Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques (Institut de France)

1882 Seances AcademieCompte-rendu par M. Ch. Vergé sous la direction de M. Mignet, Secrétaire perpétuel de l’Académie
42e année - Tome 18e (CXVIIIe de la collection)
1882 - Deuxième semestre
Paris, Alphonse Picard, Libraire de la Société de l'Ecole des Chartes et des Archives nationales
Editeur des comptes-rendus de L’Académie des inscriptions et belles-lettres
82, rue Bonaparte

Rapport de la section de philosophie sur les mémoires présentés pour concourir au prix Victor Cousin, dont le sujet est Philosophie d'Origène. Le rapporteur, Adolphe Franck. Extrait, p.107-109

Le mémoire n°1 est celui de Jacques Denis, professeur à la Faculté de Caen, qui a obtenu le prix Victor Cousin, et qui a été publié par l’Académie en 1884.

Au fondateur même de l'ordre des franciscains, à saint François d'Assise, on attribue des paroles qui font penser à une autre idée d’Origène, à la réconciliation de Satan avec Dieu. Voici ces paroles de saint François d'Assise : Annoncez la paix à tous ; car plusieurs vous paraissent être les membres du diable qui seront un jour les membres de Jésus-Christ.

Un autre spéculatif, né plus d’un demi-siècle avant saint François d'Assise, le fondateur du monastère de Flore, l’abbé Joachim a propagé, lui aussi, des idées apocalyptiques, dont plusieurs sectes fanatiques ont fort abusé. Il annonçait que, à la consommation des siècles, tous les voiles qui nous cachent encore le vrai sens des choses divines seront tombés, et que l’esprit de l’homme, entré en possession de sa pleine liberté, n’aura plus à compter avec les allégories et avec les symboles. Il a passé sa vie à commenter l’apocalypse et les parties les plus mystiques de l’Écriture-Sainte, principalement les prophéties. Bien que ses prédictions annoncent plutôt un nouvel état de la religion et de l’église qu’une transfiguration de la matière, il est difficile d'imaginer qu’elles n’aient aucun rapport avec celles du prêtre d’Alexandrie, dont elles reproduisent souvent le langage et la méthode d’exégèse.

Il serait aussi de quelqu’intérêt de rechercher si les catarrhes du XII° et du XII° siècle, qui ont puisé leur hérésie dans l’empire grec, dont un grec du nom de Nicetas a été un des principaux docteurs, ont emprunté toutes leurs doctrines aux anciens gnostiques, et si Origène n’y est pour rien, lui qui a tant pris à la gnose.

Ce mot de gnose que nous venons de prononcer nous reporte naturellement à la théosophie de quelques sectaires du XVIIIe siècle. Que de choses, dans les nombreux et indigestes ouvrages de Swedenborg, font penser à Origène : la méthode allégorique, les esprits de tout ordre, voyageant pour le rachat de leurs fautes de monde en monde, et conservant dans les sphères les plus élevées un corps en harmonie avec leur état spirituel ; enfin la rédemption future de l’universalité des êtres, sans en excepter le démon et son armée infernale. Swedenborg n’était pas seulement un visionnaire, c’était un savant, un érudit, un lettré, surtout un théologien qui avait commencé par être un philosophe. Il n’y a nulle invraisemblance à lui attribuer la connaissance, sinon des livres grecs d’Origène, au moins du Périarchon. Autant en dirons-nous de Martinez Pasqualis et de saint Martin, le philosophe inconnu. Sans doute Martinez Pasqualis était d’origine israélite et l’on avait pu, dans la vie mystérieuse que la persécution avait développée autour de lui, lui enseigner la Kabbale ; mais il avait été élevé à professer ostensiblement le christianisme, et son traité de la Réintégration des êtres porte la trace des deux origines. Il ressemble beaucoup par le style et par la mise en scène au livre apocryphe dont Origène cite un long fragment. Par le fond il rappelle Origène lui-même.

Assurément Saint-Martin n’a jamais lu Origène, car il n’aurait pas manqué de le dire dans les confidences qu’il fait à ses lecteurs. Les opinions lui venaient de Martinez Pasqualis, de Jacob Bœhme, de quelques autres illuminés et en grande partie de lui-même. Cependant on trouve dans ses livres les doctrines les plus caractéristiques de l’origénisme : la perfection primitive des âmes, leur chute par la liberté, leur réintégration à la fois par la liberté et par la force que leur prête le Réparateur, les incorporations successives comme moyen de purification, le salut universel, la transfiguration de la matière, la destruction de l’enfer, l’abolition du mal. Ces idées ne viendraient-elles pas indirectement de la source où tant d’autres les ont puisées avant l’auteur de L’homme de désir et du Ministère de l’homme-esprit

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Ce rapport a été publié également dans le volume 15 de l’Académie. Voir les extraits p.443-446