[Analogie du bien et du vrai]

Qu'il me soit permis d'insister encore sur cet important principe de l'analogie du bien et du vrai, que je voudrais pouvoir présenter dans cet article, sous tous ses aspects, au moyen des innombrables formules qu'il a revêtues, dans les écoles mystiques, dans celles de la philosophie allemande moderne, et dans celle de M. Fourier. Ce principe est la base de la philosophie, de la religion et de la science sociale. Nul ne peut le méconnaître dans la formule des destinées proportionnelles aux attractions, qui est la clé de voûte de la théorie sociétaire. Ce principe, en effet, ne fût-ce qu'à cause de sa fixité et de sa permanence, implique nécessairement l'aveu de la supériorité de l'être passionnel sur l'être intelligent. Si M. Fourier a tant déclamé contre la raison et les philosophes, c'est qu'il ignorait les deux espèces de raison et les deux [page 419] espèces de philosophie que les mystiques ont distinguées avec tant de netteté et de soin. Il ne s'est pas douté que cette méthode psychologique, pour laquelle il exprime en mille endroits de ses écrits une si juste et si profonde aversion, avait conduit pourtant des hommes tels que Kant, Fichte, Schelling, Jacobi, etc., à reconnaître que leur vie entière s'était épuisée en de vaines recherches ; il ne s'est pas douté que, selon l'éloquente expression de madame de Staël, la philosophie, magicienne irritée, après avoir tout détruit, avait incendié son propre palais, c'est-à-dire qu'examinant avec curiosité son propre instrument, l'appareil des formes de l'entendement, elle l'avait reconnu et déclaré inhabile à lui livrer autre chose que l'apparence, la vérité purement subjective et relative du phénomène, sans valeur dans les applications qu'on en pouvait tenter hors du domaine étroit de l'expérience sensible. Par conséquent force était à la philosophie de s'adresser à une faculté plus puissante, à une plus haute raison, prenant son point de départ, ou la première hypothèse nécessaire à toutes ses recherches, dans le principe attractionnel. Elle est donc enfin posée, comme inébranlable base à toutes les constructions scientifiques de l'avenir, cette affirmation arbitraire au point de vue logique, mais toutefois nécessaire et sublime, que la valeur de tous les faits sociaux, moraux, religieux, physiques et physiologiques même est déterminée, comme bonne ou mauvaise, par leur conformité ou leur opposition avec le génie de l’humanité, ses désirs, ses besoins, ses tendances natives, son attrait indestructible, et qu'il doit y avoir unité, plan général subordonné à l'homme, ainsi science synthétique de Dieu, de l'homme et de la nature.

Il faudrait faire une telle science, si elle n'était pas faite ; mais on en retrouvera partout les traces. Les illusions même en ce genre vaudraient mieux que les connaissances arides et fragmentaires qui nous sont données par la simple méthode analytique, parce que ces illusions correspondraient du moins a ce qu'il y a de plus vivace et de plus actif dans [page 420] l'homme ; elles satisferaient, par exemple, son génie poétique et religieux en vertu de quoi il veut impérieusement que tout lui soit subordonné, et la conscience de sa dignité, qui lui crie que le vrai ne pouvant être que la forme de son bien, le point de vue des causes efficientes, recherché en dehors du lien téléologique qui unit toutes choses, ne peut constituer qu'une science puérile et menteuse, sans valeur, parce qu'elle est sans grandeur, sans rapport avec nos plus immenses, nos plus pressants et nos plus impérissables besoins. L'humanité protesterait donc nécessairement, éternellement contre cette science brisée, ces disjecta membra, qui ne lui livrent le dernier mot de rien, si prétendant, comme elle l'a fait pendant trois siècles, constituer autre chose qu'une simple nomenclature, une pure description des phénomènes, une démonstration qui n'atteint que l'écorce des êtres, elle osait se produire comme le dernier terme de la connaissance permise et promise à l'homme ; laissant ainsi le roi de la création dans l'affreux désert de toutes ses espérances déçues, sous le coup d'un martyre incessant, dans l'attente continuellement trompée d'un bonheur qu'elle lui rendrait impossible, puisqu'elle ne lui fournit aucun idéal de ce bonheur, et aucun moyen d'y parvenir. Assez et trop longtemps nous nous sommes laissés diriger par l'idolâtrie de la raison logique, principe qui commence par anéantir l'être sublime qui, en nous, est la mesure et la clef de toutes choses ([texte en grec illisible]) principe funeste qui nous impose pour devoir la prétendue observation impossible des faits, comme si nous n'en étions pas nous-mêmes le sens et le lien ; comme si nous ne portions pas en nous cette vie qu'on nous dit d'aller puiser au dehors ; comme si nos opinions étaient jamais autre chose que le masque de nos affections ; comme si l'homme sans désir, ne serait point par là même sans intelligence ; comme si, pour tout homme, pour toute secte, pour toute époque, l'édifice scientifique n'avait pas toujours été la rigoureuse expression de ses tendances morales et passionnelles ; comme si la foi [page 421] et le désir de l'homme n'en étaient pas les prestigieux artistes, qui rendent vrai ce qu'ils veulent, qui le feraient être s'il n'était pas.