Notes

1. Si l'on en veut une preuve que j'ose dire inimaginable, on n'a qu'à lire la pensée suivante où l'illusion pacifique, jointe à la préoccupation de soi et à la confiance qu'on a d'être l'objet spécial de la prédilection divine, passe tous les degrés :

« Je me suis senti tellement né pour la paix et pour le bonheur, et j'ai eu de si fréquentes expériences que l'on m'avait même dès ce monde comme environné de repos, que j'ai eu la présomption de croire que dans tous les lieux que j'habiterais il n'arriverait jamais de bien grands troubles ni de bien grands malheurs. Ceci s'est vérifié pour moi non seulement dans plusieurs époques de ma jeunesse, mais aussi dans mon âge avancé, lors de la Révolution de la France. J'écris ceci l'an quatrième de la Liberté, le 25 juillet 1792. Jusqu’à ce moment je n'ai été témoin d'aucun des désastres qui ont désolé ma patrie dans cette circonstance, quoique je n'aie pas voulu quitter le royaume malgré les instances qui m'en ont été faites, notamment par madame de Rosenberg, qui voulait m'emmener avec elle à Venise. J'ai traversé en outre trois fois presque tout le royaume pendant ces temps de trouble, et la paix s'est trouvée partout où j'étais (excepté l'aventure du Champ-de-Mars de l'été de 1791, pendant laquelle j'étais à Paris) ; tout cela me fait croire que, sans oser me regarder comme un préservatif pour mon pays, il sera cependant garanti de grand maux et de désastres absolus tant que je l'habiterai ; non pas, comme je viens de le dire, que je me croie un préservatif, mais c'est parce que je crois que l'on me préserve moi-même, attendu que l'on sait combien la paix m'est chère, et combien je désire l'avancement du règne de mon Dieu… [Mon Portrait, 288].

Vous croyez peut-être que la suite des événements va le détromper : pas le moins du monde. Il ajoute un post-scriptum daté de 1801 ou 1802, dans lequel il paraît vouloir démontrer que partout où il s'est trouvé dans l'intervalle depuis 1792 jusqu'à la paix d'Amiens, toutes choses se sont passées pour le mieux là où il était de sa personne, même à Paris le 10 août.

2. En matière de propriété, Saint-Martin avait une doctrine très large et que ne diffère guère de celles que nous avons vu professer de nos jours par quelques-unes des écoles socialistes les plus avancées : « Quoique ma fortune souffre beaucoup de la Révolution, disait-il, je n'en persiste pas moins dans mon opinion sur les propriétés ; j'y peux comprendre particulièrement les rentes. Rien n'est plus éloigné de la racine que cet usage abusif du signe représentatif de la propriété : aussi je le trouve bien plus faux que la propriété même. Tous nos profits, touts nos revenus, devraient être le fruit de notre travail et de nos talents ; et ce renversement des fortunes opéré par notre Révolution nous rapproche de cet état naturel et vrai, en forçant tant de monde à mettre en activité leurs savoir-faire et leur industrie. » [Mon Portrait, 632].

3. Il resterait pour moi un point à éclaircir. Cette publication de 1801 est-elle la première édition de la Lettre de Saint-Martin à Garat ? Cette Lettre ne fut-elle pas imprimée dans le temps même –1795), vers l'époque où elle dut être composée ? Fut-elle lue seulement alors, en tout ou en partie, à l'issue de quelque conférence et devant le public des Écoles normales, pour produire son effet de réfutation ? Ce qui paraît sûr, c'est que Saint-Martin, qui avait eu d'abord l'auditoire assez mal disposé pour lui, finit par avoir les rieurs de son côté.

4. Dans sa Lettre sur la Révolution française, il parle des prêtres, alors persécutés, sans ménagement et avec des expressions qui ne s'oublient pas ; il leur reproche, par exemple, d'avoir rempli les temples d'images, « et par là d'avoir égaré et tourmenté la prière, tandis qu'ils ne devaient s'occuper qu'à lui tracer un libre cours ; » il les appelle les accapareurs des subsistances de l'âme, etc. De telles expression, si on les isolait, donneraient de Saint-Martin une idée fausse, et calomnieraient son cœur.

5. [La citation exacte est : « … le monde et moi nous n’étions pas faits l’un pour l’autre ». Note du webmestre].

6. Voici le petit récit de Saint-Martin, si parfaitement simple, et si honorable pour M. de Chateaubriand : « Le 27 janvier 1803, j'ai eu une première entrevue avec M. de Chateaubriand, dans un dîner arrangé pour cela chez M. Neveu à l'École polytechnique (alors au Palais-Bourbon). J'aurais beaucoup gagné à le connaître plus tôt : c'est le seul homme de lettres honnêtes avec qui je me sois trouvé en présence depuis que j'existe ; et encore n'ai-je joui de sa conversation que pendant le repas : car aussitôt après parut une visite qui le rendit muet pour le reste de la séance, et je ne sais quand l'occasion renaîtra, parce que le Roi de ce monde a grand soin de mettre des bâtons dans les roues de ma carriole. Au reste, de qui ai-je besoin, excepté de Dieu ?… » [Mon Portrait, 1095].

7. Cependant il disait assez spirituellement des plus grands hommes d'alors, de ceux même en qui il voyait des agents et instruments providentiels destinés à mener à bon terme la Révolution : « Ils se tromperont s'ils se croient arrivés. Je les regarde au contraire comme des postillons qui ont fait leur poste ; mais ils ne sont que des postillons de province, il en faudra d'autres pour nous faire arriver au but du voyage, qui est de nous faire entrer dans la Capitale de la Vérité. (Mars 1801.) » [Mon Portrait, 1024].

8. [Saint-Martin n'est pas mort de 13, mais le 14 octobre 1803 Note du webmestre].