[Partie 2]

II. - M. Franck affirme en second lieu que la théorie de Joseph de Maistre sur l'origine et les lois [page 438] fondamentales des sociétés et sur les constitutions naturelles est également empruntée à Saint-Martin.

Ici deux courtes observations suffiront.

1° La Lettre à un ami contient sur ces deux points l'expression d'une pensée qui s'accorde avec celle de J. de Maistre. Mais, à supposer que celui-ci l'ait rencontrée dans cet opuscule avant d'écrire les Considérations, il n'y a aucune assimilation à établir entre une indication rapide enfermée dans un seul paragraphe (6) et une théorie longuement et savamment développée dans un ouvrage tout entier. Cette indication fit-elle partie de la « foule d'idées » dont J. de Maistre déclare avoir fait son profit chez les Illuminés, sa gloire n'a pas à en souffrir et ne doit pas être, pour cela, transportée au [page 439]

théosophe. J'ajoute que là aussi il y avait quelque chose qui appartenait au domaine public du bon sens religieux, domaine investi alors et rétréci, mais non pas conquis, par l'impiété dominante. Joseph de Maistre n'avait donc pas besoin qu'on lui fît la leçon pour chercher l'origine de la société politique ailleurs et plus haut que dans le roman du contrat social, ni pour croire à des lois fondamentales antérieures aux codes écrits. La part de Saint-Martin dans l'éducation politique de J. de Maistre se réduirait donc, en la faisant aussi large que possible, tout au juste à ces deux lignes d'ailleurs excellentes : Les gouvernements se forment d'eux-mêmes et sont les résultats naturels du temps et des circonstances.

2. Mais il n'a pas même cette part ; la doctrine des lois fondamentales et de l'origine divine des sociétés politiques, la doctrine des constitutions naturelles étaient et dans l'esprit et sous la plume de Joseph de Maistre avant la publication de la lettre de Saint-Martin; elles у étaient non à l'état de germe mais à l'état de théorie méditée et complète. M. Franck ne les a cherchées que dans les considérations, où l'exposé en est frappant, mais sommaire, puis dans l'Essai sur le principe générateur, composé vingt ans plus tard. Il paraît ignorer l'existence de l'Étude sur la souveraineté où la théorie en est donnée, comme nos lecteurs l'ont pu voir, avec toute sa précision scientifique et toute son ampleur historique. Je n'ai [page 440] point à revenir sur la capitale importance de cet ouvrage ; mais on doit regretter que M. Franck ou ne l’ait point connu, ou ne l'ait point consulté, ou n'ait pas porté son attention sur sa date. Il a été composé dans les années 1794, 1795, 1796. Comme il est consacré tout entier à développer les deux doctrines dont il s'agit, on nous dispensera de prouver que l'auteur ne s'est pas mis à sa composition un ou deux ans avant d'avoir ces doctrines dans la tête.