Chapitre XXXII - Les Juifs dans la Franc-Maçonnerie. Martines Pasqually à l'œuvre . Extrait, pages 458-463

Comme dans l'ensemble de ce chapitre, aussi bien quand il parle de Saint-Martin, de Fournié, de Martines de Pasquazlly, Taxil cite des auteurs qui donnent des documents plus ou moins authentiques et dont il faut vérifier leur origine.

Dans cette section, Taxil cite un auteur, François-Timoléon Bègue Clavel, et son Almanach (voir infra) qui apportent des données historiques authentiques. Malheureusement son idéologie antimaçonnique l'amène à tirer de ces documents des conclusions erronées, le plus souvent fausses, parfois même inventées.

On ne peut que renvoyer le lecteur aux ouvrages historiques qui traitent de ce sujet dont en particulier :

Gérard van Rijnberk, Martines de Pasqually, un thaumaturge au XVIIIe siècle. Sa vie, son œuvre, son ordre. Tome premier, Lyon Raclet, - Tome second, Lyon Derain (s.d.)

Michelle Nahon, Martinès de Pasqually. Un énigmatique franc-maçon théurge du XVIIIe siècle, fondateur de l’Ordre des Élus Coëns. Deuxième édition revue et corrigée - Dervy, 2017. Préface de Jean-Claude Drouin. Le livre chez l'éditeur

 

Tel était, comme initiateur cabaliste, ce juif prétendu converti [Martines Pasqually], qu'il nous faut voir maintenant à l'œuvre dans la franc-maçonnerie autant que le permettent les rares documents qui se rattachent à sa personne et à son action.

Selon Matter, toute sa vie est enveloppée de mystères.

« Il arrive dans une ville, dit-il, on ne sait d'où ni pourquoi. Il la quitte on ne sait ni quand ni comment. » [Matter, p.31]

Matter aurait parlé tout autrement, et la vie de son héros lui eût paru beaucoup moins mystérieuse, s'il avait eu sous la main les archives maçonniques des différentes villes où séjourna Martinez.
C'est ainsi, par exemple, que nous le voyons arriver à Bordeaux à une date très précise, le 28 avril 1762, et rendre compte quelque temps après à la Grande Loge de Paris de ce qu'il a fait dans cette ville pour la propagation et la gloire de l'Ordre :

« Étant arrivé à Bordeaux le 28 avril 1762, je ne trouvai qu'un seul temple symbolique, sous le titre de la Loge Française, où l'on travaillait, quoiqu'il y en ait quatre d'élevés sur cet orient, les trois autres ayant suspendu leurs travaux. Cette inaction m'a engagé à ranimer le zèle des Maçons de cet orient, et j'ai cru convenable pour la propagation et la gloire de l'Ordre, d'user de la force, du droit, du pouvoir qui m'ont été conférés par les députés grands-maîtres de la Grande Loge de Stuart (5). En conséquence, [page 459] après m'être assuré de quelques frères zélés, j'ai élevé sur cet orient un temple à la gloire du Grand Architecte, renfermant les cinq ordres parfaits dont je suis dépositaire sous la constitution de Charles Stuart, roi d’Écosse, d'Irlande et d'Angleterre, grand-maître de toutes les Loges régulières répandues sur la surface de la terre, aujourd'hui sous la protection de Georges Guillaume, roi de la Grande-Bretagne et sous le titre de la Grande Loge de la Perfection Élue et Écossaise.
« Je prends la liberté de vous envoyer copie de la traduction de mes pouvoirs, qui sont en idiome anglais, avec tous les caractères qui les accompagnent, et l'acte de Constitution de mon temple, élevé sur cet orient, signé de tous les membres qui le composent aujourd'hui. Je joins aussi la liste de ceux qui composent le temple que j'ai élevé sur l'orient de Toulouse, où j'avais laissé le frère marquis de Saint-Paulet, pour mon député, dont l'absence actuelle m'a engagé de lui substituer depuis le 14 du courant le frère de Lapeyrie, Trésorier de France, pour lequel je vous demande la réparation qu'exige l'indécent procédé des trois Loges de Saint-Jean réunies à Toulouse.
Signé : Dom Martinez-Pasqualis. »

[Cette lettre provient de Henri de Loucelles, Recherches historiques pour servir à l'histoire de la franc-maçonnerie française. Orient de Bordeaux. Cet article a paru dans la Chaine d'Union de Paris, journal de la Maçonnerie universelle etc.
Ce texte a été publié par Gérard van Rijnberk, Un thaumaturge au XVIIIe siècle Martines de Pasqually. Sa vie, son œuvre, son ordre. Tome second, Derain, Lyon (s.d.)]

 

Une pièce de ce genre jette sur la carrière maçonnique de dom Martinez la plus vive lumière. Elle nous révèle la source des pouvoirs maçonniques dont il jouissait ; en effet, le dernier Stuart, au lieu d'attendre la fin des malheurs de sa famille en mettant sa confiance en Dieu, se donna au diable et fut l'un des plus actifs propagateurs de la franc-maçonnerie, dont il créa plusieurs hauts-grades ; il rêvait la restauration de son trône par l'appui de toutes les forces maçonniques de l'Europe.
Ces pouvoirs avaient été confiés directement le 20 mai 1738 au père de notre juif, dom Martinez-Pasqualis, écuyer, âgé de 67 ans, né à Alicante en Espagne, et, pour lui succéder, à son fils aîné Joachim dom Martinez Pasqualis, âgé de 28 ans, natif de la ville de Grenoble en France. C'est ce que nous apprennent les lettres-patentes, dont copie était jointe à la lettre ci-dessus (note ci-dessous).

Note de l'auteur :
Aucun biographe de Pasqualis, même des plus récents, n'a tenu compte de ces documents essentiels, excepté le P. Deschamps dans son remarquable ouvrage : les Sociétés secrètes.

Cette lettre et ces pouvoirs étaient envoyés par dom Martinez à la Grande Loge de Paris, dans le but de faire reconnaître par elle les fondations de l'émissaire des Stuart, jusqu'alors considérées comme étrangères à la maçonnerie française. Martinez fut trompé dans son attente ; tout en exprimant son profond respect pour la Royale Loge de Stuart, la Grande Loge de France lui déclara qu'elle ne pouvait reconnaître des frères ayant des Constitutions des loges étrangères, ni lier de correspondance avec eux [page 460] qu'en leur offrant de les recevoir dans son sein lorsqu'ils se présenteront pour lui demander des Constitutions.
La pensée secrète de Martinez, outre le désir ambitieux de traiter avec la Grande Loge de puissance à puissance, était de rallier ses fondations aux associations maçonniques françaises, afin d'y infiltrer ses doctrines occultes; tout en souffrant de son isolement, il ne travaillait pas avec moins d'ardeur à se faire dans les loges françaises des prosélytes dévoués, et il y réussissait. Dans une lettre postérieure à celle que je viens de citer, il revient à la charge auprès de la Grande Loge de France, au nom de la concorde que son silence pourrait troubler, réclamant de nouveau des pouvoirs et des instructions :

« Votre silence, dit-il, peut faire naître la méfiance et allumer le flambeau de la discorde parmi nous ; malheur d'autant plus à craindre qu'ayant, dans mon temple, plusieurs membres de la Loge Française, il semble, par là, lui être devenu suspect. J'ai aussi appris que deux autres Loges avaient pris des délibérations pour refuser l'entrée à ceux de mon temple qui pourraient aller les visiter. Veuillez donc, Très Honorables et Très Puissants Maîtres, par votre Toute-Puissance, me mettre à portée, par le premier courrier, de dissiper les nuages qui semblent vouloir obscurcir cet orient, en me favorisant de vos pouvoirs et des instructions que je demande par mes précédentes lettres. »

Le 13 août suivant, nouvelle supplique du frère Martinez-Pasqualis à la Grande Loge, afin d'obtenir des pouvoirs pour constituer les trois Loges clandestines de cet orient au nom de la Grande Loge, puisque ces ateliers ont le mauvais goût de ne pas se laisser constituer en vertu des pouvoirs qu'il tient de la Loge de Stuart.
On le voit, ce n'était pas sans rencontrer de violents obstacles que dom Martinez exerçait son apostolat maçonnique, et essayait de constituer, d'après ses principes, des loges « qui avaient travaillé depuis douze ans sans aucune espèce de Constitution, et qui ne voulaient dépendre d'aucune loge de France ou d'Angleterre. »
Ces résistances irritaient et exaspéraient dom Martinez, qui de plus en plus affichait les prétentions de maître-souverain et de grand-pontife de la maçonnerie. Quelques loges s'étant permis de mettre en doute son autorité et de refuser l'entrée de leurs temples aux maçons illuminés, un violent réquisitoire fut dressé contre elles par un abbé Bullet, aumônier au régiment de Foix ; un arrêt solennel, très longuement motivé, fut rendu au Grand Orient de Bordeaux, « dans le sein de la Grande Lumière, pour être mis à exécution des lumières mystérieuses de l'Ordre le 20 octobre 1765, » et exécuté dans ledit temple des Élus Écossais ; « et les loges l'Amitié Allemande et la Parfaite Union ont été biffées, bâtonnées, lacérées, [page 461] hachées, détruites, anéanties, par le fer, la terre, l'eau, l'air et le feu le 30 octobre 1765, à cinq heures du soir. Amen, amen, amen. »
Cette planche est signée : « Dom Martinez-Pasqualis, G.·.S. . des Ordres de la Maçonnerie; F.·. Bullet, juge, S.·. Rause-Crois. » (Sic).

De telles prétentions, des allures si hautaines finirent par lui aliéner même quelques-uns de ses adeptes. Le 13 mars 1766, ceux-ci secouaient le joug et s'adressaient à la Grande Loge de France pour en obtenir les constitutions nécessaires à l'érection d'un nouvel atelier sous le titre de Saint-Michel.

« Nous avons été convaincus, disaient les plaignants, de son imposture par la frivolité des instructions vagues et indéterminées qu'il nous a données depuis trois ans, et par le refus opiniâtre qu'il a fait de ne vouloir pas nous fixer dans la connaissance réelle des cinq points ; par le silence qu'ont observé les Grandes Mères-Loges d’Écosse, d'Irlande et d'Angleterre, sur la reconnaissance des pouvoirs qu'il prétendait avoir et dont nous leur avions envoyé copie ; par celui de la Grande Mère-Loge de France à nos différentes sollicitations pour reconnaître la légitimité de ce temple et lui accorder sa correspondance; par le refus qu'ont fait la majeure partie des loges de France de recevoir les certificats de ce temple et d'en reconnaître les membres comme légitimes frères ; enfin, par l'irrégularité de sa conduite et de ses procédés dans l'Ordre, de son indiscrétion dans les propos qu'il a tenus et tient sur la majeure partie des travaux maçonniques et par la prétention orgueilleuse qu'il a d'être despotique dans la discipline de l'orient maçonnique, s'arrogeant le titre de Grand Souverain et d'un des sept maîtres répandus sur la surface du globe; en conséquence, le pouvoir et la puissance d'élever et détruire quand il le juge à propos, prétention dont il n'a jamais pu ou voulu nous faire connaître la légitimité ; ce qu'ayant considéré, et après avoir mûrement réfléchi, nous avons délibéré et arrêté d'abandonner un tel maître à ses prétentions chimériques, contraires au bon ordre...

« Il est important de vous instruire qu'il vient récemment de changer tout l'Ordre en substituant aux mots, aux signes, aux attouchements ordinaires, des choses toutes contraires ; il est aidé dans toutes ses indignes opérations par un moine nommé le père Bullé [sic pour Bullet], aumônier du régiment de Foix, homme dangereux qui a mis partout le désordre, homme qui, compromettant son caractère, donne des explications sur J.-B. et M.-B., d'autant plus regrettables qu'elles sont impies et blasphématoires : la pudeur et la bienvenue ne permette pas de les écrire..... »

Cette requête fut favorablement accueillie par la Grande Loge ; elle félicita ces frères d'avoir abandonné le F.·. Martinez, en leur annonçant une copie du jugement prononcé contre leur ancien chef. [page 462]
Les membres de la loge la Perfection se dispersèrent, et Dom Martinez quitta Bordeaux pour venir à Paris (La Chaine d'Union, journal de la franc-maçonnerie universelle, année 1880.).
La violente opposition que rencontra Martinez à Bordeaux prouve combien à cette époque les imparfaits initiés n'entendaient pas raillerie sur les innovations maçonniques. Aujourd'hui il n'en est plus ainsi ; les gogos des loges se laissent imposer le Palladisme avec une naïveté étonnante.

1846 clavelVoici, comme dernier trait, le récit d'une scène scandaleuse, fait par un membre de la loge la Française, présent aux travaux du 28 février 1764 :

« Un officier étranger avait voulu entrer de force en loge, et avait même mis l'épée à la main. Au préalable, on lui avait demandé s'il n'aurait pas fréquenté la loge bâtarde de cette ville, tenue par le sieur Martinez Pascalis, C'est sur sa réponse affirmative que l'entrée du temple lui avait été refusée. Là-dessus, violence de la part de cet officier. Ayant, pour cet objet, averti M. de Ségur, lieutenant du maire, celui-ci lui a défendu de ne plus troubler ni inquiéter à l'avenir aucune loge de cette ville, menaçant le sieur Martinez Pascalis de le mettre au cachot, et d'écrire en cour pour le faire casser ; ce que M. de Ségur a bien promis d'exécuter. Comme toutes ces violences sont très éloignées de l'esprit de la franc-maçonnerie, la loge l'Anglaise décide que tous ceux qui fréquenteraient la prétendue loge du sieur Martinez Pascalis demeureraient exclus du respectable atelier, suivant délibération prise en loge générale. » (Clavel, Almanach de la Franc-Maçonnerie pour l'année 3816.) [François-Timoléon Bègue Clavel, Almanach pittoresque de la Franc-Maçonnerie, pour l'année 5846, p.138]

Les hauts grades, qui rendaient suspectes aux yeux des loges de la stricte observance les fondations de Martinez étaient les suivants, selon Clavel : Grand Élu Apprenti Cohen, Compagnon Cohen, Maitre Cohen, Grand Architecte, et Chevalier Commandeur, formant le rite des Élus Cohens ou Prêtres. On a vu plus haut que Martinez ne comptait que cinq ordres parfaits dont il se reconnaissait dépositaire.
On a peu de renseignements sur le séjour de Martinez à Paris et sur les résultats de sa propagande maçonnique. Suspect à la Maçonnerie de la stricte observance qui l'avait excommunié, il dut se contenter de travailler à l'ombre et dans le secret des réunions et des sociétés privées, où il fit quelques prosélytes de marque, entre autres le fameux athée baron d’Holbach et Diderot (note ci-dessous). Il posa aussi les bases de la loge les Amis Réunis appelés [page 463] encore Philalèthes (1773), dont la doctrine était un mélange de Swedenborgisme et de Martinisme. Cette Loge eut bientôt pour succursale les Philalèthes ou Amis Réunis de la rue de la Sourdière, où dominèrent le comte de Saint-Germain, Cagliostro, Condorcet et Dietrich, surnommé le Robespierre de Strasbourg.

Note de l'auteur :
Les autres disciples connus de Martinez en France sont, outre ceux déjà nommés : la marquise de la Croix, amie intime de Saint-Martin, en communication habituelle et familière avec les esprits ; le comte d'Hauterive, qui se livra à Lyon (1774-1776) avec Saint-Martin à une série d'expériences théurgiques ou mesmériennes, dont il reste des procès-verbaux [Les Leçons de Lyon] tellement laconiques qu'il est difficile d'en préciser le véritable objet : et le fameux Cazotte, qui passa pour prophète. On sait que le pauvre Cazotte mourut sur l'échafaud révolutionnaire. Celui qui prononça son arrêt de mort et qui était franc-maçon comme lui, eut l'ironie de l'exhorter à mourir courageusement, en lui rappelant qu'il était de la secte des Illuminés.

Quand on voit le Martinisme donner la main d'un côté à Diderot et à d'Holbach, et de l'autre à Cagliostro et à Dietrich, le Martinisme est jugé. Il a sa part dans les crimes de la philosophie et de la Révolution.

Dans la conspiration tramée au dix-huitième siècle par Satan et ses suppôts contre l’Église du Christ, dom Martinez Pasqualis fut un des ouvriers de la première heure, un de ceux qui conçurent cet infernal projet de la concentration des différentes sectes qui composaient la franc-maçonnerie en les ralliant à une même doctrine, en leur donnant un mot d'ordre et en les cimentant solidement sur la base de l'initiation théurgique ou cabalistique, c'est-à-dire de la communion effective avec Satan. Véritable sectaire, véritable hiérophante et initiateur occulte, il se contenta de faire des prosélytes dans l'ombre des loges et des associations secrètes, et laissa à d'autres, à Saint-Martin, par exemple, le rôle extérieur et visible d'initiateur mondain et lettré, opérant dans les salons ou les académies, entraînant, à l'aide de sa parole et de ses écrits, les âmes disposées au mysticisme dans les erreurs de l'Illuminisme martinien.

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