Les Archives

Maintenant que nous sommes assuré de la valeur réelle des lettres de Martines, résumons de notre mieux l'histoire des archives depuis Willermoz jusqu'à nos jours.

Après le convent de Wilhelmsbad où le Martinisme avait joué un rôle si important, une alliance avait été conclue entre les Martinistes et les représentants de la Stricte observance. Les archives destinées à la création du rite réformé avaient été confiées au directeur de la Province d'Auvergne, le T. P. Mtre, J.-B. Willermoz, négociant lyonnais. Ceci se passait vers 1782. Les négociations se poursuivirent pendant les années suivantes et, en 1789, les prodromes de la Révolution arrêtèrent brusquement le travail en cours.

Laissons la parole à Willermoz dans une lettre écrite en 1810 au Prince de Hesse; [page 12]

« J'ignorais ce qui se passait dans les diverses contrées de la France ; car il n'était plus possible de correspondre nulle part. Mais deux ou trois jours avant le commencement du siège qui menaçait la ville de Lyon, effrayé des dangers que couraient les Archives provinciales dont le dépôt m'était confié dans la maison de l'Ordre, située hors de la ville, je m'y transportai le plus secrètement possible avec un seul servant d'armes courageux ; je vidais les armoires ; j'entassais à la hâte ce qu'elles contenaient, dans des malles et je fus assez heureux pour le faire entrer dans la ville le même jour; car, dès le lendemain, il n'était plus temps, le pont de communication de la ville à la maison d'Ordre ayant été rompu, et trois jours après cette maison, et tout ce que je n'avais pu enlever fut brûlé et réduit en cendres. Une bombe tombée sur la maison, en ville où je venais de prendre un asile, mit en poussière une de ces malles remplie des registres, procès-verbaux et documents de tout genre. Après le siège, je me vis obligé, par de nouveaux dangers plus pressants qui me forcèrent de fuir et de me cacher, de réduire au plus petit volume possible ces archives, afin de pouvoir emporter avec moi ce que je n'avais pu enterrer ou déposer en main sûre. J'ai été arrêté et emprisonné trois fois et à la [page 13] troisième, le jour même où je fus condamné à la mort pour le lendemain, la chute de l'atroce tyran de la France, Robespierre, me rendit à la liberté. »
(Lett. au Prince de Hesse., p. 7 du mss.)

Cette préoccupation constante du salut des archives au milieu des plus pressants dangers n'est-elle pas admirable et ne mérite-t-elle pas la vive reconnaissance de tous les sincères amis de la Vérité ?
Quelques années après, Willermoz mourait et léguait le précieux dépôt à son neveu, qu'il avait initié lui-même et nommé G.M. Profès. À la mort de celui-ci, sa femme confia les papiers à un ami sûr et profondément dévoué à ces idées, M. Cavarnier.
Au milieu des succès matériels et des labeurs quotidiens, cet homme de bien trouva le temps de poursuivre ses études et fût amené progressivement à approfondir l'occultisme dont il devint un fervent adepte, travaillant seul et sans confier ses recherches à aucune société.
Mais sentant la lourdeur de la responsabilité qui pesait sur lui, si les archives se perdaient, Cavarnier eut sans doute une seconde le désir intense de sauver le dépôt sacré et nous savons [page 14] tous la puissance avec laquelle le désir se propage en l'invisible.

Un jour, passant devant une petite boutique de librairie, Cavarnier est attiré, comme malgré lui, vers ce magasin. Il entre, cause à la personne qu'il trouve là et constate, (peut-être sans étonnement car les intuitifs sont sujets à cet ordre de faits), qu'il se trouve devant le représentant du Martinisme à Lyon, M. Elie Steel et qu'il a été conduit chez les successeurs directs de ceux dont il possède les archives.
Que dire après cela. Averti de ce qui se passait notre ami Vitte n'hésita pas à me mander à Lyon où, pendant une semaine, je compulsai et copiai les principaux documents. J'eus le plaisir de me rendre auprès de Cavarnier, et je trouvais en lui l'homme de cœur, dignement choisi par nos maitres pour être le gardien de leur spiritualité.
C'est ainsi que j'ai pu reconstituer une grande partie de ce livre et de l'œuvre de Martines et que j'ai réussi à éclaircir certains points de la vie de Saint-Martin, obscurs pour son meilleur biographiste, M. Matter.

En tout cela mon mérite est nul ; car je ne suis que l'humble instrument choisi par nos maîtres pour mettre au jour ce qu'ils ont sauvé à travers tant de péripéties. Ma seule ambition est d'être un [page 15] commentateur fidèle et un interprète éclairé des documents dont ils ont bien voulu me confier la publication. Si cependant mes efforts trahissent ma bonne volonté, je ferai du moins tout mon possible pour qu'un autre puisse être plus heureux que moi en fournissant à mes lecteurs la plupart des originaux dans toute leur intégrité. J'espère ainsi répondre de mon mieux à la grande faveur dont j'ai eu l'honneur d'être l'objet. Ce sera là ma seule récompense comme c'est là ma seule ambition.