Bibliographie. – Mémoires de la baronne d’Oberkirch, Extrait, pages 729-731

Sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789. 2 vol. in-18. Paris, Charpentier, 1853.

« 11 juin. — Je fus charmée d'une visite que nous fîmes à Mesmer, le chef et le père du magnétisme. Je l'avais connu en Alsace et j'ai oublié de le dire, ne tenant un journal qu'à Paris. Je l'admirais depuis longtemps et je fus enchantée de le retrouver. Il demeurait place Vendôme, dans la maison Bouret, et son appartement ne désemplissait pas du matin au soir. Le fameux baquet attirait la cour et la ville. Le fait est que ses cures sont innombrables, et que l'on ne peut nier les effets positifs du magnétisme. Le somnambulisme est encore plus extraordinaire et tout aussi positif. M. de Montjoie, qui a été guéri par M. Mesmer d'une maladie grave, en fut si reconnaissant qu'il publia une brochure à sa louange. Le magnétisme devint tout à fait à la mode ; ce fut, comme toutes les modes, une rage, une furie. On publia ses merveilles et on les augmenta. [page 730]

« Après M. Mesmer, MM. Ledru et Destin, le Dr Thouvenel, le Dr Deslon se partagèrent la vogue. On courut chez eux comme à la fontaine de Jouvence ; pourtant cette fontaine là fut peut-être la seule qu'ils ne surent point ouvrir.

« Mme la duchesse de Bourbon croyait non seulement au magnétisme, mais à la sympathie et aux pressentiments.

« La princesse parlait souvent de Martinez Pasqualis, ce théosophe, ce chef d'illuminés, qui a établi une secte et qui se trouvait à Paris en 1778. Elle l'a beaucoup vu, beaucoup écouté ; elle est martiniste, ou à peu près. Elle reçoit dans son cabinet, et fort souvent, M. de Saint-Martin, l'auteur des Rapports entre Dieu, l'homme et l'univers. Ce livre a fait sensation dans les sectes.

« Une chose très étrange à étudier, mais très vraie, c'est combien ce siècle-ci, le plus immoral qui ait existé, le plus incrédule, le plus philosophiquement fanfaron, tourne, vers sa fin, non pas à la foi, mais à la crédulité, à la superstition, à l'amour du merveilleux. Ne serait-ce pas que, comme les vieux pécheurs, il a peur de l'enfer, et croit se repentir parce qu'il craint ? En regardant autour de nous, nous ne voyons que des sorciers, des adeptes, des nécromanciens et des prophètes. Chacun a le sien, sur lequel il compte; chacun a ses visions, ses pressentiments, et tous lugubres, tous sanglants…

« Quelles seront donc les dernières années de ce centenaire qui commença si brillamment, qui usa tant de papier pour prouver ses utopies matérialistes, et qui maintenant ne s'occupe plus que de l'âme, de sa suprématie sur le corps et sur les instincts? On n'ose y penser.

« Quant à moi, je ne puis m'empêcher de croire aux effets du magnétisme après tout ce que j'ai vu et entendu, que je raconterai en son lieu. J'ai assisté à des expériences les plus extraordinaires. Le somnambulisme est un fait que des millions d'épreuves attestent. Cela n'empêche pas les épigrammes; en voici une, la moins plate, peut-être ! Jugez des autres :

Le magnétisme est aux abois !
La Faculté, l'Académie
L'ont condamné tout d'une voix
Et l'ont couvert d'ignominie.
Après ce jugement bien sage et bien légal,
Si quelqu'esprit original
Persiste encor dans son délire,
Il sera permis de lui dire
Crois au magnétisme animal.

[page 731] « M. Mesmer reçut Mme la duchesse de Bourbon, comme on peut le penser. Il nous promit des séances spéciales, et nous en donna constamment. Nous sortîmes de là enthousiasmées et nous ne cessâmes d'en parler pendant tout le dîner ».

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