Œuvres de Saint-Martin – L’Homme de Désir
Extrait de Arthur, ou religion et solitude, p.310-321
Ce passage n'existe pas dans l'édition de 1837.
Saint Martin mourut en 1803 ; il a vécu durant toute la dernière moitié du dix-huitième siècle, écrivant sous le titre de philosophe inconnu. Il était affilié à des loges maçonniques de Lyon, qui avaient conservé, il paraît, d'antiques secrets ; il s’était fort occupé d’opérations théurgiques, d’invocations d’esprits intermédiaires. Il existe des procès-verbaux manuscrits de lui, qui attestent de singuliers miracles ; mais il avait fini par considérer cet aspect occulte comme inutile et même dangereux. Il s’était appliqué à la prière et à la haute morale ; il était l’aumône et l’humilité même ; il révérait le christianisme. Outre l’Homme de Désir, dont nous conseillons la [p.311] lecture aux âmes pieuses, il y a deux volumes de lui sous le titre d’Œuvres posthumes, qu’il suffit d’avoir pour connaître toute sa partie intelligible et ostensible. Je crois le reste une énigme pour tout le monde. C’est un grand malheur pour l'humanité qu’il ait manqué à saint Martin ce qui est si nécessaire dans l’usage de la vie ordinaire : le secret de se mettre à la portée de tous, ou du plus grand nombre. C’est un service que nous essaierons peut-être de lui rendre quelque jour.
C’est cet homme admirable que M. Sainte-Beuve a de nouveau révélé dans son roman : Volupté ! C’est en parlant de lui qu’il s’écriait avec ce doux et consciencieux enthousiasme qui lui est si naturel : « Oui, je veux élever un autel aux grands hommes inconnus ! oui, aux grands hommes qui n’ont pas brillé, aux amants qui n’ont pas aimé ! à celle élite infinie que ne visitèrent jamais l’occasion, le bonheur ou la gloire ! aux fleurs des bruyères, aux perles du fond des mers ! à ce que savent [p.312] d’odeurs inconnues, les brises qui passent; à ce que savent de pensées et de pleurs, les chevets des hommes. » [Sainte-Beuve, Volupté, Tome I, 1835, p.252-253]
Qui pourra penser, sans quelque tristesse, que ce qu’on va lire est extrait d’un ouvrage à peine connu aujourd’hui ; qui le fut peu dans le temps où il parut; dont on regarda l’auteur comme un pauvre insensé ! ! Ses plus tendres pensées me devront peut-être ce signe de vie qu’on voit aux beaux arbres coupés et oubliés sur le bord des chemins : des feuilles pleines de sève, des fleurs rares poussent sur les nœuds du tronc, jettent un parfum au passant dont cette verdure attire un moment le regard, et puis tout meurt, à moins qu’une graine, ou une racine négligée ne commencent à cette place un verger ou une forêt, pour l’avenir de Dieu.
1. «Il n’y a de grand que celui qui sait combattre, parce que c’est le seul moyen de savoir jouir. » [Chant 8, v.3]
2. « Le premier secret, pour être élevé [p.313] au-dessus de nos ténèbres et de nos fautes, c'est de nous y élever nous-mêmes. » [Chant 8, v.4]
3. « C’est pour les épreuves que Dieu nous envoie, que nous avons le droit de le prier, et non pas pour les torts que nous nous faisons par notre lâcheté. » [Chant 8, v.5]
4- « Quand ton cœur est plein de Dieu, emploie la prière verbale, qui sera alors l’expression de l’esprit, comme elle devrait toujours l’être.
« Quand ton cœur sera sec et vide, emploie la prière muette et concentrée ; c’est elle qui donnera à ton cœur le temps de se réchauffer et de se remplir.
« Tu apprendras bientôt à connaître, par ces secrets simples, quels sont les droits de l’âme de l'homme. » [Chant 8, v.7-8]
5. « Veille, veille, quand tu seras au milieu des fils de la violence; ils te persuaderaient qu’ils peuvent quelque chose, et ils ne peuvent rien. » [Chant 8, v.11]
6. « Purifie-toi, demande, reçois, agis ; toute l’œuvre est dans ces quatre temps. >» [Chant 8, v.15] [314]
7. « Se purifier n’est-ce pas prier, puisque c’est combattre ? » [Chant 8, v.16]
8. « Ce n’est pas assez de ne pas douter de la puissance de Dieu, il faut encore ne pas douter de la tienne.
« Ne laisse pas l’œuvre entière à la charge de ton Dieu , puisqu’il a voulu te laisser quelque chose à faire. Il est prêt à verser dans toi tous les biens ; il ne te demande que de veiller sur les maux qui t’environnent, et de ne pas te laisser surprendre. Son amour a chassé pour toi ces maux hors du temple ; ton ingratitude irait-elle jusqu’à les y laisser rentrer ? » [Chant 8, v.18, 20-22]
9. « Homme, homme! où trouver une destinée qui surpasse la tienne, puisque tu es appelé à fraterniser avec ton Dieu, et à travailler de concert avec lui ! » [Chant 8, v.23]
10. « Plus le temps s’avance vers son complément de désordre, plus l’homme devra s’avancer vers son terme de lumière. » [Chant 9, v.15]
11. « Non, il n’y a pas de joie qui soit comparable à celle de marcher dans les sentiers de la sagesse et de la vérité. » [Chant 9, v.17] [315]
12. « Quel abîme que la sagesse, la puissance et l’amour de notre Dieu ! » [Chant 10, v.12]
13. « Hommes, vous condamnez vos semblables à des supplices [note de Guttinguer : Cela s’écrivait en 1790], quand ils sont coupables selon vos lois ; ne le sommes-nous pas bien davantage selon les lois du Seigneur ?..., Et cependant, nous pouvons satisfaire à sa justice avec une prière. Nous le pouvons avec un élan secret, opéré dans la profondeur de notre être.» [Chant 10, v.13-14]
14. « Force naturelle de l’homme, tu te concentres , tu t’absorbes ; mais tu ne te détruis pas par les accidents involontaires. L’orage passé, tu te trouves la même, et tu as de plus les trésors de l’expérience.
« Tu soupires après la paix universelle ! Le pendule a été mis en mouvement depuis le crime. Ses oscillations ne peuvent diminuer que par progression. Il faut attendre la fin des siècles pour que le pendule marque son dernier battement, et que les êtres rentrent dans le repos. [316]
« Quelle surprise pour ceux qui, dans leur passage terrestre, auront cru qu’il n’y avait rien au-delà, et qui auront méconnu la circulation universelle ! » [Chant 11, v.12-15]
15. « Dieu serait-il si patient, s’il n’avait des moyens d’étonner la postérité humaine, quand elle arrive à la région de la vie et de la lumière?
« Sagesse, tu dois être si belle, que le pervers lui-même deviendrait ton ami, s’il pouvait apercevoir le moindre de tes rayons. » [Chant 10, v.16, 18]
16. « Les cieux annoncent la gloire de Dieu ; mais son amour et sa sagesse, c’est dans le cœur de l’homme qu’en est écrit le véritable témoignage (1). C’est dans l’extension sans borne [p.317] de notre être immortel, que se trouve le signe parlant du Dieu saint et sacré, et du Dieu bienfaisant à qui sont dus tous nos hommages. » [Chant 11, v.12-13]
Note : 1. N’y a-t-il pas ici une illusion très concevable, homme excellent ? Cela est vrai par exception ; cela est vrai chez l’homme religieux. Mais, ne vous semble-t-il pas que la masse des hommes n’offre un tout autre témoignage ? Voyez ce qui se passe en France aujourd’hui (1834) ; ces passions, ces intérêts, ces lueurs sanglantes de désordre qui apparaissent ; cette impiété des capitales , cet oubli de la prière, de la sanctification des jours promis à Dieu ; et dites-nous ce qu’il faut attendre d’un tel peuple !
17. « L’univers peut passer, les preuves de mon Dieu n’en seront pas moins immuables, parce que l’âme de l’homme surnagera sur les débris du monde.
« Si vous éteignez l’âme humaine, ou si vous la laissez se glacer par l’inaction , il n’y a plus de Dieu pour elle, il n’y a plus de Dieu pour l’univers.
« Je tiendrai mon âme en activité pour avoir continuellement la preuve de mon Dieu. Je la tiendrai occupée à la méditation des lois du Seigneur ; je la tiendrai occupée à l’usage et à l’habitude de toutes les vertus.
« Je la tiendrai occupée à se régénérer dans les sources vivifiantes.
« Je la tiendrai occupée à chanter toutes les merveilles du Seigneur et l’immensité de sa tendresse pour l’homme. [p.318]
« Quels instants pourront lui rester, qui ne soient pas remplis par la prière ? Ma vie sera un cantique continuel, puisque la puissance et l’amour de mon Dieu sont sans borne.
« Dès que je m'approcherai du Seigneur pour le louer, il m’enverra le sanctificateur.
« Le sanctificateur m’enverra le consolateur.
« Le consolateur m’enverra l’ami de l’ordre.
« L’ami de l’ordre m’enverra l’amour de la maison de mon Dieu.
« L’amour de la maison de mon Dieu m’enverra la délivrance.
« Et les ténèbres se sépareront de moi, pour être à jamais précipitées dans leurs abîmes » (2) [Chant 10, v.14-27]
Note 2. Ne semble-t-il pas entendre la continuation des psaumes de David ? Quelle belle expression de l’assurance et de la certitude de Dieu !
18. « Tristes victimes des afflictions humaines, redoublez d’efforts pour ne pas laisser éteindre en vous le flambeau des consolations.
« Le trajet est court, vous voyez déjà l’autre rive. Ne vous restât-il qu’une étincelle de la [p.319] vivifiante espérance, conservez-la précieusement. Quand vous arriverez dans les régions de la vie, il ne vous faudra que cette étincelle pour les embraser tout entières, et les rendre à jamais toutes lumineuses pour vous; parce que les substances qui les composent sont plus faciles à enflammer que celles de la foudre même, et plus mobiles que les éclairs. » [Chant 13, v.14-17]
19. « Ne dites point, ô mortels, que votre soif de la vérité ne vous est donnée que pour votre supplice.
« La vérité ne punit point, elle améliore et perfectionne.
« La sagesse ne punit point, elle instruit.
«L’amour ne punit point, il prépare doucement les voies. Comment l’amour pourrait-il punir? Voilà, cependant, mortels, ce qui constitue l’essence de votre Dieu ! » [Chant 15, v.1-5]
20. « O homme! combien tu gémiras un jour, quand, avec les influences du désordre dont tu seras rempli, tu t’approcheras de la région de l’ordre! » [Chant 15, v.15] [p.320]
21. « Quand est-ce que le temps sera précipité, et qu’il ne dérobera plus à l’homme la jouissance et les droits de son être ? » [Chant 16, v.7]
22. « Pendant ce temps, nous ne pouvons que chercher péniblement la sagesse et la vérité. Au-dessus du temps, on les possède ; au-dessous du temps, on vomit des injures contre elles. » [Chant 16, v.7]
23. « Régions saintes, ces malédictions ne prévaudront jamais contre vous. » [Chant 16, v.9]
24. « Les patriarches ont défriché le champ de la vie; les prophètes ont semé ; le Sauveur a donné la maturité : nous pouvons , à tout moment, recueillir la moisson la plus abondante. » [Chant 18, v.9-10]
25. « Quel emploi peut se comparer à celui d’être baptisé pour les morts ? de laver continuellement, par nos souffrances, les taches que les hommes se sont faites, celles qu’ils se font, celles qu’ils se feront, et de supporter toutes les douleurs effroyables qui en sont les suites ? » [Chant 20, v.1]
26. « O! Dieu de paix, si parmi nos frères il en est qui agissent comme ne se souvenant [p.321] plus de toi, n’agis point, à leur égard, comme envers ceux dont tu ne te souviens plus. » [Chant 20, v.4]
Plus de deux mille pensées, presque toutes de cette sublimité, composent les œuvres choisies de Saint-Martin. En extraire les plus remarquables, nous semble un travail plein d’utilité pour le sort et l’amélioration de l’homme. Dans cette conviction, nous l’entreprendrons, si Dieu nous en accorde le temps, comme il nous en donne le désir, et nous croirons avoir fait une œuvre agréable à lui et profitable à nos semblables.