1849 - SAINT- MARTIN (Louis-Claude de), dit le Philosophe inconnu

1849 Feller t7Biographie universelle ou dictionnaire historique des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes
Par F.-X. DE FELLER.
Édition revue et continuée jusqu’en 1848 sous la direction de M. Ch. WEISS, conservateur de la bibliothèque de Besançon, membre de plusieurs académies, et de M. l’abbé BUSSON, ancien secrétaire du ministère des affaires ecclésiastiques et vicaire général honoraire de Montauban.
Tome VII - Paris. 1849 - SAINT- MARTIN (Louis-Claude de), dit le Philosophe inconnu, Pages 400-402
J. Leroux, Jouby et Cie, libraires, rue des Grands Augustins, 9 - Gaume frères, libraires, rue Cassette, 4 - Outhenin Chalandre, rue de Savoie, 5 - Lille. L. Defort, imprimeur libraire - Besançon, Outhenin Chalandre fils.

SAINT- MARTIN (Louis-Claude de), dit le Philosophe inconnu, né à Amboise le 18 janvier 1743, d'une famille noble, fit de bonnes études au collège de Pont-le-Voy; et lorsqu'il les eut terminées, son père qui le destinait à la magistrature, le fit recevoir avocat au présidial de Tours ; mais préfé [401] rant au barreau la carrière des armes qui devait lui laisser plus de loisir pour s'occuper de ses méditations philosophiques, à 22 ans il entra lieutenant dans le régiment de Foix. C'est alors qu'il se fit initier à la secte dite des Martinistes, du nom de Martinez-Pasqualis qui en était le chef (l). Il n'en adopta point entièrement les doctrines, mais ce fut par-là qu'il entra dans les voies du spiritualisme. Au bout de six ans il quitta l'état militaire, peu conforme à ses inclinations; et après avoir visité la Suisse, l'Allemagne, l'Angleterre et l'Italie, il revint à Lyon, où il demeura trois ans, ne voyant qu'un petit nombre d'amis. Il mena la même vie obscure et paisible à Paris, où il vint ensuite. Reconnaissant dans la révolution un effet des desseins terribles de la Providence, comme il vit plus tard, dans Bonaparte, un grand instrument temporel, il n'émigra point. Son titre de noble l'obligea de quitter Paris en 1794, il revint alors en Touraine, où il passa les temps les plus difficiles sans être inquiété pour ses opinions, et fut désigné par le district d'Amboise, élève de l'école normale. De retour à Paris, il y publia successivement un grand nombre d'ouvrages qui ont été commentés et traduits en partie, principalement dans les langues du nord. Il mourut le 14 octobre 1804 [sic pour 14 octobre 1803] au village d'Aulnay, près de Paris, chez le sénateur Lenoir La Roche son ami.

Parmi ses écrits, nous citerons : Des Erreurs et de la Vérité, ou les hommes rappelés au principe universel de la science, par un philosophe inconnu, Edimbourg (Lyon), 1778, in-8. Ce livre fit beaucoup de bruit dans le temps, quoiqu'il soit et peut-être parce qu'il est inintelligible. Quelle est la science ? Selon lui, c'est la révélation naturelle; et cette même révélation, qu'est-elle en substance ?

C'est ce que Saint-Martin n'a pas su concevoir, ou ce qu'il a mal expliqué. « Son système, dit M. Tourlet, a pour but d'expliquer tout par l'homme. L'homme, selon Saint-Martin, est la clef de toute énigme et l'image de toute vérité : prenant ensuite à la lettre le fameux oracle de Delphes, nosce te ipsum, il soutient que pour ne pas se méprendre sur l'existence et l'harmonie des êtres composant l'univers, il suffit à l'homme de se bien connaître lui-même, parce que le corps de l'homme a un rapport nécessaire avec tout ce qui est visible, et que son esprit est le type de tout ce qui est invisible ; que l'homme doit étudier, et ses facultés physiques dépendantes de l'organisation de son corps, et ses facultés intellectuelles, dont l'exercice est souvent influencé par les sens ou par les objets extérieurs, et ses facultés morales ou sa conscience, qui suppose en lui une volonté libre ; c'est dans cette étude qu'il doit chercher la vérité, et il trouvera en lui-même tous les moyens nécessaires pour y arriver. » Voilà ce que Saint-Martin appelle la révélation naturelle. Par exemple, la plus légère attention suffit, dit-il, pour nous apprendre que nous ne communiquons, et que nous ne formons même aucune idée, qu'elle ne soit précédée d'un tableau ou d'une image engendrée par notre intelligence; c'est ainsi que nous créons le plan d'un édifice ou d'un ouvrage quelconque. Notre faculté créatrice est vaste, active, inépuisable; mais en l'examinant de près, nous voyons qu'elle est secondaire, temporelle, dépendante, c'est-à-dire qu'elle doit son origine à une faculté créatrice, supérieure, indépendante, universelle, dont la nôtre n'est qu'une faible copie. L'homme est donc un type qui doit avoir son prototype ; c'est une effigie, une monnaie qui suppose une matrice, et le Créateur ne pouvant puiser que dans son propre fonds, a dû se peindre dans ses œuvres, et retracer en nous son image et sa ressemblance, base essentielle de toute réalité. Malgré le rapport et la tendance que nous conservons vers ce centre commun, nous avons pu, en vertu de notre libre arbitre, nous en approcher ou nous en éloigner. La loi naturelle nous ramène constamment à notre première origine, et tend à conserver en nous l'empreinte de l'image primitive ; mais notre volonté peut refuser d'obéir à cette loi; et alors la chaîne naturelle étant interrompue, notre type ne se rapporte plus à son modèle, il n'en dépend plus, et se place sous l'influence des êtres corporels qui ne doivent servir qu'à exercer nos facultés créatrices, et par lesquelles nous devons naturellement remonter à la source de tout bien et de toute jouissance. Cette disposition vicieuse, une fois contractée par notre faute, peut, comme les autres facultés organiques, se transmettre par la voie de la génération : ainsi nous héritons des vices de nos parents. Mais la vertu, mais l'étude et la bonne volonté pourrait toujours diminuer ou détruire ces affections dépravées, et corriger en nous ces altérations faites à l'image de la Divinité; nous pouvons en un mot nous régénérer, et seconder ainsi les vues réparatrices de l’Homme-Dieu. » Malgré cette analyse que nous avons rapportée en entier, on ne voit pas bien clairement quelle était la doctrine de Saint-Martin. « Je me suis permis, disait-il, d'user de réserve dans cet écrit, et de m'y envelopper souvent d'un voile que les yeux les moins ordinaires ne pourront pas toujours percer, d'autant que j'y parle quelquefois de toute autre chose que de ce dont je parais traiter. » Avec une pareille explication on peut être obscur et inintelligible tout à son aise. Toutefois, au milieu d'un grand nombre de maximes erronées, on en trouve quelques-unes de vraies. Telle est celle-ci : Il est bon de jeter continuellement les yeux sur les sciences, pour ne pas se persuader qu'on sait quelque chose ; sur la justice, pour ne pas se croire irréprochable; sur toutes les vertus, pour ne pas penser qu’on les possède. Le livre de Saint-Martin a trouvé beaucoup de partisans en Angleterre, et on en a imprimé une [p.402] suite en anglais à Londres, 1785, 2 vol.in-8 ; mais elle s'éloigne des principes de l'auteur français qui n'y eut aucune part ; Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers, Edimbourg, (Lyon, 1782, in-8); L'homme de désir, Lyon, 1790, in-8, nouv. édit., 1802, in-12; Ecce Homo, Paris, an 4 (1796), in-12 ; Le Nouvel Homme, 1792, in-8 ; De l'esprit des choses ou Coup d'œil philosophique sur la nature des êtres, etc., Paris, an 8 (1800), 2 vol. in-8; Lettre à un ami, ou Considérations politiques, philosophiques et religieuses sur la révolution française, Paris, an 3. (1795), in-8; Éclair sur l'association humaine, an 5 (1797), in-8. Il y cherche les fondements du pacte social dans le régime théocratique ; et les communications entre Dieu et l'homme ; Réflexions d'un observateur sur la question proposée par l'institut : Quelles sont les institutions les plus propres à fonder la morale d'un peuple, an 6 (1798), in-8; Discours en réponse au citoyen Garât, professeur d'entendement humain aux écoles normales, sur l'existence d'un sens moral, etc., dans la Collection des Débats, des écoles normales, tome 3 ; Essai sur celle question proposée par l’institut : Déterminer l'influence des signes sur la formation des idées, an 7 (1799), in-8; le Crocodile ou la Guerre du bien et du mal arrivée sous le règne de Louis XV, poème épico-magique en 102 chants, Paris, 1799, in-8. Cet ouvrage le plus obscur qu'ait enfanté l'imagination ténébreuse de l'auteur, ne fait nul honneur à ses talents poétiques. On y voit figurer un Jof (la foi), un Sédir (le désir), et un Ourdeck (le jeu), qui sont la clef de tout le poème, sans que cela le rende ni plus intelligible ni moins ennuyeux. Saint-Martin a traduit de l'allemand de Bœhm (voy. ce nom, II, 51), le Ministère de l'homme d'esprit, 1802, 3 part, in-8; les Trois Principes de l'Essence divine, 1802, 2 vol. in-8; et l’Aurore naissante ou la Racine de la philosophie, etc., 1800, in-8. Il avait, dit-on, un caractère doux, bienfaisant; ses connaissances étaient très variées; il aimait les arts, et surtout la musique. Ses auteurs favoris étaient Burlamaqui et Rabelais ; il lisait le premier pour s'instruire, et c'est de lui, dit-il, qu'il prit le goût de la méditation ; il lisait le second pour son amusement. Cependant on convient qu'il y a assez de ces deux écrivains pour se gâter l'esprit et se corrompre le cœur. Les Œuvres posthumes de Saint-Martin, Tours, 1807, 2 vol.in-8, renferment un Journal qu'il tenait depuis 1782, et dans lequel il rapporte ses entretiens, ses relations, etc.; ce morceau est intitulé : Portrait de Saint-Martin fait par lui-même. Plusieurs biographes l'ont confondu avec Martinez-Pasqualis qui fut son maître. Gence a publié en 1824, une Notice biographique sur Saint-Martin, in-8, de 28 pages.

Note

(1) Martinez Pasqualis, chef de la secte des Martinistes, était, à ce qu'on présume, portugais de naissance, et même juif. En 1754, il introduisit dans quelques loges maçonniques de France notamment à Marseille, à Bordeaux et à Toulouse, un rite cabalistique d'élus, dits cohens, en hébreu prêtres. Il prêcha aussi sa doctrine à Paris, puis quitta soudain cette ville, et s'embarqua, vers 1778 [sic pour 1772], pour Saint-Domingue, où il termina, en 1779 [sic pour 1774], au Port-au-Prince, sa carrière théurgique. — On a lieu de croire, d’après ses écrits et ceux de ses élèves, que sa doctrine est cette cabale des Juifs, qui n'est autre que leur métaphysique, ou la science de l'être, comprenant les notions de Dieu, des esprits et de l'homme dans ses divers états.