1843 - Clavel - Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie et des sociétés secrètes

1843 Clavel fmHistoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie et des sociétés secrètes anciennes et modernes
De François-Timoléon Bègue Clavel
illustrée de 25 belles gravures sur acier
Paris, Pagnerre, éditeur, 14 bis rue de Seine -  1843

Chapitre 5 - Extraits : p.169-171

D'autres doctrines mystiques avaient été entées, dès 1754, sur la maçonnerie par un novateur appelé Martinez Paschalis ; il les avait consignées dans une série de grades, au nombre de neuf, nommés apprenti, compagnon, maître, grand-élu, apprenti-coën, compagnon-coën, maître-coën, grand-architecte et chevalier-commandeur, lesquels formaient le rite des Élus-Coëns ou prêtres. Le système de ce rite, aujourd'hui abandonné, embrasse la création de l'homme, sa punition, les peines du corps, de l'âme et de l'esprit, qu'il éprouve. Le but que se propose l'initiation est de régénérer le sujet, de le réintégrer dans sa primitive innocence, dans les droits qu'il a perdus par le péché originel. Elle se divise en deux parties distinctes. Dans la première, le postulant n'est, aux yeux de l'initiant, qu'un composé de boue et de limon. Il ne reçoit la vie qu’à condition qu'il s'abstiendra de goûter les fruits de l'arbre de la science. Le récipiendaire en fait la promesse; mais il est séduit ; il viole ses engagements; et il est puni et précipité dans les flammes. Cependant si, par des travaux utiles et par une [page 170] conduite sainte et exemplaire, il répare sa faute, il renait à une vie nouvelle. Dans la seconde partie, le néophyte est animé du souffle divin ; il devient apte à connaître les secrets les plus cachés de la nature : la haute chimie, la cabale, la divination, la science des êtres incorporels, lui deviennent familières. Martinez Paschalis introduisit d'abord ce rite dans quelques loges de Marseille, de Toulouse et de Bordeaux. En 1767, il l'apporta à Paris, où il fit quelques prosélytes isolés. Ce n'est qu'en 1775 qu'il fut adopté par un certain nombre de loges. Au nombre de ses disciples les plus fervents, Paschalis compta particulièrement le baron d'Holbach, auteur du Système de la nature ; Duchanteau, à qui l'on doit des tableaux mystiques fort recherchés des amateurs du genre ; et enfin, le marquis de Saint-Martin, officier au régiment de Foix, qui fut son continuateur (1. Après avoir séjourné quelque temps à Paris, Paschalis s'embarqua pour Saint-Domingue; il y mourut en 1779. [sic pour 1774]).

Le dernier a publié, entre autres ouvrages mystiques, un écrit intitulé: Des erreurs et de la vérité. On y trouve, dans le style le plus énigmatique, la doctrine si ancienne, si universellement répandue, d'un bon et d'un mauvais principe, d'un ancien état de perfection de l'homme, de sa chute, de la possibilité de sa réhabilitation; en un mot, toutes les idées de Martinez Paschalis, mais modifiées en quelques points. Saint-Martin s'attacha à réformer le système de son maître ; et, à cet effet, il institua un nouveau rite, devenu fameux sous le nom de martinisme. Les degrés d'instruction, au nombre de dix, étaient divisés en deux parties, ou temples. Le premier temple comprenait les grades d'apprenti, de compagnon, de maitre, d'ancien maitre, d'élu, de grand-architecte, de maçon du secret. Les grades du deuxième temple étaient le prince de Jérusalem, le chevalier de la Palestine et le kadosch, ou homme saint. Le martinisme avait son centre à Lyon, dans la loge des Chevaliers bienfaisants. Il se propagea dans les principales villes de la France, en Allemagne et jusqu'en Russie (2. Louis-Claude, marquis de Saint-Martin, était né, en 1743, à Amboise, en Touraine. Il mourut, en 1804, à Aulnay, près Paris.).

Du mélange des dogmes de Svedenborg [sic] et de Paschalis s'était formée, en 1773, dans la loge des Amis-Réunis, à Paris, une nouvelle maçonnerie, qui prit le nom de régime des Philalètes, ou Chercheurs de la vérité. Ce système avait pour inventeurs le frère Savalette de Langes, garde du trésor royal ; le vicomte de Tavannes ; le président d'Héricourt ; le prince de Hesse ; le frère de Sainte-James; et le frère Court de Gébelin, auteur du Monde primitif. Les connaissances en étaient distribuées en douze classes, ou chambres d'instruction. Les six premières classes étaient désignées sous le nom de petite maçonnerie ; le nom de haute maçonnerie était donné aux six dernières. Les classes de la première division étaient celles des apprentis, [page 171] des compagnons, des maitres, des élus, des écossais et des chevaliers d'Orient. Dans la deuxième division, étaient rangés les rose-croix, les chevaliers du temple, les philosophes inconnus, les sublimes philosophes, les initiés, et enfin les philalètes, ou maîtres à tous grades, qui possédaient seuls les secrets de l'ordre et en étaient les chefs et les administrateurs. Comme toutes les autres réformes maçonniques, celle des philalètes tendait à perfectionner l'homme, et à le rapprocher de la source divine d'où il est émané. Au reste, les dogmes qu'elle avait adoptés étaient susceptibles de modification, et les adeptes tendaient constamment à étendre le cercle de leurs découvertes dans les sciences occultes. La loge des Amis-Réunis, centre du système, possédait de précieuses archives et une bibliothèque où se trouvait réuni tout ce qui avait été écrit sur les différentes doctrines secrètes. Elle avait aussi un très beau cabinet de physique et d'histoire naturelle. Le frère Savalette de Langes était le conservateur de ces divers dépôts. A sa mort, arrivée vers 1788 [sic pour 1797], tout fut dispersé et perdu; et la société, dont il était l'âme, cessa de se réunir.

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Chapitre VI – Extraits, p.194-196

La loge Théodore au bon conseil, qui donna asile à l'illuminisme, avait été instituée à Munich, en 1775, par la Mère-Loge Royale-York à l'Amitié, de Berlin. Elle avait alors pour vénérable le professeur Baader. Bientôt, elle se sépara de l'autorité qui l'avait constituée ; elle se rangea dans la correspondance de la loge des chevaliers bienfaisants de Lyon, qui professait le martinisme, et elle en adopta le système. Cette loge des Chevaliers bienfaisants avait acquis, on ne sait à quel titre, une haute prépondérance sur les loges de l'Allemagne ; elle était en quelque sorte considérée par les différentes fractions de la Stricte-Observance et par les ateliers qui admettaient, soit exclusivement, soit en partie, le système templier, comme la loge-mère de l'association.

Elle avait projeté de mettre à la tête de son régime le duc Ferdinand de Brunswick, qui déjà, en Allemagne, était grand-maître des principales branches de la maçonnerie templière. C'est pour arriver à ce résultat qu'elle avait convoqué un convent à Lyon, en 1778, sous prétexte de réformer la franc-maçonnerie, d'éclaircir quelques points de doctrine obscurs, et de corriger les rituels en vigueur. L'assemblée s'ouvrit le 25 novembre, sous le titre de convent des Gaules; elle était présidée par le frère de Villermoz [sic pour Willermoz], riche négociant lyonnais, homme d'esprit et de savoir; elle dura un mois entier ; et, de tous les objets qui devaient y être traités, un seul fut abordé. On se borna à corriger les rituels, et l'on en retrancha la fable templière, du moins ostensiblement ; car on dit que cette suppression fut faite par ordre de la police, et qu'elle ne fut que simulée. Cependant aucune preuve ne vient à l'appui de cette assertion, et il est plus probable que l'abjuration fut réelle, et que le convent se laissa influencer par une tendance qui se manifestait alors dans beaucoup de loges de province, et particulièrement dans celle de la Parfaite-Union de Rennes, avec laquelle le martinisme entretenait une correspondance suivie.

La loge de la Parfaite-Union, composée d'hommes de mérite, avait créé depuis peu un nouveau système appelé le rite des Élus de la vérité, dont elle avait élagué les grades templiers, et tout ce qui tenait à la magie, à l'alchimie et à la cabale. Le rite comprenait quatorze degrés d'instruction, divisés en trois classes. La première classe, celle des grades inférieurs, se composait de l'apprenti, du compagnon, du maitre et du maître parfait. Dans la deuxième classe, celle des grades supérieurs, étaient rangés l’élu des neuf, l'élu des quinze, le maître élu, le petit architecte, le second architecte, le grand architecte, le chevalier d'orient et le rose-croix. Ces grades, empruntés du rite dit de perfection, avaient subi des modifications essentielles, soit dans leur doctrine, soit dans les formules de réception : par exemple, on avait réduit en récit tout ce qui, dans les anciens rituels d'élus, était mis en action. La troisième classe, celle des élus de la vérité proprement dits, se formait de deux grades. Le premier, qu'on appelait le chevalier adepte, avait quelque analogie avec le chevalier du soleil ; le second, l’élu de la vérité, reposait sur une philosophie des plus avancées : tous les grades précédents y étaient expliqués dans le même esprit. Le rite des élus de la vérité était administré par un chapitre supérieur, qui délivra des constitutions à plusieurs loges, tant à Paris que dans les provinces. M. de Mangourit, le même qui depuis fonda la maçonnerie d'adoption des dames du Mont-Thabor, était le principal auteur du rite des élus de la vérité.

Le convent de Lyon fut le précurseur de celui qui se tint à Wilhelmsbad, le 16 juillet 1782, sous la présidence du duc Ferdinand de Brunswick, et auquel assista notamment le frère de Villermoz [sic pour Willermoz], en qualité de délégué des loges martinistes. L'objet de la convocation, qui remontait au mois de septembre 1780, était d'opérer une réforme générale dans la maçonnerie. Dix questions avaient été proposées, dont voici les principales : « La franc-maçonnerie est-elle une société récente ? Dérive-t-elle, au contraire, d'une société plus ancienne ? Dans ce cas, quelle est la société dont elle forme la continuation ? La maçonnerie a-t-elle des supérieurs généraux ? Quels sont-ils ? Quelles sont leurs attributions ? Consistent-elles à commander ou à instruire ? » Ce programme ne fut cependant pas agité ; on déclara seulement que les maçons n'étaient pas les successeurs des templiers. On créa un rite nouveau sous le nom d'ordre des Chevaliers bienfaisants de la cité sainte, et l'on nomma le duc Ferdinand de Brunswick grand-maitre général du système rectifié. Le martinisme, qui avait sourdement provoqué ce convent, y exerça la plus grande part d'influence ; ses doctrines dominèrent dans les nouveaux rituels, et le nom de sa loge-mère, les Chevaliers bienfaisants, figura dans le titre même de la réforme ; aussi ses loges adoptèrent-elles sans exception le régime rectifié, qui fut substitué à la maçonnerie de Saint-Martin. Ce système se répandit particulièrement en France, en Suisse et en [page 196] Italie; mais il n'eut qu'un médiocre succès en Allemagne, où prévalut longtemps encore le système templier dans ses diverses subdivisions.

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