Calendrier perpetuel 1850Année 1859

Joseph de Maistre - Quatre chapitre inédits sur la Russie

Catalogue la bibliothèque de la ville d’Amiens - Quatrième partie – Métaphysique

Faure − Journal d’un combattant de février - Appendice Fabre d’Olivet.

Naville – Étude sur l’œuvre de St Thomas d’Aquin

L'Observateur catholique - Extrait de la Revue de l’Instruction publique, F. Morin.

Bibliographie catholique - Compte-rendu du livre de Caro, Du mysticisme au XVIIIe siècle,

1859 - Joseph de Maistre - Quatre chapitre inédits sur la Russie

Maistre Russie Quatre chapitres inédits sur la Russie, par le comte Joseph de Maistre

Publiés par son fils le comte Rodolphe de Maistre. Paris. Librairie d’Aug. Vaton, éditeur, rue du Bas, n° 50 - 1859

Chapitre quatrième. De l’illuminisme, pages 91-128

Ce mot d’illuminé trompe nécessairement une foule d’hommes, parce qu’il signifie, dans les conversations ordinaires, des choses absolument différentes. Un franc-maçon ordinaire, un martiniste, un piétiste, etc., etc., et un disciple de Weishaupt se nomment communément, dans le monde des illuminés. Il serait cependant difficile d'abuser davantage des termes et de confondre des choses plus disparates. Mais comme il est possible de renfermer sous ces trois dénominations tous ceux qu’on appelle vulgairement illuminés, elles serviront de division à ce chapitre.

I. L’origine de la franc-maçonnerie simple est un sujet difficile, sur lequel il n’est pas aisé de dire des choses certaines, ni peut-être même plausibles. Mais, pour ne s’occuper que de ce qu’elle est, sans examiner d’où elle vient, on peut assurer que cette franc-maçonnerie pure et simple, telle qu’elle existe encore en Angleterre, où les institutions quelconques sont moins sujettes à se corrompre, n’a rien de mauvais en soi, et qu’elle ne saurait alarmer ni la religion ni l’État. L’auteur de cet écrit l’a suivie très exactement et longtemps, il a joint à son expérience celle de ses amis : jamais il n’a vu rien de mauvais dans cette association, et il est bien remarquable que l’abbé Barruel, dans son Histoire du jacobinisme, où certainement il n’a voulu épargner aucune secte dangereuse, a cependant manifesté la même opinion.

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1859 - Catalogue la bibliothèque de la ville d’Amiens

1859 catalogueCatalogue méthodique de la bibliothèque communale de la ville d’Amiens

Vve Herment, imprimeur éditeur, place Périgord, 3 - 1859

Quatrième partie – Métaphysique –

a) Traité généraux et mélanges, page 56

338. — Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’homme et l’univers. (Par L. Cl. De Saint-Martin). Edimbourg. 1782. 2 en 1 vol. in-8°.

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e) De l’intelligence et de ses opérations, page 69

424. — Des erreurs et de la vérité, ou les hommes rappellés [sic] au principe universel de la science. Par un ph… inc… (philosophe inconnu, L. Cl. DE SAINT-MARTIN). Edimbourg. 1782. 1 vol. in-8°.

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1859 − Faure − Journal d’un combattant de février

1859 FaureJournal d’un combattant de février Par Philippe Faure
Précédé d’un fragment sur l’auteur, par Pierre Leroux, et des discours prononcés sur la tombe de Philippe Faure ; suivi de notes historiques et de témoignages de la main de Lamennais, de madame Adèle Victor Hugo, de Victor Hugo, de Louis Blanc, de Kossuth, de Ledru-Rollin, de Saffi, de Herzen, de Berjeau, de Greppo, de Bru, de J. Harney, d’Alphonse Bianchi, d’Alfred Talandier, et d’autres amis de Philippe Faure
Publié à Jersey par Auguste Desmoulin
Jersey : C. Le Feuvre, imprimeur libraire, Beresford Street. - 1859

Appendice Fabre d’Olivet. Extrait pages 179-180

Nous n’avons pas la prétention de faire connaître pas quelques extraits tronqués l’œuvre si importante de Fabre d’Olivet ; nous avons voulu seulement en marquer le caractère et la direction, et expliquer par là l’influence que cette œuvre exerça sur Philippe Faure. Si la postérité, appliquant la loi d’amitié qui inspira à Saint-Just ses Institutions, exigeait, avant de se prononcer sur les travaux de Fabre d’Olivet, qu’il se présentât au jugement avec ses amis intellectuels, il est probable qu’il ne demanderait ce suprême secours ni à Talma ni à Napoléon, + à qui les circonstances plutôt que l’amitié l’unirent un moment ; mais qu’il invoquerait l’appui de Court de Gébelin, et de celui qu’il appelle le Philosophe Inconnu, SAINT-MARTIN.

Saint-Martin avait résumé dans son livre sur Dieu l’Homme et l’Univers, la tradition mystique de Swedenborg, de Jacob Bœhme, et des extatiques français. On sait quelle action ces mystiques eurent, à la fin du Dix-Huitième Siècle, sur la Franc-Maçonnerie, et par suite sur la société européenne et sur la Révolution Française. Au milieu des orages de cette Révolution et des terribles guerres de l’Empire, le Philosophe [180] Inconnu avait tenté de conserver les principes et les institutions secrètes du Mysticisme.

De son côté, Court de Gébelin, cherchant dans la science cette unité que la Révolution n’avait su ni pu réaliser dans la politique, avait essayé de découvrir les origines de la race humaine, et commencé dans son Monde Primitif, ses recherches sur l’ethnographie et sur le langage, qui furent pour les philologues modernes la source de tant de beaux travaux et de si fécondes découvertes.

Enflammé de l’enthousiasme du premier, excité par la soif de connaître qui dévorait le second, un penseur unit en lui leurs deux tendances : il chercha à faire aboutir les spéculations du Mysticisme à des conclusions scientifiques et à des applications utiles ; il s’attacha aux sciences occultes, Mais pour y trouver la clef des mystères antiques, et pour pénétrer, à l’aide de cette clef, dans les plus profonds arcanes de la connaissance humaine ; ce savant en qui l’exaltation de Saint-Martin s’allia si puissamment à l’érudition de Court de Gébelin, ce fut Fabre d’Olivet.

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1859 – Naville – Étude sur l’œuvre de St Thomas d’Aquin

1859 navilleÉtude sur l’œuvre de St Thomas d’Aquin, par M. Ernest Naville
Tiré de la Bibliothèque universelle – Juillet et Août 1859, avec autorisation de la direction.
Genève. Imprimerie Ramboz et Schuchardt, rue de l’Hôtel de Ville, 78 - 1859

Étude sur l’œuvre de St Thomas d’Aquin

M. Jourdain vient d'enrichir nos bibliothèques d'un excellent livre sur la philosophie de saint Thomas (1). Ce livre est la reproduction quelque peu modifiée d'un mémoire couronné à la suite d'un concours ouvert par l'Académie des sciences morales et politiques. Comment la philosophie de nos jours en est-elle venue à se préoccuper, comme elle le fait, de Thomas d'Aquin, docteur du moyen âge ? La réponse à cette question demande un récit de quelque étendue, mais digne d'intérêt. Reprenons les choses d'un peu loin.

En 1794, la Convention, voulant donner au peuple français une instruction digne de ses nouvelles destinées, institua les cours de l'Ecole normale. Garat, qui venait d'être ministre de la révolution, et qui devait être plus tard sénateur et comte de l'empire de Bonaparte, fut désigné pour l'enseignement de la philosophie. Il donna des leçons brillantes sur l'analyse de l'entendement, exposant les thèses du sensualisme comme une doctrine universellement admise par tous les bons esprits, et parfaitement incontestable. Une fois par semaine, selon la règle de l'école, les auditeurs pouvaient prendre la parole pour discuter l'enseignement du maître. Un jour donc, usant de ce privilège, Saint-Martin (2), le philosophe inconnu, éleva la [2] voix du milieu de la foule, et présenta quelques objections à la théorie de la sensation transformée. Le dialogue suivant s'engagea :

Le professeur. «Vous paraissez vouloir qu'il y ait dans l'homme un organe d'intelligence, autre que nos sens extérieurs et notre sensibilité intérieure? Est-ce là votre pensée ?

Saint-Martin. « Oui, citoyen.

Le professeur. « Un organe d'intelligence ?

Saint-Martin. « Une faculté d'intelligence.

Le professeur. «Vous avez pour doctrine que sentir les choses et les connaître sont des choses différentes. C'est là ce que vous croyez vrai, n'est-ce pas ?

Saint-Martin. « J'en suis persuadé.

Le professeur. « Cependant, lorsque je reçois en présence du soleil les sensations que donne cet astre éclatant qui échauffe et qui éclaire la terre, est-ce que j'en connais autre chose que les sensations mêmes que j'en reçois ?

Saint-Martin. « Vous sentez les sensations, mais les réflexions que vous ferez sur l'existence du soleil »

Cette phrase qui, sans doute, devait renfermer d'autres mais, fut interrompue par Garat. Après une assez longue série d'affirmations du professeur, le philosophe inconnu ne se trouva pas satisfait.

Saint-Martin. « Citoyen professeur, la question actuelle est-elle plus éclairée ? Vous avez énoncé votre profession de foi....je vous réponds par une assertion.

Le professeur. « Si vous le permettez, je continuerai la conférence sur cet objet, il peut donner lieu à des considérations importantes. Ce qu'il importe d'abord de dire, c'est que, par cette doctrine dans laquelle on suppose que nos sensations et nos idées sont des choses différentes, c'est le platonisme, le cartésianisme et le malebranchisme que vous ressuscitez » Vient ensuite une allusion aux idoles métaphysiques dont Bacon a brisé les statues et les autels ; puis le [3] professeur conclut : «Ce serait un grand malheur si, à l'ouverture des Écoles normales et des Écoles centrales, ces idoles pouvaient y pénétrer. Toute bonne philosophie serait perdue, tous les progrès dans la connaissance de la nature seraient arrêtés, et c'est pour cela que je regarde comme un devoir sacré dans un professeur de l'analyse, de traiter ces idoles avec le mépris qu'elles méritent. » Saint-Martin n'eut qu'à se rasseoir bien dument convaincu de platonisme, de cartésianisme, de malebranchisme ; la majorité de l'auditoire était au professeur (3).

Ce dialogue est une des pages instructives de l'histoire de la philosophie ; il caractérise une époque. On y voit se produire avec une véritable naïveté la disposition d'esprits qui, tout en s'enivrant du sentiment de leur indépendance, s'étaient rangés docilement sous le joug d'une doctrine étroite, et poussaient de grands cris de liberté, lorsqu'ils prétendaient écraser du poids d'une petite autorité de la veille le passé séculaire de l'esprit humain. Nous commençons à l'oublier : au commencement du siècle, platonisme était un terme de dénigrement, et dire à un philosophe qu'il suivait les traces de Descartes ressemblait fort à une injure.

Ce n'est point le cas d'évoquer, dans une prosopopée oratoire, l'ombre du professeur d'analyse ; mais il est naturel de se représenter le profond étonnement de Garat, s'il eût prévu avec quelle promptitude se réaliseraient les pires malheurs qu'il pût redouter pour la philosophie. Par un mouvement rapide, Bacon (qui restera toujours un grand esprit et un remarquable écrivain) a perdu bien des fleurons de sa couronne de philosophe ; Locke et Condillac, rejetés sur le second plan, ont laissé Platon et Descartes reprendre le poste [4] d’honneur…

Notes

1 La philosophie de saint Thomas d'Aquin, par Charles Jourdain, agrégé des Facultés des lettres, chef de division au ministère de l'instruction publique et des cultes. 2 vol. in-8°. Paris, Hachette, 1858.

2 Saint-Martin, à cette époque, avait déjà publié la plupart des écrits qui ont fondé sa réputation de théosophe. Le livre des Erreurs et de la vérité est de 1775, l’Homme de désir de 1790.

3 Voir les Ecoles normales, livre national, Débats, tome III, pages 18 à 25, et l'Histoire de la philosophie allemande, par M. Barchou de Penhoën, tome I, pages 325 et suivantes, où ce dialogue a été transcrit avec quelques légères variantes.

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1859 – L’Observateur catholique - Extrait de la Revue de l’Instruction publique, F. Morin.

1859 obs cathoL’observateur catholique, revue des sciences ecclésiastiques et des faits religieux
Tome VIII. Quatrième année. Mars à septembre 1859
A Paris, chez Huet, libraire, rue de Savoir, 12. - 1859

Extrait de la Revue de l’Instruction publique, F. Morin. Pages 180-185

Nous croyons devoir faire connaître à nos lecteurs les deux articles suivants d’un philosophe distingué, d’un catholique sincère et intelligent ; ils contiennent une appréciation fort juste du fameux Joseph de Maistre, dont l’Observateur catholique a réfuté les erreurs. Le premier article a été écrit par M. F. Morin à l’occasion de la publication d’un ouvrage intitulé : « Plan d’un nouvel équilibre politique en Europe, ouvrage publié en 1798, sous le voile de l’anonyme, par Joseph de Maistre ; nouvelle édition, précédée d’une Introduction par M. R. de Chantelauze. » In-8 de LXIV-311 pages. Librairie Douniol.

Écoutons M. F. Morin :

« En 1798, au moment où le Directoire contraignait à des conférences diplomatiques la coalition européenne à moitié vaincue, à moitié dissoute, le parti contre-révolutionnaire, furieux, lança un pamphlet anonyme intitulé : Antidote au Congrès de Radstadt. Cet ouvrage, que l’on crut d’abord du comte de Maistre, fut plus tard réclamé par l’abbé de Pradt ; et la paternité littéraire de ce dernier écrivain était généralement admise, lorsque tout récemment un érudit très actif, très fureteur, d’une sagacité à la fois très ingénieuse et très audacieuse, M. R. de Chantelauze, se crut autorisé à la révoquer en doute, appuya son opinion sur des preuves très plausibles, et réédita l’Antidote, sous ce titre qui piqua vivement la curiosité publique : Plan d’un nouvel équilibre politique en Europe, par Joseph de Maistre. De là vifs et nombreux débats, où M. de Douhet, petit-neveu de l'abbé de Pradt, intervint par une lettre plus acrimonieuse que pé [181] remptoire, et, avec lui, le savant M. Quérard et M. Philarète Chasles. Réponse, bien entendu, de M. de Chantelauze, appuyé par le Robert Étienne de Lyon, M. Perrin ; contre-lettre du fils de Joseph de Maistre, qui trouve lourd à porter l’héritage de l’Antidote ; feu croisé d’arguments, de citations, de plaidoyers, et adhuc sub judice lis est. Bien entendu, il m’est parfaitement égal que l’Antidote soit de l’auteur du Pape ou de l'ancien archevêque de Malines. Je ne viens donc pas ici résoudre un problème assez insignifiant de bibliographie, et prononcer, indigne, entre deux érudits aussi distingués que M. R. de Chantelauze et M. Quérard ; je prétends seulement examiner si l’ouvrage en litige est dans le sens des habitudes d’esprit, des théories, des prédilections et des principes de Joseph de Maistre.

« Attribuer l’Antidote à cet écrivain, s’écrie triomphalement M. de Douhet, c’est le faire descendre de son piédestal de penseur pour l’asseoir de travers dans le fauteuil du publiciste. »

» Que je reconnais bien dans ce langage le vieux, illogique et funeste préjugé sous lequel s’est courbée toute la génération précédente ! Et si le piédestal n’avait jamais existé que dans cette pauvre imagination française, qui en dresse tant, et qui, Dieu merci, en brise encore plus, quand elle est lasse de sa sottise ! grâce à de très curieuses circonstances, Joseph de Maistre a joué le plaisant tour, à notre légèreté nationale, de se faire passer pour un penseur de premier ordre, pour un homme de doctrine, pour un créateur d’idées originales. A la vérité, sous la Restauration, les Frayssinous, et les autres défenseurs raisonnables des croyances religieuses, parlaient peu de l’auteur du Pape ; ils se doutaient des origines suspectes et très hétérodoxes des théories qu’il débitait ; ils avaient vu de près l’abîme sans fond de son ignorance théologique, philosophique et scientifique ; ils sentaient bien qu’elle pouvait tout compromettre, qu’elle ne pouvait rien défendre avec honneur. Mais cette grave école devait disparaître ; et, les théologiens étant remplacés par [182] des feuilletonistes convertis, la foi chrétienne ne fut plus défendue que par des apologistes de rencontre qui ne savent pas même où elle commence et où elle finit. Puis les saint-simoniens survinrent avec leur mélange de vues admirables et d’idées extravagantes. Si l’auteur du Pape n’eût existé, ils l’auraient inventé, sans nul doute, tant ils en avaient besoin pour couvrir d’un vernis traditionnel leurs rêveries sacerdotales. Dans leurs livres, dans leurs brochures, dans leurs leçons orales qui exercèrent une si profonde influence, ils l’exaltèrent, le mirent à la mode, lui trouvèrent toute espèce de vertus puissantes, et scellèrent ainsi, par les mains peu orthodoxes de MM. Enfantin, Rodrigues et Bazard, la première pierre de cette grande idole devant laquelle M. de Douhet se prosterne aujourd’hui en compagnie de MM. Coquille, Maumigny et Veuillot !

» L’enthousiasme des prêtres de la chair pour l’auteur du Pape avait beaucoup fait ; la phrase admirable de l’auteur lui-même fit le reste : cette phrase rapide et burinée, imagée et sobre, qui vole devant l’imagination et s’imprime dans la mémoire, chatouille Ies parties mystiques et les parties féroces de l’impressionnabilité nerveuse, alerte et forte comme un paysan des Alpes, hautaine comme un praticien de fraîche date, audacieuse et cassante comme un jacobin, mélange unique des reflets de tous les temps et de toutes les écoles, tyrolienne splendide où. la langue de Tertullien touche à celle de Camille Desmoulins en passant par celle de Voltaire, sans oublier celle du théosophe Saint-Martin, et qui tour à tour familière, sombre, ironique, atroce, sublime même, révoltant pour la dompter toute la nature humaine, n’y laisse aucune fibre, sans la piquer, la frapper et la charmer, — aucune, si ce n’est la raison et le sentiment religieux !

» C'est ainsi que doublement recommandé au monde dévôt (je ne dis point, qu’on le remarque, au monde chrétien), par le double prestige de sa consécration saint-simonienne et de son style puissamment anti-évangélique, de Maistre [183] est devenu, pendant les trente dernières années, une sorte de Père de l’Église. Ceux mêmes qui réagissent contre son influence voient en lui un représentant absolu, excessif, violent, mais très sérieux, très original, très inspiré de la pensée chrétienne. On fait honneur de ses excentricités les plus ridicules à la spontanéité primesautière de son génie incomparable. On l’érige en logicien implacable qui peut compromettre le christianisme en pressant toutes ses conséquences avec une ardeur inouïe, ou même qui va au-delà de ses conséquences naturelles, mais enfin qui le comprend dans son intimité vivante, et qui défend, avec une intelligence supérieure, l’immortelle tradition des saint Augustin, des saint Athanase; des saint Thomas et des Bossuet.

» Voici enfin, Dieu merci, que la publication récente de sa correspondance et de ses opuscules jette sur le prétendu philosophe une clarté foudroyante. Il était visible déjà, et je l’avais répété ici même bien des fois, que dans ses théories rien ne lui appartient en propre, pas même ses folies ; qu’il a tout emprunté à l’illuminisme martiniste, l’ensemble de son système et les derniers détails de ses erreurs théologiques, de ses excentricités philosophiques, de ses démences scientifiques. Tout emprunté, dis-je, et sans rien ajouter, sans rien modifier, sans rien discerner, sans rien vérifier, prenant pour essentiellement chrétien ce qui était le plus essentiellement hétérodoxe, tombant à chaque minute du haut de sa tendre prédilection pour les jésuites dans le jansénisme et même dans le calvinisme outré; brouillant tout, affirmant tout, même les contradictoires, avec une insolence dominatrice qui en impose aux simples et qui irrite les compétents jusque dans la dernière fibre de leur système nerveux.

» Comme théoricien, comme homme d’idées, Joseph de Maistre est donc au-dessous des plus médiocres esprits, puisqu’il plagie aveuglément et sans comprendre même ce qu’il plagie. Ce n’est pas, bien entendu, que d’une façon générale son intelligence soit inférieure à toute autre ; seule [184] ment, dans les questions de doctrine qu’il aborde si souvent avec la désinvolture d’un gentilhomme qui croit tout savoir par droit de naissance, il n’est qu’un très mince amateur ; il a passablement lu, mais lu au hasard, sans être préparé par des études solides, des ouvrages de seconde main : aucune notion précise ni des Écritures, ni des Pères, ni des théologiens, ni des décisions des conciles, ni de la succession des systèmes philosophiques. Ajoutez à cette ignorance une incapacité absolue de s’attacher à une idée métaphysique ou même simplement abstraite, et le malheur de tomber, avec un si pauvre fonds, entre les mains des martinistes, qui étaient à la mode au moment où il entra dans la vie intellectuelle, et qu’il fréquenta et copia avec sa magistrale étourderie. Si brillantes que furent ses facultés, que vouliez-vous qu’il rit dans ces conditions en matière de philosophie religieuse ? Il en parle avec le même degré de compétence que pourrait avoir M. Alexandre Dumas exposant une théorie de calcul différentiel. C’est le docteur noir des sciences morales. Aussi bien la partie sérieuse, réfléchie, intelligente, efficace de sa vie ne leur était point consacrée ; à quoi l’employait-il ? MM Albert Blanc et Philarète Chasles l’ont fort bien vu : il l’employait à des manoeuvres diplomatiques.

M. Morin avait déjà publié dans le même recueil (9 septembre 1858) son opinion sur les origines du système de Joseph de Maistre. Voici cet article :

« Cuvier désignait sons le nom de cryptocatholicisme les doctrines martinistes répandues en Allemagne : synonyme curieux, et qui jette peut-être une très vive, une très utile lumière sur les origines encore insondées du système de Joseph de Maistre. Il y a des rapports si prodigieux de doctrine entre de Maistre et les martinistes, non seulement dans l’ensemble des théories, mais même dans les détails les plus intimes, qu’il est hors de doute, à mes yeux, que sur presque toutes les questions, l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg s’est borné à reproduire les opinions du Philosophe [185] inconnu. Étincelant écrivain ! le chef, aujourd'hui si autorisé de l’école théocratique, ne fut qu’un très petit écolier, un plagiaire en fait d’idées. Mais comment lui advint-il de piller des idées aussi profondément hétérodoxes que celles des illuminés du XVIIIe siècle ? Telle était la difficulté ; aujourd’hui, et par le témoignage de Cuvier, il est facile de la résoudre : du temps de Joseph de Maistre, l’illuminisme passait, dans certains pays et aux yeux de certaines gens, pour une sorte d’orthodoxie voilée de mythes bizarres, pour un cryptocatholicisme. Il en était encore ainsi en Allemagne, assez récemment, et Baader, dans ses vagues constructions doctrinales, mêlait sans façon, avec l’élément kantiste et l’élément catholique, des théories franchement et sciemment martinistes. C’est à travers toutes ces méprises, toutes ces ignorances, tous ces plagiats impudents et imprudents que le parti théocratique s’est formé parmi nous, et a profité ensuite soit des éloges saints-simoniens, soit du matérialisme profond de certaines âmes qui se croient religieuses, soit de l’heure triste de transition et d’engourdissement que nous traversons, pour essayer d’absorber à son profit l’idée chrétienne. Sachons bien ses origines ; nous saurons ce qu’il vaut et comment il tombera. Il se cherche vainement des aïeux jusque dans saint Thomas, après avoir invoqué la ridicule paternité du Père Kircher. Il ne remonte pas si haut : il ne peut se réclamer sans mentir, ni de grandes théories philosophiques, ni d’études théologiques profondes ; il est sorti tout formé des rêveries de quelques illuminés qui enveloppaient de la même réprobation le christianisme et la philosophie, mais qui dissimulèrent leur haine contre la révélation, en manifestant, en exagérant même leur hostilité contre la raison, et, par ce double jeu, pipèrent le plus éloquent des étourdis. L’équivoque dure encore. »

F. Morin.

(Extrait de la Revue de l’Instruction publique, 28 mai 1859.)

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1859 - Bibliographie catholique - Compte-rendu du livre de Caro

1859 bibliographie cathoBibliographie catholique
Revue critique des ouvrages de religion, de philosophie, d’histoire, de littérature, d’éducation etc. destinée aux ecclésiastiques, aux pères et aux mères de famille, aux chefs d’institution et de pension des deux sexes, aux bibliothèques paroissiales, aux cabinets de lecture chrétiens, et à toutes les personnes qui veulent connaître les bons livres et s’occuper de leur propagation.
Tome XXII - Juillet à décembre 1859 - Paris. Au bureau de la bibliothèque catholique, rue de Sèvres, 31. - 1859

Compte-rendu du livre de Caro, Du mysticisme au XVIIIe siècle, pages 312-315

120. DU MYSTICISME au XVIIIe siècle. — Essai sur la vie et la doctrine de Saint-Martin, le philosophe inconnu, par M. E. CARO, professeur agrégé de philosophie au lycée de Rennes. — 1 volume in-8° de VI-312 pages (1832 , chez L. Hachette et Cie ; — prix : 5 fr.

« Saint-Martin est un auteur plus cité qu'il n'est connu. On croit être quitte à son égard quand on l'a jugé d'un mot : c'était un illuminé. Tout illuminé qu'il soit (sic), nous ne croyons pas qu'il doive subir sans appel cette sentence du dédain ou du sarcasme. Il est digne, par certaines qualités éminentes, par les défauts mêmes de son esprit, l'excès d'originalité, et de hardiesse, que la critique sérieuse s'arrête à ses œuvres, sans défaveur anticipée, sans parti pris d'avance de raillerie ni de mépris (p. 1). » Ce n'est pas que M. Caro entreprenne une « apologie impossible ; » il ne veut pas, dans ce procès en révision, « absoudre Saint-Martin, » mais seulement « le relever d'un discrédit injuste. » A cet effet, il recueille un certain nombre de témoignages plus ou moins favorables, épars dans les ouvrages de Mme de Staël, de M. Joubert, de Chateaubriand, de Joseph de Maistre, etc., témoignages dont il tire, selon nous, trop d'avantages; puis il entre de plain-pied dans son sujet. — Saint- [313] Martin n'est pas isolé au milieu de ses contemporains : rien, au contraire, de plus commun, au XVIIIe siècle, que ces hommes connus sous le nom d'illuminés. Ils prennent place « entre la religion discréditée et la société sceptique (p. 11). » On attachait, en général, à ce mot illuminisme l'idée d'une inspiration immédiate, d'une communication directe avec les êtres purement intellectuels, et d'une association mystérieuse dans un but quelconque. L'association secrète et l'inspiration, c'est là le double caractère qui peut nous servir à définir presque toutes les sectes d'illuminés, (ibid.).

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