Calendrier perpetuel 1848Année 1848

- Cahagnet - Magnétisme: arcanes de la vie future dévoilés
- Cantu - Histoire universelle – T 15
- Correspondant (le) – T 21 - Examen des doctrines du Philosophe inconnu, Louis-Claude de Saint-Martin
- Encyclopédie catholique – T 17 - Saint-Martin
- La liberté de penser - Bulletin : Abrégé de l’histoire de France, par Duruy
- Feller -Biographie universelle - Saint-Martin
- Magasin pittoresque (le) - Tome XVI. N° 4, Jacob Bœhme, le théosophe
- Nouvelle revue de Bruxelles – T 5 - Compte-rendu de l’Histoire universelle de l’Eglise, par Jean Alzog.
- Nouvelle revue de Bruxelles – T 6 - Article Chateaubriand et ses mémoires.

1848 - Cantu - Histoire universelle – T 15

1848 cantu hre universelle t15Histoire universelle
Par César Cantu
Soigneusement remaniée par l’auteur, et traduite sous ses yeux, par Eugène Aroux, ancien député, et Piersilvestro Léopardi
Tome quinzième
Paris, chez Firmin Didot frères, éditeurs, imprimeurs de l’Institut de France, rue Jacob, 56.
1848 - Cantu - Histoire universelle – T 15

Tome 15ème - Quinzième époque : Chapitre XXXV - Philosophie spéculative - Extrait, page 438

Favorisé ensuite d'une troisième vision, il [Jacob Bœhme] la décrivit dans le livre intitulé Aurore ; et, malgré les défenses, il continua à écrire sur les trois principes, la triple vie humaine, l'édification de la foi, les six points , le grand mystère , la vie surnaturelle , l'intuition de Dieu : il n'affichait, du reste, aucune prétention. Un grand air de candeur et de bonté de cœur se laisse apercevoir au milieu de phrases d'alchimie et d'astrologie, et jamais il ne se sépara des luthériens. Les uns le dénigrent comme un pauvre fou, les autres en font un prophète chez lequel brillent d'insignes beautés , et le regardent comme le précurseur de Saint-Martin.

1848 - Le Correspondant – T 21 

1848 correspondant t21Le Correspondant, Recueil périodique
Religion, philosophie, politique, sciences, littérature, beaux-arts.
Paris. Librairie de Sagnier et Bray, rue des Saint Pères, 64
Tome vingt et unième
1848 - Le Correspondant – T 21

Examen des doctrines du Philosophe inconnu, Louis-Claude de Saint-Martin, Louis Moreau

4e article – Exposition de sa théorie sociale – Pages 826-863

Les théosophes sont les gnostiques des temps modernes ; l'orgueil des prétentions et la stérilité de l’œuvre témoigneraient au besoin de l'identité des doctrines. Comme la gnose ancienne, affectant une égale supériorité et sur le philosophe et sur le fidèle, la théosophie abandonne à l'un les notions préliminaires sur l'existence de Dieu, la spiritualité de l'âme, la rémunération finale ; elle lui cède ces espaces déterminés que mesure avec effort le raisonnement humain. Accueillant le fidèle sous une autre forme de mépris, elle lui permet de s'attacher à la lettre d'une révélation positive, de ranger ses œuvres aux prescriptions des livres divins et à l'autorité des interprètes légitimes ; mais cette révélation n'est qu'un témoignage dont une science plus haute sait se passer ; mais ces livres divins ne sont que les fenêtres de la vérité, ils n'en sont pas la porte ; mais cette autorité spirituelle, bonne peut-être aux faibles et aux simples, ne saurait être [149] imposée à des intelligences qui puisent la science dans le sein de Dieu même. De ces hauteurs où elle habite, inaccessibles à la raison, inconnues à la foi, la théosophie abaisse à peine sur l'une et l'autre un regard de dédaigneuse tolérance ; elle se complaît en soi-même et revendique pour toutes les rêveries d'une imagination exaltée par l'orgueil, faussée par la solitude, le caractère et l'autorité de l'inspiration divine.

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1848 - Encyclopédie catholique – T 17 - Saint-Martin

1848 encyclopedie catholique t17Encyclopédie catholique
Répertoire universel et raisonné des sciences, des lettres, des arts et des métiers, avec la bibliographie des hommes célèbres depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours, et des gravures dans le texte, publiée sous la direction de M. l’abbé Glaire, doyen de la faculté, de M. le Vte Walsh et d’un comité d’orthodoxie.
Tome dix-septième. Paris, Parent Desbarres, éditeur.
1848. - Encyclopédie catholique – T 17

Saint-Martin, page 65

SAINT-MARTIN (LOUIS-CLAUDE), né à Amboise le 18 janvier 1747, entra au service : mais cet état n’était guère conforme à ses inclinations naturelles ; aussi le quitta-t-il au bout de six ans. Saint-Martin avait un caractère tranquille, aimait l’étude et le recueillement, où il se plongeait dans ses idées métaphysiques. Après avoir voyagé en Suisse, en Allemagne, en Angleterre et en Italie, il revint à Lyon, et y demeura trois ans, presque inconnu. Il mena la même vie à Paris : impassible au milieu des événements de la révolution, il put en éviter les suites. Cependant, malgré la retraite dans laquelle il affectait de vivre, il trouva beaucoup de disciples, connus sous le nom de martinistes. Il était lié avec le sénateur Lenoir-Laroche, dans la maison duquel il mourut, à Aunay, le 15 octobre 1804.On a de lui: Des Erreurs et de la Vérité, ou les hommes rappelés au principe universel de la science, 1775, in-8°. Ce livre, par son obscurité et par ses paradoxes, pourrait bien mériter à son auteur le surnom de Kant français ; Tableau de l’ordre social ; Ministère de l’homme-esprit ; Éclair sur l’association humaine : il y cherche les fondements du pacte social dans le régime théocratique et les communications entre Dieu et l’homme. Le Livre rouge; Ecce homo ; l’Homme de désir ; le Cimetière d’Amboise ; le Crocodile, ou la Guerre du bien et du mal, arrivée sous le règne de Louis XV, poème épico-macaronique [sic] en 102 chants, 1799, in-8°. C’est l’ouvrage le plus obscur qu’ait enfanté l’imagination ténébreuse de l’auteur. Il a de plus traduit de l’allemand de Bœhm les Principes ; l’Aurore naissante. Saint-Martin lisait Burlamaqui pour s’instruire, et Rabelais pour son amusement. Il y a assez de ces deux écrivains pour se gâter l’esprit et se corrompre le cœur.

1848 – La liberté de penser - Bulletin : Abrégé de l’histoire de France, par Duruy

1848 liberte penser t2Liberté de penser: revue philosophique et littéraire
Tome deuxième – Huitième livraison
Paris. Joubert, libraire éditeur, rue des Grès, 14, près de la Sorbonne
1848 - La liberté de penser

Bulletin : Abrégé de l’histoire de France, par Duruy - Extrait, page 189

Extrait de l’introduction :

« Quand de grandes choses approchent, il y a des signes que tous voient, mais que nul ne comprend. L'incendie qui couve sous le sol éclate çà et là en mille étincelles avant de produire l'immense foyer qui éblouit et dévore. Quel travail dans les esprits avant 89 ! Comme tout s'ébranle et s'agite. Saint Martin, Mesmer, Cagliostro, les sociétés secrètes, les doctrines mystiques, minent sourdement les vieilles institutions monarchiques que les philosophes attaquent à ciel découvert, en se donnant les rois mêmes pour complices. Les paroles se croisent, les idées volent. Quel tourbillon grandiose ! On dirait la nuée lumineuse d'où la loi va sortir. Sans comprendre ce qu'elle porte en ses flancs, Gazette l'entend qui s'approche; il la voit. La révolution a son prophète…

A. Jacques.

1848 – Feller - Biographie universelle - Article Saint-Martin

1848 feller t11Biographie universelle ou, Dictionnaire historique 1848
par Feller, François Xavier de, 1735-1802 ; Pérennès, Jean Baptiste
p.216-218 - Feller - Biographie universelle - Article Saint-Martin

SAINT-MARTIN (Louis-Claude de ), surnommé le Philosophe inconnu, né à Amboise le 18 janvier 1743, appartenait à une famille distinguée dans les armes, fit de bonnes études, et possédait plusieurs langues anciennes et modernes. Il avait lu de bonne heure le livre du théologien protestant Abbadie, sur l'Art de se connaître soi-même, et c'est là qu'il puisa les principes de philosophie, de morale et de religion qu'il professa toute sa vie. Destiné par ses parents à la magistrature, il étudia le droit ; mais ensuite, préférant la carrière des armes, qui lui laissait plus de loisir pour s'occuper de ses méditations philosophiques, il entra, à l'âge de 22 ans, dans le régiment de Foix en qualité de lieutenant. Il fut initié alors, par des formules, des rites et des pratiques, à la secte dite des Martinistes, du nom de Martinez-Pasqualis qui en était le chef. Il n'adopta point entièrement les doctrines de cette secte. Mais ce fut par-là qu'il entra dans les voies du spiritualisme. L'état militaire n'étant guère conforme à ses inclinations, il le quitta au bout de six ans. Saint-Martin doué d'un caractère tranquille, aimait l'étude et le recueillement, où il se plongeait dans ses idées métaphysiques.

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1848 – Nouvelle revue de Bruxelles – T 5 

1848 revue bruxelles t5Nouvelle revue de Bruxelles
Nouvelle série – Année 1848 – Tome cinquième
Bruxelles, J.-B.-J. de Mortier, éditeur, imprimeur de l’Académie royale de Médecine de Belgique, rue Léopold, 84, Faubourg de Namur
1848 - Nouvelle revue de Bruxelles tome 5

Compte-rendu de l’Histoire universelle de l’Eglise, par Jean Alzog. - Extrait, page 266

Histoire universelle de l’Eglise par Jean Alzog, docteur en théologie, professeur d'exégèse et d'histoire ecclésiastique au séminaire archiépiscopal de Posen, traduite sur la troisième édition par Isidore Goschler, prêtre, docteur ès-lettres, licencié en droit, professeur de philosophie et directeur du collège Stanislas, et Charles-Félix Audlet, avec un Tableau chronologique et deux Cartes géographiques. — Tome 3; 1 vol. in-8° de 623 pages (Paris, 1847), chez Waille; — prix :6 fr.

… qu'enfin on attribue la réaction religieuse en France d'abord aux ouvrages de l'idéologue Saint-Martin, et ensuite aux scènes à la fois sévères et attendrissantes d'Atala, dont le style poétique contribua puissamment à vaincre l'indifférence d'un peuple aussi léger que spirituel. — Ne serait-ce pas enfin par le même esprit de ménagement, ou plutôt de faiblesse, qu'en parlant de l'immaculée Conception, l'auteur se contente de conclure les débats élevés sur cet article entre les Dominicains et les Franciscains par cette courte parole « Les deux Ordres religieux renouvelèrent auprès de Grégoire XV leurs tentatives pour avoir une solution que le prudent pontife ne leur accorda pas plus que ses prédécesseurs (p. 263)? » N'eût-il pas fallu ajouter, ou en cet endroit, ou plus tard en son lien, que les pontifes ses successeurs, non moins prudents que lui, trouvant les temps plus favorables, et les esprits plus mûrs, ont, depuis cette époque, donné de larges preuves de leur adhésion à ce grand privilège ; qu'avec leur autorisation de nombreuses et célèbres Eglises saluent, dans leurs offices publics, Marie comme immaculée dans sa conception, et que Marie préside avec le même titre à des communautés religieuses aussi savantes que zélées.

1848 – Nouvelle revue de Bruxelles – T 6 

1848 revue bruxelles t6Nouvelle revue de Bruxelles
Nouvelle série – Année 1848 – Tome sixième
Bruxelles, J.-B.-J. de Mortier, éditeur, imprimeur de l’Académie royale de Médecine de Belgique, rue Léopold, 84, Faubourg de Namur
1848 - Nouvelle revue de Bruxelles T 6

Article Chateaubriand et ses mémoires. – Extrait, pages 183-184

Dans cette même galerie se vient placer un portrait comique du philosophe Saint-Martin, avec lequel l'auteur du Génie du Christianisme fut convié une fois à dîner chez le peintre Neveu ; le tableau de ce dîner est une excellente caricature. M. de Chateaubriand, esprit net et clair, véritable Gaulois, et sous plus d'un [184] rapport héritier de Montaigne en droite ligne, n'a jamais goûté beaucoup les Swedenborgs. Le portrait du digne mystique Saint-Martin se ressent de cette répugnance ; voilà pourtant que le peintre est pris d'un remords, il vient de lire une brochure de Saint-Martin, où ce dernier, racontant lui-même ce fameux diner, dit, en parlant de M. de Chateaubriand: « C'est le seul homme de lettres honnête avec qui je me sois trouvé en présence depuis que j'existe... Au reste, de qui ai-je besoin, excepté de Dieu ! » —M.de Saint Martin, ajoute gracieusement l'auteur des Mémoires, vaut mille fois mieux que moi ; la dignité de sa dernière phrase écrase du poids d'une nature humaine sérieuse ma raillerie inoffensive. » Mais l'illustre écrivain est en veine de raillerie : deux pages plus loin, il nous mène au Marais, et nous fait assister aux antiques amours de Saint-Lambert et de Mme d'Houdetot, « représentant, dit-il, l'un et l'autre les opinions et les libertés d'autrefois soigneusement empaillées et conservées: c'était le XVIIIe siècle expiré et marié à sa manière. » Tout cela est peut-être un peu rigoureux.

Louis de Loménie

[Rappelons que c’est à l’initiative de Sainte-Beuve que Chateaubriand est revenu sur le portrait un peu caustique qu’il fit de Saint-Martin].


1848 – Cahagnet - Magnétisme : arcanes de la vie future dévoilés

1848 cahagnet magnetismeMagnétisme. Arcanes de la vie future dévoilés où l'existence, la forme, les occupations de l’âme après sa séparation du corps sont prouvées par plusieurs années d’expériences au moyen de huit somnambules extatiques qui ont eu quatre-vingts perceptions de trente-six personnes de diverses conditions décédées à différentes époques, leur signalement, conversations, renseignements, preuves irrécusables de leur existence au monde spirituel 
Par L.[ouis] Alph.[onse] Cahagnet 
Paris, chez l’auteur, 17, rue Tiquetonne. - Au bureau du Journal du Magnétisme, 12, rue d’Antin.
1848 - Cahagnet - Magnétisme

Séance 92. Huitième extatique. Extrait, pages 251-255

[…] Mme Gouget m'offrit encore une spécialité que n'ont pas au même degré tous les somnambules. Je la mis en rapport avec Adèle, et je désirai qu'elle vît cette dernière à l'époque où elle fit une cruelle maladie, il y a vingt ans de cela ; elle entra dans des détails à ce sujet qui durèrent une demi-heure; elle dépeignit avec minutie les lieux, meubles, personnages, paroles dites alors, jusqu'aux fleurs et légumes du jardin, qui certes n'existent plus, ainsi que la multitude d'objets qu'elle vit ;  elle raconta à Adèle jusqu'à ses moindres habitudes du jeune âge, choses futiles, qu'aucun être humain ne se donnerait la peine d'écrire pour s'en ressouvenir. Nous restâmes des plus surpris par la netteté de ces détails (1). Adèle, qui n'a cette [p.252] spécialité que par révélation, dans une consultation que lui demanda à son tour Mme Gouget, [p.253] prit sa revanche, en disant à cette dernière des particularités très-cachées de sa vie, que celle-ci [p.254] eut beaucoup de peine à se rappeler. Jamais je n'avais obtenu une séance plus curieuse; [p.255] l'amour-propre s'en mêlait, sans tourner à la jalousie, et j'obtins la certitude, comme je l'ai dit avec intention, que si les moindres pensées et actions sont réservées avec un tel soin dans le domaine de la mémoire, et survivent à l'anéantissement du corps, pourquoi l'âme qui a élaboré ces pensées serait-elle seule détruite, ou n'aurait-elle pas souvenance de son moi, de [p.256] son individualité, puisque tout ce qui a constitué cette individualité n'est nullement dispersé dans le domaine de l'univers ! bien au contraire semble y faire un faisceau plus compacte et bien mieux appréciable que dans la vie matérielle. Je dois une dernière observation sur la manière dont on a vu dans le commencement de la séance de Mme Gouget que je voulais éloigner ce saint Paul, dans lequel j'avais peu de confiance ; je désirais apprécier une dernière fois le pouvoir de la volonté du magnétiseur sur le magnétisé, et reconnaître jusqu'où l'influence du premier pouvait s'étendre. J'acquis la certitude, comme tout le monde l'aura dans ce genre de recherches, que ce prétendu pouvoir de la volonté perdait tout son empire dans les expériences spirituelles, car j'ai soutenu maintes fois à mes lucides des croyances qu'ils n'ont pu anéantir chez moi ; je les ai horriblement contrariés, fatigués par des raisonnements captieux, et je n'ai jamais pu obtenir leur assentiment sur des idées qui n'étaient pas les leurs. Aucun n'a voulu admettre le non libre arbitre ; aucun n'a représenté Dieu autrement que par un soleil brillant; aucun n'a voulu de l'enfer des catholiques…

Note de la page [251] qui se poursuit sur plusieurs pages

(1) Je vous vois couchée, dit-elle, dans un lit à rideaux bleus qui est dans une chambre où il y a deux portes. Une grande armoire est au pied de votre lit. Voilà une grande cheminée dans laquelle il y a de forts chenets. Il y a une [252] espèce de petit pot blanc devant le feu dans lequel chauffe votre tisane ; c'est votre mère que je vois qui veut seule vous la donner et vous soigner. Je l'entends qui vous donne des consolations ; elle vous défend aussi de ne pas vous gratter à la figure, qui est le principal siège où s'est porté votre mal ; vos yeux en sont couverts, vous êtes aveugle quelque temps ! Que de soins cette bonne mère vous donne ! elle passe des nuits près de vous et veut que personne ne la remplace. Je vois sous le lit une paire de sabots fins. Voilà sur la cheminée une glace antique dont l'encadrement est tout dédoré. Il y a aussi une espèce de petit bureau près d'une porte ; on sort par là pour entrer dans une autre pièce; on descend par là dans un jardin. Tiens, je vous vois y cueillir des roses et les cacher dans votre estomac, puis grappiller quelques fruits en regardant si l'on ne vous aperçoit pas. C'est surtout quand vous alliez cueillir du beau cerfeuil, que je vois là près du mur, sous un abricotier. Tiens, voilà une cabane à lapins dans le bout qui n'est pas mal garnie ; il y en a des gros, des petits ; elle a une petite porte grillée en fil de fer, une grosse pierre la tient fermée. Je vois votre mère qui arrache de belles carottes avec un piquet en bois ; elle paraît contente, elle aime bien les belles carottes. Voilà des fleurs, de la salade dans cette allée ; il y a des fleurs jaunes. Tiens, par où va-t-on par là? c'est une écurie. Voilà une belle vigne le long du mur ! etc., etc. Adèle se rappelle, au fur et mesure que Mme Gouget les lui décrit, ces détails très-exacts : lorsque cette dame est dans le jardin, Adèle croit à chaque instant qu'elle va lui dire qu'elle y voit un puits ; mais tout en passant auprès elle ne l'aperçoit pas, ce qui fait dire à Adèle : « Si elle voit tout cela dans ma pensée, puisque je pense, et veux lui faire voir ce puits, pourquoi ne le voit-elle pas ? [p.253]

Cette communication n'est plus une simple vision de choses et objets existants, puisque tout cela a disparu depuis bien des années. Mme Gouget entend les paroles, voit les gestes comme si cette scène était pleine de vie. Quand on voudrait admettre à tout prix que ces choses étaient gravées dans la mémoire d'Adèle, ce qui est très vrai, il n'en resterait pas moins à expliquer comment une telle gravure est pleine d'activité en tout temps ! Qui la fait agir ? et quel emplacement tient-elle ? On croit par ce mot : elle voit dans la pensée ! avoir tout dit. Je trouve au contraire qu'on agrandit la difficulté de répondre. S'il est possible au lucide de voir dans la mémoire des faits tels que je viens d'en décrire un, et l'histoire du magnétisme en fournit de non moins incroyables, il lui est donc possible d'y retrouver tout ce que l'homme a pu voir, entendre, dire ou faire toute sa vie. Des faits partiels peuvent être gravés dans cette mémoire non pas une fois, mais des milliers de fois; et cette impression de la plus petite scène de notre vie offre au lucide assez d'espace pour y découvrir un ciel, une terre, des lieux dans lesquels il se promène à son aise. Quel est donc l'espace que peut remplir une âme ? en comparaison de celui que doivent tenir ces images dans notre mémoire ! Répondez, princes de la science ? c'est un spiritualiste qui vous adresse cette question et vous condamne au ridicule dont vous le couvrez si vous ne pouvez la résoudre. Je vous le répète, sachez que le lucide voit dans votre pensée ce que vous ne pensez plus, mais ce que vous avez pensé ; ce que vous ne voyez plus, mais ce que vous avez vu ; ce que vous n'entendez plus, mais ce que vous avez entendu. Ainsi les secrets serments que vous avez faits à la jeune fille que vous avez trompée ! déshonorée ! abandonnée ! il les voit, et vous les dira ; il voit aussi les larmes que vous avez fait répandre, il vous entend chanter la romance qui captivait son cœur et [p.254] que vous avez oubliée, ainsi que la victime dont l'image ne vous a pas quitté ; vous la posséderez encore dans l'éternité ! Elle fait partie de vous, vous ne pouvez l'en détacher ; tout est présent et plein de vie aux yeux du lucide. Quand les corps qui ont exécuté ces actions sont rongés par les vers, il les voit agir, les entend parler, parle avec eux, se promène dans les lieux qui ne sont plus ; il trouve de ces tableaux, de ces scènes dans le domaine de votre mémoire autant qu'il s'en peut passer dans l'univers ! Entendez-vous, l'univers ! vous êtes donc un univers, répondez ? Non, puisque l'univers est un composé d'une multitude d'unités, et qu'au contraire ces unités, ces lieux, ces scènes peuvent exister chez vous des milliers de fois ! Vous êtes donc un millier d'univers ? vous êtes plus encore ! Eh bien ! si vous ne pouvez répondre à cette question, étudiez cette âme, chef-d'œuvre de la création ! vous lui accorderez bien un peu d'immortalité, puisque les plus infâmes actions en ont ! Dites qu'à défaut de mieux, vous étudierez les révélations que M. Swedenborg m'a faites au sujet de la nature des pensées, qui sont des êtres vivants, engendrant, s'immortalisant comme nous. Systèmes des corpuscules, des émanations, des images, pressentis, démontrés sous une multitude de faces depuis Pythagore à saint Martin, depuis M. Delachambre, dans son traité du système de l'âme (1), aux savantes propositions du docteur Gall, par ses protubérances, progressant, débordant et troublant les autres localités ; cet assemblage d'atomes ne peut agir sans vie ! le mot atome emporte avec lui une forme quelconque ! le mot vie emporte aussi un moi. Ainsi quelles formes donnerez-vous aux pensées du docteur Gall ? Quelle vie donnerez-vous à cet atome, si ce n'est la forme de la [255] chose même ? si ce n'est un moi qui s'unit à un autre moi. Cet atome, tout minime qu'il est, se meut, dans un but qui sort d'une volonté; voyez où nous arrivons, car il n'y a rien de mort dans la nature ; tout y est donc vivant d'une vie divisée à l'infini. Partant des formes à l'infini, nous voyons que les pensées et les actions humaines ne sont pas perdues pour le lucide, qu'elles sont bien agissantes ; en un mot, des images vivantes; les sons, le chant vibrent à son oreille ! Pensez- vous un son ? qui nous paraît avoir entré en vibration matériellement voilà vingt ans et plus, touche avec la même force et harmonie l'ouïe du lucide ; il résonnera ainsi toute l'éternité, et cette impression d'actions, d'images ne s'effacera jamais ! elle agira toujours ; car il n'y a pas une particule de la création matérielle et spirituelle en repos, nous ne pouvons donc pas priver ces actions, ces sons, ces pensées, ces images enfin, d'une vie non généralisée, confondue dans le torrent de l'existence universelle, mais individualisée, ayant une forme qui leur est propre, puisque le lucide les retrouve en tout temps ; elles sont donc spirituellement, comme nous l'ont dit le guide de Binet, MM. Mallet, Swedenborg, indestructibles, inaltérables, éternelles ! Tout étrange que paraisse cette révélation, il ne faut qu'y réfléchir pour l'admettre; il en est de même pour l'expliquer ; je tâcherai de le faire dans un ouvrage qui fera suite à celui-ci.

Note 1 de la note, page 254 :

1. Voyez encore le Journal du Magnétisme, 1er vol., pag. 160, art. Théories ; par M. J. P. Meade, n° 10, rue d’Antin.

Remerciements aux souscripteurs et conseils aux savants. Extrait, page 310-311

[310] … Je dois aussi remercier tous les souscripteurs, dont l'intuitive confiance ne sera pas désabusée, je l'espère ; ne vivant pas encore dans une atmosphère de liberté de conscience sans nuages, je dois taire quelques noms d'hommes bienveillants qui ont plus ou moins contribué à la publication de cet ouvrage, en me facilitant à obtenir le nombre que je désirais de souscripteurs, ne voulant rendre personne responsable d'une œuvre qu'on a peut-être acceptée avec trop de faveur, sans la connaître. Que ne puis-je citer le nom d'un confiant disciple de Swedenborg qui m'a avancé les fonds nécessaires à l'impression, et celui d'un généreux ami des lumières qui a souscrit pour 100 francs.

Mais honte aux savants auxquels je me suis adressé et qui ne m'ont pas fait l'honneur d'une réponse. Quelle peut en être la raison? Je voulais leur démontrer mathématiquement l'existence [311] d'une âme de laquelle ils parlent, mais à laquelle ils ne croient pas ! Je voulais leur enseigner une école, où tous les hommes en général seront forcés d'aller faire de nouvelles études. Je venais solliciter humblement l'obole de la philanthropie, pour m'aider dans cette publication. A qui m'adressé-je, hélas ! Je voulais éclairer qui enseigne ! Je demandais à qui mendie ! J'offrais de vendre aux princes du commerce ! Je dois m'écrier avec Saint-Martin : « Rien n'est plus aisé que d'arriver à la porte des vérités, rien n'est plus rare et difficile que d'y entrer, » [Œuvres Posthumes, Tome premier, 1807, p.200] et c'est là le cas de la plupart des savants de ce monde !


1848 - Magasin pittoresque (le) - Tome XVI. N° 4, Jacob Bœhme, le théosophe

1848 magasin pittoresqueLe magasin pittoresque, rédigé, depuis sa fondation, sous la direction de M. Édouard Charton
Seizième année
1848
Paris, aux bureaux d’abonnement et de vente, 29, quai des Grands Augustins
M DCCC XLVIII - Le Magasin pittoresque - Tome XVI. N° 4

Jacob Bœhme, le théosophe - Tome XVI. N° 4, p. 26-28

[p.26]

Voyez sur Saint-Martin, 1845, p. 330, 357.

Jacob Bœhme, le plus célèbre des théosophes, naquit en 1575 au vieux Seidenburg, petite ville de la haute Lusace, à un demi-mille environ de Gorlitz. Ses parents étaient de la dernière classe du peuple. Ils l'occupèrent pendant plusieurs années à garder des bestiaux. Quand il fut un peu plus avancé en âge, ils l'envoyèrent à l'école, où il apprit à lire et à écrire, et de là ils le mirent en apprentissage chez un maître cordonnier à Gorlitz, Il se maria à dix-neuf ans, eut quatre fils, à l'un desquels il enseigna son métier de cordonnier, et mourut à Gorlitz en 1624, à la suite d'une maladie aiguë, n'ayant jamais abandonné l’exercice de son humble profession.

Il publia en 1612 l'Aurore naissante, écrit très obscur et informe, de l'aveu même de ses partisans, mais qui contenait déjà tous les germes d'une vaste doctrine développée dans de nombreux traités qui parurent ensuite. On raconte que sur la lecture d'un de ces écrits, le Traité des quarante questions sur l'âme, le roi Chartes 1er témoigna sa surprise et son admiration, et envoya un homme de loi à Görlitz, pour recueillir tous les documents qu'on pourrait trouver sur l’auteur et sur ses opinions. De retour de cette mission, Jean Sparrow donna, longtemps après la mort du roi, une traduction anglaise de la totalité des œuvres de Bœhme. A la fin du siècle dernier, l'Anglais William Law édita de nouveau plusieurs traités du même auteur. Le célèbre Saint-Martin, se lamentant, dans ses Œuvres posthumes, de voir le peu de fruit que l'homme retire de tout ce qui lui est offert pour son avancement : « Ce ne sont pas mes ouvrages, dit-il, qui me font le plus gémir sur cette insouciance, ce sont ceux d'un homme dont je ne suis pas digue de dénouer les cordons de ses souliers, mon chérissime Bœhme. Il faut que l'homme soit entièrement devenu roc ou démon, pour n'avoir pas profité plus qu'il n'a fait de ce trésor envoyé au monde il y a cent quatre-vingts ans ». D'après cela, on ne s'étonnera pas trop que le philosophe inconnu se soit consacré à l'entreprise laborieuse d'étudier le théosophe de Gorlitz dans ses écrits originaux, malgré que la lecture en soit très difficile aux Allemands eux-mêmes, et bien que Saint-Martin, comme il nous l'apprend, ait ignoré le premier mot d'allemand jusqu'à son neuvième lustre accompli. Quoi qu'il en soit, il a commencé de faire connaître en France celui dont il se déclarait le disciple, en publiant successivement, à partir de 1801 : 1e l'Aurore naissante: 2e les Trois principes de l'essence divine; 3e les Quarante questions sur l'âme ; et 4e la Triple vie de l'homme. Ces diverses traductions forment à peu près le tiers des œuvres de Boehme, dont il n'y avait que deux ouvrages traduits jusqu'alors en vieux langage : le premier, la Signatura rerum, imprimé à Francfort, en 1664, sous le nom du Miroir temporel de l'éternité, et qui passe pour être aussi inintelligible dans la traduction que dans l'original ; et le second, à Berlin, 1722, in-12, intitulé le Chemin pour aller à Christ. — Madame de Staël a consacré à Jacob Bœhme un des chapitres de son livre De l'Allemagne, et un écrivain beaucoup plus récent, l'auteur de l'Histoire de la papauté, M. Léopold Ranke de Berlin, atteste que malgré leur fréquente [p.27] obscurité et la complète absence de style, les écrits de Bœhme s'emparent très fortement de l'esprit du lecteur.

1848 magasin pittoresque Boehme1Voici comment l'auteur expose lui-même, dans une de ses préfaces, l'objet de sa doctrine : « Je veux, dans ce livre traiter de Dieu notre Père qui embrasse tout et qui lui-même est tout. J'exposerai comment tout est devenu créaturel et séparé, et comment tout se meut et se conduit dans l'arbre universel de la vie. Vous verrez ici la véritable base de la divinité ; comment il n'y avait qu'une seule essence avant la formation du monde ; comment et d'où les saints anges ont été produits ; quelle est l'effroyable chute de Lucifer et de ses légions ; d'où sont provenus les cieux, la terre, les étoiles et les éléments ; et dans la terre, les métaux, les pierres et toutes les créatures ; quelle est la génération de la vie et la corporisation de toutes choses ; comme aussi quel est le vrai ciel où Dieu réside avec les saints ; ce que c'est que la colère de Dieu et le feu infernal...; en bref, ce que c'est que l'Être des êtres. » (Préface de l'Aurore naissante, v. 105 et 106.) – Je ne crains pas que le lecteur prenne à la lettre un si merveilleux programme; mais j'ai voulu, par cette citation, montrer à quelle hauteur de méditations avait su s'élever cet homme simple, né pâtre et mort cordonnier. Il n'y a pas moins à admirer dans la hardiesse avec laquelle il aborde les questions les plus ardues de la philosophie, par exemple, la question de l'existence du mal. « C'est de lui (de Dieu) que tout est engendré, créé et provenu, et toute chose prend sa première origine de Dieu… Dieu n'a engendré de soi aucun démon, mais des anges dans la joie, vivant pour ses délices. Mais on voit qu'ils sont devenus démons, ennemis de Dieu. Ainsi on doit chercher la source et la cause d'où provient cette première substance du mal; et cela dans la génération de Dieu, aussi bien que dans les créatures ; car tout cela est un dans l'origine, et tout a été fait de Dieu...» (Les Trois principes, c. I, v. 5.) – La clef du mystère, c'est, suivant Bœhme, que tout esprit rebelle tarit en lui-même une des sources de la génération divine; et la vie divine ainsi mutilée en lui n'est plus qu'âpreté, angoisse, ténèbres et colère. Car, « tant que la créature, dit-il, est dans l'amour de Dieu, le colérique ou l'opposition (l'une des sources) fait l'exaltation de l'éternelle joie ; mais si la lumière de Dieu s'éteint, il fait l'éternelle exaltation de la source angoisseuse et le feu infernal, » (Ibid. Préface, p. XVII.) – De sorte que la considération de ces sources multiples de la vie qui en Dieu existent sans séparation et de toute éternité, mais qui se séparent pour l'esprit mauvais, permet à Boehme de s'écrier : « Dieu est partout ; le fondement de l'enfer est aussi partout », comme dit le prophète David : « Si je m'élance vers l'aurore, ou bien dans l'enfer, tu es là ! De plus : Où est le lieu de mon repos ? N'est-ce pas moi qui remplis tout ? etc... » (Les Trois principes, c. 17, v. 78.) – Mais il faut avouer que l'absence de mots convenables pour exprimer des idées si éloignées des objets ordinaires du savoir humain, et surtout la nécessité de représenter à l'imagination comme séparées, opposées et discontinues, ces sources qui, en Dieu, sont toujours réunies, a pu donner quelque apparence de fondement à l'accusation de manichéisme que répètent contre Boehme les auteurs du très superficiel article de la Biographie universelle.

Les jugements de Madame de Staël sur « les Philosophes religieux appelés Théosophes (De l'Allemagne, IVe partie, c. VII) », sont plus équitables et plus réservés. Toutefois, lorsque cet illustre écrivain cherche à établir une distinction, d'ailleurs nécessaire, entre les philosophes mystiques « qui s'en sont tenus à l'influence de la religion sur notre cœur, et les philosophes théosophes, tels que Jacob Boehme en Allemagne et Saint-Martin en France, qui ont cru trouver dans la révélation du christianisme des paroles mystérieuses pouvant servir à dévoiler les lois de la création », le lecteur court le risque, d'après ces paroles, de confondre la doctrine de Bœhme et de Saint-Martin avec ce qu'on appelle vulgairement la philosophie cabalistique. Ce serait une idée fausse. La marche de Bœhme est entièrement conforme à celle que Saint-Martin avait préconisée dans ses premiers écrits, c'est-à-dire avant de connaître ceux du théosophe allemand. – L'homme en sa qualité d'image de Dieu, et comme pouvant obtenir, malgré sa dégradation originelle, le rétablissement des traits de cette image, porte en lui-même les preuves de toutes les vérités qu'il lui importe de connaître. Il doit recueillir avec joie les nombreuses confirmations que lui offrent sous ce rapport l'étude des saintes écritures et celle des phénomènes naturels ; mais comme c'est lui-même qui dans l'origine avait reçu la mission sublime de manifester l'Être divin à toute la création, c'est méconnaître sa dignité et ses droits que de vouloir soumettre son assentiment à des témoignages purement externes, quelque respectables qu'ils puissent être. – Cette vue, qui dans l'application peut avoir ses périls, mais à laquelle on ne refusera pas quelque grandeur, donne le secret de cette fougue de philosophie qui fait promettre à Jacob Bœhme de dévoiler tous les secrets de la création, comme on l'a vu dans le programme rapporté ci-dessus... « Quoique nous parlions de la création du monde, comme si nous y avions été et que nous l'eussions vue, personne ne doit s'en étonner, et regarder cela comme impossible ; car l'esprit qui est en nous, qu'un homme hérite de l'autre, qui a été soufflé de l'éternité dans Adam, cet esprit a tout vu et il voit tout dans la lumière de Dieu ; et il n'y a rien pour lui d'éloigné, rien d'inscrutable ; car l'éternelle génération qui est cachée dans le centre de l'homme ne fait rien de nouveau ; elle reconnaît et opère exactement ce qu'elle a fait de toute éternité. » (Les Trois principes, VII, 6.)

D'après cela on peut s'assurer que la doctrine théosophique, en appelant l'homme à la contemplation des grands problèmes de l'univers, ne l'éloigne pas de lui-même comme font les philosophies purement humaines ; au contraire elle l'y ramène sans cesse. Pour elle l'histoire de l'univers est inséparablement unie à celle de l'homme, et on pourrait presque dire que, dans Bœhme et dans Saint-Martin, c'est celle de l'homme lui-même. Leur but unique et avoué est de montrer à l'homme qu'il possède ou du moins qu'il peut conquérir la clef de tous les mystères, et qu'une voie facile lui est ouverte pour rentrer dans la jouissance de tous ses droits. Aussi ne se font-ils pas faute de récriminer contre la sagesse qui se borne à raconter les misères de l'homme, sagesse qu'ils appellent historique, par opposition à la sagesse vive qui le fait dès ce monde travailler activement à sa réintégration.

Les théosophes ont donc avec les philosophes mystiques ce trait commun de mettre en relief « l'influence de la religion sur notre cœur », et de plus voici comment je me confirme dans l'opinion que pour établir entre eux une distinction précise il faudrait recourir à d'autres caractères.

Qui pourrait lire sans en être touché ce passage du livre De l'Allemagne : « Pendant longtemps on ne croit pas que Dieu puisse être aimé comme on aime ses semblables. Une voix qui nous répond, des regards qui se confondent avec les nôtres, pleins de vie, tandis que le ciel immense se tait ; mais par degrés l'âme s'élève jusqu'à sentir son Dieu près d'elle comme un ami ». Or cette suave pensée qui devait s'offrir à madame de Staël quand elle s'est occupée des écrivains mystiques, parce que c'est pour ainsi dire tout le fonds de leurs écrits, cette même pensée se rencontre sous toutes les formes et pour ainsi dire à chaque pas dans Saint-Martin et dans Boehme ; dans chacun d'eux avec le caractère propre à leur génie. « Où veux-tu aller chercher Dieu ? dit Bœhme. Dans l'abîme au-dessus des étoiles ? Tu ne le trouveras pas là. Cherche-le dans ton cœur, dans le centre de l'engendrement de ta vie ; là tu le trouveras! » (Les Trois principes, IV, 18.) Et souvent il revient avec âpreté contre ceux qui cherchent Dieu au-dessus des étoiles. [p.28]

Comme les ouvrages de Bœhme sont très peu répandus, je transcrirai encore un passage qui se rapporte à cette question de la présence de Dieu au cœur de l'homme, et qui de plus me paraît très propre à donner une idée de la manière de l'auteur.

« La raison, qui est sortie du paradis avec Adam, demande : Où le paradis se trouve-t-il ? Est-il loin ou près: Ou bien : Où vont les âmes quand elles vont dans le Paradis ? Est-ce dans ce monde ou hors du lieu de ce monde, au-dessus des étoiles ? Où demeure donc Dieu avec les anges ? et où est la chère patrie où il n'y a point de mort ? Puisqu'il n'y a ni soleil ni étoiles dans cette région, ce ne doit pas être dans ce monde ; autrement on l'aurait trouvée depuis longtemps. — Chère raison, personne ne peut prêter à un autre une clef pour ceci... chacun doit ouvrir avec sa propre clef, autrement il n'entre point, car la clef est l'esprit saint ; s'il a cette clef, il peut entrer et sortir. — Il n'y a rien de plus près que le ciel, le paradis et l'enfer. Celui de ces royaumes vers qui tu penches et vers qui tu te tournes est celui dont tu es le plus près dans ce monde : tu es entre le paradis et l'enfer, et entre chacun il y a une génération ; tu es dans ce monde entre ces deux portes, et tu as en toi les deux engendrements. Dieu te guette à une porte et t'appelle ; le démon te guette à l'autre porte, et t'appelle aussi : quel que soit celui avec qui tu marches, tu entres avec lui. Le démon a dans sa main la puissance, la gloire, le plaisir et la joie, et la racine dans ceci est la mort et le feu. Au contraire, Dieu a dans sa main la croix, la persécution, la misère, la pauvreté, le mépris et les souffrances, et la racine dans ceci est un feu, et dans le feu il y a une lumière ; dans la lumière, la puissance ; dans la puissance, le paradis ; dans le paradis, les anges, et avec les anges, les délices. Ceux qui n'ont que des yeux de taupe ne peuvent voir ceci, parce qu'ils sont du troisième principe (de ce monde ), et ne voient que par le reflet du soleil ; mais lorsque l'esprit saint vient dans l'âme, alors il l'engendre de nouveau ; elle devient un enfant du paradis ; elle obtient la clef du paradis, et elle peut en contempler l'intérieur ». (Les Trois principes, IX.)

Si cet article n'était pas déjà trop long, j'aurais pu trouver encore, au milieu des incohérences et obscurités rebutantes de l'Aurore et des Trois principes, des détails pleins de grâce sur le commerce des anges ; une peinture curieuse de l'intervention de l'archange Michel dans le royaume révolté de Lucifer, et surtout une touchante description de la lutte entre l'Esprit de ce monde et la Sagesse divine (ou éternelle SOPHIE ) dans le cœur du premier homme au moment de sa chute. Et j'ose croire qu'en rapprochant tous ces détails de la mission de Sparrow, que j'ai relatée en commençant, le lecteur serait conduit comme moi à penser que le chantre du Paradis perdu s'est peut-être inspiré des travaux du cordonnier de Görlitz pour le choix de son sujet, et même a pu lui emprunter quelques couleurs pour ses brillants tableaux. C'est une conjecture qui n'est pas dénuée de toute vraisemblance et qu'il serait très intéressant de pouvoir vérifier.