Postface de l’Initiation par Philippe Encausse
Anatole France devait d’ailleurs donner ultérieurement une preuve de ce que les bords brumeux de l’Inconnaissable avaient également retenu son attention. En effet, il ressort de la lecture d’un article documenté publié par Myriam Harry, en 1932, dans Candide : « Souvenirs sur Anatole France. — La douce retraite » [Myriam Harry, Souvenirs sur Anatole France, « La douce retraite », dans Candide : grand hebdomadaire parisien et littéraire, n°422, avril 1932, p.3]., que le sceptique Anatole France qui avait prétendu n’avoir pas été convaincu par les démonstrations de Papus en 1890, fit plus tard... tourner les tables pour évoquer et apaiser l’âme de Mme de Caillavet [Anatole France partageait depuis une vingtaine d’années la vie de Mme Arman de Caillavet quand elle mourut en janvier 1910 (Ph. E.)] :
« ...Revenus à la maison (la Béchellerie), nous entrons dans l’ancienne salle de billard, écrit Myriam Harry à la fin de son article.
Mlle Laprevotte me montre une table ronde :
— C’est elle que nous avons tournée pour évoquer l’esprit de Madame.
— Anatole France a tourné les tables ?
— Oui, après la guerre. Oh vous ne sauriez croire combien nous étions malheureux, désemparés, abandonnés de tout le monde. M. France, sans amis, sans bibelots, sans livres, accusé de toutes sortes de forfaits, a sérieusement songé, je vous assure, au suicide. Et, naturellement, je serais morte avec lui. À cette époque, le fantôme de Mme de Caillavet, qui l’avait quitté à Versailles, est revenu le tourmenter. Il avait des cauchemars affreux. Elle lui apparaissait, non point impérieuse et volontaire, comme dans la vie, mais soumise et implorante, se traînant à genoux devant lui et portant sa tête entre ses mains. Et moi, j’étais au fond de la pièce et elle nous regardait avec les yeux de sa tête coupée et nous disait plaintivement : « Oh ! pourquoi m’avez-vous fait cela ? Je ne l’ai pas mérité. » M. France se réveillait ruisselant de sueur et gémissant. Et à force d’entendre raconter ces cauchemars, j’ai eu, moi aussi, la même vision. C’était horrible On n’osait plus se coucher. Un jour, Anatole France s’en plaignait à un libraire de Tours qui venait bavarder quelquefois avec lui. Il s'occupe de spiritisme ; il avait autrefois connu Huysmans et le docteur Encausse. Il nous a conseillé d’apaiser l’esprit de Mme de Caillavet en l’évoquant. Nous avons tourné la table avec lui. Madame a répondu. D’abord elle se lamentait, puis elle est devenue plus calme, elle a fini par dire qu’elle ne souffrait plus et qu’elle pardonnait à M. France. Alors les cauchemars ont cessé. »
Dans les Carnets intimes d’Anatole France publiés en 1946 par Léon Carias, on peut relever cette réflexion en date du samedi 27 août 1910 : En arriverai-je donc à croire que les morts ont une sorte de vie, qu’ils exercent sur nous une influence sourde et forte ? Il le faut bien, car, autrement, léger comme je le suis, avide de distractions, penserais-je à elle avec cette continuité ?



