1836 - Feller - Dictionnaire historique ou bibliographie universelle – T 12

1836 FellerDictionnaire historique ou bibliographie universelle des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours par [l’abbé] F[rançois] X[avier] de Feller (1733-1802)
Continué jusqu’en 1835 sous la direction de M. R.-A. Henrion
Huitième édition - Augmentée de plus de 5000 articles intercalés par ordre alphabétique
Convenientia cuique. Hor. A. P.
Tome douzième – Paris - E. Houdaille, libraire-éditeur. Rue du Coq Saint Honoré, 11. - Delloye, Place de la Bourse, 13
1836 - http://books.google.fr/books?id=VA9IAAAAMAAJ

Article Kirchberger (page 64)

KIRCHBERGER (Nicolas-Antoine), baron de Liebisdorf, né en 1739 à Berne, mort en 1800, cultiva, dans les camps d'abord, puis au milieu des fonctions civiles les plus importantes, les lettres, les sciences et la philosophie. Il fut lié avec le savant Zimmermann, avec le mystique Eckartshausen, avec Daniel Bernoulli, enfin avec Jean-Jacques Rousseau, qui correspondit quelquefois avec lui et qui parle de lui dans ses Confessions (livre XII). Il eut aussi un long commerce de lettres avec St-Martin sur des matières obscures de théosophie. On a de Kirchberger :

- un Discours sur un acte de générosité des habitants de Soleure, sous le titre d'Histoire de la vertu helvétique, Bale, 1765, in-8°, et

- un Mémoire sur l'agriculture inséré dans le Journal de l'abbé Rosier en 1774. Il écrivit en outre, en 1790, dans une feuille périodique, contre une secte "d'illuminants" ou "d'éclaireurs "dirigée par Frédéric Nicolaï.

Lettre de J. J. Rousseau à Kirchberger

Œuvres complètes de J. J. Rousseau

Volume 19 de Œuvres complètes de J. J. Rousseau: mises dans un nouvel ordre, avec des notes historiques et des éclaircissements, Victor-Donatien Musset-Pathay - Volume 19 de Œuvres complètes de J. J. Rousseau

Lettre CCCCXLI. — A M. Kirchberger (1)  (pages 505-508)

Motiers, le 17 mars 1763.

Lettre CCCCXLI. — A M. Kirchberger

1. Dans toutes les éditions, et même dans l’Histoire de J. J. Rousseau, on lit Keit. Cette erreur vient de ce qu'il n'y avait que la lettre initiale. Je ne sais quel éditeur a mis le nom qu'on a lu jusqu'à présent. C'est à M. Kirchberger dont il est question à la fin des Confessions, qu'est adressée cette lettre. Ce renseignement nous a été donné par M. Beuchot.

« Si jeune et déjà marié ! Monsieur, vous avez entrepris de bonne heure une grande tâche. Je sais [p.506] que la maturité de l'esprit peut suppléer à l'âge, et vous m'avez paru promettre ce supplément. Vous vous connaissez d'ailleurs en mérite, et je compte sur celui de l'épouse que vous vous êtes choisie. Il n'en faut pas moins, cher Kirchberger, pour rendre heureux un établissement si précoce. Votre âge seul m'alarme pour vous ; tout le reste me rassure. Je suis toujours persuadé que le vrai bonheur de la vie est dans un mariage bien assorti; et, je ne le suis pas moins que tout le succès de cette carrière dépend de la façon de la commencer. Le tour que vont prendre vos occupations, vos soins, vos manières, vos affections domestiques, durant la première année, décidera de toutes les autres. C'est maintenant que le sort de vos jours est entre vos mains ; plus tard, il dépendra de vos habitudes. Jeunes époux, vous êtes perdus si vous n'êtes qu'amans ; mais soyez amis de bonne heure pour l'être toujours. La confiance, qui vaut mieux que l'amour, lui survit et le remplace. Si vous savez l'établir entre vous, votre maison vous plaira plus qu'aucune autre ; et dès qu'une fois vous serez mieux chez vous que partout ailleurs, je vous promets du bonheur pour le reste de votre vie. Mais ne vous mettez pas dans l'esprit d'en chercher au loin, ni dans la célébrité, ni dans les plaisirs, ni dans la fortune. La véritable félicité ne se trouve point au dehors ; il faut que votre maison vous suffise, ou jamais rien ne vous suffira.

Conséquent à ce principe, je crois qu'il n'est pas temps, quant à présent, de songer à [p.507] l'exécution du projet dont vous m'avez parlé. La société conjugale doit vous occuper plus que la société helvétique : avant que de publier les annales de celle-ci, mettez-vous en état d'en fournir le plus bel article. Il faut qu'en rapportant les actions d'autrui vous puissiez dire comme le Corrège : « Et moi aussi je suis homme. »

Mon cher Kirchberger, je crois voir germer beaucoup de mérite parmi la jeunesse suisse ; mais la maladie universelle vous gagne tous. Ce mérite cherche à se faire imprimer; et je crains bien que, de cette manie dans les gens de votre état, il ne résulte un jour à la tête de vos républiques plus de petits auteurs que de grands hommes. Il n'appartient pas à tous d'être des Haller.

Vous m'avez envoyé un livre très précieux et de fort belles cartes ; comme d'ailleurs vous avez acheté l'un et l'autre, il n'y a aucune parité à faire en aucun sens entre ces envois et le barbouillage dont vous faites mention. De plus, vous vous rappellerez, s'il vous plaît, que ce sont des commissions dont vous avez bien voulu vous charger, et qu'il n'est pas honnête de transformer des commissions en présents.

Ayez donc la bonté de me marquer ce que vous coûtent ces emplettes, afin qu'en acceptant la peine qu'elles vous ont donnée d'aussi bon cœur que vous l'avez prise, je puisse au moins vous rendre vos déboursés, sans quoi je prendrai le parti de vous renvoyer le livre et les cartes.

Adieu, très bon et aimable Kirchberger ; faites, je vous prie, agréer mes hommages à madame votre [p.508] épouse ; dites-lui combien elle a droit à ma reconnaissance en faisant le bonheur d'un homme que j'en crois si digne, et auquel je prends un si tendre intérêt.

Œuvres de J.-J. Rousseau (publiées par M. Musset-Pathay). Paris, Firmin Didot, 1823, 21 vol. in-8 dans le tome 2 de la correspondance on trouve une lettre adressée à M. K.... M. MUSSET PATHAY a supposé par erreur que cette initiale désignait le nom de M. KEIT, tandis qu'il s'agit ici de M. KIRCHBERGER (Nicolas Antoine), né à Berne en 1739, et dont ROUSSEAU parle dans ses Confessions. C'est ce qu'a prouvé d'une manière incontestable le savant M. GENCE, dans l'article sur KIRCHBERGER, de la Biog. univ.

Le tome XXI et dernier de cette édition renferme, entre autres choses, quinze lettres nouvelles, dont quelques-unes, adressées à madame la baronne d'Houdetot, ont été communiquées à l'éditeur par M. BARBIER.