Calendrier perpetuel 1847Année 1847

- Souvenirs de Gleichen
- Blanc - Histoire de la révolution française - T 2 - Chapitre III. Les révolutionnaires mystiques – Le Martinisme
- Le Correspondant,  T 19 - Examen des doctrines du Philosophe inconnu, Louis-Claude de Saint-Martin, Louis Moreau 
- Cousin - Cours de l’histoire de la philosophie moderne - Treizième leçon
- Dictionnaire des hérésies – T 11 - Martinistes français, Martinistes russes
- Encyclopédie catholique – T 14- Article Martinez, Article Martinisme, martiniste,
- Franck – Dictionnaire des Sciences Philosophiques- Article Lavater
- Magasin pittoresque (le) - Portrait de Saint-Martin
- Pezzani - Exposé d'un nouveau système philosophique Destinée de l’homme
- Quérard - Les supercheries littéraires dévoilées - Un amateur de choses cachées
- Revue des Deux Mondes – T 2 - Article : Lerminier - De la peinture des mœurs contemporaines
- Revue Le Semeur – n° 37 - Étude sur M. Ballanche

gleichen_livre1 1847 - Souvenirs de Gleichen

- Biographie de Charles-Henri, baron de Gleichen (1733, Nemersdorf – 5 avril 1807 Ratisbonne)
- Chapitre II - Le duc de Choiseul.
- Saint-Martin
:
Jugement de Saint-Martin sur Gleichen dans la lettre 50 (25 prairial – 14 juin 1794) à Kirchberger
Avertissement : Le texte de Gleichen sur Saint-Martin est à prendre avec quelques précautions dans la mesure où il affirme certains détails qui sont inexacts le plus souvent et parfois erronés.
- Souvenirs de Gleichen : Chapitre XIV - Saint-Martin
- Chapitre XV - Madame de La Croix.

Biographie de Charles-Henri, baron de Gleichen (1733, Nemersdorf – 5 avril 1807 Ratisbonne)

Chambellan de S. M. le roi de Danemark, chevalier de l’ordre de Danebrog et de l’Aigle rouge de Prusse, naquit à Nemersdorf, dans le pays de Bayreuth, en 1733. Après [505] avoir fait de très bonnes études à l'université de Leipzig, il entreprit, à l’âge de vingt ans, son premier voyage de Paris.

Il accompagna ensuite, en 1765, le margrave de Bayreuth en Italie, y resta un an, et s'y voua entièrement à l'étude de l'antiquité et des beaux-arts. Il y retourna encore chargé de différentes commissions d'achats pour le margrave, parcourut toute l'Italie depuis 1756 jusqu'à 1768, revint par Avignon, et se rendit à Bayreuth, où la protection du duc de Choiseul, dont il s'était acquis l'amitié à Rome, lui obtint la place de ministre de Bayreuth à Paris. Il ne conserva ce poste que le temps nécessaire pour se faire connaître, demanda sa démission au bout de neuf mois, et se rendit alors, d'après les conseils du duc de Choiseul, à Copenhague.

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1847 - Le Correspondant  – T 19 

1847 correspondant t19Le Correspondant, Recueil périodique
Religion, philosophie, politique, sciences, littérature, beaux-arts.
Tome dix-neuvième
Paris. Librairie de Sagnier et Bray, rue des Saint Pères, 64

Examen des doctrines du Philosophe inconnu, Louis-Claude de Saint-Martin, Louis Moreau

3e article – Exposition de la théorie sociale – Pages 74-95

Une même épigraphe pourrait convenir à l'ensemble des divers travaux que le dernier siècle vit éclore ; cette épigraphe serait le mot célèbre de Bacon : Ars instauranda ab imis. Ce mot désespérant, s'il n'était profondément insensé, usurpe alors la puissance d'un axiome. Philosophes, savants et publicistes, tous partent de ce principe, que l'œuvre des devanciers est à peu près nulle et que l'édifice des connaissances humaines est à reprendre par la base. La tradition est proscrite, comme complice des superstitions. Témoin suspect, on récuse les faits qu'elle seule peut fournir, et qui seuls peuvent servir de fondement à la science, surtout à la science de l'homme. Par une contradiction remarquable, bien que peut-être elle ne soit qu'apparente, c'est de l'avènement de l'empirisme que date l'ère des romans les plus libres que puisse inventer l'imagination appliquée aux origines du monde, de l'homme et des sociétés. On refait donc la science, on refait l'esprit humain, on refait la société en théorie, et pour refaire tout cela, on répudie le passé et on le refait. Il faut voir avec quelle hardiesse ce préjugé étroit et injurieux à l'humanité substitue partout les plus étranges hypothèses à la voix de l'antiquité et aux premiers monuments de l'histoire.

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1847 - Cousin - Cours de l’histoire de la philosophie moderne 

1847 cousin t3Cours de l’histoire de la philosophie moderne
Victor Cousin
Deuxième série. Tome III
Nouvelle édition, revue et corrigée
Histoire de la Philosophie au XVIIIe siècle. École sensualiste. Système de Locke.
Paris. Didier, 35, quai des Augustins – Lagrange, 19, quai des Augustins
1847 - Cours de l’histoire de la philosophie moderne

Treizième leçon, Extrait, pages 9-10

Il est juste de reconnaître que jamais le mysticisme n'a eu en France un interprète plus profond, plus éloquent, et qui ait exercé plus d'influence, que Saint-Martin. Les ouvrages [10] de Saint-Martin, célèbres dans toute l'Europe, ont fait école parmi nous (1).

Note

1. Il a tour à tour publié des traductions ou imitations de Böhme et des écrits originaux. Les voici dans l'ordre chronologique : Des Erreurs et de la Vérité, Lyon, 1775, 1 vol. in 8. — Tableau naturel des Rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers, Edimbourg, 1782, 2 vol. — L'Homme de désir, Lyon, 1790, 1 vol. — Ecce Homo, 1 vol., Paris, 1792. — Le nouvel Homme, Paris, in -8, 1 vol., l'an IV de la liberté. — De l'Esprit des choses, 1800, 2 vol. — L'Aurore naissante, 1800, 2 vol. — Les trois Principes du l'Essence divine, 1802, 2 vol. — Le Ministère de l'Homme esprit, Paris, 1802, 1 vol. — Quarante questions sur l'Âme, 1807, 1 vol. — De la triple vie de l'Homme, 1809, 1 vol. — Œuvres posthumes, Tours, 2 vol., 1807.

Extrait, page 17

Et, par parenthèse, remarquez comme l'histoire est bien faite, comme l'esprit qui y préside fait toute chose dans son temps avec poids et mesure, et amène les systèmes quand il est bon qu'ils arrivent : après Locke et Berkeley, après Condillac et Kant, le scepticisme était nécessaire, et c'est alors qu'il est venu. Pour le mysticisme, qui pourrait comprendre Saint-Martin sans Voltaire et sans Condillac ? Saint-Martin n'a-t-il pas été poussé à son mysticisme par l'effroi que lui causaient et le scepticisme auquel il voulait échapper, et le triste dogmatisme de son temps ? Il en est de même de Frédéric [p.17] Schlegel, de Baader, et des autres mystiques allemands de notre âge (1). Ce sont, à mon gré, les enfants d'un temps blasé en fait de spéculation, les derniers produits d'une philosophie découragée, qui s'abjure elle-même. Tous, ou la plupart, ont été d'ardents dogmatiques, que la lutte et le mouvement des systèmes s'entre-détruisant l'un l'autre ont précipités vers le scepticisme, et qui se sont réfugiés, les uns dans le mysticisme orthodoxe de la foi ancienne et de l'Église, la plupart dans un mysticisme hétérodoxe, arbitraire et chimérique. Mais enfin tout ce mysticisme est né du désespoir de la raison spéculative, et on n'arrive au désespoir qu'après avoir passé par l'illusion. Je tiens donc comme un point incontestable que non seulement il y a quatre grandes écoles au XVIIIe siècle, mais que ces quatre grandes écoles se sont développées régulièrement : d'abord le sensualisme, puis l'idéalisme, puis le scepticisme, puis le mysticisme.

1847 - Dictionnaire des hérésies – T 11 

1847 dictionnaire heresies t1Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes ou mémoires pour servir à l’histoire des égarements de l’esprit humain
Par Pluquet
Publié par l’abbé Migne, éditeur de la Bibliothèque universelle du clergé
Tome premier
Se vend cher J.-P. Migne éditeur Aux ateliers catholiques, rue d’Amboise, au Petit-Montrouge Barrière d’Enfer de Paris

Martinistes français, Martinistes russes

Pages 968-970

[p.968] Martinez Pasqualis, dont on ignore la patrie, que cependant on présume être Portugais, et qui [p.969] est mort à Saint-Domingue en 1799, trouvait dans la cabale judaïque la science qui nous révèle tout ce qui concerne Dieu et les intelligences créées par lui (1). Il admettait la chute des anges, le péché originel, le Verbe réparateur, la divinité des saintes Écritures. Quand Dieu créa l’homme, il lui donna un corps matériel : auparavant, c’est-à-dire avant sa création, il avait un corps élémentaire. Le monde aussi était dans l’état d’élément : Dieu coordonna l’état de toutes les créatures physiques à celui de l’homme.

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1847 - Encyclopédie catholique – T 14 - Article Martinez, Article Martinisme, martiniste

1847 Encyclopédie catholiqueEncyclopédie catholique – Répertoire universel et raisonné des sciences, des lettres, des arts et des métiers, avec la bibliographie des hommes célèbres depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours, et des gravures dans le texte, publiée sous la direction de M. l’abbé Glaire, doyen de la faculté, de M. le Vte Walsh et d’un comité d’orthodoxie.
Tome quatorzième. Paris, Parent Desbarres, éditeur.
1847 - Encyclopédie catholique – T 14

Article Martinez, page 324

MARTINEZ (PAQUALIS), chef de la secte dite des martinistes, a été souvent confondu avec son disciple principal, saint Martin. On n’a jamais su précisément quelle était sa patrie : seulement, d’après son langage, on a présumé qu’il était Portugais, et même Juif. Il s’annonça, en 1754, par l’institution d'un rite cabalistique d’élus, dit cohens (en hébreu, prêtres), qu’il introduisit dans quelques loges maçonniques de France, notamment à Marseille, à Toulouse et à Bordeaux. Après avoir prêché aussi sa doctrine à Paris, il s’embarqua vers 1778 pour Saint-Domingue, et termina au Port-au-Prince, en 1779, sa carrière théurgique. Ses écrits et ceux de ses élèves donnent lieu de croire que sa doctrine est cette cabale des Juifs, qui n’est autre que leur métaphysique, ou la science de l’être, comprenant les notions de Dieu, des esprits, de l’homme dans ses divers états.

Article Martinisme, martiniste, page 325

1847 - Encyclopédie catholique – T 14

MARTINISME (hist. rel.), doctrine secrète, mystique et fort obscure de certains illuminés. Les martinistes se réunissent en loges, comme les francs-maçons. Ils formaient deux sectes qu’ordinairement on confond : les uns étaient disciples d’un Portugais nommé Martinez, et les autres de saint Martin, qui est mort au commencement de ce siècle.

MARTINSTE, s. des deux genres. Il se dit de certains illuminés qui prétendent être en commerce avec les intelligences célestes et les âmes.

1847 – Franck – Dictionnaire des Sciences Philosophiques

1847 dictionnaire science philoDictionnaire des Sciences Philosophiques
Par une Société de professeurs et de savants
Tome troisième – Paris
Chez L. Hachette et Cie, libraires de l’université royale de France, rue Pierre Sarrazin, 12
1847 - Dictionnaire des Sciences Philosophiques

Article Lavater, extrait, page 523

Le prosélytisme de Lavater ne fut pas plus heureux à l'égard de Gœthe, également sommé de devenir, de chrétien de nom, chrétien de fait et d'esprit. Mais ces démarches infructueuses signalèrent le nom de Lavater à la ligue qui commençait à se former contre les excès de ce qu'on appelait le parti des lumières. Lavater en fut proclamé le chef, et il le resta jusqu'a l'époque où un patricien de Berne, Kirchberger, s'unit à un Français, Saint-Martin, pour renouveler les doctrines de Jacob Bœhme, et pour les opposer à la fois à la philosophie mourante du XVIIIe siècle et aux systèmes naissants de Kant et de ses successeurs.

1847 - Le Magasin pittoresque - Portrait de Saint-Martin

1847 magasin pittoresqueLe magasin pittoresque, rédigé, depuis sa fondation, sous la direction de M. Édouard Charton
1847
Paris, aux bureaux d’abonnement et de vente, rue Jacob, n° 30, près de la rue des Petits Augustins
M DCCC XLVII - Le Magasin pittoresque - Portrait de Saint-Martin

Portrait de Saint-Martin, page 216

1847 magasin pittoresque SMLorsque nous avons publié en 1845 (p. 330 et 357) une notice sur le philosophe Saint-Martin, nous avons cherché vainement un portrait de cet homme estimable. M. Tournyer, d’Amboise, parent du philosophe inconnu, nous communique aujourd’hui un petit portrait à la mine de plomb et lavé d’un peu de couleur, religieusement conservé dans sa famille ; c’est un profil de Saint-Martin à l’âge de dix-huit ou vingt ans. Les disciples du théosophe ignoraient l’existence de ce précieux souvenir. Nous sommes certains de leur procurer une vive satisfaction en mettant en lumière ce portrait qui pourra contribuer à rendre leur maître plus connu. La copie que nous donnons est très fidèle et de la dimension même de l'original. La naïveté et la simplicité du travail semblent garantir dans ce dessin la qualité la plus importante, la ressemblance. L’expression douce, honnête, bienveillante de la bouche et des yeux s’accorde d’ailleurs parfaitement avec le caractère des ouvrages et de la doctrine de Saint-Martin. Derrière le portrait on a écrit ces vers :

Il fut aimé de Dieu, il fut l'ami des hommes,
Philosophe inconnu dans le siècle où nous sommes.

Note du Webmestre
Ce portrait est analysé par Robert Amadou dans « L'Illuminisme au XVIIIe siècle », La Tour Saint-Jacques, 2e édition 1960, p. II : Iconographie de Louis-Claude de Saint-Martin, n°1.

Dans sa Correspondance avec Kirchberger (Lettre LXXXIV, p.243, 8 nivôse an IV - 29 décembre 1795), Saint-Martin écrit : 

« En attendant, je joins ici une petite image de ma figure matérielle. Quoique j'aimasse peu à me faire peindre, un parent exigea de moi cette complaisance, il y a quinze ans, et je cédai. Dernièrement, un ami a fait deux copies de ce dernier portrait, et depuis lors, j'ai toujours eu le projet de vous en adresser une; elle est un peu plus âgée que le portrait, mais beaucoup plus jeune que ma figure naturelle; cependant elle me ressemble encore assez pour que tout le monde m'y reconnaisse. Ne voyez dans ceci que ce qu'il y a, l'envie de frayer comme je peux avec un ami; et ne vous arrêtez pas à l'ouvrage même, qui n'est que l'œuvre d'un barbouilleur en peinture ».

Et dans son Portrait historique et philosophique, Paris, Julliard, 1961, n°599, Saint-Martin note :

« J'ai envoyé à Kirchberger ma figure peinte par mon petit-cousin Tournier »

1847 – Pezzani - Exposé d'un nouveau système philosophique 

1847 pizzaniExposé d'un nouveau système philosophique contenant 1° Destinée de l’homme ; 2° origine du mal ; 3° Essai sur Origène ; 4° Dogme de la métempsychose ; 5° Principes d’organisation politique et sociale ; 6° Nature et destination des astres ; Cosmogonie de Fourier.
De André Pezzani
Paris, Garnier frères, éditeurs au Palais Royal
Lyon, Charavay frères, quai de l’Hôpital, 99, et galerie du Grand Théâtre, 4 et 5.
1847 - 175 pages - Exposé d'un nouveau système philosophique

Destinée de l’homme – 99. Extrait, page 60 et note

99. Voilà mes doutes, mais je puis me tromper; je n'ai pas l'orgueil de soutenir l'infaillibilité de ma raison individuelle. Le dogme de la perpétuité des peines peut parfaitement s'allier avec le système que j'ai exposé, et même, si je ne me trompe, il viendrait le fortifier ; en effet, plus les peines seront définitives et irrévocables, plus on doit sentir la nécessité d'épreuves longues, décisives, dans lesquelles la liberté aura eu un sérieux et complet exercice (1).

Extrait de la note 1, page 63

[…] Le théosophe saint Martin a écrit : « L'homme est assujetti depuis sa chute, à une transmutation continuelle de différents états successifs, avant d'arriver à son terme), tandis que le premier auteur de tout ce qui existe fut et sera toujours ce qu'il est et ce qu'il devait être. » (Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers, tome 1er, page 136.) Et dans un autre ouvrage : « Notre être pensant doit s'attendre à des développements immenses, quand il sera sorti de sa prison corporelle, où il prend sa forme initiatrice. J'aperçois une loi superbe. Plus les proportions se rapprochent de leur terme central et générateur, plus elles sont grandes et puissantes. Cette merveille que tu nous permets de sentir, ô vérité divine, suffît à l'homme qui t'aime et qui te cherche. Il voit en paix dévider ses jours; il le voit avec plaisir et ravissement, parce qu'il sait que chaque tour de la roue du temps rapproche pour lui cette proportion sublime, qui a Dieu pour le premier de ses termes. » (L'Homme de désir, n° 220, page 312.)

1847 - Quérard - Les supercheries littéraires dévoilées 

1847 Querard t1Les supercheries littéraires dévoilées
Galerie des auteurs apocryphes, supposés, déguisés, plagiaires et des éditeurs infidèles de la Littérature française pendant les quatre derniers siècles
Ensemble les industriels et les lettrés qui se sont anoblis à notre époque.
Par M. J.-M. [Joseph Marie] Quérard.
Tome premier
Paris, l’Editeur, rue Mazarine, 60 et 623
1847 - Les supercheries littéraires dévoilées 

Un amateur de choses cachées

Page 28

Amateur des choses cachées (Un), aut. dég. [de SAINT-MARTIN].

Crocodile (le), ou la Guerre du bien et du mal, arrivée sous le règne de Louis XV, poème épico-magique en cent deux chants, œuvre posthume d’—. 1800, in-8. [125]

1847 – Revue des Deux Mondes – T 2

1847 revue des 2mondes t2Revue des Deux Mondes
1847 – Tome deuxième
Bruxelles. Meline, Cans et compagnie
Livourne, même maison
Leipzig, J. P. Meline
1847 - Revue des Deux Mondes – T 2

Article : Lerminier - De la peinture des mœurs contemporaines

(Œuvres complètes de M. de Balzac), pp. 151-167

Extrait, page 163

Nous arrivons ici à des prétentions et à des idées qui nous expliqueront pourquoi M. de Balzac n'a jamais pu parvenir à être vraiment le maître de sa plume et de son talent. Ces prétentions et ces idées nous emportent bien loin de la sphère du roman et du conte. Qu'on dise de M. de Balzac qu'en dépit de tous ses défauts il est un romancier d'un très haut mérite, et qu'il a su se placer au premier rang des conteurs contemporains, loin d'être satisfait, il se croira méconnu, déprécié. Qu'est-il donc ? Un penseur de génie. N'en rabattez rien, si vous ne voulez pas déchoir dans son estime. Voici quelques-unes des idées principales, qu'il présente à notre admiration comme des titres qui l'autorisent à prendre rang entre Leibnitz, Kant et Montesquieu. Un jour, il eut l'idée d'une comparaison entre l'humanité et l'animalité. Pour ce qui concerne le règne animal, M. de Balzac nous apprend que, bien avant la célèbre controverse de Cuvier et de Geoffroi Saint-Hilaire sur l’unité de composition, il était pénétré de la vérité de cette loi, dont il avait su discerner les rudiments non moins dans les écrivains mystiques comme Swedenborg et Saint-Martin que dans les plus illustres naturalistes, tels que Buffon et Charles Bonnet. Armé de ce système, M. de Balzac reconnut que la société ressemblait à la nature, qu'elle faisait de l'homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d'hommes différents qu'il y a de variétés en zoologie. Quelle conséquence tira-t-il de cette prétendue ressemblance ? C'est qu'un soldat, un ouvrier, un administrateur, un avocat, un savant, un homme d'État, un marin, un commerçant, un poète, un prêtre, sont aussi différents entre eux que peuvent l'être le loup, le lion, l'âne, le corbeau, le requin, le veau marin, la brebis. C'était, il faut l'avouer, une merveilleuse découverte. Voilà donc pourquoi M. de Balzac a porté tant d'exagération dans la peinture des caractères et des types répandus à travers ses romans. Comme il se considérait comme un autre Buffon, qui faisait pour la société ce que l'historien des quadrupèdes avait fait pour la nature, il ne voyait partout que des espèces sociales, et souvent il n'oubliait qu'une chose, le genre lui-même, le genre humain avec ses caractères généraux et permanents. Que l'homme ait dans la main une épée, une équerre ou une plume, il ne change pas de nature pour être soldat, écrivain ou artisan. Il n'est pas vrai, comme le pense M. de Balzac, que les habitudes, les vêtements, les paroles d'un prince, d'un banquier, d'un artiste, d'un bourgeois, d'un prêtre et d'un pauvre soient entièrement dissemblables et changent au gré des civilisations. Au contraire, quand on embrasse l'ensemble de l'histoire de l'humanité, on est frappé des ressemblances fondamentales qu'à travers toutes les civilisations l'homme garde toujours avec l'homme. Regardez le genre humain dans les successions des siècles et dans la diversité des climats, à Memphis, à Suze, à Athènes, à Rome, que ce soit la Rome de Sylla ou d'Innocent III, passez du monde antique au moderne, et vous verrez les sociétés vivant sur le fonds des mêmes idées et des mêmes passions. L'inégalité du développement constitue seule la variété de l'histoire.

Extrait, page 164

Le magnétisme animal auquel il s'est initié depuis 1820 et les sciences occultes dont récemment encore il déplorait la disparition, voilà l'objet des prédilections intellectuelles de M. de Balzac. Il a emprunté à certains mystiques une espèce de doctrine que nous appellerions volontiers avec Diderot, parlant de quelques théosophes, un système de platonico-pythagorico-peripatetico-paracelsico-christianisme. M. de Balzac nous avertit avec solennité qu'il faut chercher dans Séraphita sa véritable pensée sur l'homme et sur le monde. Or, dans Séraphita que nous offre-t-il ? Une biographie de Swedenborg et une sorte d'extrait de plusieurs des traités du Voyant d'Upsal. Nous y retrouvons ses théories sur les trois amours, l'amour de soi, l'amour du monde, l'amour du ciel ;; les trois degrés par lesquels l'homme parvient à ce ciel qui est sa pairie : le naturel, le spirituel et le divin ; enfin la différence fondamentale entre l’exister et la vie. Séraphita est en pleine possession de la doctrine de l'amour, et elle a hâte de traverser la mort pour entrer dans la vie céleste. Quand elle eut exhalé son âme dans un dernier élan de prière, Wilfrid et Minna qui l'avaient chérie et vénérée comme un être privilégié, eurent à leur tour une vision. Ils virent l'esprit de Séraphita frappant à la porte sainte et transfiguré en séraphin. Ils entendirent les diverses parties de l'infini formant une mélodie vivante. La lumière enfantait la mélodie, la mélodie enfantait la lumière. Les couleurs étaient lumière et mélodie, le mouvement était un nombre doué de la parole. Pourquoi donc M. de Balzac se drape-t-il ainsi dans des lambeaux de l'illuminisme de Swedenborg ? Pour donner une sorte de vêtement poétique et de costume religieux à une doctrine qui lui est chère et qu'il a résumée ainsi : une seule substance et le mouvement ; une seule plante, un seul animal, mais des rapports continus. En d'autres termes, la pensée est un fluide et il n'y a qu'un animal ; telles sont les opinions de M. de Balzac sur la nature des choses. Il ne pouvait se dissimuler que ces opinions n'étaient pas sans ressemblance tant avec le matérialisme qu'avec le panthéisme, et cependant il a la prétention d'être chrétien. N'a-t-il pas déclaré qu'il écrivait à la lueur de deux vérités éternelles, la religion et la monarchie ? C'est alors qu'il a imaginé un compromis entre les naturalistes et les mystiques, entre l'esprit de Buffon et l'esprit de Saint-Martin. S'il a pensé que par là il se montrerait original, la méprise ne laisse pas que d'être lourde. Au moment où il croyait s'ouvrir une route nouvelle, il retombait, sans le soupçonner, dans la vieille théosophie du moyen âge, qui mêlait la physique et la chimie à des doctrines mystiques s'appuyant sur la révélation, et qui expirait quand Descartes parut. Ce n'était pas en vérité la peine, au XIXe siècle, de se faire rose-croix.

1847 – Revue Le Semeur – n° 37 - Étude sur M. Ballanche

1847 Le semeur t37Le Semeur
Journal religieux, politique, philosophique et littéraire, paraissant tous les mercredis
Tome seizième– Du 1er janvier au 31 décembre 1847 – N° 37 – 15 septembre 1847
Paris, au bureau du Journal, rue des Petites Écuries, n° 13.
Revue Le Semeur – n° 37 - Étude sur M. Ballanche (extraits)

Étude sur M. Ballanche. Extrait, pages 292-293

Qui a lu la trilogie de Sophocle le retrouve bien dans l’Antigone de M. Ballanche ; seulement chez M. Ballanche, le côté général est mis plus en saillie que chez le poêle grec : c'est une parabole de la destinée humaine qu'il voit dans les tristes destinées de la famille d'Œdipe. Cette lugubre histoire de la chute du roi de Thèbes, des malheurs de sa race, le devin Tirésias la raconte à la famille de Priam, autre race vouée au même sort. Ainsi donc ce n’est pas un épisode, mais une loi de l'histoire : il y a une tradition d'infortune, legs douloureux des victimes d'hier aux victimes de demain. Mais quel est au fond le sens de cette parabole ? On y a vu en général le type des misères de la condition humaine ; je crois qu'il faut aller plus loin, que la conception de M. Ballanche est bien autrement profonde ; elle ne fait cependant que dégager la pensée de Sophocle : il y a une malédiction cachée sous la gloire d'Œdipe. Une inflexible Némésis doit la manifester ; mais cette Némésis n'est pas un sort arbitraire ; elle est fille des actions des [293] hommes. C'est la barbarie de Laïus et de Jocaste abandonnant leur fils sur le Cithéron, c'est la violence meurtrière d'Œdipe qui ont forgé sa chaîne d'airain. Ces crimes n'avaient d'abord aucun rapport entre eux ; ceux qui les commettaient ignoraient leur portée ; ils sont liés cependant comme les anneaux de cette chaîne, et ils enveloppent le roi de Thèbes dans une irrévocable fatalité. C'est là le mystère de sa vie inconnu à lui-même. Il n'en a pas fini avec le sphinx, qui doit revenir lui proposer un redoutable problème, et cette fois il y succombera. Le jour de la justice se lève ; un effroyable secret se trouve au fond de sa puissance et de sa gloire ; le malheur le frappe coup sur coup, et renversé du trône, aveugle, mendiant, « demandant peu, recevant moins encore, »il s'en va, guidé par Antigone, mourir dans une solitude lointaine. Dans M. Ballanche on sent plus vivement que c'est là l'histoire de l'homme, que cette malédiction qui repose sur sa destinée est la malédiction du péché, et qu'elle doit éclater plus terrible quand il est monté plus haut. Toute grandeur, toute gloire humaine, repose sur une suite d'iniquités inconnues peut-être à celui qui en est revêtu ; mais la vengeance en sort à son jour et le secret fatal est révélé. Chez Sophocle, comme chez M. Ballanche, Œdipe exilé et pauvre retrouve la paix, et à sa mort une gloire plus haute, tandis que la Némésis de sa race demeure au palais. Que l'on compare la fin d'Œdipe à celle de ses fils ! C'est que la chute et le malheur d'Œdipe le ramènent à sa vraie condition, qu'il n'y a plus une insulte à la Divinité dans sa royauté, et que le chemin désolé est le chemin de l'épreuve salutaire. Le mot de cette sublime fiction est admirablement donné dans un petit écrit de Saint-Martin intitulé Ecce homo. L'homme, d'après lui, veut échapper à la honte de sa condamnation, à l’Ecce homo par lequel la justice divine proclame sa dégradation ; et par la gloire et la puissance qu'il donne et qu'il cherche, il s'efforce à se transformer en un glorieux: Ecce homo, ecce Deus ! Mais c'est sa perdition, et il ne se retrouve dans la voie du salut que lorsque les malheurs de sa destinée ont fait dire de nouveau le lamentable Ecce homo ! Œdipe roi, voilà la proie du châtiment; Œdipe tombé, proscrit, Œdipe au désert, voilà l'homme tel qu'il doit être : un Dieu bienveillant l'y attend.

On comprend que M. Ballanche ait trouvé là un type magnifique pour son idée favorite de l'épreuve, de la douleur comme initiation au salut ; on voit poindre là l'aurore de son système.


1847 – Blanc - Histoire de la révolution française - T 2

1847 blanc t2Histoire de la révolution française
Par M. Louis Blanc
Édition française, faite à Paris sous les yeux de l’auteur.
Paris, chez Langlois et Leclercq, rue de la Harpe, 81. - Pagnerre, rue de Seine, 11. - Perrotin, place de Doyenne, 3.
Tome deuxième
1847 - Histoire de la révolution française - T 2

Ce livre paru en 1848 à Bruxelles. Méline, Cans et Compagnie - Livourne. Même Maison - Leipzig. J. P. Meline - 1848 - Histoire de la révolution française - T 2 - édition de Bruxelles - On trouve le même article pages 84-90

 Chapitre III. Les révolutionnaires mystiques

Le Martinisme. Pages 99-105

Ce fut vers cette époque que s’accrédita le Martinisme, doctrine au fond de laquelle la Révolution grondait sourdement, mystérieuse exposition d’une théorie qu’allait mettre à l’essai le plus formidable des triumvirats.

C’était pourtant une nature tendre et timide que Saint-Martin. Ayant obtenu, jeune encore, une lieutenante dans le régiment de Foix (1), le bruit des armes l’avait bien vite étourdi, et il s’était abandonné aux séductions austères de la solitude. Plongé dans un recueillement continuel, il se partageait entre la méditation, la bienfaisance et la musique, méprisait les livres (2) n’écoutait guère que ses pensées ; il parlait très peu, devant ceux qu’il aimait seulement ; et, quand il entr’ouvrait son âme, sa parole avait un éclat faible et doux, la clarté des lampes mourantes.

Imaginez, à quelques pas de vous, un concert de voix qui vous seraient familières, mais qu’interrompraient de fantastiques mélodies ou des clameurs inquiètes, lointaines, à demi perdues à travers l’espace.... voilà quel effet avait produit le livre des Erreurs et de la Vérité, par un philosophe inconnu. D’abord, l’étonnement fut extrême. Fallait-il le ranger parmi les sages, parmi les fous, cet auteur caché en qui une si persuasive éloquence se mariait à l’insaisissable génie des sibylles ? « Le petit nombre des hommes dépositaires des vérités que j’annonce, [p.100] disait-il en commençant (3), est voué à la prudence et à la discrétion par des engagements formels. Aussi me suis-je promis d’user de beaucoup de réserve dans cet écrit, et de m’y envelopper d’un voile que les yeux les moins ordinaires ne pourront percer, d’autant que j’y parle quelquefois de toute autre chose que de ce dont je parais traiter. » Pourquoi ces détours et cette nécessité de la prudence ? que signifiaient ces engagements formels ? quels étaient ces conjurés qui se groupaient, invisibles, autour d'un livre ? Jamais ouvrage plus émouvant et plus singulier n’avait paru. Semblable à ces tableaux qui présentent des oppositions bien tranchées de lumière et d’ombre, tout n’y était que vives lueurs ou ténèbres, contradictions apparentes et étudiées. Au nom d’un spiritualisme pieux, le philosophe inconnu s’élevait contre la folie des cultes humains. Il s’humiliait aux pieds des souverains, et il ébranlait leurs trônes. Le croyait-on perdu dans la région des fantômes, il reparaissait tout à coup au milieu des vivants, et alors il se mettait à creuser la misère sociale jusqu’à d’effrayantes profondeurs, il ouvrait la terre jusqu’aux abîmes.

Les religions ? leur diversité même les condamne (4). Les gouvernements ? rien qu’à leur instabilité, à leur différence, à leurs folles querelles, on peut voir combien leur base est fausse, le vrai étant par essence indestructible et ne produisant jamais des résultats différents ou contraires (5). La loi civile ? au milieu des débats qu’entraîne le partage illégitime du commun domaine, on la trouve s’égarant à la recherche du droit, ne sachant où se fixer et, sous le nom de [p.101] prescription, osant appeler justice une injustice qui dure (6). La loi criminelle ? monstrueuse application d’un châtiment identique à des crimes dissemblables ; vengeance tirée d’actions dont on ignore les causes premières ; glaive qui , en tuant le coupable, tue le repentir ; glaive qui se promène sur des milliers de tètes au plus épais de la nuit (7).

Et à ce désolant tableau, le philosophe opposait l’image de l’ancien bonheur perdu. Par les sentiers de l’allégorie, il conduisait son lecteur au sein du royaume mystérieux que, dans leur état primitif, les hommes avaient habité. Là, nulle distinction arbitraire et artificielle. Quoique doués, en qualité d’êtres intelligents, de facultés diverses, les hommes, dans leur état primitif, ne se divisaient pas en maîtres et en sujets ; chacun d’eux avait sa grandeur, qui lui était propre; tous étaient égaux, tous étaient rois (8), tous vivaient heureux.

Mais le mauvais principe se sépara du bon principe ; — car, comme les manichéens, le philosophe inconnu refusait d’admettre que Dieu fût l’auteur du mal (9) ; — et, de son côté, l’homme, par un funeste usage de sa volonté libre, abandonna son premier poste. De là des calamités sans nombre et sans mesure : souverains illégitimes, cultes mensongers, inique distribution des biens terrestres, justice aveugle et sourde (10).

Toutefois, l’homme, en tombant, n’avait point [p.102] cessé d’être libre. Condamné par sa chute à languir esclave de son corps et à souffrir cruellement de la lutte des deux natures, intellectuelle et sensible, qui se mêlent en lui, il n'avait pas pour cela perdu sa qualité d’être intelligent (11). Mais à quelle règle se conformer ? Vers quel fanal tourner les yeux, sur cette mer des naufrages ?

Suivant Saint-Martin, point de salut possible pour les sociétés tant qu’elles ne seraient pas soumises à l’action de ce qu’il nommait la CAUSE ACTIVE ET INTELLIGENTE. Or, cette cause qu’il ne définissait pas, mais à laquelle il revient dans chaque page de son livre et qu’on découvre aisément quand on la médite avec le cœur, cette cause c’était, dans l’acception chaste et sociale du mot.... l’amour (12). Les hommes ne vivaient plus en frères : voilà pourquoi ils vivaient malheureux. Leurs institutions favorisaient les facultés intellectuelles et les facultés sensibles aux dépens des facultés aimantes : voilà pourquoi, au fond de ces institutions, la révolte germait à côté de la tyrannie. Et si la science politique n’avait été jusqu’alors qu’un amas informe de contradictions et de mensonges, c’était parce qu’on avait placé l’origine de la souveraineté, tantôt dans la consécration de la force, tantôt dans un chimérique assentiment des peuples (13), au lieu de reconnaître que celui-là seul a droit de commandement sur ses semblables qui s’élève au-dessus d’eux par la volonté de les rendre heureux et par la puis[103]sance de les aimer. Donc, à celui-là seul l’empire et, s’il le fallait, la dictature (14), jusqu’à ce que tous les hommes se fussent réhabilités dans leur principe, c’est-à-dire fussent arrivés à l’égalité des jouissances dans l’inégalité des aptitudes et des fonctions, et à la liberté dans l’accord.

Ainsi, au fameux cri de Luther : « Tous les chrétiens sont prêtres, » Saint-Martin, à trois siècles de distance, répondait par ce cri sublime « Tous les hommes sont rois. »

Et le mot de la grande énigme qu’il posait devant la nation française, c’était : « liberté, égalité, fraternité, » formule que, dans son style symbolique, il appelait le TERNAIRE SACRÉ, et dont il ne parlait que sur le ton d’un enthousiasme solennel (15) : « Je déclare que personne plus que moi ne respecte ce TERNAIRE SACRÉ... Je proteste que je crois qu’il a existé éternellement et qu’il existera à jamais...., et j’ose dire à mes semblables que, malgré toute la vénération qu’ils portent à ce ternaire, l’idée qu’ils en ont est encore au-dessous de celle qu’ils en devraient avoir. Je les engage à être très réservés dans leurs jugements sur cet objet. »

Toute doctrine qui se cache derrière des symboles se commet au hasard des interprétations : ce fut l’écueil du martinisme. Dans les routes qu’il traçait sous d’obscurs ombrages, les uns, tels que d’Épréménil (16), s’arrêtèrent dès les premiers pas ; les autres, tels qu’Amar (17), dépassèrent l’extrême limite. Mais l’impression n’en fut pas moins immense. Disciple de [p.104] Martinez Paschalis [sic] et de Jacob Bœhm, Saint-Martin eut à son tour maint disciple fidèle. Beaucoup l’aimèrent sans le pénétrer. La duchesse de Bourbon le recueillit chez elle, et l’on assure qu’elle prêtait une oreille charmée à ses sobres discours (18). Peut-être le croyait-elle tombé dans une douce folie. Mais, ainsi que Cagliostro, il aurait pu dire : « Le coup de maître est resté dans mon cœur. » Car, en s’entourant de nuages, il n’avait pas obéi seulement aux inspirations d’une vulgaire prudence, et son mysticisme n’était que le calcul d’une âme profonde. Lorsqu’il écrivait : « L’ombre et le silence sont les asiles que la vérité préfère, » (19) il savait par quels ressorts, dans les civilisations imparfaites, la nature humaine veut être dirigée ; il savait que, pour exercer l’intelligence et le zèle de ses prosélytes, éprouver leur constance, il était bon de leur imposer une tâche difficile ; que, pour leur rendre la vérité précieuse, il importait de la leur donner comme récompense à mériter, comme trésor à découvrir (20).

Et en effet, plus la parole du maître était obscure, plus elle devint souveraine. Le martinisme fit dans Paris de rapides conquêtes; il régna dans Avignon ; à Lyon, il se choisit un centre d’où il rayonna jusqu’en Allemagne, jusqu'en Russie (21). Entée sur la franc-maçonnerie, la doctrine nouvelle constitua un rite qui fut composé de dix grades ou degrés d’instruction par lesquels devaient successivement passer les adeptes ; et de nombreuses écoles se formèrent dans l’unique but de trouver la clef du code mystique, de le [p.105] commenter, de le répandre (22). Voilà comment d’un livre, jugé d’abord inintelligible, sortit un vaste ensemble de combinaisons et d’efforts qui contribuèrent à élargir la mine creusée sous des institutions vieillies.

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Ainsi, théorie ou pratique, tout dans le mesmérisme concourait à mettre en lumière la loi de dépendance mutuelle, la loi d’union ; et, par une rencontre aussi remarquable qu’inattendue, les essais de Mesmer venaient se joindre à la philosophie occulte de Saint-Martin.
Saint-Martin affirmait l’unité du monde moral, sous le nom de CAUSE ACTIVE ET INTELLIGENTE : Mesmer celle du monde physique, sous le nom de FLUIDE UNIVERSEL.
Saint-Martin glorifiait l’attraction des âmes, l’amour ; Mesmer l’attraction des corps, le magnétisme.

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Mais l’étouffement du magnétisme, par le mépris, n’était déjà plus possible. Mesmer et d’Eslon trouvèrent un appui énergique, et dans les sociétés secrètes dont ils faisaient partie (23), et dans la secte martiniste dont leur système formait comme la contre-épreuve, et dans cette inquiétude révolutionnaire à laquelle toute nouveauté hardie servait alors d’aliment.

Notes

1. Œuvres de Cazotte, t. I, Notice sur les illuminés.
2. Voy., dans le livre des Erreurs et de La vérité, la préface, p. VI. Edimbourg, 1775.
3. Des Erreurs et de la Vérité, par un philosophe inconnu, préface, p. V.
4. Des Erreurs et de la Vérité, p. 206.209 : des Fausses Religions.
5. Des Erreurs et de la Vérité, p. 301-309 : de l’instabilité, de la Différence, de la Rivalité des gouvernements.
6. Des Erreurs et de la Vérité, p. 317-318 : de la Loi civile.
7. Des Erreurs et de la Vérité, p. 328-351 : de l’Administration criminelle; du Droit de punir ; du Rapport des principaux délits ; des Faux jugements.
8. Des Erreurs et de la Vérité, p. 299-295 [sic]: des Gouvernements légitimes; de l’Institution militaire; de l’Inégalité des hommes.
9. Des Erreurs et de la Vérité, p. 5-10 du Bon et du Mauvais principe; Origine du mal.
10. Des Erreurs et de la Vérité, p. 18-26 : de la Liberté et de la Volonté.
11. Des Erreurs et de la Vérité, p. 50-51 : de la Nouvelle enveloppe de l’homme : Deux êtres dans l’homme.
12. « Notre principe étant amour, ne punit les hommes que par l’amour.... Lorsqu’il leur ôte l’amour, il ne leur laisse plus rien. » Des Erreurs et de la Vérité, p. 40.
13. Des Erreurs et de la Vérité, p. 264-272 : Incertitude des politiques ; de l’Association forcée ; de l’Association volontaire.
14. Des Erreurs et de la Vérité, p. 281-283 : du Nouvel empire de l’homme ; du Pouvoir souverain.
15. Des Erreurs et de la Vérité, p. 137.
16. Robison, Preuves de conspirations, etc., t. I, p. 66.
17. Mounier. De l’influence attribuée aux philosophes, aux francs-maçons st aux illuminés sur la Révolution française, p. 160.
18. Œuvres de Cazotte, Notice sur les illuminés, t, I.
19. Des Erreurs et de la Vérité, p. 226.
20. Ibid.
21. Clavel, Hist. pittoresque de la franc-maçonnerie, chap. V, p. 470.
22. Barruel, Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, t. II, p. 244.Hambourg, 1803.
23. Kurt-Sprengel, Hist. de la médecine, t. VI, p. 104.