Neuvième partie. La goétie ou magie noire. Chap.36. Les Satanistes organisés. Passons aux martinistes. Extrait, pages 619-624

Au chapitre sur les Juifs dans la Franc-Maçonnerie, j'ai suffisamment parlé de Martinez Pasqualis pour n'avoir pas à revenir sur le premier fondateur de cette secte des Martinistes, essentiellement diabolisante et [page 620] maçonnique.

Mais Martinez Pasqualis, agissant en France comme Weishaupt en Allemagne, a été le promoteur de l'Illuminisme français, et c'est l'un de ses disciples, Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), qui en a été le théoricien et le véritable organisateur ; et c'est lui qui a laissé son nom à la secte.

Saint-Martin, qu'on appelle communément « le Philosophe Inconnu », était officier au régiment de Foix, en garnison à Bordeaux, lorsqu'il fit la connaissance de Martinez Pasqualis dans les loges de cette ville ; c'était le duc de Choiseul, ami et protecteur de sa famille, qui l'avait fait initier de bonne heure à la maçonnerie [Saint-Martin a été initié au régiment de Foix et non grâce au duc de Choiseul] ; Pasqualis alla plus loin et leva pour lui les derniers voiles.

Esprit exalté, Saint-Martin se lança à corps et âme perdus dans le mysticisme noir ; mais il avait, en outre, le goût très développé des relations mondaines. De fréquentation fort agréable, doué de qualités extérieures qui le faisaient rechercher, il séduisait les gens de la belle société, si superficiels au XVIIIe siècle, et tous ces grands seigneurs et ces grandes dames, qui, à cette époque dont Voltaire fut roi, oubliaient Dieu pour les plaisirs, s'arrachaient l'élégant officier, alors démissionnaire. Il était venu à Paris.

Cet homme était vraiment un instrument du démon. Par ses manières doucereuses, par sa politesse exquise, il s'insinuait, d'abord, comme le serpent ; puis, par la flamme de son regard, rapportent ses contemporains, il fascinait; toujours comme le serpent, ajouterai-je. Et il prêchait, dans les salons aristocratiques, une religion nouvelle ; habile au suprême degré, il restait mystérieux, ne glissait que quelques mots, excitait la curiosité, réveillait le sentiment de la dévotion envers Dieu chez les frivoles qui l'avaient laissé s'éteindre, mais c'était pour le fausser, pour le sophistiquer, pour diriger cette piété mystique, rejaillit à son coup de baguette, vers un idéal criminel, sacrilège, vers Satan déifié. Les femmes surtout tombaient dans son piège ; et, du reste, il est reconnu que c'est particulièrement chez les nobles désœuvrées qui ont oublié le chemin de l’Église, que le satanisme fait le plus de victimes.
Autour de Saint-Martin, gravitaient, vice-prêtresses de l'occultisme, les femmes de la plus haute aristocratie : la princesse de Lusignan, la marquise de Chabanais, la marquise de Lacroix, la maréchale de Noailles.1852 Caro

Dans ses livres, le Philosophe Inconnu est, comme les Eliphas Levi et tous les autres docteurs ès-cabale, incompréhensible pour les non-initiés. « Je prêche Satan », est une chose qui ne se peut imprimer en toutes lettres. Aussi ne faut-il pas s'étonner de ce que M. Caro, l'académicien, ait écrit ceci sur les ouvrages de Saint-Martin :

« Il y a des pages, et en grand nombre, où nous n'avons pas compris un mot. Est-ce notre faute ? est-ce celle de l'écrivain ?... Dans ces pages étranges, une sorte de vertige vous prend. On entre dans un monde nouveau, où les mots n'ont plus de sens, ni les phrases de [page 621] liaison et de suite entre elles. Les formes de la syntaxe sont respectées; les propositions sont régulièrement construites ; mais la pensée reste indéchiffrable sous ce mélange de mots qui se suivent sans éveiller une seule idée. Ces pages sont comme un rêve éveillé ou comme un jeu d'enfant dans lequel on s'amuserait à parler pendant un certain temps sans rien dire, associant des phrases sans y mettre aucun sens, frappant l'air de sons vains et vides, et s'ingéniant à ne pas penser. » [Elme Marie CARO, Du mysticisme au XVIIIe siècle. Essai sur la vie et la doctrine de Saint-Martin. Paris, Hachette, 1852, p.121.]

M. Caro n'a rien compris, parce qu'il n'avait pas la clef, parce qu'il n'était pas théosophe, initié martiniste.

1878 Blanc histoireLouis Blanc, [Histoire de la révolution française, Volume 2, 1878, p.289] qui était franc-maçon, qui avait compris le secret des secrets, mais qui, cependant (il faut lui rendre cette justice), n'est pas déchu jusqu'à la pratique de l'occultisme, écrit à propos du livre de Saint-Martin, intitulé Des erreurs et de la vérité :

« Par les sentiers de l'allégorie, le Philosophe Inconnu conduisait au sein du royaume mystérieux que, dans son état primitif, l'homme avait habité. »

1866 FindelEt aussi, le F.·. Findel, dans son Histoire de la Franc-Maçonnerie, 1866, tome 1, p.457, dit encore, au sujet du même livre :

« Il ne fut pas seulement révéré comme un évangile par quelques FF.·. isolés ; mais en Allemagne on le considéra comme une mine de vraie science maçonnique, et on le recommanda particulièrement aux FF.·. initiés Chevaliers d'Asie. Le F.·. Claudius le traduisit en allemand. »

Veut-on quelques échantillons des écrits mystiques de Saint-Martin ? Je vais donner de courts extraits de ce fameux livre : Des erreurs et de la vérité. Mon lecteur, qui a la clef, comprendra que le système du Philosophe Inconnu n'est autre qu'un satanisme spécial, un amalgame de manichéisme et de néo-platonisme.

« Dès [Dans] son origine, l'homme avait donc pour loi de régner sur la région sensible, comme [Des Erreurs, p.200] il le doit encore aujourd'hui ; mais, comme il était alors doué d'une force incomparable et qu'il n'avait aucune entrave, tous les obstacles disparaissaient devant lui. Aujourd'hui, il n'a plus, à beaucoup près, les mêmes forces. [...] Lorsque l'arrêt foudroyant eut été prononcé contre lui, il ne lui resta, de tous les dons qu'il avait reçus, qu'une ombre de liberté, c'est-à-dire une volonté toujours sans force et sans empire. Tout autre pouvoir lui fût ôté, et sa réunion avec un être sensible le réduisit à n'être plus qu'un assemblage de deux causes inférieures en similitude de celles qui régissent tous les corps.
[Des Erreurs, p.201] « Quels fruits l'homme pourrait-il donc produire aujourd'hui, si, dans l'impuissance que nous lui connaissons, il croyait n'avoir d'autre loi que sa propre volonté, et s'il entreprenait de marcher sans être guidé par cette cause active et intelligente dont il dépend malgré lui et de laquelle il doit tout attendre, ainsi que les êtres corporels parmi lesquels il est si tristement confondu ?... [page 622]1775 SM erreurs

« ... Commençons par observer l'institution la plus respectée et la plus universellement répandue dans tous les peuples, celle qu'ils regardent avec raison comme ne devant pas être l'ouvrage de leurs mains. Il est bien clair, par le zèle avec lequel toute la terre s'occupe de cet objet sacré, que tous les hommes en ont en eux et l'image et l'idée. Nous apercevons chez toutes les nations une uniformité entière sur le principe fondamental de la religion. Toutes reconnaissent un être supérieur qu'il faut prier ; toutes le prient. [Des Erreurs, p.206]

« Cependant, les soins que tous les peuples se donnent pour honorer le premier être nous présentent, comme toutes les autres institutions, des différences et des changements successifs et arbitraires dans la pratique comme dans la théorie, en sorte que, parmi toutes les religions, on n'en connait pas deux qui l'honorent de la même manière. Or, je le demande, cette différence pourrait-elle avoir lieu, si les hommes avaient pris le même guide et qu'ils n'eussent pas perdu de vue la seule lumière qui pourrait les éclairer et concilier ? » [Des Erreurs, p.207]

Nous, catholiques, nous croyons que, s'il y a plusieurs religions sur le globe, c'est parce que la vérité du christianisme n'a pas encore conquis les âmes de millions d'idolâtres et parce que d'autre part il y a eu des schismes et des hérésies qui ont retranché des âmes du sein du vrai christianisme ; mais nous espérons que les hérétiques et les schismatiques finiront par revenir un jour à l’Église et que les païens seront aussi finalement convertis. Voilà comment nous comprenons que l'unité de religion se fera sur le globe.
Saint-Martin, lui, condamne toutes les religions actuellement connues, c'est-à-dire pratiquées publiquement ; selon lui, elles sont toutes fausses, toutes imbues d'erreur. Pour savoir comme il convient d'honorer la divinité, et, par conséquent, pour bien comprendre la divinité, aucune nation n'a songé à se laisser guider par le bon guide, qu'il ne nomme pas; toutes ont perdu de vue la vraie lumière.
C'est depuis l'arrêt prononcé contre lui au paradis terrestre que l'homme a été dépouillé de sa force morale et que, croyant n'avoir d'autre loi que celle de sa volonté, il a marché au hasard, sans s'inspirer, comme il aurait dû le faire de cette cause active et intelligente qui ne veut que son bien, mais dont Saint-Martin s'obstine à ne pas imprimer le nom.
Continuons, pourtant.

« C'est donc parce qu'il s'éloigne [en s'éloignant] de cette lumière, que l'homme demeure livré à ses propres facultés. [Des Erreurs, p.207] [...] Et cependant, quoiqu'il ne sache plus si l'hommage qu'il offre au premier être est vraiment celui que cet être exige, il préfère en [d'en] rendre un tel qu'il le conçoit, à la secrète inquiétude et au regret de n'en point rendre du tout. [Des Erreurs, p.208]
« Tel est, en partie, le principe qui a formé les fausses religions et qui a défiguré celle que toute la terre aurait dû suivre. Alors, pourrons-nous être surpris de voir si peu d'uniformité dans les usages pieux de l'homme et de son culte, de lui voir produire toutes ces contradictions, toutes ces pratiques opposées, tous ces [page 623] rites qui se combattent et qui, en effet, ne présentent rien de vrai à la pensée ? N'est-ce pas là où, l'imagination de l'homme n'ayant plus de frein, tout est l'ouvrage de son caprice et de son aveugle volonté ? N'est-ce pas là, par conséquent, où tout doit paraitre indifférent à la raison, puisqu'elle ne voit plus de rapports entre ce [le] culte et l'être auquel les instituteurs et les partisans veulent l'appliquer ? [Des Erreurs, p.208]

« Nous avons vu que, malgré tous les raisonnements sur la nature, les hommes étaient obligés de se soumettre à ses lois ; nous avons assez fait connaitre que les lois de cette nature étaient fixes et invariables, quoique, par une suite des DEUX ACTIONS qui sont dans l'univers, – (du bon et du mauvais principes), leur accomplissement fut souvent dérangé. [Des Erreurs, p.210]

« Nous savons donc déjà avec évidence qu'il est dans la nature corporelle une puissance supérieure à l'homme et qui l'assujettit à ses lois. [...] Si l'homme est soumis à cette nature, à plus forte raison le sera-t-il AUX PRINCIPES SUPÉRIEURS qui la dirigent et la soutiennent. Que produira donc tout ce qu'il pourra faire, imaginer, dire, instituer contre les lois de ces principes supérieurs ? [...] Loin qu'ils en soient le plus légèrement altérés, ils ne font que montrer davantage leur force et leur puissance en laissant l'homme qui s'en éloigne livré à ses propres doutes et aux incertitudes de son imagination et en l'assujettissant à ramper tant qu'il voudra les méconnaître. [Des Erreurs, p.211] [...]

« Nous ne pouvons donc plus douter que la raison de toutes ces différences que les nations nous offrent dans leurs dogmes et dans leur culte ne vienne de ce que, dans leurs institutions, elles ne sont pas appuyées de cette cause active et intelligente. [Des Erreurs, p.220]]
« On ne doit pas non plus me demander actuellement quel est celui de tous les cultes établis qui est le véritable culte ; le principe que je viens de poser doit servir de réponse à toutes les questions sur cet objet... » [Des Erreurs, p.221]

« .. Tel est, on le voit, [on le sait] l'état malheureux de l'homme actuel, qu'il ne peut, non seulement arriver au terme, mais même faire un seul pas dans cette voie, sans qu'une autre main que la sienne lui en ouvre l'entrée et le soutienne dans toute l'étendue de la carrière ! On sait aussi que cette main puissante est cette même cause physique, à la fois intelligente et active, dont l'œil voit tout et dont le pouvoir soutient tout dans le temps. Or, si ses droits sont exclusifs, comment l'homme, dans sa faiblesse et dans la privation la plus absolue, pourrait-il dans la nature se passer d'un pareil appui ? [Des Erreurs, p.535-536]
« Il faut donc qu'il reconnaisse ici de nouveau et l'existence de cette cause et le besoin indispensable qu'il a de son secours POUR SE RÉTABLIR DANS SES DROITS. Il sera également obligé d'avouer que, si elle peut seule satisfaire pleinement ses désirs sur les difficultés qui l'inquiètent, le premier et le plus utile de ses devoirs est d'abjurer sa fragile volonté, ainsi que les fausses lueurs dont il cherche à en colorer les abus, et de ne se reposer que sur cette cause puissante, qui, aujourd'hui, est l'unique guide qu'il ait à prendre. [Des Erreurs, p.536]

« QUE NE PUIS-JE DÉPOSER ICI LE VOILE DONT JE ME COUVRE ET PRONONCER LE NOM DE CETTE CAUSE BIENFAISANTE, LA FORCE ET L'EXCELLENCE MÊME SUR LAQUELLE JE VOUDRAIS POUVOIR FIXER LES YEUX DE TOUT L'UNIVERS ! MAIS, QUOIQUE CET ÊTRE INEFFABLE, LA CLEF DE LA NATURE, L'AMOUR ET LA JOIE DES SIMPLES, LE FLAMBEAU DES SAGES, MÊME LE SECRET APPUI DES AVEUGLES, NE CESSE DE SOUTENIR L'HOMME DANS TOUS SES PAS, COMME IL SOUTIENT ET DIRIGE TOUS LES ACTES DE L'UNIVERS, cependant, le nom qui le ferait le mieux connaître suffirait, si je le proférais, pour que le [page 624] plus grand nombre dédaignât d'ajouter foi à ses vertus et se défiât de toute ma doctrine. AINSI, LE DÉSIGNER PLUS CLAIREMENT, CE SERAIT ÉLOIGNER LE BUT QUE J'AURAIS DE LE FAIRE HONORER. » [c'est Taxil qui met en majuscule, en gras et en italiques] [Des Erreurs, p.537-538]

Ce que Saint-Martin n'imprimait pas dans ses livres, il le disait aux adeptes de son rite, minutieusement éprouvés. Son rite appartient à la franc-maçonnerie ; c'est l'Écossisme réformé de Saint-Martin ou Ordre Martiniste ; il a bon nombre de pratiquants en France, mais il est surtout répandu en Allemagne et principalement en Prusse. Primitivement composé de dix grades divisés en deux séries, ce rite, qui est une réforme du régime des Elus-Coëns (de Martinez Pasqualis), a été réduit à sept grades, qui sont : 1er Apprenti; 2° Compagnon ; 3. Maître ; 4° Maître Parfait; 5. Élu ; 6° Écossais ; 7° Sage Illuminé. C'est au 7° grade que l'adepte sait à quoi s'en tenir sur le grand architecte de l'univers. Mais comme les Martinistes sont des satanistes, ils ne sont pas officiellement reconnus par le Suprême Directoire Dogmatique de la haute-maçonnerie. Néanmoins, quelques-uns d'entre eux sont en rapport avec les chefs du Palladium ; mais ils se gardent bien de le faire savoir à leurs collègues; on sait, d'ailleurs, que le secret des palladistes est des plus rigoureux.

[Rappelons que Louis-Claude de Saint-Martin n’a jamais réformé de rite, encore moins l’Écossisme, et qu’il n’a pas créé d’ordre martiniste. Ce dernier fut créé par Gérard Encausse, dit Papus, en 1888-1891.

Quant au terme de palladiste, voir au début de cet article sa définition inventée de toute pièce par Taxil !]

 

Il en est de Saint-Martin comme de Swedenborg. Son influence est plutôt une influence générale, et elle se fait sentir aussi bien dans les doctrines des différents groupes d'occultistes que dans l'école spéciale qui marche sous son drapeau. C'est ainsi que Papus, dans un tableau synthétique de la filiation de ces différents groupes, a rattaché à l'école de Saint-Martin, par l'intermédiaire de Wronski : Eliphas Lévi, Louis Lucas, Lacuria, et Stanislas de Guaita, ce dernier comme étant le véritable successeur d'Eliphas Lévi, - qui n'était pourtant pas sataniste.

Une spéciale initiation martiniste a été instituée récemment par le groupe central d’occultisme fondé par Papus, qui semble fonctionner assez activement De temps en temps, l'Initiation offre à ses lecteurs des fragments de discours prononcés à la réception des Frères des différents degrés ; ainsi, par exemple, au 18° volume, page 110 [pdf, p.18] : un Discours prononcé à la réception du Frère 19e au Suprême Conseil, le 25 novembre 1892 [pdf,p.18]. L'orateur y définit ce qu'il faut entendre par science martiniste, qu'il résume ainsi :

« Expliquer l'univers par l'homme, c'est la devise même de Saint-Martin. »

[Il s'agit en fait du titre du deuxième livre de Saint-Martin : Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers. Édimbourg, 1782, deux tomes.
Ce livre, comme ce sera l'habitude chez Saint-Martin, cite en exergue un passage de son livre précédent, des Erreurs et de la vérité :

« Expliquer les choses par l'homme et non l'homme par les choses. » [Des Erreurs, p.9]

 

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