Philibert Damiron - Cours de philosophie, Partie 3

1836 Damiron coursCours de philosophie, Partie 3
Philibert Damiron
Ancien élève de l'École normale. Professeur de philosophie au collège royal de Louis-le-Grand et à l'École normale
L. Hachette, 1836
Troisième partie - Logique
Paris, Hachette - 1836 - Damiron - Cours de philosophie

Extrait, p.323-324

Quant à l'école théologique, il n'y a pas même unité entre les écrivains que j'ai rapprochés sous ce titre commun. En effet, MM. de Maistre, de Lamennais et de Bonald, sont des philosophes [p.323] catholiques, des penseurs orthodoxes, et on ne pourrait en dire autant de quelques uns de ceux que je leur ai adjoints, de Saint-Martin en particulier. Sous ce rapport, la dénomination par laquelle je les désigne n'est pas sans doute très exacte; elle ne l'est pas non plus en ce sens que ceux-là seuls auxquels elle s'applique traitent des questions religieuses et ne traitent que ces questions; je n'ai pas besoin de le démontrer. Mais comme tous ont une tendance à tirer la philosophie d'une faculté qui n'est ni la sensation ni la conscience, et qui, sous le m de religion, de foi et d'inspiration, est directement ou indirecte-' ment, immédiatement ou par tradition , une manière de s'éclairer qui n'a, en quelque sorte, rien d'humain, et qui vient de Dieu seul, j'en fais,' d'après cette circonstance, une école particulière, que, d'après cette circonstance aussi, j'appelle théologique, ayant soin d'ailleurs de noter toutes les nuances qui la varient.

Extrait, p.337-338

J'allais oublier de mentionner une circonstance [p.338] qui, sans contredit, est un des plus grands empêchements dans l'histoire de la philosophie : je veux parler du secret dont certaines écoles ont à dessein enveloppé leurs doctrines, soit par prudence de conduite, soit pår respect, je dirai plutôt par superstition pour la vérité, qu'elles auraient craint de profaner en la livrant nue et sans voiles à des esprits mal instruits. Enfermées comme dans un sanctuaire, initiant et n'enseignant pas, ne répandant leurs idées que sous la forme du mystère, plus sacerdotales que philosophiques, elles sont restées impénétrables, ou ce qui a transpiré de leurs principes, fragmentaire et incomplet, n'a le plus souvent donné lieu qu'à de vagues et divergentes interprétations. Ainsi, sans parler d'Orphée et des prêtres de l'Egypte, dont on peut dire que la philosophie est demeurée ensevelie dans l'ombre où ils la tenaient, n'est-ce pas par la même raison que nous avons tant à regretter de Pythagore et de ses disciples ? et de notre temps, presque de nos jours, n'est-ce pas encore à la même cause qu'il faut attribuer les réticences et les singulières obscurités de Saint-Martin et de sa secte ?
p.367-368
Le mysticisme naturel, je nomme ainsi celui des âmes qui, sans le savoir ni le vouloir, et par pur instinct de coeur, cherchent la vérité dans le mystère, et l'y puisent naïvement, le mysticisme, sous cette forme, ne ressemble point à une méthode, et paraît bien plutôt un mouvement de religion et un simple acte de foi. Il n'y a donc pas lieu de classer parmi les systèmes [p.368] philosophiques les conceptions qu'il produit : ce sont des hymnes et des poèmes, et non des doctrines et des théories. Mais il y a un mysticisme artificiel et réfléchi, qui, né du scepticisme, est, comme on l'a dit avec justesse, un coup de désespoir de la raison, qui, se reportant à dessein des vues du sens logique aux intuitions extatiques d'une sorte de révélation, n'est pas précisément une méthode , car une méthode est quelque chose de clair et de régulier, mais une façon de résoudre les questions philosophiques qu'on peut, jusqu'à un certain point, assimiler à une méthode.
Or, ainsi entendu, le mysticisme peut servir à caractériser et à classer un certain nombre de philosophes, comme par exemple dans l'antiquité les philosophes Alexandrins ; dans le moyen âge, Hugues de Saint-Victor, saint Bonaventure, Gerson ; dans des temps plus rapprochés, Jacob Boehm et Swedenborg, et, à peu près de nos jours, Saint-Martin et ses disciples.