1842 - Le Magasin pittoresque Tome X. N°35

1842 magasin pittoresqueLe magasin pittoresque, rédigé, depuis sa fondation, sous la direction de
M. Édouard Charton
Dixième année - 1842
Paris, aux bureaux d’abonnement et de vente, 29, quai des Grands Augustins
M DCCC XLII - Le Mesmérisme

Tome X. N° 35 – L’été

Le Mesmérisme, p. 277-278

En 1776, un jeune docteur soutint, à l'université de Vienne, une dissertation intitulée : De l'influence des astres et des planètes sur la guérison des maladies ; c'était Mesmer. Cet écrit passa inaperçu ; les professeurs de la Faculté de médecine n'y virent qu'une reproduction de quelques doctrines de Paracelse, Van Helmont, Maxwell, Bargravius et Kircher. Quelque temps après, Mesmer prétendit avoir guéri par des moyens surnaturels une femme aveugle : on constata que son état n'avait été nullement amélioré, et Mesmer fut forcé de quitter Vienne. Il arriva à Paris en février 1778, précédé d'une réputation de singularité propre à exciter l'attention. Sa doctrine était la suivante. — Il existe un fluide universel entourant et pénétrant tous les corps, cause première de tous les phénomènes. L'homme peut changer les mouvements de ce fluide, en augmenter ou en diminuer la quantité dans d'autres individus. Par son universalité, ce fluide étant différent du fluide magnétique minéral, il lui donne le nom de fluide magnétique animal.

Logé à l'hôtel Bouret, dans le quartier de la place Vendôme, Mesmer se mit à traiter des malades réputés incurables. Il leur promettait la guérison avec cette assurance qui charme toujours un malheureux infirme, en lui rendant un espoir auquel il est sur le point de renoncer lui-même. Pour donner une idée de son outrecuidance, il nous suffira de rapporter ce passage d'une de ses lettres au célèbre Franklin : « Je suis comme vous, monsieur, au nombre de ces hommes qui, parce qu'ils ont fait de grandes choses, disposent de la honte comme les hommes puissants disposent de l'autorité. Ma découverte intéresse toutes les nations, et c'est pour toutes les nations que je veux faire mon histoire et mon apologie. »

Bientôt Mesmer ne put suffire au nombre des personnes qui réclamaient les secours de son art mystérieux. C'est alors qu'il imagina le baquet magnétique avec tout son appareil. Voici la description qu'en a donnée un littérateur distingué, M. Delrieu (Voyez la gravure). « Dans une grande salle était une cuve en bois de chêne, de quatre à cinq pieds de diamètre, d'un pied de profondeur, fermée par un couvercle en deux pièces, et s'enchâssant dans cette cuve ou baquet. Au fond se plaçaient des bouteilles en rayons convergents, et couchées de manière que le goulot se tournait vers le centre de la cuve. D'autres bouteilles parlaient du centre en sens contraire ou en rayons divergents, toutes remplies d'eau, bouchées et magnétisées. On mettait souvent plusieurs lits de bouteilles ; la machine était alors à haute pression. La cuve renfermait de l'eau qui baignait les bouteilles ; quelquefois on y ajoutait du verre pilé et de la limaille de fer. Il y avait aussi des baquets à sec. Le couvercle était percé de trous pour la sortie de tringles en fer, coudées, mobiles, plus ou moins longues, afin de pouvoir être dirigées vers les différentes régions du corps des malades qui s'approchaient du baquet. D'un anneau du couvercle partait une corde très longue, dont les patients entouraient leurs membres infirmes sans la nouer. On n'admettait pas, du reste, les affections pénibles à la vue, telles que les plaies, les tumeurs et les difformités. Enfin les malades formaient la chaîne en se tenant par les mains. » Pendant ce temps, les sons de l'harmonica, instrument alors nouveau en France, alternaient avec les accords d'un piano, des symphonies d'instruments à vent, et des chœurs de voix invisibles.

N'oublions pas que les personnes rangées autour des baquets étaient tous gens à imagination, puisqu'ils recouraient à des moyens surnaturels, appartenant aux hautes classes de la société, malades ou croyant l'être, s'attendant à éprouver des effets extraordinaires que la plupart avaient déjà observés chez d'autres personnes. Faut-il s'étonner si les plus impressionnables d'entre elles, les femmes surtout, ressemaient bientôt des effets nerveux, tels que des bâillements, des tiraillements dans les membres, qui se terminaient par les phénomènes ordinaires des attaques de nerfs; savoir, des cris, des convulsions, de l'oppression, des gémissements, et les torrents de larmes qui signalent la fin de la crise ? Au milieu de cette foule agitée, Mesmer se promenait en habit lilas, armé d'une baguette magique qu'il étendait sur les individus réfractaires. Il calmait les convulsions des autres en leur prenant les mains, leur touchant le front, ou opérait sur eux avec les mains ouvertes et les doigts écartés, et en croisant et décroisant les bras avec une rapidité extraordinaire.

Lorsque les réunions de la place Vendôme furent décidément à la mode, Mesmer publia une sorte d'Almanach magnétique, contenant la liste des cent premiers membres fondateurs de la Société de l'harmonie, depuis le 1er octobre i783 jusqu'au 5 avril 1784. Il y avait un grand-maître et des chefs de l'ordre, comme dans la franc-maçonnerie. On payait cent louis pour faire partie de la société. Berthollet, le célèbre chimiste, les avait donnés, mais en se réservant le droit de critique. Il vint un soir à l'hôtel Bouret dans de mauvaises dispositions. Le piano, l'harmonica, les chants invisibles se firent entendre, et le novice ne semblait pas ému. Mais quand Mesmer, lui appliquant sa branche de fer, éleva gravement la voix et traita le récipiendaire comme un infidèle, alors Berthollet se ficha tout rouge, culbuta le baquet, apostropha ironiquement les malades qui entraient en crise, et sortit furieux. On lui rappela son serment ; il répondit qu'il n'avait pas juré le secret à une mascarade.

Cependant toutes les convictions n'avaient pas été aussi rebelles que celle de Berthollet. Sans parler des gens du monde, toujours si faciles à séduire, l'érudit Court de Gébelin s'annonça guéri à l'Europe en exaltant les bienfaits du magnétisme, et mourut peu de temps après, assis à côté du miraculeux baquet. Aucune cure réelle ne fut constatée ; ce qui n'empêcha pas M. de Maurepas d'offrir à Mesmer 20.000 francs de rente viagère et 10000 francs de frais d'emplacement. Mesmer répondit qu'il préférerait une terre et un château ; mais sa demande ne fut pas agréée. Alors il s'adressa à la reine Marie-Antoinette, et lui écrivit une lettre qui prouve son incroyable orgueil. En voici quelques passages : «  Uniquement par respect pour Votre Majesté, je lui offre l'assurance de prolonger mon séjour en France jusqu'au 18 septembre prochain, et de continuer jusqu'à cette époque mes soins à ceux de mes malades qui me continueront leur confiance. Je cherche, madame, un gouvernement qui aperçoive la nécessité de ne pas laisser introduire légèrement dans le monde une vérité qui, par son influence sur le physique des hommes, [p.277] peut opérer des changements que dès leur naissance la sagesse et le pouvoir doivent contenir et diriger dans un cours et vers un but salutaire. Dans une cause qui intéresse l’humanité au premier chef, l’argent ne doit être qu’une considération secondaire aux yeux de Votre Majesté ; quatre ou cinq mille francs de plus ou de moins employés à propos ne sont rien. Ma découverte doit être accueillie et moi récompensé avec une magnificence digne du monarque auquel je m’attacherai.

Huit mois après, Mesmer quitta la France et se rendit en Angleterre ; mais il y fut froidement accueilli. Cependant il avait laissé à Paris un de ses élèves ; c’était un médecin, nommé Deslon, qui continua ses traitements. Mesmer avait toujours habilement décliné l’intervention des corps savants, tels que la Faculté de médecine et l’Académie des sciences, qui cherchaient à constater la réalité de sa découverte. Deslon fut plus imprudent : une commission de la Faculté de médecine, composée de MM. Borie, Sallin, Darcet, Guillotin, s’adjoint cinq membres de l’Académie des sciences, Franklin, Leroy, Bailly, de Bory, et Lavoisier.

Ces commissaires se livrèrent à l'examen le plus minutieux. Ils cherchèrent d'abord inutilement à constater l'existence du fluide magnétique ; puis ils se soumirent eux-mêmes à toutes les expériences, s'assirent autour des baquets, et n'éprouvèrent absolument rien. Enfin ils s'assurèrent que les guérisons n'avaient aucune réalité, et que dans tous les cas où il y avait une maladie bien constatée et au-dessus des ressources de l'art, le magnétisme ne la guérissait point. Ils firent remarquer que, des malades pouvant guérir par les seules forces de la nature, il ne fallait point attribuer au magnétisme des cures dont tout l'honneur revenait au temps et aux efforts médicateurs de l'organisme. Enfin ils démontrèrent que l'imagination seule produisait tous les effets observés. Ils virent tomber en convulsions des personnes qui croyaient qu'on les magnétisait ; et ces mêmes personnes étaient parfaitement calmes lorsqu'elles étaient magnétisées sans en avoir été prévenues d'avance. Nous engageons tous ceux qui désirent connaître les travaux de cette commission à lire l'excellente Histoire académique du magnétisme animal, par MM. Burdin et Dubois d'Amiens. Nous nous contenterons de citer les conclusions qui terminent son rapport.

« Imagination, imitation, telles sont les vraies causes des effets attribués à cet agent nouveau connu sous le nom de magnétisme animal. Cet agent, ce fluide n'existe pas ; mais tout chimérique qu'il est, l'idée n'en est pas nouvelle. Quelques auteurs, quelques médecins du siècle dernier, en ont expressément traité dans leurs ouvrages. Le magnétisme n'est donc qu'une vieille erreur. Cette théorie est présentée aujourd'hui avec un appareil plus imposant, nécessaire dans un siècle plus éclairé ; mais elle n'en est pas moins fausse. L'homme saisit, quitte, reprend l'erreur qui le flatte. Il est des erreurs qui seront éternellement chères à l'humanité. Combien l'astrologie n'a-t-elle pas de fois reparu sur la terre ! Le magnétisme tendrait à nous y ramener. On a voulu le lier aux influences célestes, pour qu'il séduisit davantage et qu'il attirât les hommes par les deux espérances qui le touchent le plus, celle de savoir leur avenir, et celle de prolonger leurs jours. »