[Détails biographiques]

Il nous reste a donner quelques détails biographiques sur ces deux grands théosophes.

Jacob Bœhme, connu en Allemagne sous le nom du philosophe teutonique, naquit en 1575, dans une petite ville de la Haute-Lusace, nommée l'ancien Seidenburg, à un demi- mille environ de Gœrlitz. Ses parents étaient de la dernière classe du peuple, pauvres, mais honnêtes. Ils l'occupèrent pendant ses premières années à garder les bestiaux. Il passa sa vie entière dans un état voisin de l'indigence, occupé des soins de sa profession de cordonnier concurremment avec les hautes spéculations religieuses qui l'ont rendu si célèbre. Il le fut beaucoup dans le dix-septième siècle ; il rencontra en Allemagne et en Angleterre surtout, un grand nombre de partisans, dont quelques-uns très distingués par leurs connaissances et d'autres par leur rang.

Au nombre de ces derniers, plaçons le roi Charles Ier, qui envoya à Gœrlitz Jean Sparrow, avocat, homme d'une vertu rare et d'un grand talent, pour étudier avec soin les profondeurs de la langue allemande, afin d'être en état de traduire parfaitement les œuvres de Bœhme en anglais. William Law est son autre traducteur dans cette langue. Saint-Martin nous a fait connaître ses principaux ouvrages, qui sont : l’Aurore naissante, les Quarante questions, et la Triple vie.

D'autres ont été traduits en latin. Ce sont .Mysterium magnum, et Signatura rerum. Bœhme mourut à Gœrlitz en 1620.

Claude-Louis de Saint-Martin naquit à Amboise en Touraine, d'une famille appartenant à la noblesse. Il manifesta, [page 436] dès sa jeunesse, la vocation la plus décidée pour les études religieuses et philosophiques, et spécialement pour la recherche des points de doctrine les plus obscurs : on peut dire de lui, avec plus de raison encore qu'on ne l'a dit de Kant, que, semblable à la colonne qui marchait en tête du peuple hébreu, dans son pèlerinage a travers le désert, nébuleuse pendant le jour et étincelante dans les ténèbres, il est embarrassé et diffus dans les choses faciles qu'on peut expliquer par des lieux communs, et admirablement lucide dans les choses difficiles et naturellement obscures.

Sa vie présente peu d'événements remarquables ; il avait été amené, par des circonstances complètement étrangères à ses goûts et à ses opinions, à embrasser la carrière militaire. Il sut féconder l'oisiveté des garnisons par de nombreux et importants travaux littéraires. La connaissance qu'il prit d'une mauvaise traduction d'un des ouvrages de Bœhme le remplit d'admiration pour le génie de ce théosophe, et lui fit sentir vivement l'assujétissement qui résultait des devoirs de sa profession. Il la quitta donc pour pouvoir visiter l'Allemagne, en apprendre la langue, peu répandue alors en France, dans le but unique de traduire lui-même les ouvrages de Bœhme, ce qu'il a fait pour les plus remarquables d'entre eux. Il n'émigra point à l'époque de la révolution. La considération qu'il avait acquise par sa vie studieuse et simple le fit même porter comme candidat sur la liste, présentée par l'Assemblée constituante, des noms parmi lesquels le pouvoir exécutif avait à choisir le gouverneur du dauphin. A l'exemple de Rousseau, qui refusa l'éducation du prince de Parme, Saint-Martin crut devoir se soustraire à une mission dont il n'attendait pas de bien possible. Il mourut en 1804, à la maison de campagne du sénateur Lenoir Laroche, son ami. Il avait blâmé le mode de conversion de La Harpe, et, fidèle à ses principes, il ne voulut à ses derniers moments le secours d'aucun ministre officiel de la religion. L'établissement d'une église externe, le métier de prêtre, la transmission d'un pou- [page 437] voir spirituel quelconque, à tout autre titre que celui de la sainteté, toutes ces choses résultant d'idées qu'il n'avait jamais pu admettre, lui apparaissaient comme la tentative d'une domination directement opposée à l'esprit chrétien.

Les ouvrages propres à Saint-Martin sont : l’Homme de désir, le Nouvel Homme, le Ministère de l'Homme-Esprit, le Crocodile, sorte de poème emblématique, dans la manière de Rabelais, écrivain dont Saint-Martin faisait le plus grand cas ; l'Esprit des choses, le Tableau naturel, et une brochure sur la révolution française.

Ph. Hauger