[Partie III]

III. – Enfin M. Franck retrouve à chaque pas dans les soirées l'influence de Saint-Martin. Toutes les idées que l'auteur y développe sur le gouvernement de la Providence, sur le mal physique considéré comme étant, dans toutes ses variétés, la conséquence et le châtiment du mal moral, sur le devoir de punir qui incombe aux souverains, sur la peine de mort, sur la guerre qui complète l'œuvre de la justice divine, sur les sacrifices qui viennent « de ce que les hommes, par une sorte d'instinct, ont placé le siège de la dégradation originelle dans le sang », enfin sur la réversibilité en vertu de laquelle le sang de l'innocent peut racheter celui du coupable, toutes ces idées, sans en excepter une seule, sont, dit-il, empruntées à Saint-Martin. Et c'est principalement dans le Ministère de l'homme-esprit que Joseph de Maistre les a puisées.

Tout lecteur attentif renouvellera de lui-même, à propos de cette énumération, la remarque que [page 441] nous avons faite plus haut. Reconnaissant dans le plus grand nombre de ces idées l'enseignement même de l'Église, il s'étonnera de la singulière inadvertance qui en attribue la paternité originale à Saint-Martin, et qui, les rencontrant chez un philosophe catholique, veut absolument qu'elles soient empruntées non au catholicisme, mais à l'illuminisme. Le savant critique soutient-il pour tout de bon que, si Joseph de Maistre n'avait pas lu le Ministère de l'homme-esprit, il aurait ignoré le gouvernement de la Providence ? qu'il n'aurait pas vu dans les maux qui affligent l'humanité les suites du péché originel ? qu'il n'aurait pas considéré la répression des crimes comme une attribution essentielle de la souveraineté ? qu'il n'aurait pas cru á l'efficacité des souffrances volontairement acceptées par l'innocent pour le rachat du coupable? en un mot, qu'il aurait ignoré les dogmes de sa religion, et aussi les principes élémentaires de la philosophie sociale, si un théosophe ne les lui avait pas enseignés ?

Cela suffirait pour terminer le débat. Mais ici encore les dates parlent à qui daigne les consulter. Qu'on veuille bien relire le chapitre III des Considérations sur la France, on y trouvera l'ensemble de ces idées (7) que les Soirées devaient, vingt ans plus tard, reprendre et développer une à une. Il est [page 442] douteux que le livre des considérations publié en 1797 ait pu les emprunter commodément au Ministère de l'homme-esprit publié en 1802.

Je demande vraiment pardon à mes lecteurs de les avoir retenus si longtemps sur ces misères. Il fallait, pour leur donner une importance qu'elles n'ont point en elles-mêmes, le nom de M. Franck et celui de l'important recueil où il a publié ses critiques. Quoi qu'il en soit, le procès est jugé ; Joseph de Maistre ne sera plus troublé dans la possession d'une gloire qui est la propriété légitime de sa grande mémoire et de la cause pour laquelle il a combattu.

bouton jaune  Appendice II : Une accusation de plagiat