Préface et Post-scriptum

Nous présentons ici la Préface avec ses notes et le Post-scriptum du livre de Ulrich GuttinguerGuttinguer esprit SM 1836

Philosophie religieuse – [Préface]

[p.I] « Je pleurerai, mon Dieu, je pleurerai, jusqu'à ce que j'aie pu persuader mes frères, que Dieu seul peut les consoler. » — Saint-Martin, l'Homme de désir. [§119, v.6] —

Celui qui a écrit ces touchantes paroles est mort dans les larmes, sans doute, [p.II] laissant à son siècle d'assez nombreux ouvrages, tous dignes de ce désir si tendrement exprimé : ouvrages pleins de savoir, d'inspiration, d'esprit vraiment prophétique ; d'obscurités (1) aussi, qui en ont éloigné le monde vulgaire et frivole. J'étais de ceux-là.... et, pourtant, un jour, il m'a suffi d'ouvrir un de ces livres, pour vouer ma vie aux choses divines.

Tous ceux à qui j'en ai parlé m'ont dit : « Qu'est-ce que cet homme ? nous ne le connaissons pas. Où sont ses ouvrages? comment se nomment-ils ? Ce que vous nous en racontez émeut profondément nos âmes, et remplit nos yeux de pleurs. [p.III]

Cet homme, ai-je répondu, est Saint-Martin. Il a passé au milieu de vous, inconnu. Il parut vers la fin du siècle de la philosophie irréligieuse de Diderot, de D'Alembert et de Voltaire. Bien peu se retournèrent à cette voix modeste et douce qui les rappelait dans les chemins du christianisme, de tous côtés assailli.

C'était contre les philosophes (2), que venait se présenter, la visière baissée, avec des armes en deuil, ce chevalier solitaire sans nom, sans éclat, avec lequel il semble qu'on n'ait même pas voulu combattre.

Ceux qu'il venait repousser sont morts. [p.IV] Ils sont morts en exécration aux chrétiens dignes de ce nom. Leur influence aussi meurt chaque jour. C'est dans ce signe seul que se peut voir l'espérance de l'humanité.

C'est cette espérance qu'il nous faut tous échauffer, encourager, et c'est à toi d'abord que nous venons demander secours, homme vraiment saint, homme fertile de nos temps de sécheresse et de stérilité.

C'est ton esprit que nous invoquons et que nous venons tirer de tes livres abondants, pour le présenter à notre société haletante, égarée, mais qui nous semble tourner [p.V] enfin ses regards vers le ciel (3). Ils verront que tu en viens, et que, sans doute, tu y es retourné.

Quelques pages de toi, dégagées de ces nuages souvent impénétrables dont tu es environné, leur persuaderont que tu avais une mission céleste, que le malheur des temps et la perversité des hommes t'empêchèrent de remplir. Ces pages, je me chargerai de les faire connaître. Si mon siècle ne veut pas les payer, je les lui donnerai, je les jetterai sur son passage, je les lirai à ceux qui viendront me voir, je mourrai dans cette conviction, que je n'ai rien tenté en ma vie de plus utile et de meilleur. [p.VI] C'est à toi de parler maintenant, à vous d'écouter, si vous voulez, comme il l'a dit quelque part, « diviniser votre cœur » (4).

Notes

[p.VII] (1) Veut-on avoir une idée de cette obscurité pour le grand nombre, et de ce que nous avons cru devoir retrancher ? En voici un exemple : « Quel est le tableau des choses — D'un côté, il y a un, quatre, sept, huit et dix ; de l’autre, il y a deux, trois, cinq, six et neuf. Tout est là pour le présent, malgré les faux calculs d'un peuple célèbre qui n'a suivi que l'arithmétique ». [HdD., 238, v.3]
Quelle proie pour la critique et pour l'esprit frivole et Moqueur ! et cependant, lisez le reste.

(2) Dès-lors, il s'écriait : « Doctrine humaine, doctrine humaine, laisse aller mon peuple, pour qu'il me puisse offrir ses sacrifices.» [HdD., 213, v.9]
Dès-lors, il disait encore ces mots pleins d'âme et de tendresse sainte et sublime: « Sois bénie à jamais, sois bénie, sagesse bienfaisante qui viens de me rendre la vie ! Laisse-moi te saisir, laisse-moi coller mes [p.VIII] lèvres sur tes mains et qu'elles ne s'en séparent plus. Où irais-je ? N’as-tu pas les paroles de la vie éternelle ! » [HdD., 198, v.5].
On le voit, c'était du Rédempteur qu'il parlait.

(3). N'est-il pas déplorable de songer que les écrits de l'ennemi, comme tu les nommes si bien, aient eu des réimpressions populaires, pour maintenir, propager et entretenir le mal, et que tes écrits salutaires languissent dans leur chétive et unique édition ?
Homme utile, tu as oublié d'être amusant, tu n'as pas flatté l'orgueil de l'esprit humain. Et voilà la cause, la cause !

(4). Nous ne sachions pas que, depuis 1807, époque à laquelle on publia les œuvres posthumes de saint Martin, il ait été question de lui autre part que dans quelques écrits de M. Sainte-Beuve, qui lui a voué une sincère et vive admiration.
Une préface fut jointe à cette publication, ainsi qu'une notice qui nous donne trop peu de renseignements. [p.IX] Du reste, nul philosophe professant n'en a parlé : ces personnes, fort instruites d'ailleurs, ne nous donnant jamais que la description de la philosophie, jamais son âme divine ; aucuns, surtout, n'ayant intimement lié cette science au christianisme, comme n'a cessé de faire celui dont nous sommes avides de parler. Nous croyons être certains qu'un livre complet se prépare en silence, qui sera une biographie entière des œuvres de cet admirable philosophe ; nous savons que ce livre nous sera donné par une des meilleures réputations littéraires et poétiques de nos temps.
Mais, de grands travaux en suspendront peut-être la venue, et notre zèle pour l'avancement de la philosophie religieuse n'a permis à notre cœur aucun retardement. Puisse ce que nous allons faire connaître, exciter un plus vif désir de lire, un jour, tout ce qu'un génie abondant et une plume éloquente auront à dire d'un si riche trésor de sagesse et de poésie !

Post-Scriptum

1835 postscriptum[p.158] Comme nous terminions ce travail, quelques observations d’hommes sages et éclairés sont venues tardivement nous troubler.
Saint Martin, nous a-t-on dit, passe pour être peu orthodoxe : votre enthousiasme pour lui ferait soupçonner que vous êtes un de ses adeptes, et disposé à vous éloigner des immuables principes du catholicisme.
À cela, nous sommes pressés de répondre bien nettement : que nous n’avons rien aperçu de contraire aux dogmes de la sainte Eglise, dans ce que nous avons lu de Saint Martin.
Plus clairement encore, nous déclarons n’être point l’un des adeptes de Saint Martin, qui ne fit ni secte, ni école, et qui n’eut en son temps que des amis plus ou moins passionnés. — Notre âge ne nous permet pas d’en avoir fait partie. [p.159]
Aucune forme de dogme, aucun rituel n’a paru de ce philosophe : nous n’avons eu ni à les admettre, ni à les combattre.
Trois points nous ont attiré et décidé dans l’admiration que nous professons :

La vive croyance de l’auteur dans les prophètes ;
Sa foi non moins vive dans le Sauveur.
Sa défiance et son dédain pour la raison humaine.

Il nous a semblé ne pouvoir trop aimer, trop admirer, trop remercier celui qui, au temps du plus grand succès, de la plus immense vogue de la philosophie du dix-huitième siècle, s’écriait, avec un accent qui devait trouver un jour tant d’écho dans les cœurs :

« Doctrine humaine, doctrine humaine, laisse aller mon peuple, pour qu’il puisse m’offrir ses sacrifices ! » [Homme de Désir, § 213, v.7].