Voici trois articles qui permettent de mieux connaître cet auteur :

Le 1er de Victor Godard-Faultrier qui fait part à ses petits-enfants de l’origine de sa famille et de sa descendance. C’est à l’occasion de la description d’une branche familiale, Grignon-Bruneau, que l’auteur parle de son cousin germain Jules Bruneau.
Le 2e où Sainte-Beuve se montre généreux et transmet à Madame Récamier l’écrit de Bruneau. On retrouve d’ailleurs Sainte-Beuve dans une de ses lettres inédites parlant de Malebranche en citant un extrait d’un texte de Bruneau.
Le 3e Théodore Pavie (1811-1896), raconte les relations de Bruneau et de son ancêtre

1878 dictionnaire historique1. Victor Godard-Faultrier (1810-1896) Livret de famille et causeries, par un grand-père.  Impr. de Lachèse et Dolbeau (Angers) 1884, pages 106-108 :

« M. Jules Bruneau, décédé célibataire.
Ici je m'arrête, chers enfants, pour mentionner spécialement Jules Bruneau, esprit d'élite, du plus charmant commerce, littérateur plein de promesse auquel il n'a manqué que la santé et une vie plus longue pour laisser des travaux d'une valeur délicate et sérieuse, ainsi qu'il est aisé d'en juger par les pages trop rares que ses amis ont publiées vers 1838 avec cette dédicace : A la mémoire de Jules Bruneau. Elles forment une brochure comprenant cinq articles tirés de la Gerbe : un tableau de Murillo ; Expiation ; l'Homme de désir ; Madame Récamier ; Origène. Si nous étions cousins germains, plus encore nous étions amis. Je garde ses nombreuses lettres en témoignage de notre réciproque affection.
Né à Varennes-sous-Montsoreau, le 27 février 1810, il décédait à Saumur, le 30 avril 1837, d'une maladie de poitrine qui le tourmentait depuis longtemps. Comment l'oublierais-je ? il mourut dans mes bras, lorsque revenant d'achever mon droit à Paris je pris, à son intention, la route d'Orléans plutôt que celle du Mans. Aussi sa bonne mère et Célestine sa charmante sœur me dirent-elles : Il t'attendait pour mourir. [page 107].
Un ami commun l'artiste Alfred Menard, sous le charme de la belle tête de Bruneau, en fit un superbe portrait, que possède son neveu Camille Boutet. Une teinte de mélancolique souffrance régnait sur ses traits et semblait accroître leur délicate finesse. Il était lié d'amitié avec M. Louvet, devenu depuis ministre sous Napoléon III. Ensemble ils aimèrent à philosopher, à parler religion, aussi tous les deux, à plus de quarante années de distance, moururent-ils, après certains doutes dissipés, dans les mêmes sentiments d'amour de Dieu et de son Église.
Jules Bruneau était sourd et à l'occasion de cette infirmité, il lui advint une charmante petite aventure.
M. de Montalembert, je ne sais plus à quelle date, traversant Saumur, pour aller étudier l'église de Cunault, se souvint de Jules Bruneau qu'il connaissait, seulement, de réputation pour en avoir entendu parler comme étant un ami de la jeune école qu'illustra Lacordaire. Il frappe à sa porte, le garçon avertit mon cousin qu'un Monsieur de mine distinguée, mais coiffé d'une casquette de loutre et poudreuse, l'attend au bas de l'escalier. Bruneau et M. de Montalembert ne s'étaient jamais vus ; or, il arriva que M. de Montalembert lui présente une brochure. — Bien, se dit en lui-même Bruneau, c'est cela : un pauvre auteur qui n'en peut mais... et sans hésiter, il tire une pièce de cinq francs.. M. de Montalembert comprend le signe et crie de toute la force de ses poumons : le comte [page 108] de Montalembert ! Bruneau entend et faillit tomber à la renverse.
De ce moment la glace fut rompue et Jules comptait un ami de plus parmi lesquels on distinguait les Boré ses cousins, les deux Pavie, Cosnier (Léon), Jourdain dit Sainte-Foi, l'abbé Jules Morel ; ce dernier ne fut pas sans avoir quelque rapport avec Hippolyte Faultrier qui mourait le 19 mars 1837, dans la même année que Jules Bruneau et aussi d'une maladie de poitrine.

2. Écrits de Sainte-Beuve

1936 La Revue hebdomadaireMême quand rien ne l'y obligeait, Sainte-Beuve savait se déranger ; c'est ainsi qu'un matin il reçut, de son ami Victor Pavie, une brochure hors commerce d'un jeune écrivain mort à l'âge de vingt-sept ans, Jules Bruneau.

Il l'avait rencontré à Paris et s'était intéressé à ce jeune homme atteint de surdité qui partait, un livre à la main, dans la campagne en rêvant. Il venait de mourir, épuisé par la tuberculose, et Victor Pavie avait recueilli sous le titre : A la mémoire de Jules Bruneau, les quelques pages qu'il avait pu retrouver dans ses papiers : récits, pensées et fragments de roman. Or, dans ce volume, il y avait un portrait de Mme Récamier, entièrement imaginé, puisqu'il ne l'avait jamais connue, et qui, en quelques pages, évoquait la reine de l'Abbaye-au-Bois. Sainte-Beuve s'empresse de le lui faire parvenir avec ce petit mot :

« Madame,
« Je reçois ce matin même un petit écrit inédit imprimé pour les amis seulement : j'ai connu le malheureux jeune homme, il était affligé d'une surdité qui le séquestrait du monde, mais pas assez, vous le verrez, pour qu'il n'en pût saisir les douces harmonies. Vous lui pardonnerez quelques inexactitudes de détail pour l'esprit du portrait, car le vôtre y est, Madame.
« Je n'ai pas voulu attendre à cet après-midi pour vous le faire lire.
« Veuillez recevoir, madame, mes humbles et dévoués hommages.
SAINTE-BEUVE. »

dans Lettres inédites à quelques amis (de Sainte-Beuve) par Jean Bonnerot. page 12, publiées dans La Revue hebdomadaire (1er janvier 1936), page 12

1867 Port Royal2 bis. Charles Augustin Sainte-Beuve, Port-Royal, Livre sixième (1867), p. 439, note 1 : au sujet de Mallebranche, Sainte-Beuve note :

C'est après avoir lu ce livre des Entretiens ou celui des Méditations, que l'enthousiasme des jeunes disciples s'exaltait et ne se contenait plus, pour un maître si persuasif et si éloquent dans l'exposé des choses divines. Et même de nos jours, dans le Recueil de Pensées d'un jeune homme intéressant et pur, mort à la fleur de l'âge, je lis cet aveu d'une admiration suave : « Malebranche, admirable dans sa vie, dans sa pensée, et dans sa parole. Idéal ravissant où se retrouve harmonieusement fondu tout ce que la nature morale garde de précieux dans ses trésors. Austérité, doctrine, enthousiasme, amour, simplicité, pureté, le prêtre, le philosophe, le poète, la femme et l'enfant. Qui est plus grand, plus beau et plus doux que Malebranche?» (Pensées de Jules Bruneau, Angers, 1838.) Ce jeune homme était un Éraste venu trop tard.

Cette citation est reprise à l’identique par R.P. Chauvin, M.G. le Bidois dans La littérature française par les critiques contemporains, page 301, note 2 sur Mallebranche.

1887 Victor Pavie3. Théodore Pavie (1811-1896), dans Victor Pavie, sa jeunesse, ses relations littéraires (1887, pages 190-193) raconte les relations de Bruneau et de son ancêtre :

Jules Bruneau, de Saumur, âme d'élite, qu'une surdité précoce et un tempérament maladif rendaient plus délicat encore. Éloigné de toute carrière par son infirmité, Bruneau rêvait dans les gracieuses campagnes des environs de Montsoreau, un livre à la main, à la façon d'un philosophe ; c'est de là que sont datées tant de belles lettres à Victor, écrites avec soin, très étudiées et bien touchantes par le ton de mélancolie [page 191] un peu triste qui en est la note dominante. Nos relations avaient commencé au collège où déjà ses instincts littéraires lui valaient le surnom de poète. Cependant il n'a point laissé de vers, que je sache. Dans une courte notice sur lui, M. C. Port dit : « Il est un de ces jeunes romantiques dont le caractère réservé et la vie rapide ont eu à peine souci d'un souvenir. Des nombreux fragments échappés à sa plume, l'amitié a trouvé le moyen de choisir, de former un recueil posthume, sous ce simple titre : Hommage à la mémoire de Jules Bruneau. » Il n'avait que 27 ans quand il mourut de la maladie de poitrine dont il était atteint. Ses écrits se distinguent par un style châtié, par la profondeur des pensées et le choix des sujets toujours élevés. Cet hommage à sa mémoire était dû à Victor qui appréciait beaucoup sa nature essentiellement fine et sa manière originale de voir les choses et de les exprimer. Bruneau était croyant ; à mesure qu'il voyait la mort approcher, il se préparait avec plus de soin à paraître devant Dieu.

Nous en trouvons la preuve dans cette lettre à Victor, écrite un mois avant sa mort et qui fait penser à une pâle lumière prête à s'éteindre.

« Saumur. 22 mars 1837.
« J'ai mille grâces à te rendre, mon ami, de m'avoir mis à même de serrer ta main ; dans l'absence de [page 192] ceux qui s'intéressent à moi, objet tout au plus d'une oisive pitié de la part de ceux qui passent et repassent, j'étais seul, tout seul ! Merci à toi, à l'excellent Nerbonne, à Louvet encore qui m'a entouré et m'entoure sans cesse d'une si active sollicitude ! Je regrette de n'avoir rien de nouveau à t'apprendre sur notre santé. Ma pauvre mère surtout souffre cruellement de la recrudescence du froid.
« J'ai un nouveau service à te demander, je désirerais que tu me fisses l'achat d'un de ces très petits crucifix en métal, comme j'en ai vu chez toi... Voici un autre point très essentiel, je souhaiterais que ce crucifix fût béni, consacré selon l'usage ; je te saurai gré surtout de ce dernier soin.
« Adieu, si ce n'est plus le temps des longues lettres, c'est toujours celui d'une chaude amitié,
« Ton dévoué,
« J. BRUNEAU. (1) »

Ce petit livre imprimé par Victor en souvenir de Bruneau, fut remis par moi à [page 193] Sainte-Beuve. Il répondit, dans une lettre du 23 novembre 1838 :

« Merci du Bruneau et des pages manuscrites qui y sont jointes. Je voudrais bien en faire quelque chose et j'y aviserai. J'ai fait lire à Madame Récamier cette lettre imprévue et riante sortie d'un tombeau ; elle y a été sensible et ce pauvre Bruneau aurait été heureux de sa grâce reconnaissante... »

Un portrait de J. Bruneau par Alfred-Ménard nous amène à parler de cet artiste incomplet qui après avoir étudié dans l'atelier de Gros où se conservaient les traditions de la grande peinture et au coloris, et copié avec talent des tableaux de diverses écoles pour ses amis, tomba dans le mysticisme par le découragement et dans l'impuissance à force de chercher la simplicité naïve des préraphaélites. Il a laissé quelques portraits parfaits d'exécution et de ressemblance.

1. Qu'il nous soit permis de joindre à cette lettre défaillante, celle de V. Godard, son parent, en nous annonçant sa mort.

« Saumur, 30 avril. 1837.
« Mon cher Victor, mon cher Théodore,
« Ces cheveux noirs vous annoncent la perte que nous venons de faire : notre ami Bruneau qui peut maintenant s'appeler notre bon ange gardien, est décédé aujourd'hui à quatre heures du matin ; cette lettre est écrite au chevet de son lit, car dans des tristesses si grandes, il m'a été donné la consolation de le voir mourir, si c'est mourir toutefois que de vivre en Dieu... Oui, s'il y a une mort qui promette la vie, c'est assurément la sienne. Comme il pressait sur son cœur le crucifix avec amour, avec la tendresse que vous lui savez !... Je voyais son corps affaibli par tant de souffrances disparaître sous le travail de l'ensevelisseur, et dans quelle douce et pénible situation je me sentais en apercevant les coutures qui montaient, montaient toujours, me dérobant peu à peu quelque partie de lui-même... Déjà elles atteignaient la tête, quand il me vint en pensée de lui couper quelques mèches de cheveux, et la tête disparut à tout jamais de ce monde. Je remarquai que, en ce moment, malgré la pluie et le vent, les petits oiseaux chantaient à ses croisées...
« Tout à vous,
« V. GODARD. »