Chapitre XXXII - Les Juifs dans la Franc-Maçonnerie. Pierre Fournié. Extrait, pages 452-457

[Dans ce qui suit, Taxil se sert des extraits du livre de Pierre Fournié Ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous deviendrons (Londres, 1801) pour poursuivre ses fumisteries contre les francs-maçons, suppôt de Satan, selon l’auteur du Diable au 19e siècle. De ce fait, l’ensemble des commentaires de Taxil doivent être pris avec d’infinies précautions, puisque ne l’oublions pas, ce livre est une véritable fake news du 19e siècle et Léo Taxil se ré&tractera publiquement par la suite. Mais le mal était fait.]

 

Clerc tonsuré du diocèse de Lyon, l'abbé Fournié s'attacha à Martinez pendant le séjour de celui-ci dans cette ville, le suivit à Paris, s'abandonna candidement à la direction spirituelle du cohen ou prêtre illuminé, s'efforçant nous allons voir au prix de quelles luttes et de quelles terreurs, de concilier avec le catholicisme les croyances et les pratiques de l'illuminisme.

Né vers 1738, l'abbé Fournié connut Martinez vers 1760 ; il vivait encore en 1819. Réfugié à Londres pendant la Révolution, il y continua ses études théosophiques et y publia en 1801 un livre devenu fort rare, intitulé : Ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous deviendrons. Ce livre n'est que le panthéisme de Martinez, traduit par une plume ecclésiastique, en apparence moins imprégnée de cabalisme, mais d'autant plus dangereuse qu'elle semble inspirée du plus parfait, du plus raffiné christianisme. C'est le poison du faux mysticisme dans toute sa mortelle saveur. Pour quiconque sait lire entre les lignes, car il est certain que l'abbé ne dit que ce qu'il [page 453] veut bien dire,-il est clair qu'il interprète les divines Ecritures dans le sens de son maitre ; il y professe carrément l'opinion de Martinez sur la divinité de Jésus-Christ :

« Jésus-Christ, dit-il est né de Dieu, pour avoir fait la volonté de Dieu. »

[Voici le texte original, page 36 :

« Puisque cet Homme Jésus-Christ est né de Dieu Homme-Dieu, pour avoir fait la volonté de Dieu. »]

 

Il nous raconte, d'ailleurs, sur un ton hypocrite affectant l'ingénuité et la candeur, comment il fut rencontré et initié par le juif espagnol. Voici, tel qu'il se trouve dans l'ouvrage de Matter que je viens de citer, ce curieux récit qui nous peint admirablement le maître et le disciple.

Voici les références du livre de Pierre Fournié. 1801 Fournie

Ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous deviendrons
Par Pierre Fournié, clerc tonsuré.

« Ne vous arrêtez point à considérer la personne de celui qui
écrit, soit qu'il ait eu peu ou beaucoup de science; mais que l'amour
pur de la vérité vous porte à lire tout ce que vous lirez. »
(Imitation de Jésus-Christ, L. I. Ch. V.)
Première partie.
À LONDRES.
Chez A. DULAU et Co, Soho Sq. et chez les autres Libraires.
De l'imprimerie d'A. DULAU et Co. et L. NARDINI, n°15, Poland street.
1801

Nous mettons entre crochets le texte original.
Dans le livre de Jacques Matter, Saint-Martin, le philosophe inconnu, ce texte se trouve à partir de la page 40.]

 

[Fournié, page 364]

1788 paroissien romain« Quant à moi, chétif instrument de Dieu, dit Fournié, en écrivant ce traité dont je publie aujourd'hui la première partie, j'avoue [j’annonce] sans déguisement, pour sa plus grande gloire et pour le salut de nous tous, hommes passés, présents et à venir, que par la grâce de Dieu je n'ai aucune connaissance des sciences humaines, sans pour cela être contre leur culture ; que je n'ai jamais fait d'études, et que je n'ai pas lu d'autres livres que les Saintes Écritures, l’Imitation de notre divin Maître Jésus-Christ et le petit livre de prières en usage parmi les catholiques sous le titre de Petit Paroissien. À quoi je dois ajouter que j'ai lu depuis environ un an, deux ou trois volumes des œuvres de l'humble servante de Dieu, madame Guyon.

« Après avoir passé ma jeunesse d'une manière tranquille et obscure selon le monde, il plut à Dieu de m'inspirer un désir ardent que la vie future fût une réalité, et que tout ce que j'entendais dire concernant Dieu, Jésus-Christ et ses apôtres, fût aussi des réalités. Environ dix-huit mois s'écoulèrent dans toute l'agitation que me causèrent ces désirs, et alors Dieu m'accorda la grâce de rencontrer un homme qui me dit familièrement : « Vous devriez venir nous voir, nous sommes de braves [Fournié, page 365] gens. Vous ouvrirez un livre, vous regarderez au premier feuillet, au centre et à la fin, lisant seulement quelques mots, et vous saurez tout ce qu'il contient. Vous voyez marcher toutes sortes de gens dans la rue ; eh bien ! ces gens-là ne savent pas pourquoi ils marchent, mais vous, vous le saurez. »
« Cet homme, dont le début avec moi peut sembler extraordinaire se nommait dom Martinets de Pasquallys [sic].

« D'abord, je fus frappé de l'idée que l'homme qui m'avait parlé était un sorcier, ou même le diable en personne. À cette première idée en succéda bien vite une autre, à laquelle je m'arrêtai : « Si cet homme est le diable, me disais-je intérieurement, donc il y a un Dieu réel, et c'est à Dieu seul que je veux aller ; et comme je ne désire qu'aller à Dieu, je ferai autant de chemin vers Dieu que le diable croira m'en faire faire vers lui-même. »
« De sorte que j'allai chez M. de Pasquallys, et il m'admit au nombre de ceux qui le suivaient. »

Combien de prêtres, même de nos jours, victimes de la même illusion que [page 454] l'abbé Fournié, ne se sont pas dit, eux aussi, que, suivant tel ou tel initiateur occulte, ils ne voulaient qu'aller vers Dieu, et sont en réalité allés vers le diable ! Combien, en croyant suivre Jésus-Christ, ne suivent qu'un Martinez Pasqualis ! Imprudents qui ne savent pas assez jusqu'à quel point Satan peut revêtir la livrée du Christ !...

Écoutons Fournié : [Fournié, page 365, à la suite du texte précédent]

« Ses instructions journalières étaient : de nous porter sans cesse vers Dieu, de croître de vertus en vertus, et de travailler pour le bien général. Elles ressemblaient exactement à celles qu'il parait dans l’Évangile que Jésus-Christ donnait à ceux qui marchaient à sa suite, sans jamais prier [forcer] personne à les croire sous peine de damnation, sans imposer d'autres commandements que ceux de Dieu, sans imputer d'autres péchés que ceux qui sont expressément contraires à la loi de Dieu, et nous laissant bien souvent en suspens, s'il était vrai ou faux, bon ou mauvais, ange de lumière ou démon.
« Cette incertitude me brûlait si fort en dedans que nuit et jour je criai vers Dieu, [Fournié, page 366] pour que, s'il existait réellement, il vint me secourir. Mais plus je me réclamais à Dieu, plus je me trouvais enfermé dans l'abîme et je n'entendais pour toute réponse intérieure que ces idées désolantes : il n'y a pas de Dieu, il n'y a pas d'autre vie, il n'y a que mort et néant. Ne me trouvant entouré que de ces idées, qui me brûlaient de plus en plus fort, je criais encore plus ardemment vers Dieu et sans discontinuer, ne dormant presque plus, et lisant les Écritures avec une grande attention, sans jamais chercher à les entendre par moi-même.

« De temps en temps, il arrivait que je recevais d'en haut quelques lumières et des rayons d'intelligence ; mais tout cela disparaissait avec la vitesse d'un éclair. D'autres fois, mais rarement, j'avais des visions, et je croyais que M. de Pasquallys avait quelque secret pour faire passer ces visions devant moi, quoique néanmoins elles se réalisassent, peu de jours après, telles que je les avais vues.
« Je vécus ainsi plus de cinq ans dans de fatigantes incertitudes, mêlées de grandes agitations, toujours désirant que Dieu fût, et d'échapper moi-même au néant, mais toujours enfoncé dans un abîme ténébreux, et ne me voyant entouré que de l'opposé de la réalité de l'existence de [d’un] Dieu et conséquemment de l'autre vie ; de sorte que j'étais tourmenté à l'extrême, et comme brûlé par mon désir de Dieu et par la contradiction de ce désir.

1892 taxil t2 fournie« Enfin, un jour que j'étais prosterné dans ma chambre criant à Dieu de me secourir, vers les dix heures du soir, j'entendis tout à coup la voix de M. de Pasquallys, mon directeur, qui était corporellement mort depuis plus de deux ans, et qui parlait distinctement en dehors de ma [Fournié, page 367] chambre, dont la porte était fermée, ainsi que les fenêtres et les volets. [page 455]
« Je regarde du côté d'où venait la voix, c'est-à-dire du côté d'un grand jardin attenant à la maison, et aussitôt je vois de mes yeux M. de Pasquallys qui se met à me parler, et avec lui mon père et ma mère, qui étaient aussi tous les deux corporellement morts.
« Dieu sait quelle terrible nuit je passai ! Je fus, entre autres choses, légèrement frappé sur mon âme par une main qui la frappa au travers de mon corps, me laissant une impression de douleur que le langage humain ne peut exprimer, et qui me parait moins tenir au temps qu'à l'éternité. O mon Dieu ! si c'est votre volonté, faites que je ne sois plus jamais frappé de la sorte ! car ce coup a été si terrible, que, quoique vingt-cinq ans se soient écoulés depuis, je donnerais de bon cœur tout l'univers, tous ses plaisirs et toute sa gloire, avec l'assurance d'en jouir pendant une vie de mille milliards d'années, pour éviter d'être ainsi frappé de nouveau seulement une seule fois.

« Je vis donc dans ma chambre M. de Pasquallys, mon directeur, avec mon père et ma mère, me parlant, et moi parlant à eux comme les hommes se parlent entre eux à l'ordinaire. Il y avait de plus une de mes sœurs, qui était aussi corporellement morte depuis vingt ans, et enfin un autre être qui n'est pas du genre des hommes.
« Peu de jours après, je vis passer distinctement devant moi et près de moi notre divin Maitre Jésus-Christ, crucifié sur l'arbre de la croix. Puis, au bout de quelques jours, ce divin Maître m'apparut de nouveau et vint à moi dans l'état où il était lorsqu'il sortit tout vivant du tombeau où l'on avait enseveli son corps mort.
« Enfin, après un autre [Fournié, page 368] intervalle de peu de jours, notre divin Maître Jésus-Christ m'apparut pour la troisième fois, tout glorieux et triomphant du monde, de Satan et de ses pompes, marchant devant moi avec la bienheureuse Vierge Marie, sa mère, et suivi de différentes personnes.
« Voilà ce que j'ai vu de mes yeux corporels, il y a plus de vingt-cinq ans, et voilà ce que je publie maintenant comme étant véritable et certain. Ce fut immédiatement après que j'eus été favorisé de ces visions ou apparitions de notre divin Maître Jésus-Christ dans ses trois différents états, que Dieu m'accorda la grâce d'écrire, avec une vitesse extraordinaire, le traité dont on vient de lire la première partie. Conséquemment, je l’écrivis plusieurs années avant que l'on sût en France qu'il y avait un Swedenborg dans le monde, et avant que l'on y connût l'existence du magnétisme. »

Et plus loin, Fournié, revenant sur le sujet de ces visions, écrit ce qui suit : [Fournié, page 368]

« J'ajoute à ce que j'ai déjà dit concernant la première vision que j'eus de M. de Pasquallys, [Fournié, page 369] mon directeur, de mon père et de ma mère, que je ne les ai pas seulement vus une fois, de la manière que j'ai rapportée, ou [page 456] seulement une semaine, ou un mois, ou un an ; mais que, depuis ce premier moment, je les ai vus pendant des années entières et constamment, allant et venant ensemble avec eux, dans la maison, dehors, la nuit, le jour, seul et en compagnie, ainsi qu'avec un autre être qui n'est pas du genre des hommes, nous parlant tous mutuellement et comme les hommes se parlent entre eux.
« Je ne puis ni ne dois rapporter ici rien de ce qui s'est fait, dit et passé dans mes visions quelconques, depuis le premier moment jusqu'à aujourd'hui. Malheureusement, on se moque dans le monde de toutes ces choses ; on en nie la réalité, et on plaisante ou on veut bien avoir pitié de ceux qui les attestent, comme si c'étaient des fous absolument incurables. Il semblerait donc que, d'après la manière dont les hommes ont reçu jadis et reçoivent encore ceux qui ont des visions, à commencer par les patriarches et les prophètes, j'aurais dû ne pas parler des miennes; mais la volonté et la vérité de Dieu doivent toujours l'emporter sur tout ce que les hommes pourront dire. »

1880 Deschamps t1Rien de plus instructif que ce récit, qui nous fait toucher du doigt la nature des communications surnaturelles dont Pasqualis était favorisé et pouvait favoriser ses adeptes, même après sa mort. Qui ne comprendrait, à ces terreurs en face du sombre abîme, à ce coup terrible et surhumain ressenti dans l'âme, à l'apparition de cet être supérieur qui n'est pas du genre des hommes, que nous avons affaire ici au prince de la lumière infernale (note ci-dessous), se transfigurant enfin dans la personne même de Jésus-Christ ? Jésus-Christ, évoqué par Pasqualis ! par l'effronté négateur de sa divinité ! Qui pourrait croire que Jésus-Christ pût se prêter à un pareil rôle ? Que pouvait-ce être, si ce n'est une vaine fantasmagorie du démon, habilement combinée pour enlacer plus sûrement et plus étroitement un adepte crédule à Pasqualis et à son infernal mysticisme ?

Note

Dans un rituel maçonnique datant de l'époque ou florissait l'Illuminisme, on trouve un grade, celui de Chevalier d'Orient, dont le mot de passe était lux ex tenebris, et le rituel en donnait l'explication suivante :
« D. Que signifie le mot lux ex tenebris ?
« R. Que c'est du fond des ténèbres que nous retirons toute perfection et la vraie lumière. » (Deschamps ; les Sociétés secrètes. I, p. 93.)

Comme le remarque très bien Matter,

« C'est bien dom Martinez en personne (c'est-à-dire, le diable sous la figure de Martinez), qui est son initiateur et son vrai maître. C'est lui qui le conduit et le fait passer lentement par tous les degrés : instruction ; lumières d'en haut, qui fuient comme des éclairs ; visions qui se réalisent ; apparitions graduées, et enfin inspiration. » [Matter, Saint-Martin, p.45]

Il faut le reconnaître, ce livre, inspiré par Satan-Pasqualis, ne vaut pas mieux que tous les volumes dictés depuis par les esprits désincarnés [page 457] (Fournié disait décorporisés) de nos modernes spirites. Il n'y a qu'une chose à regretter, c'est que la plume du mauvais prêtre se soit arrêtée à mi-chemin, avant les révélations importantes et vraiment topiques.
M. d'Herbert de Berne, l'ami d'un des nombreux correspondants de Saint-Martin, nous a laissé, d'après une relation certaine qu'il a eue de Fournié par un M. de V***, qui l'avait vu souvent à Londres, en 1819, un curieux renseignement à ce sujet :

« Il n'a pas jugé à propos, dit-il, de publier le second volume de son ouvrage, vu qu'il contenait bien des choses qu'on ne peut point publier. »

On ne saurait douter, en effet, que Pasqualis ait formellement enjoint à ceux de ses disciples qu'il avait jugés dignes de la suprême initiation, de ne jamais révéler le secret de ses opérations : et ce secret, comme on le voit, a été assez bien gardé.

Nous en savons cependant assez pour nous faire une idée assez complète de ce qu'étaient les élus illuminés, les Cohens, ou prêtres de l'Illuminisme. [page 458] Pasqualis s'inspirait du même esprit que Swedenborg, pour qui, au surplus, Fournié professait la plus grande estime, fermement persuadé que, comme lui, Swedenborg avait réellement vécu et conversé avec ces esprits dont il écrit les révélations. 

1758 Dictionnaire mytho hermétique« Nous devons avoir d'autant moins de peine, dit-il, à concevoir que Swedenborg a réellement été parmi les esprits bons et mauvais, et qu'il a rapporté ce qu'il a entendu en conversant avec eux, que c'est exactement de la même manière que nous serions entre nous si tout d'un coup Dieu venait à nous décorporiser entièrement; c'est-à-dire qu'étant ainsi décorporisés, nous concevons qu'étant des êtres de vie éternelle nous pourrions continuer à nous voir les uns les autres, et à parler des vérités éternelles et divines comme chacun de nous les regarde, les croit, les voit et en parle actuellement. » [Fournié, p.373]

Swedenborgisme et Martinisme, en réalité, ne font qu'un. Le Swedenborgisme se répandit en France et en Italie grâce à l'apostolat d'un bénédictin devenu franc-maçon, dom Pernetti, grand alchimiste, qui réussit à fonder une loge d'Illuminés dans la ville même des papes, sous le nom de Martinistes.

[Antoine-Joseph Pernety dit Dom Pernety (1716-1796) n'a pas fondé de loge d'illuminés sous le nom de Martinistes. Selon Wikipédia, Pernety est bénédictin mauriste défroqué, alchimiste et écrivain, il devint conservateur de la bibliothèque de Frédéric de Prusse, à Berlin, où il fonda avec le comte polonais Grabienka, les Illuminés de Berlin. Renvoyé de Berlin, il retourna en Avignon avec son ami et s'installa en 1784 chez le marquis de Vaucroze. Les illuminés de Bavière devinrent les Illuminés d'Avignon. Il est l'auteur du Dictionnaire mytho-hermétique (1758)