1862 - Revue spiritualiste

1862 revue spiritualiste t5Revue spiritualiste
Journal mensuel principalement consacré à l’étude des facultés de l’âme, à la démonstration de son immortalité et à la preuve de la série non interrompue des révélations et de l’intervention constante de la Providence dans les destinées de l’humanité, par l’examen raisonné de tous les genres de manifestations médianimiques et de phénomènes psychiques présents ou passés et des diverses doctrines de la philosophie de l’histoire envisagée au point de vue du progrès continu.
Rédigé par une société de spiritualistes et publié par
Z. J. Piérart, ex-rédacteur en chef du Journal du magnétisme, membre de diverses Sociétés savantes.
Tome V. 1re livraison
Paris, bureaux, rue du Bouloi, 21
1862

Page 339 ; 342-345

Bibliographie [page 339] — Saint-Martin, sa vie, ses écrits, son maître Martines et leurs groupes, par M. Matter.

[page 342] C’est aussi pourquoi nous recommandons également à nos lecteurs le beau livre que vient de publier M. Matter sur un théosophe remarquable, homme vertueux s’il en fut, trop longtemps désigné sous le nom de philosophe inconnu, qu’on pourrait à bon droit appeler aussi le philosophe méconnu, et qui, grâce à M. Matter, sera désormais connu comme il mérite de l’être. Saint-Martin, sa vie, ses écrits, son maître Martines et leurs groupes, d’après des documents inédits, l gros volume in-8, chez Didier (prix 7 fr.) : tel est le livre que vient de mettre au jour M. Matter, après de nombreuses recherches.

Tout homme lettré en France et à l’étranger connaît M. Matter, conseiller honoraire de l’université de France, ancien inspecteur des bibliothèques publiques, auteur d’un grand nombre d’ouvrages sur l’enseignement. M. Matter, on le sait, indépendamment de tant d’ouvrages utiles, a publié une histoire de l’école d’Alexandrie, des histoires du gnosticisme, du christianisme, de la philosophie, des doctrines morales, etc., etc.

Ses nombreux travaux lui ont fait toucher partout et de tout près les vérités spiritualistes telles que nous les enseignons. Il les a confessées ouvertement dans un de ses plus récents ouvrages, la Philosophie de la religion (1. Voyez le compte rendu que nous faisons de cet ouvrage dans la Revue spiritualiste, t. II, p. 221). Il lui appartenait plus [page 343] qu’à tout autre d’élever à la mémoire de Saint-Martin le beau monument que nous signalons ici. C’est une gloire pour l’humble philosophe d’avoir trouvé un tel biographe. Mais hâtons-nous de dire qu’il la méritait de tout point. En effet, qu’est-ce que Saint-Martin ? C’est le type moral le plus accompli qui ait existé dans la France sceptique et corrompue du XVIIIe siècle. Né à Amboise, cette ancienne colonie des Gaulois Carnutes, et peut-être descendant de quelques-uns de ces enfants du principal foyer druidique, Saint-Martin sembla en avoir hérité l’esprit mystique, les fortes croyances spiritualistes. — De plus, gentilhomme, élevé pour la magistrature, puis officier de cavalerie, il garda de ces trois phases de sa carrière l’urbanité exquise d’un homme du monde, la gravité d’un homme de loi, l’âme chevaleresque d’un soldat français, ce qui ne contribua pas peu à lui créer de nombreuses et belles relations avec la plus haute société de son temps. La révolution l’appauvrit, l’inquiéta; il sut lui rendre justice, et, tout en s’affligeant des hommes, il demeura inébranlablement attaché aux principes. Il devint philosophe spiritualiste à une époque où tous se faisaient athées, sceptiques, matérialistes ; il se maintint intact et vertueux au milieu de tous les genres de corruption. C’est à tant de qualités qu’il dut de faire respecter ses croyances au sein d’une société voltairienne que les malheurs du temps ne purent même modifier.

Saint-Martin connut les spiritualistes de son époque, et le nombre en fut plus grand qu’on ne pense, surtout à l’étranger. Le juif Martinez Pasqualis fut son initiateur; c’est à Bordeaux et sous les ailes de ce maître cabaliste que Saint-Martin entra dans le temple. Depuis il s’en détacha et se fraya par lui-même une route plus élevée. Il sut entrer en commerce avec les Esprits supérieurs en s’affranchissant des formules compliquées, des opérations théurgiques de son maître. De plus, dans ses exercices spirituels, une chose qu’il rechercha avant tout, ce fut son avancement moral. Plus tard, il connut l’abbé Fournié, l’un des médiums les plus étonnants du XVIIIe siècle, et [page 344] dont M. Matter fait connaître les visions, les écrits remarquables.

Saint-Martin fut en relation à Paris, à Lyon, à Londres, à Strasbourg, avec une foule d’autres spiritualistes, entre autres avec Cazotte, le Calchas de la révolution ; avec la marquise de Lacroix, qui eut des manifestations médianimiques pleine d’intérêt; avec le comte d’Hauterive, dont M. Matter fait connaître les extases ; avec les savants mystiques Oberlin, Salzmann et leurs amies mesdames d’Oberkirch, de Franck, de Rozemberg, la comtesse Potoka, qui l’initièrent aux doctrines de Jacob Bœhme. Il connut le fameux philosophe Schelling, le général Gichtel, autre mystique célèbre, Lavater, le baron Liebisdorf, le prince de Hesse, le comte de Bernstorf, le baron de Gleichen, disciple du comte de Saint Germain ; les savants mystiques Eckartshausen, Jung-Stilling, le comte de Divonne, la baronne de Krüdener, etc., etc.; enfin la duchesse de Bourbon, pour laquelle il écrivit un livre intitulé Ecce homo, titre semblable à celui de Lavater dont nous avons parlé (2. Voy. Tome III de la Revue spiritualiste, p. 142). M. Matter, en parlant des relations que Saint-Martin eut avec beaucoup de grands personnages du Nord, fait connaître l’école mystique à laquelle ils appartenaient et les manifestations physiques auxquelles ils s’adonnaient. Il nous montre ensuite le philosophe inconnu portant le spiritualisme à l’école normale, et luttant avec succès contre Garat. Il acquiert alors l’estime et plus tard l’amitié du baron de Gérando, de Maine de Biran et de Châteaubriand, qui, après l’avoir d'abord méconnu, parle de lui avec les plus grands éloges. M. Matter ne nous laisse ignorer aucun des détails de la vie de cet homme de bien. Il fait connaître ses écrits divers, toujours de plus en plus clairs comme style et comme idées : le Livre des erreurs et des vertus [sic], le Tableau naturel, d’abord ; ensuite l’Homme de désir, le Nouvel homme, la Théorie mystique des nombres, une théorie sur les médiums, ébauchée en 1795; l’Eclair sur l’association humaine, Le Crocodile ; enfin, l’Esprit des choses et le Ministère de l’homme Esprit. [page 345]

A la suite des chapitres intéressants où la vie et les œuvres de Saint-Martin sont envisagées, l’auteur en consacre plusieurs qui sont un retour sur le théosophe. Il fait connaître sa vie intérieure, la lutte entre la philosophie critique et la spéculation mystique, il s’étend en considérations générales sur les grandes ambitions du mysticisme et de la théosophie, les lumières et les révélations extraordinaires, les communications avec les Esprits supérieurs ; sur la théurgie, les manifestations, les apparitions et les visions ; sur l’école de Copenhague et l’école de Bordeaux ; sur le mysticisme chrétien comparé à celui de Saint-Martin ; sur les faveurs permanentes et les faveurs exceptionnelles, les états extraordinaires, les extases, les ravissements, les dons extraordinaires, la clairvoyance, la seconde vue, les oracles et les prophéties ; sur le somnambulisme, l'illumination et les clartés, le développement extraordinaire des facultés organiques ou physiques ; la puissance magique de certains noms, l’invocation et l’évocation du grand nom ; sur le développement merveilleux des facultés ; enfin, sur la couronne, le grand problème de la science des mœurs, les trois règles de Descartes et les cinq règles de Saint-Martin, les idéalités ambitieuses, c’est-à-dire l’union avec Dieu et la participation à la puissance divine, etc.

Tel est l’aperçu du programme que développe M. Matter d’une plume exercée, la plus compétente et la plus expérimentée peut-être qui soit en Europe sur ces graves matières. En le lisant, on reconnaît le philosophe érudit auquel aucune école, aucune doctrine n’est étrangère; qui les juge et les compare sainement, et sait vous montrer la haute raison d’être, les fondements inéluctables de celle qui est l’objet de sa prédilection. Il nous fait aimer Saint-Martin, et vous montre de combien cet homme juste et simple dépassa en grandeur morale, en idéalité, en philosophie religieuse, tant de célébrités retentissantes. Mais nous reviendrons plus amplement sur le beau travail de M. Matter, et le ferons connaître par des extraits.

bouton jaune   Saint-Martin, sa vie, ses écrits, son maître Martines et leurs groupes, par M. Matter.