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1835 – Marmier – Études sur Gœthe

1835 etudes sur goetheÉtudes sur Gœthe
Par Xavier Marmier
Paris chez F. G. Levault, rue de la Harpe, n° 81.
Strasbourg, même maison, rue des Juifs, n° 33.
1835 -

I – Les romans - Extrait, pages 45-47

J'arrive maintenant au dernier roman de Gœthe, à celui qui, des trois, a soulevé les plus graves débats et fait naître les critiques les plus amères, aux Wahlverwandlschaften ou Affinités électives (8). C'est aussi une idée philosophique qui forme la base de ce livre, et une idée bien profonde par sa vérité, bien poétique par les réflexions qu'elle fait naître et les résultats auxquels elle peut conduire. Gœthe pense qu'il y a des âmes apparentées l'une à l'autre, des âmes en quelque sorte prédestinées à se rencontrer de par le monde, et à vivre heureusement ou à souffrir ensemble. Lorsque ces âmes conduites par un vague instinct ou par la fatalité se rapprochent, se trouvent en présence l'une de l'autre, elles se comprennent bientôt, elles tendent à se joindre, à s'unir, à se fondre ensemble, comme les [p.46] deux gouttes d'eau dont parle si poétiquement Saint-Martin d'Amboise. Que si rien ne se place entre elles, si nulle barrière ne les arrête, la jonction est bientôt faite ; ces deux âmes, suivant leur sympathie, ne forment plus qu'un seul faisceau, et passent, appuyées l'une sur l'autre, satisfaites l'une de l'autre, au milieu de ce monde auquel elles n'ont plus rien à envier. Mais il peut arriver que des liens contractés d'avance arrêtent ces deux êtres qu'un même penchant domine ; il peut se faire que les lois de la nature et de la société les enchaînent, et alors commence le rude combat du sentiment contre les lois reçues, de la passion contre le devoir. Gœthe a voulu encore exprimer cette idée renouvelée, mais de beaucoup amplifiée depuis par les Saint-Simoniens, que deux êtres attachés d'abord l'un à l'autre par une vive sympathie et une véritable affection, en viennent au bout de quelques années à trouver du vide dans leurs relations, du mal-aise dans leurs cœurs, de la gêne dans le lien qui les réunit. Alors encore, s'il n'y a pas d'une part au moins une grande patience et une complète résignation, il doit s'ensuivre de cet état de gêne une autre lutte contre le devoir et la société; car ces deux êtres, homme et femme (bien entendu), tendent mutuellement à se dégager de leurs liens : mais le monde est là qui les regarde, les lois morales sont là qui les réprouvent et les lois sociales qui les arrêtent. Il y a effort d'un [p.47] d’un côté, il y a refoulement de l’autre, et de chaque côté la lutte s’aggrave par la résistance.

1835 – La Revue de Paris – T 21

1835 revue paris t21Revue de Paris
Nouvelle série – Année 1835
Tome vingt-unième
Paris. Au bureau de la Revue de Paris, rue des Filles Saint Thomas, 17
1835 - http://books.google.fr/books?id=jk_kXWHMgzcC

Article : Mémoires d’un comte de Lyon

Extrait, pages 97-98

… Le hasard me fit rencontrer dans ce voyage mon ex-séminariste républicain Pampelone; il avait eu connaissance de ma dignité de

… Le hasard me fit rencontrer dans ce voyage mon ex-séminariste républicain Pampelone; il avait eu connaissance de ma dignité de comte du chapitre de Lyon ; il m'aborda en continuant son rôle, et me félicitant :

— Je te fais mon compliment, me dit-il, te voilà deux fois comte ; ce n'est ma foi pas trop par le temps qui court, pour peu qu'on y tienne; sois-le encore trois ou quatre fois de plus si tu peux, je t'y engage, car le temps presse.

Ce fut lui qui me mena dans une société de ces célèbres illuminés, connus sous le nom de martinistes; j'y vis Saint-Martin leur maître, qui lui-même tenait sa prétendue science occulte du juif portugais [p.98]

Martinez de Pasquali ; j'y vis aussi Cazotte, à la fois homme d'esprit et visionnaire de conscience, à force de sensibilité et d'imagination. Pampelone feignit de vouloir se faire initier pour se moquer d'eux plus à l'aise. Les doctrines de ces illuminés n'étaient autre chose que la ridicule et sacrilège Cabale des Juifs ; seulement Saint-Martin, enchérissant sur son maître, y avait mêlé du mysticisme chrétien. Cazotte faisait école à part au milieu des martinistes; il se croyait non seulement le don des visions présentes, mais encore le don des visions à venir, le don de prophétie et le pouvoir de chasser les démons. J'ai connu depuis son fils, dont le caractère se déploya si noble et si pur auprès de l'échafaud de son père, et j'ai pu me convaincre, par les convictions qu'il lui a léguées, de ce que peut l'imagination même sur des esprits doués d'ailleurs de hautes facultés. M. Cazotte fils, qui, il y a peu d'années encore, était bibliothécaire à Versailles, croyait sincèrement, et en y alliant les sentiments les plus religieux, qu'il tenait de son père la puissance de la vision et de l'exorcisme, et sans cesse on le voyait, en vous abordant et avant de recevoir vos paroles, faire un signe de main pour éloigner de lui l'esprit impur de vos lèvres.

Cet article a été reproduit à l’identique par la revue à Bruxelles :

Édition augmentée des principaux articles de la Revue des Deux Mondes
Tome IX – Septembre 1835
Bruxelles. H. Dumont, libraire éditeur.
1835 - http://books.google.fr/books?id=j3gPAAAAQAAJ

1835 – La Revue de Paris (Paris) – T 23

1835 revue paris t23Revue de Paris
Nouvelle série – Année 1835
Tome vingt-troisième
Paris. Au bureau de la Revue de Paris, rue des Filles Saint Thomas, 17
1835 - http://books.google.fr/books?id=2RAuW9lrAbAC

Article : Balzac - Le Lys dans la vallée

Extrait, page 262

… Amie intime de la duchesse de Bourbon, madame d'Uxelles faisait partie d'une société sainte dont l'âme était M. Saint-Martin, né en Touraine, et surnommé le Philosophe inconnu. Les disciples de ce philosophe pratiquaient les vertus conseillées par les hautes spéculations de l'illuminisme mystique. Cette doctrine donne la clef des mondes divins, explique l'existence par des transformations où l'homme s'achemine à de sublimes destinées, libère le devoir de sa dégradation légale, applique aux peines de la vie la douceur inaltérable du quaker, et ordonne le mépris de la souffrance en inspirant je ne sais quoi de maternel pour l'ange que nous portons au ciel. C'est le stoïcisme ayant un avenir. La prière active et l'amour pur sont les éléments de cette foi qui sort du catholicisme de l'église romaine pour rentrer dans le christianisme de l'église primitive. Mademoiselle de Lenoncourt resta néanmoins au sein de l'église apostolique à laquelle sa tante fut toujours également fidèle. Rudement éprouvée par les tourmentes révolutionnaires, la marquise d'Uxelles avait pris, dans les derniers jours de sa vie, une teinte de piété passionnée qui versa dans l'âme de son enfant chéri , la lumière de l’amour céleste et l'huile de la joie intérieure, pour employer les expressions mêmes de Saint-Martin. Madame de Mortsauf reçut plusieurs fois cet homme de paix et de vertueux savoir à Clochegourde après la mort de sa tante, chez laquelle il venait souvent. Saint-Martin surveilla de Clochegourde ses derniers livres imprimés à Tours chez Letourmy.

L’édition de Bruxelles (tome XI) va reprendre le même article : Balzac - Le Lys dans la vallée (extrait, page 316)

1835 - Revue de Paris (Bruxelles) - T XI
Revue de Paris, Édition augmentée des principaux articles de la Revue des Deux Mondes
Tome XI – Novembre 1835
Bruxelles ; H. Dumont, libraire éditeur
1835 - http://books.google.fr/books?id=qHgPAAAAQAAJ

1835 – La Revue de Paris (Paris) - T 24

1835 revue paris t24Revue de Paris
Nouvelle série – Année 1835
Tome vingt-quatrième
Paris. Au bureau de la Revue de Paris, rue des Filles Saint Thomas, 17
1835 - http://books.google.fr/books?id=XYuKJmPhbj0C

Article : – Balzac - Le Lys dans la vallée

Extrait, page 206

Elle continua, disant qu'elle avait la certitude religieuse de pouvoir aimer un frère, sans offenser ni Dieu ni les hommes ; qu'il y avait quelque douceur à faire de ce culte, une image réelle de l'amour divin, qui, selon son bon Saint-Martin, est la vie du monde. Si je ne pouvais pas être pour elle quelque chose comme son vieux confesseur, moins qu'un amant, mais plus qu'un frère, il fallait ne plus nous voir; elle saurait mourir en portant à Dieu ce surcroît de souffrances vives, supportées non sans larmes ni déchirements.


1835 – Rabelais - Œuvres

1835 rabelaisŒuvres, François Rabelais
Publié par Ledentu,
1835 - https://books.google.fr/books?id=l_x9AAAAIAAJ

Table analytique et raisonnée des principales matières contenues dans les œuvres de Rabelais, extrait, page 438

Paroles gelées. 275. Saint-Martin le théosophe a usé de cette fiction dans son livre intitulé le Crocodile, ou de la guerre du bien et du mal.

Livre III - Pantagruel, Chapitre LVI, « Comment entre les parolles gelees, Pantagruel trouva des mots de gueulle », extrait, p.275

« Tenez, tenez, dist Pantagruel, voyez en cy qui encores ne sont desgelees. Lors nous iceta sus le tillac plaines mains de parolles gelees, et sembloyent dragee perlee de diverses couleurs » [orthographe originale]

[Tenez, tenez, dit Pantagruel, voyez-en ici qui ne sont pas encore dégelées. » Alors il nous jeta sur le tillac pleines mains de paroles gelées, et semblaient des dragées perlées de diverses couleurs].

« Certains penseurs de l’occultisme, tels Louis-Claude de Saint-Martin et Eliphas Levi, ont reconnu en Rabelais l’un de leurs maîtres, « la personne sacrée du joyeux curé de Meudon, l’un de [leurs] plus grands maîtres dans la science cachée des mages» (1). Le cycle rabelaisien comme modèle

1. Eliphas Levi, Le Sorcier de Meudon, Préface, p.III, 1861.

Une étude fort intéressante est à lire pour les rapports entre Rabelais et l’alchimie : Rabelais et l'alchimie, Léo Mérigot (dimanche 14 octobre 2007). Les Cahiers d’Hermès I. Dir. Rolland de Renéville. La Colombe, 1947.

Cette même référence avait déjà été publiée en 1820 :

Œuvres de Rabelais,
Desoer, 1820
Tome III - 1820 - https://books.google.fr/books?id=s9vXluDHkqIC

Table analytique et raisonnée des principales matières contenues dans les œuvres de Rabelais, p.42.

Paroles gelées. II, 139. Saint-Martin le théosophe a usé de cette fiction dans son livre intitulé le Crocodile, ou de la guerre du bien et du mal.

Tome II, p.139

Livre III - Pantagruel, Chapitre LVI, « Comment entre les parolles gelees, Pantagruel trouva des mots de gueulle », extrait, p.139

« Tenez, tenez, dist Pantagruel, voyez en cy qui encores ne sont desgelees. Lors nous iceta sus le tillac plaines mains de parolles gelees, et sembloyent dragee perlee de diverses couleurs » [orthographe originale]


1835 - Balzac – Le livre mystique 

1835 livre mystiqueLe livre mystique par M. [Honoré] de Balzac
Les Proscrits – Histoire intellectuelle de Louis Lambert (Extrait des Études Philosophiques)
Tome I – Paris - Werdet, libraire éditeur. 49, rue de Seine St Germain
1er décembre 1835 - http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k912358

Le livre mystique a été édité en 1836 à Bruxelles, chez J. P. Meline, libraire éditeur. Cette édition comporte, incorporé, les deux tomes. Toutefois, la pagination n’est pas la même puisque, dans le tome I, les Proscrits sont placés après Louis Lambert.
Ainsi, au tome I, les extraits de la Préface se trouvent pages XI et XIV ; de Louis Lambert, pages 16 ; ceux des Proscrits, page 231-232.
Au tome II, les extraits de Séraphita  page 114. http://books.google.fr/books?id=s5fSVRvz4tUC

1839 - Le lys dans la vallée
Une nouvelle édition paraît en 1839 à Paris, chez Charpentier, libraire éditeur. 6, rue des beaux-arts. - https://books.google.fr/books?id=z_sFAAAAQAAJ

Préface - Extrait, pages IV-VI

… L'auteur proteste ici de son respect pour les grands génies dont s'honore [p.V] la science humaine ; il adore la ligne droite, il aime encore malheureusement un peu trop la courbe ; mais s'il s'agenouille devant les gloires des mathématiques et devant les miracles de la chimie; il croit, si l'on admet l'existence des Mondes Spirituels , que les plus beaux théorèmes n'y sont d'aucune utilité, que tous les calculs du fini sont caducs dans l'infini, que l'infini devant être comme Dieu, semblable à lui-même en toutes ses parties, la question de l'égalité du rond et du carré doit s'y trouver résolue, et que cette possibilité devrait donner l'amour du ciel aux géomètres. Remarquez bien encore qu'il n'a pas l'impiété de contester l'influence des mathématiques sur le bonheur de l'humanité prise en masse ; thèse soutenue par Swedenborg et Saint-Martin. Mais trop de gens s'avanceront à la défense des Saintes Sciences de l'homme, trop peu prendront intérêt aux lointaines clartés du Mysticisme, pour que l'auteur ne soit pas ici du parti le plus faible, au risque de se voir l'objet de ces plaisanteries, espèce de timbre que la presse [p.VI] périodique met en France à toute idée nouvelle, et qui, heureusement, rencontrent en lui la plus dure de toutes les cuirasses humaines , le mépris.

Extrait, page VIII-IX

… Le mysticisme que vous trouvez là dominant la société, [p.IX] sans que la cour de Rome s'en inquiétât parce qu'alors la belle et sublime Rome du moyen âge était omnipotente, fut transmis à madame Guyon, à Fénelon et mademoiselle Bourignon par des auteurs allemands, entre lesquels le plus illustre est Jacob Bœhm. Puis, au dix-huitième siècle, il a eu dans Swedenborg un évangéliste et un prophète dont la figure s'élève aussi colossale peut-être que celles de saint Jean, de Pythagore et de Moïse. M. Saint-Martin, mort dernièrement, est le dernier grand écrivain mystique. Il a donné partout la palme à Jacob Bœhm sur Swedenborg ; mais l'auteur de Séraphita accorde à Swedenborg une supériorité sans contestation possible sur Jacob Bœhm aux œuvres duquel il avoue n'avoir rien pu comprendre encore.

Les proscrits - Extrait, page 39

Pour comprendre ce siècle extraordinaire, l’esprit qui en dicta les chefs-d’œuvre inconnus aujourd’hui, quoique immenses, enfin pour s’en expliquer tout jusqu’à la barbarie, il suffit d’étudier les constitutions de l’Université de Paris, et d’examiner l’enseignement bizarre alors en vigueur. La Théologie se divisait en deux Facultés, celle de THÉOLOGIE proprement dite, et celle de DÉCRET. La Faculté de Théologie avait trois sections : la Scolastique, la Canonique et la Mystique. Il serait fastidieux d’expliquer les attributions de ces diverses parties de la science, puisqu’une seule, la Mystique, est le sujet de cette étude. La THÉOLOGIE MYSTIQUE embrassait l’ensemble des révélations divines et l’explication des mystères. Cette branche de l’ancienne théologie est secrètement restée en honneur parmi nous. Jacob Bœhm, Swedenborg, Martinez Pasquallis, Saint-Martin, Molinos, mesdames [p.40] Guyon, Bourignon et Krudener, la grande secte des extatiques, celle des illuminés, ont, à diverses époques, dignement conservé les doctrines de cette science, dont le but a quelque chose d’effrayant et de gigantesque.

Louis Lambert - Extrait, pages 106-107

La baronne de Staël, bannie à quarante lieues de Paris, vint passer plusieurs mois de son exil dans une terre située près de Vendôme. Un jour, en se promenant, elle rencontra, sur la lisière de son parc, l'enfant du tanneur, presque en haillons, et absorbé par un livre. Ce livre était une traduction du Ciel et de l'Enfer. A cette époque, MM. Saint-Martin, de Gence et quelques autres écrivains français, moitié allemands, étaient à peu près les seules personnes qui dans l'empire français connussent le nom de Swedenborg. Étonnée, madame de Staël prit le livre avec cette brusquerie [p.107] dont ses interrogations, ses regards et ses gestes n’étaient pas toujours exempts, et lançant un coup d’œil à Lambert : — Est-ce que tu comprends cela ? lui dit-elle.

— Priez-vous Dieu? demanda l'enfant
— Mais… oui.
— Et le comprenez-vous ?

La baronne resta muette pendant un moment ; puis elle s’assit près de Lambert, et se mit à causer avec lui….

Tome II - Séraphita - Extrait, pages 156-157

Le livre mystique par M. [Honoré] de Balzac - Séraphita. (Extrait des Études Philosophiques)
Tome II  
Paris - Werdet, libraire éditeur. 49, rue de Seine St Germain
1er décembre 1835 - http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k91236m

… L’Agneau est la grande figure des Anges méconnus et persécutés ici-bas. Aussi Christ a-t-il dit : Heureux ceux qui souffrent !Heureux les simples !Heureux ceux qui aiment ! Tout Swedenborg est là : Souffrir, Croire, Aimer. Pour bien aimer, ne faut-il pas avoir souffert, et ne faut-il pas croire ? L’Amour engendre la Force, et la Force donne la Sagesse ; de là, l’Intelligence; car la Force et la Sagesse comportent la Volonté. Être intelligent, n’est-ce pas Savoir, Vouloir et Pouvoir, les trois attributs de l’Esprit Angélique ? — Si l’univers a un sens, voilà le plus digne de Dieu ! me disait monsieur Saint-Martin que je vis pendant le voyage qu’il fit en Suède. — Mais, monsieur, reprit monsieur Becker après une pause, que signifient ces lambeaux pris dans l’étendue d’une œuvre dont [p.157] on ne peut donner une idée qu’en la comparant à un fleuve de lumière, à des ondées de flammes ?


1835 – Lerminier – Au-delà du Rhin

1835 Lerminier 02Au-delà du Rhin: la politique, la science

Par Jean Louis Eugène Lerminier, professeur au collège de France

Paris. Félix Bonnaire, éditeur, rue des beaux Arts, n° 10

M DCCC XXXV – Tome II – La science - 1835 - 

Tome I : http://books.google.fr/books?id=MfEOAAAAYAAJ
Tome 2 : http://books.google.fr/books?id=kPkOAAAAQAAJ

Les universités - Extrait, page 30

Si vous allez visiter M. Baader dès le matin, à sept heures, vous le trouvez disposé à épancher devant vous sa verve et son esprit : il est animé, vif, ardent ; il donne aux matières les plus graves une chaleur qui étonne et qui charme; il parle de philosophie et de religion avec une excitation entraînante ; avec lui le mysticisme, le grave mysticisme, a une ardeur scintillante qui pourrait, Dieu me pardonne, vous monter à la tête comme une pointe de Champagne. Mais dans cette conversation du mystique de Munich, que de traits, que d'imprévu, que de rapprochements nouveaux, que d'inductions piquantes ! Jacob Bœhm et Saint-Martin ne pouvaient rencontrer un propagateur plus intelligent et d'une verve plus envahissante.

Deux christianismes, extrait, pages 186-199

Munich est la capitale d'un mysticisme catholique qui veut à la fois honorer et dominer [p.187] l’église officielle. Baader est le chef infatigable et persuasif de ces mystiques ultramontains : ses maîtres sont Jacob Bœhme et Saint-Martin; il les continue en les développant (1). Il se propose [p.188] de raviver la lettre catholique par une invasion progressive de l'esprit : il voudrait régénérer l'idée même dans la permanence des formes extérieures. [p.189] Le piétisme et le mysticisme catholique s'efforcent parallèlement de relever l'esprit chrétien ; ils sont séparés aujourd'hui sans être hostiles ; peut-être se combattront-ils un jour, mais nous [p.190] les croyons destinés à une réconciliation qui consommera l'unité du mysticisme chrétien.

Quand le mysticisme chrétien sera sorti [p.191] élémentaire et simple du dualisme et des variétés qui le partagent, les formes antiques n'en pourront supporter l'esprit et le feu, elles tomberont. [192]

Mais au-dessous du mysticisme chrétien il y a le mysticisme de l'infini. Si belle que soit la tradition chrétienne, elle n'est point égale à l'universalité des choses. L'humanité ne peut [193] s'enfermer éternellement dans la conception hébraïque de la cabale et de l'Évangile. Le christianisme, si pur et si éthéré qu'on se le représente, est lui-même une forme matérielle, [p.194] en face de l'idéalité, éphémère en face de l'éternité.

De toutes les traditions du monde et de la [p.195] verve même de l'esprit humain peut seulement sortir la satisfaction véritable de l'humanité. Le mysticisme de l'infini absorbera par une supériorité nécessaire le mysticisme chrétien. Cela fait, [p.196] des formes nouvelles s'élèveront sur la face changée de la terre, au milieu des hommes convertis. [p.197]

L'Allemagne, comme si elle eût voulu obéir à la parole de Novalis, a ouvert, pour ainsi parler, une école de christianisme scientifique [p.198] et de disciplines religieuses. Elle concourt à la religion future du genre humain par sa théologie, comme elle y travaille par sa métaphysique.

Note

[Cette note remplit les pages 187-199]

(1) Baader écrit quelquefois en français. Pour donner à nos lecteurs une idée de sa philosophie et de sa manière, nous citerons un fragment sur le temps, plein d'aperçus ingénieux. Nous avons retranché de ce morceau de longues notes. « Le mouvement accompli de la vie roule sur ces trois points de l'origine, de la permanence et de la rentrée, ou en autres mots, la production (la descente), la conservation et la réintégration (réascente). C'est dans ce sens que Dieu est représenté dans l'Écriture comme l'Être qui est, qui a été et qui sera toujours.

« C'est donc avec erreur qu'on a représenté jusqu'ici l'Éternité comme une présence immobile et glacée, ne voyant pas que dans cette présence les deux autres temps (le passé et l'avenir) doivent y être compris, afin d'effectuer l'existence ou la permanence accomplie dans ses trois dimensions. Tout ce doné qui est dans l'éternité, c'est-à-dire tout ce qui est reçu dans la vie accomplie (parfaite ou absolue, car c'est le sens vrai du mot : vie éternelle), doit se reconnaître comme existant toujours, comme ayant existé toujours et comme devant exister à jamais, et par là reposant dans son mouvement toujours et toujours se mouvant dans le repos, ou comme toujours nouveau et cependant toujours le même.

« A ce temps éternel, lequel on peut appeler avec Saint-Martin le temps vrai, on a opposé jusqu'ici le temps dans le sens rétréci, dans lequel le présent manque toujours (parce qu'il n'y a que les deux dimensions du Ternaire complet du temps qui sortent, savoir le passé et l'avenir) et dans lequel le vide de la présence vraie n'est rempli que par une présence apparence (Prœsentia Plœnomenon).

« Apparence, laquelle on n'aurait pas tort de nommer Apparition dans toute la force de ce terme, et de nommer par conséquent ce temps dernier, dans un sens un peu plus profond qu'on n'est accoutumé de donner à cette expression, le temps apparent.

« Mais ce n'est nullement la présence apparente, c'est au contraire la négation absolue de toute présence vraie, laquelle se trouve opposée directement à la présence vraie, et l'opposition entre le temps vrai et le temps apparent n'est donc qu'apparente elle-même, au moins point directe, laquelle ne se trouve qu'entre le premier et un troisième temps, lequel on doit nommer le temps faux. En effet le Dualisme du temps apparent (haletant et palpitant toujours) se montre en dernière analyse comme l'effet d'une telle réaction négative s'opposant à la manifestation parfaite de la présence vraie, quoique cette réaction elle-même se trouva toujours réprimée de nouveau, de sorte qu'elle ne saurait jamais éclater elle-même, et qu'elle ne puisse manifester sa propre présence que négativement, c'est-à-dire par la non-manifestation de cette présence réelle ou du temps vrai. Le feu qui cherche ici de s'ouvrir ou de faire son explosion, n'est donc point un feu générateur et nourrissant, mais un feu destructeur, et l'inflammabilité de ce feu (nommé dans l'Écriture « le ver rongeur, ne mourant jamais ») fait le danger et pour ainsi dire le sérieux de chaque vie créée ou émanée (Periculum vitæ).

« Ce n'est point à tort qu'on a comparé plusieurs fois le mouvement de la vie dans le temps apparent avec le mouvement périphérique, celui-ci n'étant produit comme on sait que parce que ni la puissance qui réalise ou pose le centre, ni la puissance opposée, laquelle l'annule, ne sont en état de se faire valoir exclusivement. Cette comparaison, saisie organiquement, et non pas seulement mécaniquement, serait devenue plus instruisante si on eût bien considéré que les notions du centre et de la périphérie s'entendent ici dans leur rapport mutuel au-dedans d'un seul et même système organique ; car dans un tel système, ce n'est que par le repos (le posément) du centre que se fait le mouvement libre dans sa périphérie (dans son extérieur), parce que tout mouvement ne part que de l’Immuable, comme ce n'est que par le non-repos de ce centre (c'est-à-dire son ouverture ou sa disparition) que s'effectue la géhenne de l'arrêt du mouvement libre dans la périphérie. Au milieu de ces deux extrêmes se trouve un état troisième, c'est-à-dire un mouvement dans la périphérie qui n'étant ni appuyé par son centre interne ou propre (raison pour laquelle ce mouvement ne peut être libre), ni arrêté par l'ouverture de son autre centre, part d'un centre extérieur à l'être qui se meut de cette sorte dans la périphérie ; et c'est précisément ce mouvement dans la périphérie qui caractérise le temps apparent.

« En effet nous nous trouvons renvoyés par l'Écriture même à cette théorie du temps (du monde temporel), lorsqu'elle appelle l'Esprit négatif le menteur et le meurtrier du commencement, c'est-à-dire du commencement de ce temps apparent ; car commencer ce temps, ce n'est que finir (arrêter ou suspendre) pour soi-même le temps vrai, et celui qui a commencé (de cette manière) de passer, ne saurait plus (au moins réduit à ses propres fonds) finir de passer.

« Supposons naître au milieu d'un système des êtres une action contrariant et menaçant l'unité et l'harmonie active de ce système. On comprend que le rapport (ou la relation) du centre d’un tel système avec cette action ne peut plus rester le même et qu'il doit changer sur l'instant. Si l'agent dans le moment de la naissance de cette action réfractaire se trouva en relation directe ou totale avec ce centre, celui-ci réagira à son tour dans sa totalité ou directement sur et contre cet agent pour arrêter et annuler son action ou pour l’éloigner de soi-même, pas absolument il est vrai, parce qu'un éloignement absolu sera un anéantissement absolu, mais relativement, c'est-à-dire l'agent rebelle cessera de se trouver en rapport actif direct avec le centre producteur. Il ne sera plus soutenu et rempli par lui qu'extérieurement, de sorte que la durée d'un tel agent ou être ne se trouvera plus fondée que dans son intérieur, tandis que, dans son intérieur, cet être ne se trouvant que dans une étisie permanente ne puisse faire que désiner ou descendre toujours; désinence inarrêtable dans l'intérieur, correspondante au placement, pour ainsi dire, inamovible dans l'extérieur (c'est-à-dire dans l’espace).

« Un agent au contraire, lequel dans le moment de l'exercice d'une telle action contrariante l'unité du système, ne se trouva pas dans un rapport direct ou total avec cette unité, ou un agent dont l'action contraire n'aura pas attaqué directement le centre, mais seulement indirectement, ne ressentira pas non plus la réaction directe supprimante ou le poids total du dernier, et tant son éloignement du centre que l'anéantissement dans son intérieur (comme l'effet naturel de cet éloignement) ne seront donc non plus qu'indirectes ou partielles.

« C'est précisément dans ce dernier cas que se trouve l'homme dans ce temps apparent, vis-à-vis ou au-dessous de la Divinité, et il sera instructif de développer quelques caractères de ce temps, lesquels, très obscurs d'ailleurs et incompréhensibles, s'expliquent très naturellement quand on les considère sous ce point de vue.

« Premièrement si dans ce temps apparent l'homme ne peut trouver jamais l'action totale du centre, il suit qu'il ne puisse jamais trouver son Dieu total autant qu'il ne se tient que dans ce temps. Tout ce qui se présente à lui dans ce temps et l'espace le sollicite donc (ou d'une manière douce ou d'une manière terrible) d'en sortir ; car ce n'est, comme on le sait parfaitement en théorie, quoiqu'on l'oublie toujours dans la pratique, qu'une illusion quand cet homme abusé toujours de ce temps, y croit pourtant toujours, c'est-à-dire quand il espère toujours de trouver dans un autre point ou partie de ce même temps ou de ce même espace ce qu'il n'a pas pu trouver dans un premier. — Toutes les soi-disantes démonstrations de Dieu ou proprement tous les cultes, qui ne vont pas effectivement sortir du temps ne vous manifesteront donc jamais ce Dieu total dont vous sentez le besoin. Enfin comme c'est la nature de chaque fraction de l'unité de diminuer dans sa valeur en proportion qu'elle monte dans ses puissances, et de s'approcher par cette progression ou croissance vers le néant, on voit donc pourquoi chaque être temporel n'étant qu'une fraction de l'unité et point un entier dans son ordre (raison par laquelle il est composé en essence et dissoluble), et ne pouvant s'élever dans ses puissances qu'en se séparant toujours plus de cette unité centre, doit en croissant s'épuiser toujours plus (c'est-à-dire vieillir) et que sa vie (temporelle) même le doit mener à sa mort.

« Une autre conséquence, plus consolante de cette manière de voir, est la suivante, savoir, que dans la notion d'un temps apparent même se trouve comprise celle d'une rédemption ou réintégration possible, et que par conséquent la nature temporelle se montre comme la première religion. C'est l'amour miséricordieux qui temporise avec ses enfants égarés, et l'eau élémentaire, nommée par Steffens la larme de la nature, peut donc être nommée par la même raison la larme première de cet amour. — En effet, comme la communication indirecte de l'être encerclé dans ce temps se présente comme communication médiate, l'idée d'un médiateur nous rencontre, comme le fil d'Ariane, du moment que nous entrons dans ce temps.

« Cette communication médiate en étant plus extérieure, c'est-à-dire plus abaissée ou déprimée que la communication directe, il suit que le centre même, autant qu'il soutient sa communion active avec l'être dégradé, se trouve à son tour dans une espèce de dépression : dépression laquelle on aurait pourtant tort, de la croire être autre chose qu'une émanation descendante de ce centre (l’amour descend), lequel se fait ou rend organe par cette émanation ou descente, sans cesser pourtant de demeurer centre ou principe. Cette émanation, en suspendant ses puissances développées (sa gloire, Philip. 2, 6,7), en s'expatriant, se réduit donc à l'état inostensible de germe ou de racine, pour pouvoir semer dans les êtres dégradés, afin que par sa réascension ou croissance elle puisse les réunir et les relever en et par soi-même dans le temps vrai, comme la semence d'un arbre, en rassemblant dans son unité collective les puissances végétatives, dispersées et supprimées par leur dispersion, dans la terre, les relève avec soi au-dessus de cette terre. Mais regardez ici l'industrie de cet amour ! Car ce centre générateur en devenant régénérateur, c'est-à-dire en descendant plus profondément dans son propre être, pour y puiser cette émanation régénératrice, trouve par cela le moyen d'entrer aussi plus avant dans les êtres à régénérer, de sorte que ceux-ci, après leur régénération ou réintégration, se trouveront plus intimement unis et plus élevés dans leur centre générateur qu'ils ne l'étaient avant leur chute ou départ, et qu'ils se trouveront dorénavant inséparables (illabiles) de la vie du centre ; à peu près comme nous voyons la nature organisatrice fortifier toujours une partie blessée de l'organisme et la rendre moins vulnérable pour l'avenir ! Felix culpa !

« On le trouvera bien clair sous ce point de vue ; que l'athée (ou celui qui, s'opposant à la manifestation complète de Dieu dans son intérieur, pourrait être nommée Déicide) ne nie que cette manifestation intérieure (morale comme on dit) de ce Dieu, mais non pas sa manifestation extérieure, nommée par lui lois de la nature, sort, fatalité, etc., etc., et on ne peut réfuter un tel athée qu'en lui montrant que sa propre anomie (privation intérieure de toutes lois) contre laquelle il oppose vainement son autonomie mensongère, ou en autres mots : que sa séparation intérieure de Dieu n'est que son propre ouvrage et l'effet de sa propre faute.

« A la notion du temps apparent se lie étroitement celle de la pesanteur. On nomme pesant, dans le sens le plus général, ce qui, séparé intérieurement de son principe générateur et abandonné à soi-même et dans l'impuissance de se soutenir (en existence), et a besoin pour cela d'un secours extérieur, pour conserver et entretenir une communion (indirecte) avec ce principe, parce que sans cette communion il n'y aurait point de conservation ou permanence. Et il semble être important de fixer 1’identité de ces deux notions, savoir celle de la conservation d'un tel être et de son support (ou pour ainsi dire, remplissement) extérieur.

« Comme l'être temporel, séparé de son centre, ne le comprend plus dans soi-même, ou comme cet être n'est pas rempli (intérieurement), c'est-à-dire comme il est vide de lui, il doit trouver dans sa propre circonscription la même impuissance de soutenir ses éléments ou facteurs dans leurs centres respectifs (de les remplir), et il sera montré dans une autre occasion comment cette constitution de l'être temporel a pu donner naissance à cette théorie des atomes, prise par les philosophes ancien grecs dans un sens beaucoup plus profond, que par nos mécaniciens modernes depuis Descartes. En effet, la même tendance, ou pente de se séparer de son centre, soit par une explosion, soit par une dissolution, se continue dans ce même être tombé, lequel, ou après qu'il a conçu la volonté rebelle de surmonter son centre, ou la volonté basse de se subordonner à un centre inférieur, ressent naître cette même volonté, réfractaire ou basse, dans tous les points de sa circonscription particulière, parce que le principe supérieur, porteur ou élevant et soutenant (le centre de gravité ou l'orient), est en même temps le principe unissant, substantant ou corporisant pour chaque être.

Pour chaque être séparé de son centre générateur, et tombé dans une enceinte plus extérieure (donc plus étroite), on peut donc fixer l'échelle suivante pour sa réascension ou réintégration possible. 1° Désordre ou solution de la vraie continuité ou corporisation supérieure (laquelle se montre donc, relativement à cette enceinte inférieure, comme une corporation dans l'ordre des principes) : on peut nommer cet état de désordre celui de l'abimation ; 2° immédiatement à cet état succède un rassemblement forcé ou une corporisation inférieure et extérieure, laquelle sert pour fixer un esprit central et de ralliement sur elle. Cette corporisation (laquelle ne peut exister que par une translocation ou transposition (sensible et douloureuse) de ses éléments, parce que l'être qui se corporise de cette manière inférieure est lui-même transposé) sert à la réunion des débris épars de cet être comme en même temps à la séparation de ceux, lesquels se trouvent dans un rassemblement contre nature, afin que, tant par ces ralliements que par ces séparations, cet être se corporise de nouveau dans l'ordre supérieur, comme arme et résistance contre une action opposée à cette corporisation dernière, action laquelle se lâche de se corporiser ou de se substanter à son tour, mais se trouve toujours empêchée dans cette entreprise par la corporisation régulière extérieure; 3° enfin, après que le but de cette corporisation inférieure est rempli, c'est-à-dire que la corporisation supérieure et dorénavant indissoluble est finie, la mort, ou la dissolution de la corporisation inférieure, doit coïncider avec la génération accomplie de la corporisation supérieure, comme l'échafaudage s'écroule après que la maison est bâtie.

« C'est donc dans un sens très vrai qu'il nous est dit dans les Proverbes que chaque être ici-bas a son temps, lequel doit finir pour lui ou quand il en a fait tout l'usage bon pour sa corporisation supérieure, ou quand il en a fait l'usage contraire. — Le même temps, c'est-à-dire la même matière corruptible donnée à l'homme pour sauver sa vraie âme, s'il en fait usage d'un holocauste (Moïse, III, c. XVII, v. II) exerce donc un effet bien différent sur un être lequel, ou en tant qu'il se trouve déjà dessous ce temps, et c'est très justement que Saint-Martin disait : que cette nature externe exerce la fonction de tenir en dissolution continuelle l'être pervers, afin que le mal ne puisse jamais prendre nature ou corps.

« Ce penchant intérieur, à tomber et à passer, se fera donc remarquer dans tous les êtres temporels, mais d'une manière différente, selon que ces êtres n'étaient destinés par leur origine qu'à une communication indirecte avec le principe générateur (ce qui s'applique à toutes les créatures proprement dites temporelles), ou selon que ces êtres, comme l'homme, étaient destinés par leur origine à une communication directe et entière avec Dieu. Distinction, laquelle nous donne des lumières pour discerner entre la création et l'émanation. Savoir un être créé est proprement celui qui, en sortant de son principe générateur, s'en trouve dans son action séparé intérieurement, ce qui prouve qu'il n'est pas sorti qu'indirectement de ce principe. Au contraire, l'être émané est celui qui, sorti directement de son principe, entre ou peut entrer en rapport direct avec lui. Le premier être pèse, mais pas l'autre dans son état originel, lequel, dans cet état, quoiqu'il ne soit nullement son propre appui (prérogative du Dieu seul, qui seul se porte soi-même), le trouve pourtant en dedans de sa circonscription, et ne connaît donc pas le besoin de sortir de soi-même pour le chercher dehors. C'est pourquoi le souffle vivifiant donné à l'homme (selon la Genèse) ne fut pas une création, mais une émanation, et cette émanation aurait dû soutenir et soulever tout le reste créé de cet homme (et par lui toute la créature. Romains 8, 19) dans la ligne des êtres incréés. Après donc que l'homme par sa chute a enseveli pour ainsi dire ce souffle divin (divina:particulam aura) sous les décombres de sa partie créée, et qu'en se créaturisant par cela tout entier, a fait rétrograder cette ascente intentionnée de la part du Dieu, il fallut donc que ce souffle fut ressuscité de nouveau, afin que l'homme entier puisse être élève d'un homme naturel et créé en homme-esprit et enfin en enfant de Dieu (I. Corinth. 15, 45). Car l'émanation a la même relation à la génération, laquelle se montre entre la faction d'un œuvre et la création.

« Nos philosophes modernes ont donc mal saisi cette pesanteur, prise dans le sens le plus général, en la confondant avec l'attraction. Car sûrement ce qui tombe est censé se trouver tout à fait dehors et dessous sa loi, donc dans les ténèbres absolus, et n'ayant nullement présente dans son intérieur la direction (but ou guide) de son mouvement, présence laquelle au contraire caractérise exactement le mouvement de l'attraction, et nous donne la raison de la clairvoyance de l’amour comme de l'aveuglement de chaque passion. Car celui qui est entraîné par sa passion, se trouve, comme dit le Christ, dans les ténèbres, et ne sait pas où il va.

J'ai fait déjà remarquer ailleurs cette différence essentielle se trouvant entre la pesanteur et l'attraction dans toutes les régions, et il sera développé dans mon ouvrage, sur la religion, comment cette manière fausse d'envisager cette pesanteur où le temps apparent a dû contribuer à obscurcir jusqu'ici nos vues tant dans la science de la nature externe que dans celle de l'homme. En effet et prenant ce mot pesanteur ici dans le sens actif, ou comme le poids, lequel pèse sur un être, il est clair, que comme l'air ne pèse que sur les corps qui en sont vides, ou lesquels cet air ne remplit pas, l'esprit, l'air divin ou la parole ne pèsent sur nos âmes qu'autant elles s'en trouvent vides, ou qu'elles tiennent fermé l'accès à cet esprit ou à cette parole, air ou souffle. C'est dans ce sens que saint Paul nous dit que nous ne restons au-dessous de la loi, que nous n'en sentons le poids qu'autant que l'esprit de cette loi ne nous remplit et ne nous soutient pas. C'était donc une méprise assez grande de plusieurs de nos moralistes modernes, dont le coryphée fut le célèbre Kant, quand ils voulaient fonder leur morale sur l'impérative seule de la loi, et en exclure l'optative, c'est-à-dire nous mettre dessous la ligne d'un être, lequel nous contient par la crainte, sans pourtant nous mettre en rapport ou contact avec l'être lequel nous remplit et soutient par l'amour. — C’est pourquoi la morale de ces néologues, comme leur physique, ne pouvait guère nous intéresser jusqu'ici que comme ces récits des sections des cadavres , parce que ce n'est sûrement que sur des âmes vides de la vie, comme sur une nature sans vie, qu'ils ont appliqué leurs observations et leurs analyses. »

Situation littéraire, extrait, p.270

Cependant en Allemagne une juive chrétienne au fond de sa retraite, vivait pour la pensée, pour ses amis, pour l'amour divin , pour le culte du génie et de Dieu. Rachel de Varnhagen, dans une abondante correspondance, verse son âme, épanche son esprit; elle est audacieuse à huis clos; elle méprise la superficie vulgaire des choses ; elle innove en silence; elle se laisse déchirer avec une douleur calme par le désir et la faim de la vérité. Qu'est-elle au fond du cœur ? tantôt elle adore Goethe, son Dieu littéraire; tantôt elle se prosterne devant Saint-Martin, qu'elle appelle son grand révélateur : elle est partagée entre le mysticisme chrétien et l'idéalisme infini ; elle n'a pas résolu les problèmes, mais au moins elle les a posés ; elle maudit intérieurement la loi sans cœur et sans intelligence; elle a dans son âme le feu révolutionnaire des novateurs ; et elle meurt, sans avoir permis aux tempêtes du monde de déchirer le voile qui la cachait à la foule.