1834 – Damiron - Essai sur l’histoire de la philosophie en France au XIXe siècle – 3ème édition – Tome 1er

1834 Damiron t1aEssai sur l’histoire de la philosophie en France au XIXe siècle
Par M. Philibert Damiron (1794-1862), Professeur de philosophie à l’École Normale et au Collège royal de Louis Le Grand.
Troisième édition, revue et augmentée d’un supplément
Tome premier
Paris, Librairie classique et élémentaire de L. Hachette, ancien élève de l’Ecole Normale, rue Pierre Sarrazin, n° 12.
1834 - Essai sur l’histoire de la philosophie en France au XIXe siècle

Nous ne reproduisons que les éléments nouveaux que Damiron a ajouté dans cette 3e édition, dans l'introduction, sur l'école sensualiste et Garat, sur Joseph de Maistre.
Rappelons que c'est lors de la 2e édition, parue en 1828, que Damiron parle pour la première fois du Philosophe inconnu dans un article important. Dans cette édition Damiron reproduit à l'identique cet article :

Article : SAINT-MARTIN, (Le Philosophe inconnu) - Né en 1743, et mort en 1803.

Introduction – Extrait, page 46

Si , dans la période que nous venons de parcourir, c'est-à-dire de 1795 à 1803 et 1804, il se manifesta quelque opposition à la philosophie sensualiste, elle fut plus indirecte que directe, plus littéraire que scientifique. Elle aurait eu peine à compter quelques métaphysiciens dans ses rangs ; ce ne serait pas Saint-Martin, le philosophe inconnu, qui pût bien aux écoles normales, sur le terrain de la critique, combattre avec succès le principe de la sensation, mais qui, dans ses dogmes positifs, obscur, bizarre et enveloppé, affecta le mysticisme, et écrivit pour les initiés et nullement pour le public. Son spiritualisme singulier ne sortit pas de l'arcane où il se plut à le renfermer. M. de Maistre, à cette époque, quoiqu'il eût déjà dans quelques écrits déposé le germe de son système, n'avait encore, dans le monde savant, ni nom, ni rôle de chef d'école : retiré en Russie, où il vécut, jusqu'au moment de la restauration, il était ignoré du plus grand nombre.

École sensualiste - Garat – Extrait, page 134-135

… Ainsi, Garât, quoi qu'il fasse, est mis de force hors du doute dans lequel il prétend se renfermer : ou il faut qu'il renonce au pur système de la sensation, et que, comme M. la Romiguière, il en vienne au sens [135] moral ; ou il faut qu'avec Cabanis, Volney et M. de Tracy, il accepte en psychologie l'explication du sensualisme. S'il balance à l'accepter, c'est faute de conséquence ; c'est que l'opinion qu'il professe n'est pas seule dans sa pensée, et qu'à côté il y en a une autre, moins formelle et moins saillante, qu'il ne s'avoue pas si haut, mais qu'il ne sent pas moins ; et cette opinion est celle qui, fondée sur la conscience , lui fait voir obscurément, mais constamment, qu'il y a pour la science d'autres attributs que ceux qui sont connus par la sensation : voilà pourquoi il ne se prononce pas, nous le supposons, du moins ; car, du reste, il raisonne trop bien pour ne pas tirer avec rigueur la conclusion matérialiste contenue dans le système dont il embrasse la doctrine (1).

Note
(1) Il ne serait pas sans intérêt de lire, dans le Recueil des écoles normales, les discussions auxquelles donnaient lieu les leçons de Garat; on y remarquerait surtout une réponse de Saint-Martin sur le sens moral, qui mérite attention.

École théologique. Monsieur le comte Joseph de Maistre. Extrait, pages 224-225

L'objet de notre Essai est uniquement métaphysique. S'il était quelque chose de plus, s'il était politique, religieux, esthétique, s'il nous fallait embrasser et juger tous les systèmes qui sont sous ces noms, ce ne serait plus une critique de la philosophie proprement dite, mais une histoire générale des opinions de notre temps, que nous serions tenu de présenter. Tel n'a point été notre dessein : il est plus borné et moins haut ; il ne regarde que cette partie des opinions qui est simplement spéculative. Cependant, comme la spéculation n'est pas si séparée de la pratique, et la pure philosophie de ses applications positives, qu'on n'aille bien des unes aux autres, nous ne pouvons guère nous refuser de suivre, au moins dans de courtes excursions, les penseurs qui, au bout de [225] leurs théories, rencontrent l'art, la religion ou la politique et sortent alors de la métaphysique pour entrer dans des questions d'un ordre moins abstrait. Ainsi, après avoir considéré dans notre examen de M. de Maistre surtout les Soirées de Saint-Pétersbourg, nous allons jeter un coup d'œil sur son ouvrage du Pape, quoiqu'il soit plus politique que philosophique. Nous en indiquerons seulement la doctrine générale (1).

Ce qui rend la souveraineté possible et nécessaire dans la société, c'est que l'homme est à la fois bon et méchant, moral et corrompu (2). Elle est donc par le fait seul de la nature humaine, et non par la grâce des peuples.

Notes
(1) Nous aurons l'occasion d'y revenir au chapitre de M. de Lamennais, et alors nous rapporterons une discussion très nette et très ferme de ces idées. Nous l'emprunterons à M. Ch. de Rémusat, qui l'a écrite dans le Globe, avec beaucoup d'autres excellents articles.
(2) Saint-Martin dit à peu près la même chose.

1834 – Damiron - Essai sur l’histoire de la philosophie en France au XIXe siècle – 3ème édition – Tome second

1834 Damiron t2Essai sur l’histoire de la philosophie en France au XIXe siècle
Par M. Philibert Damiron (1794-1862), Professeur de philosophie à l’École Normale et au Collège royal de Louis Le Grand.
Troisième édition, revue et augmentée d’un supplément
Tome second
Paris, Librairie classique et élémentaire de L. Hachette, ancien élève de l’Ecole Normale, rue Pierre Sarrazin, n° 12.
1834 - Essai sur l’histoire de la philosophie en France au XIXe siècle T.2

Supplément

Retour sur quelques auteurs déjà examinés ; revue de quelques auteurs non encore examinés, dans les précédentes éditions.

Extrait, pages 291-292

Quant à l’école théologique, il n'y a pas même unité entre les écrivains que j'ai rapprochés sous ce titre commun. En effet, MM. de Maistre, de Lamennais et de Bonald, sont des philosophes catholiques, des penseurs orthodoxes, et on ne pourrait en dire autant de quelques-uns de ceux que je leur ai adjoints, de Saint-Martin en particulier; sous ce rapport la dénomination par laquelle je les désigne n'est pas sans doute très exacte ; elle ne l'est pas non plus en ce sens que ceux-là seuls auxquels elle s'applique, [292] traitent des questions religieuses et ne traitent que ces questions; je n'ai pas besoin de le démontrer. Mais comme tous ont une tendance à tirer la philosophie d'une faculté qui n'est ni la sensation, ni la conscience , et qui sous le nom de religion, de foi et d'inspiration est directement ou indirectement, immédiatement ou par tradition, une manière de s'éclairer qui n'a en quelque sorte rien d'humain et qui vient de Dieu seul, j'en fais, d'après cette circonstance, une école particulière, que d'après cette circonstance aussi j'appelle théologique, ayant soin d'ailleurs de noter toutes les nuances qui la distinguent.

Extrait, pages 305-306

M. Sainte-Beuve, que je ne puis m'empêcher dans ma mémoire, et ma faiblesse de professeur déjà un peu vieux, de compter parmi les élèves qui ont honoré mes leçons, je lui emprunte un morceau dans lequel il exprime son opinion, d'après la lecture qui lui en a été faite, du livre de philosophie de M. de Lamennais.

« Pendant les intervalles de la controverse vigoureuse, à laquelle on l'aurait cru tout employé, serein et libre, retiré de ce monde politique, où le Conservateur l'avait vu un instant mêlé, et d'où tant d'intrigues hideuses l'avaient fait fuir, entouré de quelques pieux disciples, sous les chênes druidiques de la Chesnaye, seul débris d'une fortune en ruines, il composait les premières parties d'un grand ouvrage de philosophie religieuse, qui n'est pas fini, mais qui promet d'embrasser par une méthode toute rationnelle l'ordre entier des connaissances humaines, à partir de la plus simple notion de l'être. Le but dernier de l'auteur, dans cette conception encyclopédique, est de rejoindre d'aussi près que possible les [306] vérités primordiales d'ailleurs imposées, et de prouver à l'orgueilleuse raison elle-même qu'en poussant avec ses seules ressources, elle n'a rien de mieux à faire que d'y aboutir : la logique la plus exacte, jointe à un fonds d'orthodoxie rigoureuse, s'y fraie une place entre Saint-Martin et Baader. Nous avons été assez favorisé pour entendre, durant plusieurs jours de suite, les premiers développements de cette forte recherche : ce n'était pas à la Chesnaye, mais plus récemment à Juilly, dans une de ces anciennes chambres d'oratoriens, où bien des hôtes s'étaient assis sans doute depuis Malebranche jusqu'à Fouché. Pendant que lisait l'auteur, bien souvent distrait des paroles, n'écoutant que sa voix, occupé à son accent insolite et à sa face qui s'éclairait du dedans, j'ai subi sur l'intimité de son être des révélations d'âme à âme, qui m'ont fait voir clair en une bien pure essence. Si quelques enchaînements du livre me sont ainsi échappés, j'y ai gagné d'emporter avec moi le plus vif de l'homme. »