Introduction. – Extrait, pages 5-6

L'homme dont nous entreprenons de retracer la vie, d'apprécier le caractère et d'exposer les doctrines théosophiques et religieuses, est assurément digne d'occuper dans l'histoire ecclésiastique de notre patrie, une place honorable. Par l'originalité de ses vues, tout comme par l'influence réelle et étendue qu'il a exercée, il mériterait d'être plus connu qu'il ne l'a été jusqu'à ce jour. « Mystique et philosophe, vaste esprit qui se développa librement dans la solitude, » tel fut, au jugement de l'un de nos historiens nationaux, le ministre vaudois Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1). « Il était, sans contredit, nous dit un autre de nos historiens, bien au-dessus de la [6] plupart de ses compatriotes, lesquels ne s'en doutèrent pas, et se distingue des autres mystiques par des qualités peu communes chez eux, qui devraient lui avoir fait plus de réputation (2). » Ajoutons encore le témoignage de M. Vinet, qui, dans son cours d’Homilétique ou théorie de l'art de la chaire, met Dutoit-Membrini au nombre des plus excellents juges en fait de prédication, et le cite plus d'une fois, de même que dans sa Théologie pastorale (3).

Notes

1 Ch. Monnard, Histoire de la Confédération suisse, tom. XV, pag. 22.

2 Juste Olivier, Le Canton de Vaud, sa vie et son histoire, pag. 1241.

3 Homilétique, pag. 171, 263. Théologie pastorale, pag. 260 à 262. Remarquons ici toutefois, qu'il y a loin de cette estime professée par M. Vinet pour le jugement de M. Dutoit en matière d'homilétique, au rôle de « maître vénéré » de notre éminent contemporain que M. Matter a cru pouvoir attribuer au docteur mystique de Lausanne. Quelle que soit l'élasticité actuelle de l'expression « mystique, » dans la sphère de la théologie, ce ne serait que par un bien étrange abus de langage, qu'on pourrait appeler Vinet un disciple de Dutoit. Voy. Matter, Saint-Martin, le philosophe inconnu, in-8, pag. 209.

[Voici le texte de Matter : « Ils [Saint-Martin et Kirchberger] s'enquirent aussi de Jane Leade, de son ami Pordage et de Saint-Georges de Marsay; mais ils ne les abordèrent pas sérieusement. Saint-Georges, le maître de M. de Fleischbein, aurait dû intéresser spécialement le baron. Il avait souvent visité la Suisse et habité Berne. Il y avait laissé de nombreux admirateurs. A son tour le comte de Fleischbein, son élève, avait formé Dutoit-Mambrini, cet éloquent prédicateur de Lausanne, ce fécond écrivain qui prépara les voies aux deux correspondants, et dont les leçons, appréciées dans toute la Suisse française, disposèrent les esprits à Lausanne, à Genève, à Coppet et à Divonne en faveur des écrits de Saint-Martin. Ils ne prirent eux-mêmes qu'une connaissance imparfaite des écrits si remarquables de Dutoit, ce maître vénéré d'Alexandre Vinet ; tant ils s'absorbèrent dans l'école de Bœhme, se proposant de continuer, l'un le théosophe Bœhme, l'autre le général Gichtel lui-même ».]

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Extrait, pages 154-155

Nous n'entreprendrons pas d'énumérer toutes les personnes plus ou moins distinguées qui ont été en quelque rapport intime avec M. Dutoit. Nous n'en signalerons que quelques-unes.

Il avait à Berne de très bonnes relations, parmi lesquelles il pouvait compter, outre MM. Haller et Stapfer, M. Tscharner, ancien bailli de Lausanne qui, bien qu'arrivé dans cette ville avec de fortes préventions contre lui, les avait vues peu à peu disparaître, en se rendant compte des menées de ceux qui lui en voulaient et avait appris à l'apprécier, et surtout M. de Kirchberguer [sic], baron de Liebistorf (1) et plusieurs dames de qualité qui lui faisaient passer d'abondantes aumônes pour ses pauvres.

Le dernier que nous venons de nommer, Nicolas Antoine de Kirchberguer, membre du Conseil souverain de Berne, ancien bailli de Gottstadt, lui était particulièrement cher, en ce qu'il pouvait le considérer comme l'un de ses enfants de grâce. C'était en effet à la lecture des Sermons de Théophile, dont un exemplaire avait été providentiellement laissé chez lui par le professeur Struve, que M. de Kirchberguer avait dû ses premières impressions relatives à la vie intérieure. D'un esprit curieux et méditatif, très instruit et porté par goût vers l'étude de la nature, il avait cherché à approfondir la science et à pousser ses investigations au delà de la sphère des choses [page 155] visibles. Ses rapports avec Eckartshausen, et son affection pour les ouvrages de Jacob Böhme, de Gichtel et des autres théosophes de l'époque, avaient donné à son mysticisme une teinte plus spéculative que purement pratique. A ses relations avec M. Dutoit succéda pendant les dernières années de sa vie, de 1792 à 1799, une correspondance très suivie et très intime avec Saint-Martin, dont il devint le disciple et l'ami dévoué. S'occupant de concert avec lui de la traduction en français des ouvrages de Böhme, il avait encore en mains dans ses derniers jours, pour ce travail qui lui était cher, les Lettres du célèbre théosophe. M. Dutoit, qui le précéda dans la tombe, n'aurait pas suivi son ancien disciple dans ses dernières préoccupations. Il n'était, comme nous le verrons, enthousiaste, ni de Saint-Martin le philosophe inconnu, ni de Jacob Böhme, dont il a plus d'une fois discuté et critiqué avec sagesse les enseignements.

Notes

1. Liebistorf était une petite seigneurie dans le district allemand du canton de Fribourg, près de Morat.

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