[Le magnétisme]

Elle s'intéressait aussi au magnétisme et assistait aux expériences du baron du Potet. Un jour, elle fut effrayée de cette puissance occulte et se mit à écrire son intéressant roman. : La Science funeste [1847], qui parut dans le Correspondant. Son héros est un magnétiseur perdu de vices, lequel, froidement, inexorablement, attire à lui, pour la violer, une jeune fille chaste et pure. On dirait la fascination de l'oiseau par le serpent. Le scélérat est découvert à temps et ne parvient pas à l'accomplissement [page 86] de son crime. Mais la morale qui se dégage de l'œuvre n'en est pas moins intense. On y voit aussi une poétique réhabilitation des utopistes, comparés aux hommes d'action.

Anna-Marie avait, dans sa jeunesse, connu Scévole Cazotte, mort bibliothécaire du Palais de Trianon, et fils de ce Jacques Cazotte que le Diable amoureux et le prophétique dîner décrit par La Harpe, à propos de la Révolution, ont rendu immortel. Scévole transmit à Anna-Marie les secrets de la vieille marquise de la Croix, qui fut sa seconde mère. Veuve d'un grand seigneur attaché à la Cour d'Espagne, cette marquise de la Croix était entichée de théosophie et d'illuminisme. Très liée avec Cazotte père, elle regardait les mauvais esprits comme la cause du plus grand nombre des infirmités qui affligent l'espèce humaine. À l'exemple du curé bavarois Gassner, elle les chassait par la prière et l'imposition des mains. De notre temps, un hospitalier de Saint-Jean-de-Dieu, qui fit schisme, le père Hilarion Tissot, a tenté de rajeunir cette théorie démonopathique. [page 87] L'amie de Cazotte regardait aussi la Révolution comme l'œuvre de Satan, et elle se vantait d'avoir détruit un talisman en lapis-lazuli que le duc d'Orléans avait reçu en Angleterre du Grand-Rabbin Faleck-Scheck. Elle assurait que ce talisman, qui devait faire arriver le duc au trône, avait été par la seule puissance de ses prières brisé sur la poitrine de ce prince, un jour où il lui était arrivé de tomber sans connaissance en pleine Assemblée nationale. Anna-Marie, dans sa Famille Cazotte, a fait revivre la physionomie de cette marquise étonnante en même temps qu'elle nous explique la genèse du Diable amoureux, et nous expose les relations de l'auteur de cet étrange roman avec les kabbalistes de son époque et les adeptes du célèbre Martinez Pasqualis. C'est un de ses ouvrages les plus curieux.

Signalons encore d'elle comme dignes d'être lus, les trois ouvrages suivants :

- Vie de la Vierge (illustrée par Th. Fragonard) ;

- Les Cathelineau, sorte de biographie passionnée du cardeur de laine vendéen [page 88] qui se fit, avec ses nombreux enfants, le Mathatias de la Royauté expirante ;

- Histoire de Jeanne d'Arc, adaptation d'une œuvre de même genre due à l’Allemand Guido Gærres, fils de l'auteur de la Mystique divine, naturelle et diabolique.

Dans les dernières années de sa vie, Anna-Marie était bien délaissée, bien abandonnée. Entourée de perruches, d'angoras et d'épagneuls, elle ne voyait guère que Lamartine et cet Ulrich Guttinguer, poète qui mena grand bruit en son temps et dont personne ne saurait aujourd'hui le nom, sans un vers un peu libre des Contes d'Espagne et d'Italie, d'Alfred de Musset [page 39 : Les Marrons du feu, dédié à M. U. Guttinguer, par son ami dévoué]. Le siècle avait marché : la littérature aussi.

 bouton jaune   Les Illuminés - IV – ANNA-MARIE, p. 76-88