[La Voie de la Science divine]Law science divine

Par quelques citations de Saint-Martin, mises en rapport avec les débats actuels des écoles allemandes, et avec le principe attractionnel, base de la théorie sociétaire, j'ai cherché à faire voir que les mystiques avaient formulé nettement ce qui ne parait être encore, dans ces écoles, qu'à l'état d'obscur pressentiment, j'aurais pu mettre cette importante connexion dans tout son jour, en examinant Swedenborg, qui a été le plus didactique de tous les théosophes ; je me bornerai a faire une citation de Bœhme, dans le même sens. Elle est extraite d'un ouvrage que sa lucidité, son élégance toutes françaises, jointes à sa profondeur germanique, rendent infiniment précieux, bien qu'il soit presque inconnu, comme l'est aujourd'hui à peu près tout ce qui est vraiment remarquable. Je veux parler de La Voie de la Science divine, de Law, traducteur anglais du célèbre théosophe de Gœrlitz. Cet ouvrage me paraît contenir tout ce qu'on peut assimiler à l'état actuel de notre culture philosophique et religieuse, dans la doctrine de J. Bœhme, si prodigieusement excentrique, et, de plus, presque inintelligible dans l'original. Voici ce passage, 208 à 212.

« Je suppose que, guidé par votre raison incertaine, vous soyez parvenu à vous donner des doutes sur l'essence divine, [page 423] et sur les soins de la providence de Dieu à votre égard, en vain alors auriez-vous recours aux démonstrations des philosophes païens, ou à celles des théologiens, des déistes ou des athées, même quant ils conclueraient tous qu'il faut nécessairement qu'il existe une cause première éternelle de laquelle tout soit provenu. En effet, quel Dieu est celui-là, dont l'existence n'est prouvée que parce qu'il existe quelque chose, et que conséquemment il faut qu'il ait toujours existé quelque chose d'éternel et d'infini, qui ait eu le pouvoir de produire tout ce qui est venu en être ? Quel Dieu, dis-je, est celui-là que l'arien, le déiste et l'athée sont autant disposés à reconnaître que le chrétien, et qui sert également de base à l'édifice des uns et des autres ? car l'athée même admet une cause première, éternelle, toute-puissante, aussi bien que ceux qui disputent en faveur de l'existence d'un Dieu.

» Mais si, laissant de côté toutes ces vaines discussions et démonstrations de la raison humaine, vous rentrez au dedans de vous, à l'instant vous y trouverez une démonstration sensible et évidente par elle-même de l'existence du véritable Dieu de vie, de lumière, d'amour et de bonté, qui vous le rendra aussi manifeste que votre propre vie. En effet, l'existence réelle des sentiments de bonté, d'amour, de bienveillance, de douceur, de compassion, de sagesse, de paix, de joie, etc., ne vous est-elle pas démontrée d'une manière aussi certaine et aussi évidente que celle de votre propre vie ? Eh bien, l'être qui est la source, le principe et le centre de ces sentiments, c'est là le véritable Dieu évident par lui-même, et qui a voulu se révéler de telle manière que chaque homme le trouvât, le connût et le sentît aussi évidemment et aussi réellement qu'il sent et connaît ses propres pensées et sa propre vie ; c'est là ce Dieu dont l'être et la providence se font sentir en nous d'une manière si évidente, qui demande de notre part culte, amour, adoration et obéissance. Or, l'adorer, l'aimer, tâcher de devenir bon, comme lui, c'est véritablement croire en lui, d'après l'évidence qu'il nous donne de [page 424] la réalité de son existence. L'athée ne rejette point une cause première et toute-puissante, il ne fait que nier la bonté, la bienveillance, la douceur, etc., et tous les sentiments par lesquels la nature divine se rend évidente en nous, et s'y manifeste comme le véritable objet de notre culte, de notre amour et de notre adoration. Ce n'est donc qu'en ayant recours à cette démonstration d'évidence que nous trouvons en nous, que nous pouvons arriver à la seule vraie connaissance de Dieu et de la nature divine, et cette connaissance est à l'épreuve de toutes les objections de la raison, puisqu'elle est aussi évidente en nous que notre propre vie. Jamais on ne parviendra à connaître Dieu, en réalité, par aucune preuve extérieure, ni par autre chose que par Dieu lui-même, manifesté en évidence au dedans de nous. Ni le ciel, ni l'enfer, ni l'esprit pervers, ni le monde, ni la chair ne peuvent nous être connus, qu'autant qu'ils se manifestent en nous ; et la connaissance que nous en acquérons, indépendamment de cette évidence sensible qui résulte de leur naissance et de leur manifestation en nous, ressemble nécessairement à celle qu'un aveugle-né prétendrait avoir de la lumière qu'il n'a jamais vue.

» C'est ainsi que tout homme, par la nature de son être, naît, pour ainsi dire, à la certitude évidente et sensible de la réalité de toutes ces choses ; et si, à force de raisonner et de disputer, nous parvenons à en douter, c'est nous-mêmes qui créons notre incertitude, et elle ne vient point de Dieu ni de la nature. Dieu a ordonné toutes choses avec tant de sagesse, que les vérités qui sont pour nous de la plus grande importance, sont celles qui nous sont démontrées avec le plus de facilité et de certitude, puisque nous pouvons les connaître avec le même degré d'évidence, que nous connaissons, que nous souffrons, ou que nous avons du plaisir. Rien ne peut nous faire en réalité du bien ou du mal, que ce qui a pris naissance en nous. Aussi la religion n'est véritable pour nous, qu'autant qu'elle est devenue en nous principe de vie. Mais [page 425] dès que l'esprit et la vie de Dieu sont ainsi devenus vivants en nous, et qu'ils sont conséquemment évidents par eux-mêmes en nous, dès lors nous sommes dans la vérité ; cette vérité nous affranchit de tout doute, et nous n'avons pas plus d'égards à tout ce qu'une raison disputeuse peut opposer a notre croyance, qu'à ce qu'elle dirait contre l'évidence de ce que nous voyons, de ce que nous entendons, et du sentiment que nous avons de notre propre vie. Mais délaisser cette démonstration d'évidence, pour se livrer aux doutes de la raison et à l'opinion, c'est vraiment abandonner l'arbre de vie, pour devenir le jouet de l'illusion. »