[Le Crocodile]

Il passa à Paris une partie de l'année 1792. Le vendredi 3 février, paraissant aux Tuileries comme député de la Société philanthropique au roi, il se confirma plus que jamais dans le sentiment de remercier Dieu de deux choses : la première, de ce qu'il y avait des chefs ; la seconde, de ce qu'il ne l'était pas. Dans le printemps et l'été de cette année 92, il vécut à Petit-Bourg, où il écrivait en prose un poème hiéroglyphique et baroque intitulé Le Crocodile ; il le termina le 7 août 1792, « à une heure après midi, dans le petit cabinet de son appartement de Petit-Bourg, donnant sur la Seine » [Mon Portrait, 669]. Il est dommage que cette date circonstanciée, qu'il note avec complaisance, ne se rattache pas à une œuvre plus digne de souvenir. Une des plus singulières aberrations de Saint-Martin était de croire que ce Crocodile, avec un peu plus de travail et moins de négligence, et, comme il dit, avec une lessive de plus, aurait pu devenir un bijou. [Mon Portrait, 960]. Saint-Martin paraît avoir eu une veine, une nuance de gaieté en causant ; il y revient sans cesse pour l'expliquer ; mais, plume en main, cette gaieté disparaît et fait place à une plaisanterie lourde le plus souvent et du plus mauvais goût. Le rire, en général, va peu aux mystiques ; on se figure malaisément un Fénelon jovial et en belle humeur. Saint-Martin ne gagne rien à s'approcher du genre de son compatriote Rabelais.

[Le 10 août]

Il se trouvait à Paris dans la journée du 10 août et dans les [211] journées suivantes ; il fut témoin des canonnades et des massacres, et paraît surtout sensible à la protection singulière dont le couvrit la Providence en ces journées : il avait des papiers d'affaires à retirer et à envoyer chez son père, et il ne cessa de circuler dans Paris sans qu'il lui arrivât malheur. Il attribue le sang-froid et la sérénité dont il jouit alors, et qui ne lui venait point de sa nature physique, à ses bonnes lectures spirituelles et à de vives prières qu'il avait faites pendant toute la nuit du 10. Revenant habiter à Paris l'année suivante, vers octobre 1793 : « J'ai la douce consolation, dit-il, d'y éprouver que l'on peut trouver Dieu partout, que partout où on trouve son Dieu on ne manque de rien, on ne craint rien, on est au-dessus de tout, enfin que l'on peut obtenir toutes les connaissances qui nous sont nécessaires sur notre propre conduite si on les demande avec confiance » [Mon Portrait, 435].