Chapitre V. – Médecine spiritualiste – Illuminisme (suite) - Dr Alfred Perrier. Pages 97-112

Études et théories – Recherches médico-magnétiques

L'origine de l'extase mystique remonte aux temps les plus éloignés; l’Apocalypse de saint Jean est un recueil de révélations extatiques. Eusèbe, saint Jérôme, saint Éphiphane et les anciens conciles n'ont pas admis cette production au nombre des livres canoniques. Ce fut beaucoup plus tard que l’Église latine reconnut le principe divin de l'Apocalypse. C'est encore le sentiment qui règne aujourd'hui. Nous ne contestons pas les communications célestes de saint Jean ; à cette époque, les désordres de la civilisation n'avaient peut-être pas encore vicié la nature expansive de l'âme humaine. Il faut cependant assigner une ligne de démarcation entre les visions prophétiques et les créations fantastiques d'une imagination asservie aux obligations de la vie sensitive.

Saint Paul, pendant ses ravissements, affirmait avoir appris et vu des choses qu'il ne lui était pas permis de révéler.

Les prophètes étaient en extase lorsque la Divinité se communiquait à eux.

Ézéchiel entendait des voix et avait des révélations ; ainsi des autres inspirés.

Suivant les textes de la Bible, Dieu promit à son peuple [page 98] que, s'il se conduisait selon sa loi, il aurait des communications avec le monde invisible ; que les fils et les filles des Hébreux prophétiseraient, que les vieillards auraient des visions et les jeunes gens des songes.

Combien pourrions-nous compter de fanatiques qui se sont crus des dieux ou des messagers de la Providence ?

L'illuminisme s'observe habituellement chez les individus d'une piété fervente, habitués aux macérations et à la vie contemplative ; ils se plaisent dans leurs ravissements et se figurent qu'ils sont appelés à exercer une mission divine. Cet état se rencontre surtout lorsque l'exaltation intellectuelle est associée à une concentration extrême de la pensée.

On trouve dans les ouvrages des médecins hermétiques quelques aperçus sur l'illuminisme.

D'après Corneille Agrippa (1), le magisme est l'échelle de transition de ce monde au monde supérieur (monde archétype). Les puissances occultes sont des émanations de la divinité ; elles sont d'autant plus perceptibles, que nous nous rapprochons davantage du monde supérieur. Tous les corps sont soumis à une influence sympathique ou antipathique; les vertus ou les passions de l'âme modifient à l'infini les substances spirituelles et corporelles. La foi, l'espérance, la charité sont des conditions imposées à l'homme pour opérer des prodiges et parvenir à l'union intime de l'âme avec les intelligences supérieures.

L'extase mystique, se conformant aux exigences si versatiles de l'organisme intellectuel, devait subir bien des métamorphoses avant d'arriver jusqu'ici; nous nous dispenserons d'en analyser toutes les nuances, croyant pouvoir les rattacher aux trois formes suivantes: le swedenborgisme, le martinisme et le quiétisme.

I. — Le baron de Swedenborg, né à Upsal, le 29janvier 1688, alliait aux avantages d'une réputation intacte des connaissances solides et variées. Physicien, mathématicien, chimiste, naturaliste, poète, philosophe et théologien, il fut [page 99] chargé des missions les plus importantes sous le gouvernement de Charles XII.

Son penchant naturel le rappelait souvent vers la vie contemplative, et son imagination aimait à s'égarer au milieu des abstractions de la métaphysique. En 1745, il s'imagina avoir reçu une mission apostolique :

« Un jour que je dînais fort tard dans une auberge à Londres, écrivait-il à M. Robsam, et que je mangeais avec un grand appétit, je m'aperçus qu'une espèce de brouillard se répandit sur mes yeux, et que le plancher de ma chambre était couvert de reptiles hideux. Ils disparurent, les ténèbres se dissipèrent, et je vis clairement, au milieu d'une lumière vive, un homme assis dans le coin de la chambre, qui me dit d'une voix terrible : « Ne mange pas tant. » A ces mots, ma vue s'obscurcit ; ensuite, elle s'éclaircit peu à peu et je me trouvai seul. La nuit suivante, le même homme, rayonnant de lumière, se présenta à moi et me dit : « Je suis Dieu, le créateur et rédempteur ; je t'ai choisi pour expliquer aux hommes le sens intérieur et spirituel des écritures sacrées ; je te dicterai ce que tu dois écrire. » Pour cette fois, je ne fus point effrayé, et la lumière, quoique très vive, ne fit aucune impression douloureuse sur mes yeux. Le Seigneur était vêtu de pourpre, et la vision dura un quart d'heure. Cette même nuit, mes yeux furent ouverts pour voir dans le ciel, dans le inonde des esprits et dans les enfers. »

Si l'on en croit le rapport des médecins de Londres, l'extase de Swedenborg succéda à une affection cérébrale, qui aurait laissé des traces d'aliénation mentale. Il mourut à quatre-vingt-cinq ans, des suites d'une attaque d'apoplexie. Les écrits mystiques de ce célèbre illuminé lui attirèrent les persécutions du clergé, qui le dénonça aux consistoires des évêques et des théologiens. Mais ceux-ci n'osèrent prendre l'initiative d'une réprimande.

« Les consistoires ont gardé le silence, dit un jour le roi Frédéric-Adolphe à Swedenborg, en lui mettant amicalement la main sur l'épaule ; nous devons conclure qu'ils n'y ont rien trouvé de répréhensible. » [page 100]

Voici la description de la vie intuitive, telle que la conçoit et rapporte Swedenborg (2) :

« Pour mieux comprendre que l'homme est véritablement esprit, quant à son intérieur, voyons ce que l'expérience nous apprend,
1° De l'état de l'homme, lorsqu'il détache son esprit des choses sensibles pour l'appliquer aux insensibles ;
2° De l'état où il se trouve lorsque son esprit est tout entier à l'objet que son corps va chercher.
« Dans le premier cas, l'homme est dans une situation qui tient du sommeil et de la veille ; il croit cependant qu'il est parfaitement éveillé, car ses sens extérieurs ne sont pas plus endormis que lorsqu'il veille, celui du tact est même plus délicat alors, et beaucoup plus parfait. Dans cet état, des personnes ont vu des esprits et des anges au naturel ; elles les ont entendus, elles les ont touchés. Dieu m'a mis dans cet état trois ou quatre fois.
« Quant au second état, j'en ai fait l'expérience en marchant dans la ville et en me promenant dans la campagne ; je conversais avec des esprits, je voyais des palais, des bosquets, des rivières, des maisons, des hommes et beaucoup d'autres choses, et j'étais persuadé que j'étais parfaitement éveillé. Après avoir marché ainsi pendant des heures entières, je revenais subitement à mon état d'homme ordinaire, avec l'usage de mes sens, et je voyais clairement que je m'étais transporté dans des lieux éloignés, sans m'en être aperçu et sans aucune fatigue. »

Au milieu de ces visions chimériques, Swedenborg avait des éclairs d'intuition somnambulique, car il prédisait l'avenir et faisait retrouver des objets perdus. Interrogé un jour par la reine douairière, sœur du roi de Prusse, sur le contenu d'une lettre qu'elle venait d'écrire à son frère, il réclama quelques instants de concentration intellectuelle, et lui rapporta la substance de cette lettre. Une autre fois, il fit retrouver à la comtesse de Marteville une quittance qu'elle avait égarée depuis la mort de son mari (3).

Sans nous arrêter aux idées contradictoires qui fourmillent dans les ouvrages du prophète d'Upsal, nous devons [page 101] signaler un principe révoltant pour la conscience la moins timorée, et dont nous retrouvons la justification chez les sectaires du quiétisme et du martinisme. Selon eux, l'homme pourrait s'abandonner impunément aux plus honteux dérèglements, chaque fois que son esprit parviendrait, par une abstraction des sens, à s'identifier avec la Divinité. Cette apologie de la débauche a lieu de nous surprendre, surtout chez des hommes dont la moralité n'a jamais donné prise à la moindre critique.

La doctrine de Swedenborg s'étendit sur une vaste échelle et envahit particulièrement la Suède et l'Allemagne. Deux loges importantes furent fondées en France, à Lyon et à Avignon, où cette secte se confondit bientôt avec celle des martinistes.

II — M. de Saint-Martin, officier français, auteur de plusieurs traités sur l'illuminisme, devint le chef d'une école de mysticisme, connue par la suite sous le nom de martinisme. Après un long séjour en Allemagne, il vint en France pour y enseigner sa doctrine. Les premières réunions se tinrent à Avignon; des succursales furent ensuite établies dans plusieurs villes, entre autres à Paris.

M. de Saint-Martin avait des révélations, et affectait un langage mystique dans ses conversations. Il admettait des puissances intermédiaires entre Dieu et l'homme, et croyait que celui-ci pouvait, par un effort de son esprit et de sa volonté, parvenir à reconquérir ses anciens droits et à réparer les désordres qui avaient suivi ses prévarications. Alors succéderait l'abondance à la stérilité, la lumière aux ténèbres, la vie à la mort, et l'homme métamorphoserait tellement ce qui l'environne, que son séjour sur terre ressemblerait à celui de la vérité même.

« La sagesse, dit-il, tend à se réunir à l'homme, malgré sa souillure, elle circule autour de lui par des canaux innombrables dans toutes les parties de son habitation corrompue. Mais il existe entre nous et Dieu un obstacle qui imprime le désordre universel, et c'est pour cette raison que la vertu divine tend à se rapprocher de nous, pour rétablir l'ordre en [page 102] ramenant l'unité primitive; car, si la vertu divine n'eût pas fait les premiers pas, l'homme n'aurait pu atteindre cette unité, la vertu la plus faible ne pouvant remonter seule et d'elle-même à son terme de réunion (4). »

Les degrés variables de science et de volonté sont la cause unique de la diversité d'opinions qui règlent la conduite de l'humanité.

« Il en est, ajoute M. de Saint-Martin, pour qui l'agent universel est venu, d'autres pour qui il vient, d'autres pour qui non seulement il n'est pas venu et même pour qui il ne viendra pas. »

Vivant au milieu des émanations spiritualistes, les hommes sont des prophètes par leur nature ;c'est leur faiblesse ou leur dépravation qui les empêche d'en manifester le privilège. S'ils eussent suivi avec ardeur le sentier des vertus de l'agent universel, ils seraient parvenus, dans l'activité de leur foi et de leur zèle,

« A neutraliser le venin des vipères, à rendre le mouvement aux paralytiques, guérir les malades et soustraire même des victimes à la mort (5). »

M. de Saint-Martin avoue que, s'il y a des vérités qu'on doit divulguer, il en est d'autres qu'il faut tenir sous le voile du mystère, et que, si chacun était attentif à se prêter aux vues de la sagesse divine et à rechercher les rayons du feu sacré, les vertus célestes dissiperaient les ténèbres de notre ignorance et favoriseraient l'accomplissement du grand œuvre.

Nous avoirs vu que, suivait l'abbé Faria, c'est par la concentration que se développent les perceptions intuitives de l'espèce humaine.

Le martinisme invoque la réunion de plusieurs éléments puissants, tels que la foi, la volonté, la contemplation, la pratique des vertus, pour retremper nos instincts pervertis à la source des émanations de la Divinité. [page 103]

D'autres sectateurs du mysticisme, s'appuyant sur la nécessité d'une concentration de l'âme, réclament aussi le concours d'une volonté énergique. Mais les attouchements, les gestes, les paroles leur paraissent de puissants auxiliaires ; la doctrine du chevalier de Barbarin résume à peu près toutes leurs idées.

Ce novateur, qui était un ancien officier d'artillerie, fait intervenir la communion des âmes dans le traitement des malades. D'abord, on doit se recueillir religieusement, avec l'intention formelle de soulager le patient ; on s'efforce ensuite, par des paroles bienveillantes, d'obtenir sa confiance ; enfin on a recours à quelques frictions légères. Quelquefois on se retire à l'écart pour mieux concentrer sa pensée, puis on se rapproche du malade, en unissant ses prières aux siennes (6).

Les différents ouvrages que nous possédons sur l’illuminisme ne font qu'effleurer la question de la médecine spiritualiste. Presque exclusivement consacrés à la solution des problèmes les plus épineux de la métaphysique, ils éludent les difficultés de la physiologie humaine et de la thérapeutique. Ce n'est qu'exceptionnellement que nous voyons des adeptes utiliser la clairvoyance des extatiques en faveur de l'humanité souffrante.

III. —Le quiétisme, dont le nom spécifie l'état de calme et de repos où l'esprit doit se trouver, est une pratique qui tend à faire parvenir l'âme, pendant cette vie, à l'union la plus intime avec la Divinité. La vie contemplative est le moyen le plus sûr d'atteindre ce but (7). Cette théologie [page 104] mystique tire son origine des rêveries du platonisme et des interprétations allégoriques de l'Écriture sainte. De là tant de sectes diverses : les esséens, les amonéens, les bégards, les quiétistes du mont Athos, les molinistes, etc.

Chez ces sectaires, les visions se modèlent sur les images d'un esprit délirant. L'obscurité de leur langage, la confusion de leurs idées, l'inconstance de leurs sensations ne pouvaient manquer de produire cet assemblage confus de principes contradictoires.

Les quiétistes les plus fameux par leurs extases furent : saint Thomas d'Aquin, Clément d'Alexandrie, Jean Cassien, saint François de Salles, sainte Thérèse, sainte Catherine de Gênes, Marie de la Beaume, Marie d'Agréda, Antoinette Bourignon, le cardinal Bona, saint Dominique, le pape Grégoire-le-Grand, Balthasard Alvarès, saint François d'Assise, enfin Mme Guyon, si connue par ses rapports avec Fénelon.

La contemplation n'était pas toujours suffisante pour arriver à la jouissance des béatitudes célestes. Les quiétistes prétendent y parvenir à l'aide de certaines modifications [page 105] sensitives de l'âme, savoir: la vie purgative, la vie unitive, l'oraison passive, etc.

La déification est la situation la plus accomplie de l'âme contemplative ; c'est une véritable transformation de l'élément spirituel dans l'essence divine :

«Il n'y a plus en moi d'autre moi que Dieu, » disait sainte Catherine de Gênes.

Cette consubstantiation s'obtenait surtout après avoir fait un purgatoire, que Molinos appelle le martyre spirituel, et que l'archevêque de Cambrai nomme les dernières épreuves. Ces souffrances étaient : la privation volontaire de la grâce, les inquiétudes de la damnation éternelle, le sacrifice de son salut, les tentations de la chair, etc. (8). Saint Dominique, saint François d'Assise, le pape Grégoire et beaucoup d'autres passèrent par ces épreuves.

Les quiétistes affirment que les débordements de l'esprit et des sens ne peuvent offenser Dieu, tant que l'âme y refuse son consentement. Cette transaction étrange de la conscience a rencontré de nombreux apologistes parmi les écoles du spiritualisme, et des hommes d'une haute intelligence et d'une grande moralité dans leur conduite n'ont pas craint de figurer au nombre des défenseurs de ce honteux libertinage.

Dans ces derniers temps, de nouvelles sectes mystiques [page 106] se sont élevées sur les ruines du swedenborgisme et du quiétisme. Véritables plagiaires des idées de leurs devanciers, elles n'ont vécu que le temps nécessaire pour démontrer l'imperfection de leurs théories et le danger de leurs doctrines.

Naguère encore vivait à Tilly-sur-Seule (Calvados) un interprète des communications célestes. Pierre-Michel Vintras, surnommé le Prophète, avait des entretiens avec saint Joseph sur l'union de J.-C. avec les hommes (9). L'archange saint Michel, la Sainte Vierge et J.-C. conversaient souvent avec lui, à la grande admiration des adeptes, au nombre desquels se trouvent des gens honorables. Vintras avait des visions, des songes allégoriques et prophétiques, des sueurs de sang, etc.

La première visite qu'il reçut de l'archange date du 6 août 1839. Saint Michel se communique à lui tantôt sous la figure d'un vieillard vénérable, tantôt sous une forme angélique. Jésus et Marie se présentent sous la forme humaine, légère et subtile, main pourtant palpable. Saint Joseph porte le costume d'un ouvrier et tient dans la main une règle, insigne de la profession qu'il exerça sur la terre (10).

Les visions de l'illuminé de Tilly-sur-Seule offrent une analogie frappante avec celle de Swedenborg, son langage mystique est d'une assez grande pureté, et ses communications spiritualistes portent évidemment le cachet d'une mémoire prodigieuse et d'un développement manifeste des fonctions intellectuelles.

L'état extatique de P.-M. Vintras fut contesté par l'autorité judiciaire. Nous avouerons cependant, malgré la sévère appréciation des tribunaux, que nous n'avons vu chez le prophète normand qu'une victime des hallucinations du mysticisme. Du reste, sa doctrine, appuyée sur quelques phénomènes d'intuition somnambulique, s'est propagée au loin ; [page 107] l'autorité religieuse s'est émue, et les foudres de l'Église pèsent encore aujourd'hui sur la secte vintrasienne (11).

La médecine doit certainement des obligations au quiétisme ; on constate de nombreuses guérisons obtenues par ses adeptes.

« Toute la vie de Mme Guyon, rapporte le baron d'Henin de Cuvillers, est pleine de guérisons étonnantes par leur rapidité. Elle avait une ferme confiance dans son pouvoir, puisqu'elle s'imaginait que ce n'était pas elle, mais Jésus-Christ qui guérissait par elle et en elle ; et conséquemment une volonté bien prononcée qui n'était distraite par aucun autre soin, et une charité à toute épreuve (12). »

Les cures obtenues à Nantes, en 1828, par Mme Renaud-de-Saint-Amour, firent une profonde sensation. Les uns y virent des miracles, d'autres du magnétisme, d'autres enfin du charlatanisme. Cette dame, épouse d'un officier supérieur, s'était convertie au mysticisme, après une longue pratique du magnétisme. Frappée des paroles de l'Évangile qui promettent aux fidèles le don de guérir, elle pensa avoir reçu du Ciel ce privilège. Elle traitait gratuitement les malades, pendant que ceux-ci joignaient leurs prières aux siennes. Les témoignages les plus honorables accueillirent ses guérisons. Le Dr Bertrand prit sur le compte de cette illuminée les informations les plus précises, et, ne pouvant en désavouer l'authenticité, il les rapporta au pouvoir de l'imagination.

L'auteur d'une brochure intitulée : Point d’effet sans cause, s'exprime ainsi à son égard : [page 108]

« Des membres contournés se sont en quelques secondes redressés, sans souffrances ; ces mains closes depuis trente ans se sont ouvertes ; ces paralytiques, cent fois électrisés, ont cessé d'implorer la pénible assistance de leurs parents et de leurs béquilles ; des tumeurs, des fistules ont disparu. Des oppressions, des rhumatismes, des douleurs opiniâtres ont subitement cessé, des palpitations, des crises nerveuses se sont calmées ; des enflures d'hydropiques se sont affaissées ; des plaies cancéreuses et autres, jadis presque intactiles par l'excès des souffrances, ont été lavées, pansées, palpées sans exciter d'autres soupirs que ceux de la reconnaissance des nombreux malades qui venaient, disaient-ils, attester leur rétablissement depuis le moment qu'ils avaient uni leurs prières à celles de Mme de Saint-Amour. »

Ces guérisons n'offrent-elles pas l'identité la plus exacte avec celles des convulsionnaires de Saint-Médard ?

Voici les questions habituelles que Mme de Saint-Amour adressait à ses malades :

«  Qu'avez-vous ?
«  — Telle infirmité.
« — Croyez-vous que Dieu, qui nous envoie le mal, puisse l'ôter ?
« — Oui.
« — Vous savez qu'il est dit dans l'Évangile : «Demandez, et il vous sera accordé ? »
« — Oui.
« — Demandez avec moi, et dans ces sentiments, votre guérison au Seigneur.
i. — Je la demande. »

Après une prière mentale de quelques secondes, la main posée sur le siège de la douleur :

« Au nom de Jésus-Christ, disait-elle, allez ; il vous est accordé suivant votre foi ou la sincérité de votre prière (13). »

En bornant ici les citations, nous circonscrivons l'étude de la médecine spiritualiste dans un cadre bien restreint. Il nous eût été facile de l'élargir, mais nous avons reculé devant une tâche dont l'utilité ne nous est pas démontrée. [page 109]

Les principales méthodes curatives que revendiquent les apôtres de l'illuminisme peuvent se réduire en trois sections :

1° La médecine de concentration, c'est-à-dire l'action curative de l'âme sur le corps, à l'aide de l'abstraction des sens. Les partisans de ce système, à la tête desquels nous placerons l'abbé Faria, soutiennent que la concentration, en dehors de toute influence externe, guérit directement ou favorise l'intuition médicale. Nous nous garderons bien de contester l'importance de la concentration dans la progression des phénomènes intuitifs, mais on nous permettra de réserver une part immense aux effets déterminés par le concentrateur ou par toute autre cause extérieure ;

2° Nous appellerons médecine illuminative la doctrine médicale des quiétistes, parce qu'elle est le résumé ponctuel des différents systèmes qui subordonnent la cure des maladies à la spontanéité de la Divinité. Les prières réciproques de l'agent et du patient ne sont que des modes accessoires pour captiver la protection divine. Nous nous abstiendrons d'un jugement définitif dans une question qui ressort entièrement de la juridiction théologique;

3° Enfin nous réservons la dénomination de médecine spiritualiste à la détermination mutuelle d'une âme sur l'autre, dans le traitement des infirmités humaines. La théorie des barbarinistes est l'expression la plus véridique de la réaction des substances animiques entre elles.

On confondra souvent la, médecine spiritualiste avec la médecine d'imagination ; quelques-uns même proclameront leur identité. Notre inexpérience sur cette matière nous impose l'obligation d'une grande réserve. Éludons avec prudence ces débats scientifiques, et évertuons-nous à faire concourir au profit de l'humanité les chances si variables de médication qu'indique à nos instincts le doigt de la Providence. Redoutons particulièrement les illusions de nos sens, qui nous entraînent aveuglément au-delà de la sphère des vérités.

Il existe, sans contredit, des influences, occultes qui déconcertent la raison et qui n'en pèsent pas moins sur nos destinées. Quelles que soient les ressources que nous ménagent [page 110] ces agents inconnus, ne négligeons pas des biens acquis pour nous égarer dans les rêves des abstractions.

On aura des visionnaires avec les extatiques ; on acquiert communément l'intuition médicale avec les somnambules, et l'expérience nous autorise à croire que la lucidité s'affaiblit ou disparaît dans le somnambulisme, quand on ne veille pas aux entraînements de l'imagination du sujet.

« En général, disait un des somnambules de M. du Potet, le sieur Petit, les expériences qui sortent de la vue des choses purement physiques et du but d'une utilité médicale, me font beaucoup de mal. »

Pour notre compte, nous avons vu des symptômes d'aliénation mentale survenir à la suite de ce genre d'expérimentation, et si ces accidents n'ont été que passagers, c'est qu'ils ont été combattus énergiquement par le magnétisme.

Nos somnambules les plus intuitifs fixent le siège de la folie à la partie antérieure de l'encéphale. Cette affection serait le résultat d'une tension immodérée du tissu cérébral. Le relâchement momentané des organes de l'innervation ramènerait la clarté dans les idées. La monomanie se substituerait à la démence, lorsqu'il n'y a qu'une partie limitée du cerveau exposée à l’irrégularité du système nerveux. A la mort, la substance encéphalique rentrerait dans les conditions physiologiques de la vie normale ; ce qui expliquerait l'insuffisance de nos moyens d'investigation pour apprécier cette lésion organique. Tout nous porte donc à supposer, d'après les lois de la logique, que les maladies nerveuses qui ne laissent aucune trace de lésion anatomique, émanent d'un état anormal dans la circulation du fluide magnétique. L'apoplexie nerveuse, admise par un grand nombre de médecins distingués, appuierait suffisamment cette hypothèse.

Ainsi, l'aliénation mentale pourra se manifester chez les sujets impressionnables, toutes les fois qu'on dirigera leurs instincts au-delà des limites que la nature aura fixées, pour les fourvoyer dans les voies mystérieuses de la psychologie. La partie antérieure du cerveau deviendrait, dans ce cas, le [page 111] point d’une concentration fluidique susceptible d’occasionner des accidents déplorables, si l’on prolongeait trop longtemps ces dangereuses épreuves.

L'effervescence actuelle de la pensée vers le mode des esprits vient justifier nos craintes.

« Il est notoire, écrit le P. Ventura à M. de Mirville, que tous les cas de folie développés dernièrement au milieu de ces pratiques, sont dus à l'enthousiasme irréfléchi succédant à une incroyance absolue ; il ne saurait en être autrement ; le prodige nié hier, constaté aujourd'hui, demain sera transformé en Dieu. La vérité peut donc prévenir et guérir de si funestes méprises. »

Puisse cette épidémie spirituelle, que l'ancien général des Théatins, l'examinateur des évêques et du clergé romain, appelle un des plus grands événements de notre siècle, ne pas dégénérer en une vaste épidémie d'aliénation mentale ! Puisse la vérité, que nous invoquons chaque jour, ne pas tarder à luire pour nous tous, puisqu'elle seule peut nous mettre à l'abri d'un écueil aussi redoutable.

Spectateur vigilant et impartial, en présence de la lutte spiritualiste qui s'engage, ne compromettons pas le peu d'intelligence qui nous est dévolue ; et, nouveau Prométhée, n'aspirons pas à dérober le feu du ciel !

Nous ne prétendons pas, en faisant ici l'apologie des facultés expansives de l'âme, modifier nos convictions sur l'existence et les propriétés extensibles du fluide nerveux ou magnétique. Des observations précises et une longue expérience ne pouvaient laisser dans notre esprit le moindre doute sur la réalité des effets de cet agent. Les privilèges de l'intuition animique n'excluent pas les fonctions d'un fluide magnétique, et réciproquement. Ces deux puissances, en relation habituelle l'une avec l'autre, sont susceptibles de s'affranchir temporairement de cette dépendance. En effet, un corps magnétisé sera incontestablement distingué par un somnambule lucide, parmi d'autres objets qu'on lui soumettra. Les spiritualistes soutiendront-ils que ce corps aura retenu quelques parcelles du principe immatériel ? Nous ne [page 112] croyons pas qu'on ose arriver jusque-là ; il serait contradictoire d'admettre la divisibilité de l'âme, et la raison ne peut rejeter l'action pénétrante d'un fluide qui se renouvelle à chaque instant dans notre organisme (14).

La rotation des tables et autres objets inanimés, nous avait semblé d'abord un argument victorieux en faveur de l'existence du fluide magnétique ; la lassitude ressentie par la plupart des expérimentateurs venait sanctionner cette conjecture. Une étude plus approfondie de ce phénomène a laissé quelque doute dans notre esprit, ou du moins ne nous a pas apporté des lumières suffisantes pour résoudre ce problème.

L'intervention des esprits dans cette question ne nous paraît pas sérieuse. Si Dieu, dans sa sagesse, avait permis le retour des âmes sur cette terre pour veiller à nos intérêts, il les eût bien probablement affranchies du rôle ridicule qu'on s'est plu dans tous les temps à leur infliger ; leurs manifestations auraient offert plus d'unité et d'élévation, et n'auraient pas varié d'après les dogmes religieux et les préjugés de chaque siècle. Dans notre ignorance sur une matière aussi délicate, nous ne pouvons former que des vœux ardents pour sortir au plus tôt des ténèbres épaisses qui nous dérobent la lumière.

Puissent se réaliser les pompeuses espérances qu'entretient depuis si longtemps M. le baron du Potet, sur la solution d'un problème qui touche de si près à nos intérêts les plus chers !

Dr Alfred PERRIER.