Tome quatrième 

1849 - T.4 - Douzième leçon - Troisième étude historique

Douzième leçon - Troisième étude historique (3 mars 1843) : Mythologie slave

Extrait, pages 223-226

Vers l'année 1812 commence une époque nouvelle pour la mythologie. Déjà vers la fin du siècle dernier, Christian-Gottlieb Heyne, célèbre philologue, d'abord dans son édition d'Apollodore, puis dans ses Études et dans ses Mémoires, chercha à tracer l'historique des mythes. Il remarque, par exemple, que le mythe des lieux infernaux avait subi plusieurs transformations. Heyne cherche donc d'abord à trouver les lieux où ce mythe a pris naissance, puis à en tracer le développement et les métamorphoses. Mais cette manière de voir, très originale et très neuve, n'avait pas prévalu contre les habitudes des philologues.

Vers le même temps, c'est-à-dire deux ou trois ans avant cette année mémorable, Kreutzer publia son fameux ouvrage intitulé la Symbolique. Il donnait une définition nouvelle de la mythologie. Selon lui, la mythologie est un panorama des opinions et des idées religieuses de l'humanité ; elle doit former [p.224] un tout organique, parce que l'esprit qui l'a créée est un, et qu'on reconnaît dans les traditions diverses des fragments d'une religion primitive.

Longtemps déjà avant Kreutzer, quelques philosophes avaient émis la même opinion. Saint-Martin entre autres démontrait l'identité de toutes les mythologies, et cherchait à les ramener à leur source commune. Mais le public ne lisait pas les ouvrages de Saint-Martin, et surtout cette masse du public qui forme, pour ainsi dire, le tiers-état de la science. Quant aux savants proprement dits, les philologues et les professeurs, ils ignoraient jusqu'au nom de Saint-Martin. Il en fut autrement de Kreutzer ; il descendait dans l'arène littéraire armé de citations, fort d'une connaissance approfondie des littératures anciennes, et riche d'une immense érudition. L'impression que l'ouvrage de Kreutzer produisit en Allemagne fut prodigieuse. On publia une foule de brochures pour combattre son système. On finit par prendre Kreutzer en haine ; on regardait ses assertions comme des insultes adressées à la science allemande.

D'où venait cette haine des écoles ? Ni Voss, qui était le chef de l'opposition, ni tous les professeurs ses collègues, n'en savaient probablement pas [p.225] eux-mêmes l'origine. Kreutzer évoquait une question nouvelle : il cherchait à prouver, ou il laissait deviner du moins, que l'Antiquité n'était pas aussi barbare, aussi ignorante que les savants avaient l'habitude de le croire ; que l'Antiquité la plus reculée avait sur la Divinité des opinions plus hautes et plus profondes que le IIIe et le IVe siècle païens après Jésus-Christ.

De cette manière, le système du progrès continu, professé par les protestants, s'est trouvé ébranlé; et un grand nombre d'ouvrages philosophiques et mythologiques, auxquels la science vulgaire attachait une grande importance, perdaient toute valeur. Cette haine instinctive des écoles prouvait que Kreutzer commençait une réaction contre la science protestante. Après lui, Gœrres, Kanne et autres savants traitèrent déjà la mythologie d'un point de vue plus élevé, et s'attachèrent surtout à trouver l'origine de chaque mythe.

C'est maintenant que la mythologie slave doit entrer sur la scène. Jusqu'à présent les mythes n'avaient, aux yeux des savants, d'autre importance que celle que leur avaient donnée la poésie et l'art. La mythologie grecque était regardée comme la plus parfaite, comme la seule digne d'occuper [p.226] l'attention des érudits et du public. Les Slaves n'ont produit aucun ouvrage poétique, aucun monument qui put donner un intérêt artistique à leur mythologie. Ainsi on avait raison de la dédaigner ; mais maintenant que l'on a commencé à tracer la route géographique que prenaient les idées dans leur voyage à travers le monde, on ne pouvait pas oublier le vaste territoire des Slaves.