1892 taxil diable21892 - Léo Taxil - Le Diable au XIXe siècle, ou les Mystères du Spiritisme, tome II

Charles Hacks, Dr Bataille, Léo Taxil

Le Diable au XIXe siècle, ou les Mystères du Spiritisme: la Franc-Maçonnerie Luciférienne, révélations complètes sur le Palladisme, la Théurgie, la Goétie et tout le Satanisme moderne ; Magnétisme occulte, pseudo-spirites et vocates procédants, les médiums lucifériens, la Cabale fin-de-siècle, Magie de la Rose-Croix, les possession à l'état latent, les précurseurs de l'Anté-Christ

Volume 2 - Delhomme et Briguet - 1892

Avertissement

« Le principal caractère des gens, c’est qu’ils sont prêts à croire n’importe quoi. » Umberto Eco, Le Cimetière de Prague.
« Les blagues, les canulars ou les fumisteries, comme on les appelait aux siècles passés, ont toujours fait florès sous nos cieux. Au XIXème siècle, la palme revint à l’évidence au roi des fumistes, le sieur Léo Taxil. » Bernard Muracciole

Il est important avant de lire l’ensemble de ces éléments, de prendre conscience que Léo Taxil – de son vrai nom Gabriel Jogand-Pagès – est un écrivain anticlérical, anti-maçon qui pendant plusieurs années a couvert la France de brochures et de livres dus à sa seule imagination, de vraies fumisteries. Tout ce qu’il raconte est faux, totalement faux.

Vous pourriez poser la question : pourquoi alors publier de telles fake news de la fin du 19e siècle ? Parce que dans ce fatras d’idioties, il y a des références intéressantes sur Louis-Claude de Saint-Martin, sur Martines de Pasqually, sur le martinisme et l’illuminisme. Les erreurs concernant nos affaires seront évidemment corrigées [entre crochets]. De même, les images ainsi que les titres et sous-titres sont ajoutés pour donner de la lisibilité à ce texte.

Auparavant, voici quelques liens qui permettent de se faire une idée de Léo Taxil qui s’est rétracté et a avoué son imposture devant une assemblé :

« Taxil décide donc de présenter ce qu'il appelle sa mystification lors d'une conférence le 19 avril 1897 dans la grande salle de la Société de géographie de Paris [Wikipédia]. »

Gabriel Jogand-Pagès, dit Léo Taxil, né à Marseille le 21 mars 1854 et mort à Sceaux le 27 mars 1907, est un écrivain français anticlérical puis antimaçon auteur, à l'aide de quelques collaborateurs dont Paul Rosen, d'une mystification célèbre et de grande ampleur contre la maçonnerie, l'accusant de satanisme. Il alla jusqu'à fabriquer de fausses preuves et envoyer une correspondance délatrice au pape. Ces manipulations de l'opinion et particulièrement des catholiques commencèrent en 1885 et prirent fin en 1897 avec ses aveux publics.

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9o_Taxil

Pour aller plus loin

- « La colossale mystification de Léo Taxil, » par Dominique Kalifa. Le Monde, Histoire et civilisation.
Une société secrète adepte de rites sataniques… Au tournant du XXe siècle, un ancien franc-maçon mystifie pendant 12 ans l’Église catholique avec ses révélations extravagantes, dignes des fake news d’aujourd’hui.

- MURACCIOLE Bernard, « Léo Taxil ou l’antimaçonnisme alimentaire », La chaîne d'union, 2007/3 (N° 41), p. 64-75. DOI : 10.3917/cdu.041.0064. URL : https://www.cairn.info/revue-la-chaine-d-union-2007-3-page-64.htm
À la fin du XIXème siècle, peut-être sous l’effet des découvertes et progrès techniques qui s’étaient multipliés, une partie de l’opinion publique manifestait une immense crédulité vis-à-vis des secrets les plus farfelus qu’on pouvait lui révéler, ce qui ne manqua pas d’attirer des escrocs de toute nature. C’est ainsi que surgit, sous le pseudonyme de Léo Taxil, un des plus célèbres mystificateurs du siècle. Il fit fortune dans l’antimaçonnisme. Aujourd’hui encore, certains propagent ses fables.

Extrait :

Le 20 mars 1892, Taxil lance, sous le nom de Docteur Bataille, Le Diable au XIXème siècleLes Mystères du spiritisme : « Alors, l’heure était venue de m’effacer, sans quoi la plus fantastique fumisterie des temps modernes eut échoué piteusement. » 
Ces fascicules mensuels sont, nous l’écrivons sans ironie, son chef- d’œuvre. Quand ces fascicules sortiront reliés, le titre en deviendra Le Diable au XIXème siècle – La Franc-Maçonnerie Luciférienne – Révélations compètes sur le Palladisme. 

Palladisme : Palladisme-Palladium : de Palladiom, statue en bois de Pallas. Pour certains auteurs, le Palladium aurait été une société mixte créée par Fénelon. Albert Lantoine situe sa création en 1737 alors que, pour Ragon, l’Ordre du Palladium remonterait à Pythagore, Fénelon en ayant rédigé les statuts en 1637 !

Ce « palladisme luciférien » est une pure invention de Léo Taxil. Confirmant le dicton populaire : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! », le dictionnaire Larousse persistera à donner bravement, au moins jusqu’en 1950, au mot palladisme la définition suivante : « Culte de Satan-Lucifer, c’est-à-dire Satan considéré comme un ange de lumière »– la définition donnée par Taxil lui-même !

Du 20 novembre 1892 au 20 mars 1895, va paraître en feuilleton le plus gros canular anti-maçonnique de tous les temps. Plus de 1900 pages ! Le sujet : le docteur Bataille (en fait le Dr Hacks, ancien médecin colonial, ami de Taxil, qui lui fournit la « documentation »), médecin à bord d’un navire, rencontre au cours d’une escale à Point-de-Galle, au sud de l’île de Ceylan, un franc-maçon qui lui décrit les horreurs auxquelles il a assisté dans les arrière-loges lucifériennes. « L’idée venait de me surgir de m’assurer par moi-même de tout cela, de descendre dans l’abîme moi aussi […] Je serai, dis-je, l’explorateur, et non le complice du Satanisme moderne.» [9. Léo Taxil, Le diable au XIXème siècle, 1892.]


Chapitre XXXII - Les Juifs dans la Franc-Maçonnerie. Extrait, page 443-445

Pendant longtemps, la qualité d'israélite a été un obstacle à l'initiation. C'est seulement au convent de Wilhelmsbad (juillet 1782) qu'il fut [page 444] décidé qu'une loge n'aurait pas le droit de refuser d'initier un juif pour le seul motif de son origine juive. La question avait été discutée, parce que jusqu'alors des ateliers recevaient des juifs et d'autres n'en voulaient à aucun prix ; il y avait des conflits à ce sujet, quand un maçon israélite se présentait en visiteur à une loge antisémite ; il fallait donc établir une règle, et le convent se prononça dans le sens du non-empêchement (nihil obstat). Déjà les juifs avaient commencé à s'introduire au sein de la franc-maçonnerie, bien accueillis par quelques loges ; un juif éminent, Martinez Pasqualis, avait créé un rite d'illuminés qui était adopté par de nombreux groupes maçons ; je vais en parler bientôt. Le convent de Wilhelmsbad éclaira la situation, fit cesser les conflits, imposa une règle, précisément parce que les hauts chefs de la secte savaient que les juifs seraient d'excellentes recrues pour leur œuvre maudite.

[Tout ceci n’a aucun sens : le convent de Wilhelmsbad qui s’est tenu du 16 juillet au 1er septembre 1782, n’a jamais traité cette question. Quant à Martines Pasqually, il n’a jamais créé de rite d’illuminés. D’ailleurs comme on le verra plus loin, Taxil mélange les « Illuminés » au sens où l’entend Joseph de Maistre dans le 11e entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg et les « illuminés de Bavière » de Adam Weishaupt.

Pour aller plus loin :

Hammermayer Ludwig, Mondot Jean. La crise de la franc-maçonnerie européenne et le Convent de Wilhelmsbad (1782). In:
Dix-huitième Siècle, n°19, 1987. La franc-maçonnerie. pp. 73-95 ;

GLTSO - Cahier n°6 -Le convent de Wilhelmsbad - Loge de recherche Héritage n°2 Collection Héritage Willermoz 2022.]

 

1892 taxil t2 imageEnfin, M. Léo Taxil n'a vu que le rite de Misraïm comme ayant une origine juive. Cette erreur provient de ce qu'il n'a examiné que superficiellement l'histoire de la secte. Martinez Pasqualis, que je viens de citer, et les frères Bédarride ne sont pas les seuls inventeurs de rites maçonniques. Moïse Holbrook, dont les rituels ont servi à créer la seconde classe des OddFellows, était un juif; et le Rite Écossais Ancien et Accepté, tel qu'il est pratiqué aujourd'hui dans tous les pays du monde, a été organisé par des juifs ; je le démontrerai au courant de ce chapitre.

La question des juifs dans la franc-maçonnerie étant d'une très grande importance, je la traiterai avec ampleur. Jusqu'à présent, elle a été à peine effleurée par les auteurs antisémites.  [...]

Nous allons voir d'abord les juifs cabalistes francs-maçons ; ceci me permettra de parler de Martinez Pasqualis, de son rite et de l'introduction des fils d'Israël dans la secte ; je dirai, en passant, quelques mots de l'un de ses disciples, Fournié, prêtre apostat.

[L'image de Martines de Pasqually présentée ici et qui se trouve page 377 est un faux. Elle est mise sur Wikipédia mais aucune photo ou gravure de Martines n'existe. Martines Pasqually a bien fondé un Ordre maçonnique, l'Ordre des chevaliers-maçons Élus Coëns de l'Univers, en 1761 mais il n'a jamais existé de Rite des Illuminés martinistes qui est une invention de Léo Taxil.

On voit bien ici l’antimaçonnisme de Léo Taxil : Martines Pasqually, n'était pas juif. R. Amadou pense qu'il était d'origine marrane mais cette opinion est contestée. Martinez a présenté un certificat de catholicité lors de son mariage avec Marguerite-Angélique Collas. Voir l'acte de mariage, 27 août 1767.
Quant à l’abbé Pierre Fournié, il était clerc et n’a jamais été apostat ni prêtre. Voir infra.]

Pour en savoir plus : Voir le dossier que la revue L’Initiation leur a consacré :

- Introduction à Martines de Pasqually, par Robert Amadou - numéro spécial de 2017
- L'Abbé Fournié, dossier constitué et présenté par Robert Amadou - numéro 4 de 2020 et numéro 1 de 2021

 

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Chapitre XXXII - Les Juifs dans la Franc-Maçonnerie. Martines Pasqually. Extrait, pages 448-451

Comment les juifs [...] parvinrent-ils à s'insinuer dans la franc-maçonnerie, si jalouse de sa dignité ? Un juif leur fraya la voie. L'histoire du juif espagnol Martinez Pasqualis se rattache trop étroitement à celle du couvent de Wilhelmsbad pour ne pas trouver sa place ici ; il est du reste le canal principal par où les doctrines cabalistiques s'infiltrèrent dans la maçonnerie. Juif cabaliste, maçon avant la lettre, théurge et magicien, fondateur d'une secte qui survécut au dix-huitième siècle, l'Illuminisme, il a tous les titres à une étude particulière dans ces pages.

[Contrairement à ce que Léo Taxil annonce ci-dessus, Martines Pasqually n’était pas juif et il n’a aucun lien avec le convent de Wilhelmsbad. Voir supra. Quant à sa date de naissance (voir ci-dessous), elle est située, selon les auteurs et les sources, entre 1710 et 1729.]

 

Né en 1710, en France, à Grenoble, et non pas, comme le disent toutes ses biographies, vers 1715, — d'un père espagnol, et non portugais, comme le veulent les mêmes biographies, – ce n'est qu'à partir de 1754 que l'on peut suivre les traces de ses pérégrinations à travers la France, à Paris, à Lyon, à Bordeaux, et ses relations avec les diverses sociétés maçonniques. Très [page 449] intrigant et très actif, il semble avoir conçu le dessein de rallier et de concentrer les efforts des sociétés secrètes en vue d'une action commune, et sous l'inspiration d'une doctrine unique, dont les grandes lignes se rattachent à l'enseignement cabalistique.

D'après ce que nous savons sur l'opinion publique et celle même des francs-maçons à l'égard des juifs, ce n'est certainement pas à titre de juif [page 450] qu'il pût acquérir l'influence dont nous le voyons jouir vers 1762, mais à titre de juif converti, de juif devenu catholique, et professant extérieurement pour le catholicisme la foi la plus entière, la plus enthousiaste. A l'entendre, il n'est, l'hypocrite, qu’un émule de Mme Guyon, un disciple de Fénelon et des grands mystiques chrétiens ; derrière ce masque se cachait l'orgueil et l'ambition du sectaire, l'adepte des doctrines et des pratiques occultes qu'il avait à cœur d'implanter, avec les hauts grades, parmi les sectateurs de la franc-maçonnerie. Il rêvait de devenir le grand hiérophante des sociétés secrètes.

[Martines Pasqually n'a jamais été un émule de Mme Guyon, ni un disciple de Fénelon. Tout cela est de l'invention pure et simple, de la fumisterie.
Par contre, effectivement on trouve sa trace dans plusieurs villes, notamment Montpellier, Toulouse et bien sûr Bordeaux où il s'installe à partir des années 1761.]

 

Une partie de sa doctrine, mais seulement la partie la plus exotérique, nous est connue par un traité manuscrit, de 355 pages in-4° dont une partie a été publiée par Ad. Franck en 1866 (Ad. Franck : La philosophie mystique à la fin du XVIIIe siècle. 1866), intitulé : Traité sur la réintégration des êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissances spirituelles et divines, par Martinez de Pasqualitz [sic].
On y retrouve, exposés en assez mauvais français, les grands principes de la cabale sur l'origine des êtres par voie d'émanation, la chute de ces mêmes êtres provenant non plus du péché originel, mais d'une déchéance nécessaire, effet naturel de la naissance même des choses finies, naissance qui les éloigne de l’être infini, de l'existence souveraine et parfaite avec laquelle elles étaient primitivement confondues.
L'intelligence humaine, ainsi séparée de son principe, l'esprit universel, aspire à y remonter à s'y réintégrer dans son premier état tout spirituel et divin : elle ne peut y parvenir qu'en anéantissant ce qu'il y a de fini et d'imparfait en elle, par la destruction de la conscience et de la volonté individuelle; mais surtout au moyen des communications surnaturelles avec les esprits supérieurs. Grâce à ces communications, « chacun de nous peut s'élever au degré où est parvenu Jésus-Christ, devenir comme lui, Fils de Dieu, Dieu même. » [... page 451]
Ajoutons que, comme son maitre Satan, la cabale sait au besoin affecter des apparences chrétiennes et saintes. C'est le cas du traité de Martinez. Le grand danger de pareils ouvrages est de laisser croire qu'ils ne sont que le commentaire des textes sacrés, qu'ils invoquent seuls : c'est le danger de bien des ouvrages de nos jours, qui, semblables au traité de Martinez, peuvent égarer le lecteur, sous présente d'exégèse biblique, dans tous les sentiers détournés de la nouvelle cabale qui vient d'être définie.
À cet enseignement dogmatique, Martinez Pasqualis rattachait un enseignement pratique, une théurgie et une magie, qui consistait surtout dans des opérations cabalistiques mettant l'esprit mineur (terrestre) en communication directe avec les esprits majeurs (supérieurs).
D'après le peu que l'on sait de sa vie, on peut dire que peu d'initiateurs ont su s'envelopper mieux par lui de prestige et de mystère.

[Évidemment, Satan apparaît ici comme le maître de Martines et des francs-maçons et tout au long de l'ouvrage de Taxil, puisque c'est par cette imposture qu'il développe sa fumisterie.]

 

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Chapitre XXXII - Les Juifs dans la Franc-Maçonnerie. L.-Cl de Saint-Martin. Extrait, pages 451-452

[Ici, Taxil va se servir de citations d’ouvrages de ou sur Saint-Martin pour développer sa fumisterie satanique. On voit cela dans l’interprétation qu’il fait de ces éléments pour tirer des conclusions qui n’ont rien à voir avec la vérité historique. L’exemple le plus frappant est cette phrase : « Saint-Martin [...] ne put arriver à cette dernière illumination. » Comme Taxil ne sait pas en quoi cette illumination consiste, il est facile de dire n’importe quoi. De même, quand il parle de l’évocation « du chef des esprits majeurs, de Satan lui-même » et de « l'Adam-Kadmon de la kabbale. »]

 

Tout ce qui en a transpiré nous est venu de ses disciples, et encore à l'état de notions vagues et flottantes, enveloppées d'hésitations et de réticences. Peu d'adeptes, du reste, furent jugés dignes par le maître d'être admis à la suprême initiation, au dernier mot du mystère. Saint-Martin lui-même, le plus connu et le plus illustre de ses disciples, ne put arriver à cette dernière illumination.

« Martinez, dit-il, avait la clef active de tout ce que notre chef Boehme expose dans ses théories ; mais il ne nous croyait pas en état de porter ces hautes vérités. »

Et il ajoute, ce qui jette un certain jour sur la nature de cette initiation finale, qui ne pouvait être que l'évocation du chef des esprits majeurs, de Satan lui-même :

« Il croyait aussi à la résipiscence de l'être pervers, à laquelle le premier homme (l'Adam-Kadmon de la kabbale) aurait été chargé de travailler. »

L'illuminé de Martinez devait continuer, dans la mesure de ses forces, à travailler à cette résipiscence ou restauration de la divinité satanique. Cette [page 452] assertion sera confirmée par ce que j'aurai à dire tout à l'heure d'un autre disciple de Martinez, l'abbé Fournié.

[Le texte original dit :

« Je suis même tenté de croire que M. Pasq[ally], dont vous me parlez (et qui, puisqu'il faut le dire, était notre maitre), avait la clef active de tout ce que notre cher B[oehme] expose dans ses théories, mais qu'il ne nous croyait pas en état de porter ces hautes vérités. Il avait aussi des points que notre ami B[oehme] ou n'a pas connus ou n'a pas voulu montrer, tels que la résipiscence de l'être pervers, à laquelle le premier homme aurait été chargé de travailler; idée qui me parait encore être digne du plan universel, mais sur laquelle, cependant, je n'ai encore aucune démonstration positive, excepté par l'intelligence. »

Louis-Claude de Saint-Martin, Correspondance inédite avec Kirchberger, baron de Liebistorf 1792 à 1797. Schauer, 1862. Lettre XCII, du 11 juillet 1796, p.272. Nous la désignerons désormais comme Correspondance.]

 

Quant au culte même de Satan, c'est-à-dire aux moyens d'opération qu'il employait, aucun de ses disciples ne s'est permis de les dévoiler. Tout ce que nous savons, c'est que ces opérations étaient compliquées. Saint-Martin, un jour qu'il avait été admis à y assister, étonné des grands préparatifs dont il les faisait précéder, ne put s'empêcher de s'écrier :

« Comment, maître, il faut tout cela pour le bon Dieu ? » – Et le maître répondit : « Il faut bien se contenter de ce que l'on a. » [Correspondance, p.15]

« À l'école de dom Martinez, dit Matter (Saint-Martin, le Philosophe inconnu. 1862.), celui qui fait le mieux connaitre en lui le théurge, ces opérations jouaient un grand rôle. Ce qui me porte à croire qu'on les y considérait comme une sorte de culte, c'est que ce terme est resté cher à Saint-Martin, qui, par une singulière contradiction, n'aimait guère ces opérations et adoptait néanmoins le mot opérer pour désigner la célébration de la sainte-cène et du baptême. » [Matter, Saint-Martin, p.19

Seulement, Saint-Martin, qui n'était pas allé jusqu'au bout, avait tort de considérer ces opérations comme les préludes et la préface de l'initiation, tandis qu'elles en étaient, dans le système de Martinez, la véritable fin et le couronnement.

« Je ne vous cache pas, écrivait-il à un de ses correspondants, que j'ai marché autrefois dans [par] cette voie seconde [féconde] et antérieure [extérieure], qui est celle par où l'on m'a ouvert la porte de la carrière. » [Correspondance, p.15]

Saint-Martin ne fut qu'un demi-initié. Nous avons, sur la méthode théurgique et magique de dom Martinez, des révélations bien plus précises de la part d'un de ses autres disciples, qui semble avoir été bien plus avant dans la confiance du maître, l'abbé Fournié.

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 Chapitre XXXII - Les Juifs dans la Franc-Maçonnerie. Pierre Fournié. Extrait, pages 452-457

[Dans ce qui suit, Taxil se sert des extraits du livre de Pierre Fournié Ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous deviendrons (Londres, 1801) pour poursuivre ses fumisteries contre les francs-maçons, suppôt de Satan, selon l’auteur du Diable au 19e siècle. De ce fait, l’ensemble des commentaires de Taxil doivent être pris avec d’infinies précautions, puisque ne l’oublions pas, ce livre est une véritable fake news du 19e siècle et Léo Taxil se ré&tractera publiquement par la suite. Mais le mal était fait.]

 

Clerc tonsuré du diocèse de Lyon, l'abbé Fournié s'attacha à Martinez pendant le séjour de celui-ci dans cette ville, le suivit à Paris, s'abandonna candidement à la direction spirituelle du cohen ou prêtre illuminé, s'efforçant nous allons voir au prix de quelles luttes et de quelles terreurs, de concilier avec le catholicisme les croyances et les pratiques de l'illuminisme.

Né vers 1738, l'abbé Fournié connut Martinez vers 1760 ; il vivait encore en 1819. Réfugié à Londres pendant la Révolution, il y continua ses études théosophiques et y publia en 1801 un livre devenu fort rare, intitulé : Ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous deviendrons. Ce livre n'est que le panthéisme de Martinez, traduit par une plume ecclésiastique, en apparence moins imprégnée de cabalisme, mais d'autant plus dangereuse qu'elle semble inspirée du plus parfait, du plus raffiné christianisme. C'est le poison du faux mysticisme dans toute sa mortelle saveur. Pour quiconque sait lire entre les lignes, car il est certain que l'abbé ne dit que ce qu'il [page 453] veut bien dire,-il est clair qu'il interprète les divines Ecritures dans le sens de son maitre ; il y professe carrément l'opinion de Martinez sur la divinité de Jésus-Christ :

« Jésus-Christ, dit-il est né de Dieu, pour avoir fait la volonté de Dieu. »

[Voici le texte original, page 36 :

« Puisque cet Homme Jésus-Christ est né de Dieu Homme-Dieu, pour avoir fait la volonté de Dieu. »]

 

Il nous raconte, d'ailleurs, sur un ton hypocrite affectant l'ingénuité et la candeur, comment il fut rencontré et initié par le juif espagnol. Voici, tel qu'il se trouve dans l'ouvrage de Matter que je viens de citer, ce curieux récit qui nous peint admirablement le maître et le disciple.

Voici les références du livre de Pierre Fournié. 1801 Fournie

Ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous deviendrons
Par Pierre Fournié, clerc tonsuré.

« Ne vous arrêtez point à considérer la personne de celui qui
écrit, soit qu'il ait eu peu ou beaucoup de science; mais que l'amour
pur de la vérité vous porte à lire tout ce que vous lirez. »
(Imitation de Jésus-Christ, L. I. Ch. V.)
Première partie.
À LONDRES.
Chez A. DULAU et Co, Soho Sq. et chez les autres Libraires.
De l'imprimerie d'A. DULAU et Co. et L. NARDINI, n°15, Poland street.
1801

Nous mettons entre crochets le texte original.
Dans le livre de Jacques Matter, Saint-Martin, le philosophe inconnu, ce texte se trouve à partir de la page 40.]

 

[Fournié, page 364]

1788 paroissien romain« Quant à moi, chétif instrument de Dieu, dit Fournié, en écrivant ce traité dont je publie aujourd'hui la première partie, j'avoue [j’annonce] sans déguisement, pour sa plus grande gloire et pour le salut de nous tous, hommes passés, présents et à venir, que par la grâce de Dieu je n'ai aucune connaissance des sciences humaines, sans pour cela être contre leur culture ; que je n'ai jamais fait d'études, et que je n'ai pas lu d'autres livres que les Saintes Écritures, l’Imitation de notre divin Maître Jésus-Christ et le petit livre de prières en usage parmi les catholiques sous le titre de Petit Paroissien. À quoi je dois ajouter que j'ai lu depuis environ un an, deux ou trois volumes des œuvres de l'humble servante de Dieu, madame Guyon.

« Après avoir passé ma jeunesse d'une manière tranquille et obscure selon le monde, il plut à Dieu de m'inspirer un désir ardent que la vie future fût une réalité, et que tout ce que j'entendais dire concernant Dieu, Jésus-Christ et ses apôtres, fût aussi des réalités. Environ dix-huit mois s'écoulèrent dans toute l'agitation que me causèrent ces désirs, et alors Dieu m'accorda la grâce de rencontrer un homme qui me dit familièrement : « Vous devriez venir nous voir, nous sommes de braves [Fournié, page 365] gens. Vous ouvrirez un livre, vous regarderez au premier feuillet, au centre et à la fin, lisant seulement quelques mots, et vous saurez tout ce qu'il contient. Vous voyez marcher toutes sortes de gens dans la rue ; eh bien ! ces gens-là ne savent pas pourquoi ils marchent, mais vous, vous le saurez. »
« Cet homme, dont le début avec moi peut sembler extraordinaire se nommait dom Martinets de Pasquallys [sic].

« D'abord, je fus frappé de l'idée que l'homme qui m'avait parlé était un sorcier, ou même le diable en personne. À cette première idée en succéda bien vite une autre, à laquelle je m'arrêtai : « Si cet homme est le diable, me disais-je intérieurement, donc il y a un Dieu réel, et c'est à Dieu seul que je veux aller ; et comme je ne désire qu'aller à Dieu, je ferai autant de chemin vers Dieu que le diable croira m'en faire faire vers lui-même. »
« De sorte que j'allai chez M. de Pasquallys, et il m'admit au nombre de ceux qui le suivaient. »

Combien de prêtres, même de nos jours, victimes de la même illusion que [page 454] l'abbé Fournié, ne se sont pas dit, eux aussi, que, suivant tel ou tel initiateur occulte, ils ne voulaient qu'aller vers Dieu, et sont en réalité allés vers le diable ! Combien, en croyant suivre Jésus-Christ, ne suivent qu'un Martinez Pasqualis ! Imprudents qui ne savent pas assez jusqu'à quel point Satan peut revêtir la livrée du Christ !...

Écoutons Fournié : [Fournié, page 365, à la suite du texte précédent]

« Ses instructions journalières étaient : de nous porter sans cesse vers Dieu, de croître de vertus en vertus, et de travailler pour le bien général. Elles ressemblaient exactement à celles qu'il parait dans l’Évangile que Jésus-Christ donnait à ceux qui marchaient à sa suite, sans jamais prier [forcer] personne à les croire sous peine de damnation, sans imposer d'autres commandements que ceux de Dieu, sans imputer d'autres péchés que ceux qui sont expressément contraires à la loi de Dieu, et nous laissant bien souvent en suspens, s'il était vrai ou faux, bon ou mauvais, ange de lumière ou démon.
« Cette incertitude me brûlait si fort en dedans que nuit et jour je criai vers Dieu, [Fournié, page 366] pour que, s'il existait réellement, il vint me secourir. Mais plus je me réclamais à Dieu, plus je me trouvais enfermé dans l'abîme et je n'entendais pour toute réponse intérieure que ces idées désolantes : il n'y a pas de Dieu, il n'y a pas d'autre vie, il n'y a que mort et néant. Ne me trouvant entouré que de ces idées, qui me brûlaient de plus en plus fort, je criais encore plus ardemment vers Dieu et sans discontinuer, ne dormant presque plus, et lisant les Écritures avec une grande attention, sans jamais chercher à les entendre par moi-même.

« De temps en temps, il arrivait que je recevais d'en haut quelques lumières et des rayons d'intelligence ; mais tout cela disparaissait avec la vitesse d'un éclair. D'autres fois, mais rarement, j'avais des visions, et je croyais que M. de Pasquallys avait quelque secret pour faire passer ces visions devant moi, quoique néanmoins elles se réalisassent, peu de jours après, telles que je les avais vues.
« Je vécus ainsi plus de cinq ans dans de fatigantes incertitudes, mêlées de grandes agitations, toujours désirant que Dieu fût, et d'échapper moi-même au néant, mais toujours enfoncé dans un abîme ténébreux, et ne me voyant entouré que de l'opposé de la réalité de l'existence de [d’un] Dieu et conséquemment de l'autre vie ; de sorte que j'étais tourmenté à l'extrême, et comme brûlé par mon désir de Dieu et par la contradiction de ce désir.

1892 taxil t2 fournie« Enfin, un jour que j'étais prosterné dans ma chambre criant à Dieu de me secourir, vers les dix heures du soir, j'entendis tout à coup la voix de M. de Pasquallys, mon directeur, qui était corporellement mort depuis plus de deux ans, et qui parlait distinctement en dehors de ma [Fournié, page 367] chambre, dont la porte était fermée, ainsi que les fenêtres et les volets. [page 455]
« Je regarde du côté d'où venait la voix, c'est-à-dire du côté d'un grand jardin attenant à la maison, et aussitôt je vois de mes yeux M. de Pasquallys qui se met à me parler, et avec lui mon père et ma mère, qui étaient aussi tous les deux corporellement morts.
« Dieu sait quelle terrible nuit je passai ! Je fus, entre autres choses, légèrement frappé sur mon âme par une main qui la frappa au travers de mon corps, me laissant une impression de douleur que le langage humain ne peut exprimer, et qui me parait moins tenir au temps qu'à l'éternité. O mon Dieu ! si c'est votre volonté, faites que je ne sois plus jamais frappé de la sorte ! car ce coup a été si terrible, que, quoique vingt-cinq ans se soient écoulés depuis, je donnerais de bon cœur tout l'univers, tous ses plaisirs et toute sa gloire, avec l'assurance d'en jouir pendant une vie de mille milliards d'années, pour éviter d'être ainsi frappé de nouveau seulement une seule fois.

« Je vis donc dans ma chambre M. de Pasquallys, mon directeur, avec mon père et ma mère, me parlant, et moi parlant à eux comme les hommes se parlent entre eux à l'ordinaire. Il y avait de plus une de mes sœurs, qui était aussi corporellement morte depuis vingt ans, et enfin un autre être qui n'est pas du genre des hommes.
« Peu de jours après, je vis passer distinctement devant moi et près de moi notre divin Maitre Jésus-Christ, crucifié sur l'arbre de la croix. Puis, au bout de quelques jours, ce divin Maître m'apparut de nouveau et vint à moi dans l'état où il était lorsqu'il sortit tout vivant du tombeau où l'on avait enseveli son corps mort.
« Enfin, après un autre [Fournié, page 368] intervalle de peu de jours, notre divin Maître Jésus-Christ m'apparut pour la troisième fois, tout glorieux et triomphant du monde, de Satan et de ses pompes, marchant devant moi avec la bienheureuse Vierge Marie, sa mère, et suivi de différentes personnes.
« Voilà ce que j'ai vu de mes yeux corporels, il y a plus de vingt-cinq ans, et voilà ce que je publie maintenant comme étant véritable et certain. Ce fut immédiatement après que j'eus été favorisé de ces visions ou apparitions de notre divin Maître Jésus-Christ dans ses trois différents états, que Dieu m'accorda la grâce d'écrire, avec une vitesse extraordinaire, le traité dont on vient de lire la première partie. Conséquemment, je l’écrivis plusieurs années avant que l'on sût en France qu'il y avait un Swedenborg dans le monde, et avant que l'on y connût l'existence du magnétisme. »

Et plus loin, Fournié, revenant sur le sujet de ces visions, écrit ce qui suit : [Fournié, page 368]

« J'ajoute à ce que j'ai déjà dit concernant la première vision que j'eus de M. de Pasquallys, [Fournié, page 369] mon directeur, de mon père et de ma mère, que je ne les ai pas seulement vus une fois, de la manière que j'ai rapportée, ou [page 456] seulement une semaine, ou un mois, ou un an ; mais que, depuis ce premier moment, je les ai vus pendant des années entières et constamment, allant et venant ensemble avec eux, dans la maison, dehors, la nuit, le jour, seul et en compagnie, ainsi qu'avec un autre être qui n'est pas du genre des hommes, nous parlant tous mutuellement et comme les hommes se parlent entre eux.
« Je ne puis ni ne dois rapporter ici rien de ce qui s'est fait, dit et passé dans mes visions quelconques, depuis le premier moment jusqu'à aujourd'hui. Malheureusement, on se moque dans le monde de toutes ces choses ; on en nie la réalité, et on plaisante ou on veut bien avoir pitié de ceux qui les attestent, comme si c'étaient des fous absolument incurables. Il semblerait donc que, d'après la manière dont les hommes ont reçu jadis et reçoivent encore ceux qui ont des visions, à commencer par les patriarches et les prophètes, j'aurais dû ne pas parler des miennes; mais la volonté et la vérité de Dieu doivent toujours l'emporter sur tout ce que les hommes pourront dire. »

1880 Deschamps t1Rien de plus instructif que ce récit, qui nous fait toucher du doigt la nature des communications surnaturelles dont Pasqualis était favorisé et pouvait favoriser ses adeptes, même après sa mort. Qui ne comprendrait, à ces terreurs en face du sombre abîme, à ce coup terrible et surhumain ressenti dans l'âme, à l'apparition de cet être supérieur qui n'est pas du genre des hommes, que nous avons affaire ici au prince de la lumière infernale (note ci-dessous), se transfigurant enfin dans la personne même de Jésus-Christ ? Jésus-Christ, évoqué par Pasqualis ! par l'effronté négateur de sa divinité ! Qui pourrait croire que Jésus-Christ pût se prêter à un pareil rôle ? Que pouvait-ce être, si ce n'est une vaine fantasmagorie du démon, habilement combinée pour enlacer plus sûrement et plus étroitement un adepte crédule à Pasqualis et à son infernal mysticisme ?

Note

Dans un rituel maçonnique datant de l'époque ou florissait l'Illuminisme, on trouve un grade, celui de Chevalier d'Orient, dont le mot de passe était lux ex tenebris, et le rituel en donnait l'explication suivante :
« D. Que signifie le mot lux ex tenebris ?
« R. Que c'est du fond des ténèbres que nous retirons toute perfection et la vraie lumière. » (Deschamps ; les Sociétés secrètes. I, p. 93.)

Comme le remarque très bien Matter,

« C'est bien dom Martinez en personne (c'est-à-dire, le diable sous la figure de Martinez), qui est son initiateur et son vrai maître. C'est lui qui le conduit et le fait passer lentement par tous les degrés : instruction ; lumières d'en haut, qui fuient comme des éclairs ; visions qui se réalisent ; apparitions graduées, et enfin inspiration. » [Matter, Saint-Martin, p.45]

Il faut le reconnaître, ce livre, inspiré par Satan-Pasqualis, ne vaut pas mieux que tous les volumes dictés depuis par les esprits désincarnés [page 457] (Fournié disait décorporisés) de nos modernes spirites. Il n'y a qu'une chose à regretter, c'est que la plume du mauvais prêtre se soit arrêtée à mi-chemin, avant les révélations importantes et vraiment topiques.
M. d'Herbert de Berne, l'ami d'un des nombreux correspondants de Saint-Martin, nous a laissé, d'après une relation certaine qu'il a eue de Fournié par un M. de V***, qui l'avait vu souvent à Londres, en 1819, un curieux renseignement à ce sujet :

« Il n'a pas jugé à propos, dit-il, de publier le second volume de son ouvrage, vu qu'il contenait bien des choses qu'on ne peut point publier. »

On ne saurait douter, en effet, que Pasqualis ait formellement enjoint à ceux de ses disciples qu'il avait jugés dignes de la suprême initiation, de ne jamais révéler le secret de ses opérations : et ce secret, comme on le voit, a été assez bien gardé.

Nous en savons cependant assez pour nous faire une idée assez complète de ce qu'étaient les élus illuminés, les Cohens, ou prêtres de l'Illuminisme. [page 458] Pasqualis s'inspirait du même esprit que Swedenborg, pour qui, au surplus, Fournié professait la plus grande estime, fermement persuadé que, comme lui, Swedenborg avait réellement vécu et conversé avec ces esprits dont il écrit les révélations. 

1758 Dictionnaire mytho hermétique« Nous devons avoir d'autant moins de peine, dit-il, à concevoir que Swedenborg a réellement été parmi les esprits bons et mauvais, et qu'il a rapporté ce qu'il a entendu en conversant avec eux, que c'est exactement de la même manière que nous serions entre nous si tout d'un coup Dieu venait à nous décorporiser entièrement; c'est-à-dire qu'étant ainsi décorporisés, nous concevons qu'étant des êtres de vie éternelle nous pourrions continuer à nous voir les uns les autres, et à parler des vérités éternelles et divines comme chacun de nous les regarde, les croit, les voit et en parle actuellement. » [Fournié, p.373]

Swedenborgisme et Martinisme, en réalité, ne font qu'un. Le Swedenborgisme se répandit en France et en Italie grâce à l'apostolat d'un bénédictin devenu franc-maçon, dom Pernetti, grand alchimiste, qui réussit à fonder une loge d'Illuminés dans la ville même des papes, sous le nom de Martinistes.

[Antoine-Joseph Pernety dit Dom Pernety (1716-1796) n'a pas fondé de loge d'illuminés sous le nom de Martinistes. Selon Wikipédia, Pernety est bénédictin mauriste défroqué, alchimiste et écrivain, il devint conservateur de la bibliothèque de Frédéric de Prusse, à Berlin, où il fonda avec le comte polonais Grabienka, les Illuminés de Berlin. Renvoyé de Berlin, il retourna en Avignon avec son ami et s'installa en 1784 chez le marquis de Vaucroze. Les illuminés de Bavière devinrent les Illuminés d'Avignon. Il est l'auteur du Dictionnaire mytho-hermétique (1758)

Chapitre XXXII - Les Juifs dans la Franc-Maçonnerie. Martines Pasqually à l'œuvre . Extrait, pages 458-463

Comme dans l'ensemble de ce chapitre, aussi bien quand il parle de Saint-Martin, de Fournié, de Martines de Pasquazlly, Taxil cite des auteurs qui donnent des documents plus ou moins authentiques et dont il faut vérifier leur origine.

Dans cette section, Taxil cite un auteur, François-Timoléon Bègue Clavel, et son Almanach (voir infra) qui apportent des données historiques authentiques. Malheureusement son idéologie antimaçonnique l'amène à tirer de ces documents des conclusions erronées, le plus souvent fausses, parfois même inventées.

On ne peut que renvoyer le lecteur aux ouvrages historiques qui traitent de ce sujet dont en particulier :

Gérard van Rijnberk, Martines de Pasqually, un thaumaturge au XVIIIe siècle. Sa vie, son œuvre, son ordre. Tome premier, Lyon Raclet, - Tome second, Lyon Derain (s.d.)

Michelle Nahon, Martinès de Pasqually. Un énigmatique franc-maçon théurge du XVIIIe siècle, fondateur de l’Ordre des Élus Coëns. Deuxième édition revue et corrigée - Dervy, 2017. Préface de Jean-Claude Drouin. Le livre chez l'éditeur

 

Tel était, comme initiateur cabaliste, ce juif prétendu converti [Martines Pasqually], qu'il nous faut voir maintenant à l'œuvre dans la franc-maçonnerie autant que le permettent les rares documents qui se rattachent à sa personne et à son action.

Selon Matter, toute sa vie est enveloppée de mystères.

« Il arrive dans une ville, dit-il, on ne sait d'où ni pourquoi. Il la quitte on ne sait ni quand ni comment. » [Matter, p.31]

Matter aurait parlé tout autrement, et la vie de son héros lui eût paru beaucoup moins mystérieuse, s'il avait eu sous la main les archives maçonniques des différentes villes où séjourna Martinez.
C'est ainsi, par exemple, que nous le voyons arriver à Bordeaux à une date très précise, le 28 avril 1762, et rendre compte quelque temps après à la Grande Loge de Paris de ce qu'il a fait dans cette ville pour la propagation et la gloire de l'Ordre :

« Étant arrivé à Bordeaux le 28 avril 1762, je ne trouvai qu'un seul temple symbolique, sous le titre de la Loge Française, où l'on travaillait, quoiqu'il y en ait quatre d'élevés sur cet orient, les trois autres ayant suspendu leurs travaux. Cette inaction m'a engagé à ranimer le zèle des Maçons de cet orient, et j'ai cru convenable pour la propagation et la gloire de l'Ordre, d'user de la force, du droit, du pouvoir qui m'ont été conférés par les députés grands-maîtres de la Grande Loge de Stuart (5). En conséquence, [page 459] après m'être assuré de quelques frères zélés, j'ai élevé sur cet orient un temple à la gloire du Grand Architecte, renfermant les cinq ordres parfaits dont je suis dépositaire sous la constitution de Charles Stuart, roi d’Écosse, d'Irlande et d'Angleterre, grand-maître de toutes les Loges régulières répandues sur la surface de la terre, aujourd'hui sous la protection de Georges Guillaume, roi de la Grande-Bretagne et sous le titre de la Grande Loge de la Perfection Élue et Écossaise.
« Je prends la liberté de vous envoyer copie de la traduction de mes pouvoirs, qui sont en idiome anglais, avec tous les caractères qui les accompagnent, et l'acte de Constitution de mon temple, élevé sur cet orient, signé de tous les membres qui le composent aujourd'hui. Je joins aussi la liste de ceux qui composent le temple que j'ai élevé sur l'orient de Toulouse, où j'avais laissé le frère marquis de Saint-Paulet, pour mon député, dont l'absence actuelle m'a engagé de lui substituer depuis le 14 du courant le frère de Lapeyrie, Trésorier de France, pour lequel je vous demande la réparation qu'exige l'indécent procédé des trois Loges de Saint-Jean réunies à Toulouse.
Signé : Dom Martinez-Pasqualis. »

[Cette lettre provient de Henri de Loucelles, Recherches historiques pour servir à l'histoire de la franc-maçonnerie française. Orient de Bordeaux. Cet article a paru dans la Chaine d'Union de Paris, journal de la Maçonnerie universelle etc.
Ce texte a été publié par Gérard van Rijnberk, Un thaumaturge au XVIIIe siècle Martines de Pasqually. Sa vie, son œuvre, son ordre. Tome second, Derain, Lyon (s.d.)]

 

Une pièce de ce genre jette sur la carrière maçonnique de dom Martinez la plus vive lumière. Elle nous révèle la source des pouvoirs maçonniques dont il jouissait ; en effet, le dernier Stuart, au lieu d'attendre la fin des malheurs de sa famille en mettant sa confiance en Dieu, se donna au diable et fut l'un des plus actifs propagateurs de la franc-maçonnerie, dont il créa plusieurs hauts-grades ; il rêvait la restauration de son trône par l'appui de toutes les forces maçonniques de l'Europe.
Ces pouvoirs avaient été confiés directement le 20 mai 1738 au père de notre juif, dom Martinez-Pasqualis, écuyer, âgé de 67 ans, né à Alicante en Espagne, et, pour lui succéder, à son fils aîné Joachim dom Martinez Pasqualis, âgé de 28 ans, natif de la ville de Grenoble en France. C'est ce que nous apprennent les lettres-patentes, dont copie était jointe à la lettre ci-dessus (note ci-dessous).

Note de l'auteur :
Aucun biographe de Pasqualis, même des plus récents, n'a tenu compte de ces documents essentiels, excepté le P. Deschamps dans son remarquable ouvrage : les Sociétés secrètes.

Cette lettre et ces pouvoirs étaient envoyés par dom Martinez à la Grande Loge de Paris, dans le but de faire reconnaître par elle les fondations de l'émissaire des Stuart, jusqu'alors considérées comme étrangères à la maçonnerie française. Martinez fut trompé dans son attente ; tout en exprimant son profond respect pour la Royale Loge de Stuart, la Grande Loge de France lui déclara qu'elle ne pouvait reconnaître des frères ayant des Constitutions des loges étrangères, ni lier de correspondance avec eux [page 460] qu'en leur offrant de les recevoir dans son sein lorsqu'ils se présenteront pour lui demander des Constitutions.
La pensée secrète de Martinez, outre le désir ambitieux de traiter avec la Grande Loge de puissance à puissance, était de rallier ses fondations aux associations maçonniques françaises, afin d'y infiltrer ses doctrines occultes; tout en souffrant de son isolement, il ne travaillait pas avec moins d'ardeur à se faire dans les loges françaises des prosélytes dévoués, et il y réussissait. Dans une lettre postérieure à celle que je viens de citer, il revient à la charge auprès de la Grande Loge de France, au nom de la concorde que son silence pourrait troubler, réclamant de nouveau des pouvoirs et des instructions :

« Votre silence, dit-il, peut faire naître la méfiance et allumer le flambeau de la discorde parmi nous ; malheur d'autant plus à craindre qu'ayant, dans mon temple, plusieurs membres de la Loge Française, il semble, par là, lui être devenu suspect. J'ai aussi appris que deux autres Loges avaient pris des délibérations pour refuser l'entrée à ceux de mon temple qui pourraient aller les visiter. Veuillez donc, Très Honorables et Très Puissants Maîtres, par votre Toute-Puissance, me mettre à portée, par le premier courrier, de dissiper les nuages qui semblent vouloir obscurcir cet orient, en me favorisant de vos pouvoirs et des instructions que je demande par mes précédentes lettres. »

Le 13 août suivant, nouvelle supplique du frère Martinez-Pasqualis à la Grande Loge, afin d'obtenir des pouvoirs pour constituer les trois Loges clandestines de cet orient au nom de la Grande Loge, puisque ces ateliers ont le mauvais goût de ne pas se laisser constituer en vertu des pouvoirs qu'il tient de la Loge de Stuart.
On le voit, ce n'était pas sans rencontrer de violents obstacles que dom Martinez exerçait son apostolat maçonnique, et essayait de constituer, d'après ses principes, des loges « qui avaient travaillé depuis douze ans sans aucune espèce de Constitution, et qui ne voulaient dépendre d'aucune loge de France ou d'Angleterre. »
Ces résistances irritaient et exaspéraient dom Martinez, qui de plus en plus affichait les prétentions de maître-souverain et de grand-pontife de la maçonnerie. Quelques loges s'étant permis de mettre en doute son autorité et de refuser l'entrée de leurs temples aux maçons illuminés, un violent réquisitoire fut dressé contre elles par un abbé Bullet, aumônier au régiment de Foix ; un arrêt solennel, très longuement motivé, fut rendu au Grand Orient de Bordeaux, « dans le sein de la Grande Lumière, pour être mis à exécution des lumières mystérieuses de l'Ordre le 20 octobre 1765, » et exécuté dans ledit temple des Élus Écossais ; « et les loges l'Amitié Allemande et la Parfaite Union ont été biffées, bâtonnées, lacérées, [page 461] hachées, détruites, anéanties, par le fer, la terre, l'eau, l'air et le feu le 30 octobre 1765, à cinq heures du soir. Amen, amen, amen. »
Cette planche est signée : « Dom Martinez-Pasqualis, G.·.S. . des Ordres de la Maçonnerie; F.·. Bullet, juge, S.·. Rause-Crois. » (Sic).

De telles prétentions, des allures si hautaines finirent par lui aliéner même quelques-uns de ses adeptes. Le 13 mars 1766, ceux-ci secouaient le joug et s'adressaient à la Grande Loge de France pour en obtenir les constitutions nécessaires à l'érection d'un nouvel atelier sous le titre de Saint-Michel.

« Nous avons été convaincus, disaient les plaignants, de son imposture par la frivolité des instructions vagues et indéterminées qu'il nous a données depuis trois ans, et par le refus opiniâtre qu'il a fait de ne vouloir pas nous fixer dans la connaissance réelle des cinq points ; par le silence qu'ont observé les Grandes Mères-Loges d’Écosse, d'Irlande et d'Angleterre, sur la reconnaissance des pouvoirs qu'il prétendait avoir et dont nous leur avions envoyé copie ; par celui de la Grande Mère-Loge de France à nos différentes sollicitations pour reconnaître la légitimité de ce temple et lui accorder sa correspondance; par le refus qu'ont fait la majeure partie des loges de France de recevoir les certificats de ce temple et d'en reconnaître les membres comme légitimes frères ; enfin, par l'irrégularité de sa conduite et de ses procédés dans l'Ordre, de son indiscrétion dans les propos qu'il a tenus et tient sur la majeure partie des travaux maçonniques et par la prétention orgueilleuse qu'il a d'être despotique dans la discipline de l'orient maçonnique, s'arrogeant le titre de Grand Souverain et d'un des sept maîtres répandus sur la surface du globe; en conséquence, le pouvoir et la puissance d'élever et détruire quand il le juge à propos, prétention dont il n'a jamais pu ou voulu nous faire connaître la légitimité ; ce qu'ayant considéré, et après avoir mûrement réfléchi, nous avons délibéré et arrêté d'abandonner un tel maître à ses prétentions chimériques, contraires au bon ordre...

« Il est important de vous instruire qu'il vient récemment de changer tout l'Ordre en substituant aux mots, aux signes, aux attouchements ordinaires, des choses toutes contraires ; il est aidé dans toutes ses indignes opérations par un moine nommé le père Bullé [sic pour Bullet], aumônier du régiment de Foix, homme dangereux qui a mis partout le désordre, homme qui, compromettant son caractère, donne des explications sur J.-B. et M.-B., d'autant plus regrettables qu'elles sont impies et blasphématoires : la pudeur et la bienvenue ne permette pas de les écrire..... »

Cette requête fut favorablement accueillie par la Grande Loge ; elle félicita ces frères d'avoir abandonné le F.·. Martinez, en leur annonçant une copie du jugement prononcé contre leur ancien chef. [page 462]
Les membres de la loge la Perfection se dispersèrent, et Dom Martinez quitta Bordeaux pour venir à Paris (La Chaine d'Union, journal de la franc-maçonnerie universelle, année 1880.).
La violente opposition que rencontra Martinez à Bordeaux prouve combien à cette époque les imparfaits initiés n'entendaient pas raillerie sur les innovations maçonniques. Aujourd'hui il n'en est plus ainsi ; les gogos des loges se laissent imposer le Palladisme avec une naïveté étonnante.

1846 clavelVoici, comme dernier trait, le récit d'une scène scandaleuse, fait par un membre de la loge la Française, présent aux travaux du 28 février 1764 :

« Un officier étranger avait voulu entrer de force en loge, et avait même mis l'épée à la main. Au préalable, on lui avait demandé s'il n'aurait pas fréquenté la loge bâtarde de cette ville, tenue par le sieur Martinez Pascalis, C'est sur sa réponse affirmative que l'entrée du temple lui avait été refusée. Là-dessus, violence de la part de cet officier. Ayant, pour cet objet, averti M. de Ségur, lieutenant du maire, celui-ci lui a défendu de ne plus troubler ni inquiéter à l'avenir aucune loge de cette ville, menaçant le sieur Martinez Pascalis de le mettre au cachot, et d'écrire en cour pour le faire casser ; ce que M. de Ségur a bien promis d'exécuter. Comme toutes ces violences sont très éloignées de l'esprit de la franc-maçonnerie, la loge l'Anglaise décide que tous ceux qui fréquenteraient la prétendue loge du sieur Martinez Pascalis demeureraient exclus du respectable atelier, suivant délibération prise en loge générale. » (Clavel, Almanach de la Franc-Maçonnerie pour l'année 3816.) [François-Timoléon Bègue Clavel, Almanach pittoresque de la Franc-Maçonnerie, pour l'année 5846, p.138]

Les hauts grades, qui rendaient suspectes aux yeux des loges de la stricte observance les fondations de Martinez étaient les suivants, selon Clavel : Grand Élu Apprenti Cohen, Compagnon Cohen, Maitre Cohen, Grand Architecte, et Chevalier Commandeur, formant le rite des Élus Cohens ou Prêtres. On a vu plus haut que Martinez ne comptait que cinq ordres parfaits dont il se reconnaissait dépositaire.
On a peu de renseignements sur le séjour de Martinez à Paris et sur les résultats de sa propagande maçonnique. Suspect à la Maçonnerie de la stricte observance qui l'avait excommunié, il dut se contenter de travailler à l'ombre et dans le secret des réunions et des sociétés privées, où il fit quelques prosélytes de marque, entre autres le fameux athée baron d’Holbach et Diderot (note ci-dessous). Il posa aussi les bases de la loge les Amis Réunis appelés [page 463] encore Philalèthes (1773), dont la doctrine était un mélange de Swedenborgisme et de Martinisme. Cette Loge eut bientôt pour succursale les Philalèthes ou Amis Réunis de la rue de la Sourdière, où dominèrent le comte de Saint-Germain, Cagliostro, Condorcet et Dietrich, surnommé le Robespierre de Strasbourg.

Note de l'auteur :
Les autres disciples connus de Martinez en France sont, outre ceux déjà nommés : la marquise de la Croix, amie intime de Saint-Martin, en communication habituelle et familière avec les esprits ; le comte d'Hauterive, qui se livra à Lyon (1774-1776) avec Saint-Martin à une série d'expériences théurgiques ou mesmériennes, dont il reste des procès-verbaux [Les Leçons de Lyon] tellement laconiques qu'il est difficile d'en préciser le véritable objet : et le fameux Cazotte, qui passa pour prophète. On sait que le pauvre Cazotte mourut sur l'échafaud révolutionnaire. Celui qui prononça son arrêt de mort et qui était franc-maçon comme lui, eut l'ironie de l'exhorter à mourir courageusement, en lui rappelant qu'il était de la secte des Illuminés.

Quand on voit le Martinisme donner la main d'un côté à Diderot et à d'Holbach, et de l'autre à Cagliostro et à Dietrich, le Martinisme est jugé. Il a sa part dans les crimes de la philosophie et de la Révolution.

Dans la conspiration tramée au dix-huitième siècle par Satan et ses suppôts contre l’Église du Christ, dom Martinez Pasqualis fut un des ouvriers de la première heure, un de ceux qui conçurent cet infernal projet de la concentration des différentes sectes qui composaient la franc-maçonnerie en les ralliant à une même doctrine, en leur donnant un mot d'ordre et en les cimentant solidement sur la base de l'initiation théurgique ou cabalistique, c'est-à-dire de la communion effective avec Satan. Véritable sectaire, véritable hiérophante et initiateur occulte, il se contenta de faire des prosélytes dans l'ombre des loges et des associations secrètes, et laissa à d'autres, à Saint-Martin, par exemple, le rôle extérieur et visible d'initiateur mondain et lettré, opérant dans les salons ou les académies, entraînant, à l'aide de sa parole et de ses écrits, les âmes disposées au mysticisme dans les erreurs de l'Illuminisme martinien.

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Chapitre XXXII - Les Juifs dans la Franc-Maçonnerie. Le martinisme. Extrait, pages 463-465

Pendant que Martinez Pasqualis disparaissait mystérieusement de France et allait mourir obscurément à Port-au-Prince en 1779 [sic pour 1774], son disciple Saint-Martin recueillait la gloire due à son maître ; la secte fondée par le juif espagnol s'appelait le « Martinisme », au lieu de s'appeler le « Martinézisme ». Il faut rendre à chacun ce qui lui est dû. Ce que l'on appelle le Martinisme n'est pas l'œuvre de Saint-Martin, dit le Philosophe Inconnu, mais bien celle de Martinez Pasqualis ; Saint-Martin le reconnaît lui-même. À l'époque ultérieure où il était sous le charme du cordonnier mystique Boehme, il a des retours touchants du côté de son ancien maître, dont l'enseignement a laissé chez lui des traces ineffaçables :

« Quant à Sophie [Sophia], dit-il, et au Roi du monde (note ci-dessous), il ne nous a rien dévoilé sur cela, et nous a laissé dans les notions ordinaires de Marie et du Démon (nouvelle preuve que Saint Martin n'a jamais été jugé digne par Martinez d'être initié au véritable mystère de la secte). Mais je n'assurerai pas pour cela qu'il n'en eût pas la connaissance ; et je suis bien persuadé que nous aurions fini par y arriver, si nous l'avions conservé plus longtemps. » [Correspondance, p.272]

Note de l'auteur :
L'enseignement de Martinez sur ce point ne pouvait être que celui de la cabale, que l'Univers est le résultat d'un commerce éternel entre le Saint Roi et la Matrone, enseignement qui a passé dans les symboles de la Franc-maçonnerie, l’Équerre sur le compas, la lettre Tau, la Rose sur la Croix, etc., signes des couples divins et infinis.

L'influence de Saint-Martin sur la franc-maçonnerie, quoi qu'on en ait dit, [page 464] est à peu près nulle. On ne saurait en dire autant de Martinez. À celui-ci seul se rattachent les loges fondées par le Martinisme ou qui en adoptèrent les doctrines. Outre un certain nombre de loges françaises, à Lyon, à Bordeaux, à Paris, qui professaient le Martinisme, il faut compter, comme inspirée par ses doctrines, une vaste affiliation maçonnique appelée l'École du Nord, ayant son centre à Copenhague. Le fameux Lavater était un disciple de cette École du Nord. En Russie, le martinisme s'était assez répandu pour donner ombrage à Catherine II, qui composa contre les Martinistes deux comédies satiriques :

« Ces comédies, dit Saint-Martin, ne firent qu'accroître la secte. »

On retrouve des traces évidentes du Martinisme dans les constitutions du rite de Misraïm, fondé par des juifs s'inspirant de Cagliostro. L'Illuminisme se répandit aussi en Italie; ses règlements furent saisis par le sénat de Venise et dénoncés officiellement à la France.
Quelque temps avant le convent de Wilhelmsbad, l'Illuminisme français avait tenu à Lyon une grande assemblée sous le nom de Convent des Gaules, sous la direction prépondérante de la Loge Centrale de Lyon dite des Chevaliers Bienfaisants, laquelle était en haute estime auprès des loges templières d'Allemagne, et considérée comme la loge-mère de l'association. On y avait devancé sur plusieurs points les décisions du convent de Wilhelmsbad, en particulier sur celui de choisir le duc Ferdinand de Brunswick pour chef suprême de toute la maçonnerie. Les loges appartenant au Martinisme français députèrent à Wilhelmsbad, avec Saint-Martin [Saint-Martin n’est pas allé à Wilhelmsbad pas plus qu’il n’est allé au Convent de Lyon] le président de ce convent des Gaules, le frère de Villermoz, [sic pour Willermoz] négociant lyonnais, Le Chape de la Heuzière, faisant partie du comité secret des Amis Réunis de Paris, et le comte de Virieu, un honnête maçon, qui, effrayé de ce qu'il y avait vu et entendu, finit par abandonner la secte :

« Je ne vous dirai pas, répondait-il au comte de Gillière, qui le pressait à son retour sur ce qui s'était passé dans l'assemblée, je ne vous dirai pas les secrets que j'apporte ; mais ce que je crois pouvoir vous dire, c'est qu'il se trouve une conspiration si bien ourdie et si profonde, qu'il sera bien difficile à la religion et aux gouvernements de ne pas succomber. » [Citation de Barruel, Mémoires sur le Jacobinisme, t.IV, p. 119.]

Il n'est donc pas étonnant de voir les loges martinistes jouer un rôle important dans le convent de Wilhelmsbad ; leurs députés, forts de la protection de Ferdinand de Brunswick, n'épargnèrent rien pour y faire triompher leurs idées et leurs desseins.

Il n'entre pas dans mon plan de retracer l'histoire de cette mémorable assemblée, d'où la maçonnerie sortit, comme les Grecs du cheval de bois, tout armée pour la destruction de la religion et de l'ordre social. Tout ce que j'ai à en dire sans sortir de mon sujet, c'est que le Martinisme ou Illuminisme français, inspiré par le juif Martinez Pasqualis, y donna la main à l'Illuminisme allemand fondé par Weishaupt, le véritable ordonnateur secret du [page 465] convent par l'intermédiaire de ses deux lieutenants, Knigge et le baron Dittfurt.

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Neuvième partie. La goétie ou magie noire. Chap.36. Les Satanistes organisés. Passons aux martinistes. Extrait, pages 619-624

Au chapitre sur les Juifs dans la Franc-Maçonnerie, j'ai suffisamment parlé de Martinez Pasqualis pour n'avoir pas à revenir sur le premier fondateur de cette secte des Martinistes, essentiellement diabolisante et [page 620] maçonnique.

Mais Martinez Pasqualis, agissant en France comme Weishaupt en Allemagne, a été le promoteur de l'Illuminisme français, et c'est l'un de ses disciples, Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), qui en a été le théoricien et le véritable organisateur ; et c'est lui qui a laissé son nom à la secte.

Saint-Martin, qu'on appelle communément « le Philosophe Inconnu », était officier au régiment de Foix, en garnison à Bordeaux, lorsqu'il fit la connaissance de Martinez Pasqualis dans les loges de cette ville ; c'était le duc de Choiseul, ami et protecteur de sa famille, qui l'avait fait initier de bonne heure à la maçonnerie [Saint-Martin a été initié au régiment de Foix et non grâce au duc de Choiseul] ; Pasqualis alla plus loin et leva pour lui les derniers voiles.

Esprit exalté, Saint-Martin se lança à corps et âme perdus dans le mysticisme noir ; mais il avait, en outre, le goût très développé des relations mondaines. De fréquentation fort agréable, doué de qualités extérieures qui le faisaient rechercher, il séduisait les gens de la belle société, si superficiels au XVIIIe siècle, et tous ces grands seigneurs et ces grandes dames, qui, à cette époque dont Voltaire fut roi, oubliaient Dieu pour les plaisirs, s'arrachaient l'élégant officier, alors démissionnaire. Il était venu à Paris.

Cet homme était vraiment un instrument du démon. Par ses manières doucereuses, par sa politesse exquise, il s'insinuait, d'abord, comme le serpent ; puis, par la flamme de son regard, rapportent ses contemporains, il fascinait; toujours comme le serpent, ajouterai-je. Et il prêchait, dans les salons aristocratiques, une religion nouvelle ; habile au suprême degré, il restait mystérieux, ne glissait que quelques mots, excitait la curiosité, réveillait le sentiment de la dévotion envers Dieu chez les frivoles qui l'avaient laissé s'éteindre, mais c'était pour le fausser, pour le sophistiquer, pour diriger cette piété mystique, rejaillit à son coup de baguette, vers un idéal criminel, sacrilège, vers Satan déifié. Les femmes surtout tombaient dans son piège ; et, du reste, il est reconnu que c'est particulièrement chez les nobles désœuvrées qui ont oublié le chemin de l’Église, que le satanisme fait le plus de victimes.
Autour de Saint-Martin, gravitaient, vice-prêtresses de l'occultisme, les femmes de la plus haute aristocratie : la princesse de Lusignan, la marquise de Chabanais, la marquise de Lacroix, la maréchale de Noailles.1852 Caro

Dans ses livres, le Philosophe Inconnu est, comme les Eliphas Levi et tous les autres docteurs ès-cabale, incompréhensible pour les non-initiés. « Je prêche Satan », est une chose qui ne se peut imprimer en toutes lettres. Aussi ne faut-il pas s'étonner de ce que M. Caro, l'académicien, ait écrit ceci sur les ouvrages de Saint-Martin :

« Il y a des pages, et en grand nombre, où nous n'avons pas compris un mot. Est-ce notre faute ? est-ce celle de l'écrivain ?... Dans ces pages étranges, une sorte de vertige vous prend. On entre dans un monde nouveau, où les mots n'ont plus de sens, ni les phrases de [page 621] liaison et de suite entre elles. Les formes de la syntaxe sont respectées; les propositions sont régulièrement construites ; mais la pensée reste indéchiffrable sous ce mélange de mots qui se suivent sans éveiller une seule idée. Ces pages sont comme un rêve éveillé ou comme un jeu d'enfant dans lequel on s'amuserait à parler pendant un certain temps sans rien dire, associant des phrases sans y mettre aucun sens, frappant l'air de sons vains et vides, et s'ingéniant à ne pas penser. » [Elme Marie CARO, Du mysticisme au XVIIIe siècle. Essai sur la vie et la doctrine de Saint-Martin. Paris, Hachette, 1852, p.121.]

M. Caro n'a rien compris, parce qu'il n'avait pas la clef, parce qu'il n'était pas théosophe, initié martiniste.

1878 Blanc histoireLouis Blanc, [Histoire de la révolution française, Volume 2, 1878, p.289] qui était franc-maçon, qui avait compris le secret des secrets, mais qui, cependant (il faut lui rendre cette justice), n'est pas déchu jusqu'à la pratique de l'occultisme, écrit à propos du livre de Saint-Martin, intitulé Des erreurs et de la vérité :

« Par les sentiers de l'allégorie, le Philosophe Inconnu conduisait au sein du royaume mystérieux que, dans son état primitif, l'homme avait habité. »

1866 FindelEt aussi, le F.·. Findel, dans son Histoire de la Franc-Maçonnerie, 1866, tome 1, p.457, dit encore, au sujet du même livre :

« Il ne fut pas seulement révéré comme un évangile par quelques FF.·. isolés ; mais en Allemagne on le considéra comme une mine de vraie science maçonnique, et on le recommanda particulièrement aux FF.·. initiés Chevaliers d'Asie. Le F.·. Claudius le traduisit en allemand. »

Veut-on quelques échantillons des écrits mystiques de Saint-Martin ? Je vais donner de courts extraits de ce fameux livre : Des erreurs et de la vérité. Mon lecteur, qui a la clef, comprendra que le système du Philosophe Inconnu n'est autre qu'un satanisme spécial, un amalgame de manichéisme et de néo-platonisme.

« Dès [Dans] son origine, l'homme avait donc pour loi de régner sur la région sensible, comme [Des Erreurs, p.200] il le doit encore aujourd'hui ; mais, comme il était alors doué d'une force incomparable et qu'il n'avait aucune entrave, tous les obstacles disparaissaient devant lui. Aujourd'hui, il n'a plus, à beaucoup près, les mêmes forces. [...] Lorsque l'arrêt foudroyant eut été prononcé contre lui, il ne lui resta, de tous les dons qu'il avait reçus, qu'une ombre de liberté, c'est-à-dire une volonté toujours sans force et sans empire. Tout autre pouvoir lui fût ôté, et sa réunion avec un être sensible le réduisit à n'être plus qu'un assemblage de deux causes inférieures en similitude de celles qui régissent tous les corps.
[Des Erreurs, p.201] « Quels fruits l'homme pourrait-il donc produire aujourd'hui, si, dans l'impuissance que nous lui connaissons, il croyait n'avoir d'autre loi que sa propre volonté, et s'il entreprenait de marcher sans être guidé par cette cause active et intelligente dont il dépend malgré lui et de laquelle il doit tout attendre, ainsi que les êtres corporels parmi lesquels il est si tristement confondu ?... [page 622]1775 SM erreurs

« ... Commençons par observer l'institution la plus respectée et la plus universellement répandue dans tous les peuples, celle qu'ils regardent avec raison comme ne devant pas être l'ouvrage de leurs mains. Il est bien clair, par le zèle avec lequel toute la terre s'occupe de cet objet sacré, que tous les hommes en ont en eux et l'image et l'idée. Nous apercevons chez toutes les nations une uniformité entière sur le principe fondamental de la religion. Toutes reconnaissent un être supérieur qu'il faut prier ; toutes le prient. [Des Erreurs, p.206]

« Cependant, les soins que tous les peuples se donnent pour honorer le premier être nous présentent, comme toutes les autres institutions, des différences et des changements successifs et arbitraires dans la pratique comme dans la théorie, en sorte que, parmi toutes les religions, on n'en connait pas deux qui l'honorent de la même manière. Or, je le demande, cette différence pourrait-elle avoir lieu, si les hommes avaient pris le même guide et qu'ils n'eussent pas perdu de vue la seule lumière qui pourrait les éclairer et concilier ? » [Des Erreurs, p.207]

Nous, catholiques, nous croyons que, s'il y a plusieurs religions sur le globe, c'est parce que la vérité du christianisme n'a pas encore conquis les âmes de millions d'idolâtres et parce que d'autre part il y a eu des schismes et des hérésies qui ont retranché des âmes du sein du vrai christianisme ; mais nous espérons que les hérétiques et les schismatiques finiront par revenir un jour à l’Église et que les païens seront aussi finalement convertis. Voilà comment nous comprenons que l'unité de religion se fera sur le globe.
Saint-Martin, lui, condamne toutes les religions actuellement connues, c'est-à-dire pratiquées publiquement ; selon lui, elles sont toutes fausses, toutes imbues d'erreur. Pour savoir comme il convient d'honorer la divinité, et, par conséquent, pour bien comprendre la divinité, aucune nation n'a songé à se laisser guider par le bon guide, qu'il ne nomme pas; toutes ont perdu de vue la vraie lumière.
C'est depuis l'arrêt prononcé contre lui au paradis terrestre que l'homme a été dépouillé de sa force morale et que, croyant n'avoir d'autre loi que celle de sa volonté, il a marché au hasard, sans s'inspirer, comme il aurait dû le faire de cette cause active et intelligente qui ne veut que son bien, mais dont Saint-Martin s'obstine à ne pas imprimer le nom.
Continuons, pourtant.

« C'est donc parce qu'il s'éloigne [en s'éloignant] de cette lumière, que l'homme demeure livré à ses propres facultés. [Des Erreurs, p.207] [...] Et cependant, quoiqu'il ne sache plus si l'hommage qu'il offre au premier être est vraiment celui que cet être exige, il préfère en [d'en] rendre un tel qu'il le conçoit, à la secrète inquiétude et au regret de n'en point rendre du tout. [Des Erreurs, p.208]
« Tel est, en partie, le principe qui a formé les fausses religions et qui a défiguré celle que toute la terre aurait dû suivre. Alors, pourrons-nous être surpris de voir si peu d'uniformité dans les usages pieux de l'homme et de son culte, de lui voir produire toutes ces contradictions, toutes ces pratiques opposées, tous ces [page 623] rites qui se combattent et qui, en effet, ne présentent rien de vrai à la pensée ? N'est-ce pas là où, l'imagination de l'homme n'ayant plus de frein, tout est l'ouvrage de son caprice et de son aveugle volonté ? N'est-ce pas là, par conséquent, où tout doit paraitre indifférent à la raison, puisqu'elle ne voit plus de rapports entre ce [le] culte et l'être auquel les instituteurs et les partisans veulent l'appliquer ? [Des Erreurs, p.208]

« Nous avons vu que, malgré tous les raisonnements sur la nature, les hommes étaient obligés de se soumettre à ses lois ; nous avons assez fait connaitre que les lois de cette nature étaient fixes et invariables, quoique, par une suite des DEUX ACTIONS qui sont dans l'univers, – (du bon et du mauvais principes), leur accomplissement fut souvent dérangé. [Des Erreurs, p.210]

« Nous savons donc déjà avec évidence qu'il est dans la nature corporelle une puissance supérieure à l'homme et qui l'assujettit à ses lois. [...] Si l'homme est soumis à cette nature, à plus forte raison le sera-t-il AUX PRINCIPES SUPÉRIEURS qui la dirigent et la soutiennent. Que produira donc tout ce qu'il pourra faire, imaginer, dire, instituer contre les lois de ces principes supérieurs ? [...] Loin qu'ils en soient le plus légèrement altérés, ils ne font que montrer davantage leur force et leur puissance en laissant l'homme qui s'en éloigne livré à ses propres doutes et aux incertitudes de son imagination et en l'assujettissant à ramper tant qu'il voudra les méconnaître. [Des Erreurs, p.211] [...]

« Nous ne pouvons donc plus douter que la raison de toutes ces différences que les nations nous offrent dans leurs dogmes et dans leur culte ne vienne de ce que, dans leurs institutions, elles ne sont pas appuyées de cette cause active et intelligente. [Des Erreurs, p.220]]
« On ne doit pas non plus me demander actuellement quel est celui de tous les cultes établis qui est le véritable culte ; le principe que je viens de poser doit servir de réponse à toutes les questions sur cet objet... » [Des Erreurs, p.221]

« .. Tel est, on le voit, [on le sait] l'état malheureux de l'homme actuel, qu'il ne peut, non seulement arriver au terme, mais même faire un seul pas dans cette voie, sans qu'une autre main que la sienne lui en ouvre l'entrée et le soutienne dans toute l'étendue de la carrière ! On sait aussi que cette main puissante est cette même cause physique, à la fois intelligente et active, dont l'œil voit tout et dont le pouvoir soutient tout dans le temps. Or, si ses droits sont exclusifs, comment l'homme, dans sa faiblesse et dans la privation la plus absolue, pourrait-il dans la nature se passer d'un pareil appui ? [Des Erreurs, p.535-536]
« Il faut donc qu'il reconnaisse ici de nouveau et l'existence de cette cause et le besoin indispensable qu'il a de son secours POUR SE RÉTABLIR DANS SES DROITS. Il sera également obligé d'avouer que, si elle peut seule satisfaire pleinement ses désirs sur les difficultés qui l'inquiètent, le premier et le plus utile de ses devoirs est d'abjurer sa fragile volonté, ainsi que les fausses lueurs dont il cherche à en colorer les abus, et de ne se reposer que sur cette cause puissante, qui, aujourd'hui, est l'unique guide qu'il ait à prendre. [Des Erreurs, p.536]

« QUE NE PUIS-JE DÉPOSER ICI LE VOILE DONT JE ME COUVRE ET PRONONCER LE NOM DE CETTE CAUSE BIENFAISANTE, LA FORCE ET L'EXCELLENCE MÊME SUR LAQUELLE JE VOUDRAIS POUVOIR FIXER LES YEUX DE TOUT L'UNIVERS ! MAIS, QUOIQUE CET ÊTRE INEFFABLE, LA CLEF DE LA NATURE, L'AMOUR ET LA JOIE DES SIMPLES, LE FLAMBEAU DES SAGES, MÊME LE SECRET APPUI DES AVEUGLES, NE CESSE DE SOUTENIR L'HOMME DANS TOUS SES PAS, COMME IL SOUTIENT ET DIRIGE TOUS LES ACTES DE L'UNIVERS, cependant, le nom qui le ferait le mieux connaître suffirait, si je le proférais, pour que le [page 624] plus grand nombre dédaignât d'ajouter foi à ses vertus et se défiât de toute ma doctrine. AINSI, LE DÉSIGNER PLUS CLAIREMENT, CE SERAIT ÉLOIGNER LE BUT QUE J'AURAIS DE LE FAIRE HONORER. » [c'est Taxil qui met en majuscule, en gras et en italiques] [Des Erreurs, p.537-538]

Ce que Saint-Martin n'imprimait pas dans ses livres, il le disait aux adeptes de son rite, minutieusement éprouvés. Son rite appartient à la franc-maçonnerie ; c'est l'Écossisme réformé de Saint-Martin ou Ordre Martiniste ; il a bon nombre de pratiquants en France, mais il est surtout répandu en Allemagne et principalement en Prusse. Primitivement composé de dix grades divisés en deux séries, ce rite, qui est une réforme du régime des Elus-Coëns (de Martinez Pasqualis), a été réduit à sept grades, qui sont : 1er Apprenti; 2° Compagnon ; 3. Maître ; 4° Maître Parfait; 5. Élu ; 6° Écossais ; 7° Sage Illuminé. C'est au 7° grade que l'adepte sait à quoi s'en tenir sur le grand architecte de l'univers. Mais comme les Martinistes sont des satanistes, ils ne sont pas officiellement reconnus par le Suprême Directoire Dogmatique de la haute-maçonnerie. Néanmoins, quelques-uns d'entre eux sont en rapport avec les chefs du Palladium ; mais ils se gardent bien de le faire savoir à leurs collègues; on sait, d'ailleurs, que le secret des palladistes est des plus rigoureux.

[Rappelons que Louis-Claude de Saint-Martin n’a jamais réformé de rite, encore moins l’Écossisme, et qu’il n’a pas créé d’ordre martiniste. Ce dernier fut créé par Gérard Encausse, dit Papus, en 1888-1891.

Quant au terme de palladiste, voir au début de cet article sa définition inventée de toute pièce par Taxil !]

 

Il en est de Saint-Martin comme de Swedenborg. Son influence est plutôt une influence générale, et elle se fait sentir aussi bien dans les doctrines des différents groupes d'occultistes que dans l'école spéciale qui marche sous son drapeau. C'est ainsi que Papus, dans un tableau synthétique de la filiation de ces différents groupes, a rattaché à l'école de Saint-Martin, par l'intermédiaire de Wronski : Eliphas Lévi, Louis Lucas, Lacuria, et Stanislas de Guaita, ce dernier comme étant le véritable successeur d'Eliphas Lévi, - qui n'était pourtant pas sataniste.

Une spéciale initiation martiniste a été instituée récemment par le groupe central d’occultisme fondé par Papus, qui semble fonctionner assez activement De temps en temps, l'Initiation offre à ses lecteurs des fragments de discours prononcés à la réception des Frères des différents degrés ; ainsi, par exemple, au 18° volume, page 110 [pdf, p.18] : un Discours prononcé à la réception du Frère 19e au Suprême Conseil, le 25 novembre 1892 [pdf,p.18]. L'orateur y définit ce qu'il faut entendre par science martiniste, qu'il résume ainsi :

« Expliquer l'univers par l'homme, c'est la devise même de Saint-Martin. »

[Il s'agit en fait du titre du deuxième livre de Saint-Martin : Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers. Édimbourg, 1782, deux tomes.
Ce livre, comme ce sera l'habitude chez Saint-Martin, cite en exergue un passage de son livre précédent, des Erreurs et de la vérité :

« Expliquer les choses par l'homme et non l'homme par les choses. » [Des Erreurs, p.9]

 

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