[Chute de Robespierre]

La veille du jour où l'on apprit à Amboise la chute de Robespierre, Saint-Martin se sentit sollicité d'un ardent besoin de prier :

« Je repassais dans mon esprit les horreurs du règne où nous étions, et dont je pouvais à tout moment éprouver personnellement les cruels effets : je me résignais en conséquence à l'arrestation, à la fusillade, à la noyade, et je disais à Dieu que partout là je me trouverais bien, parce que je sentais et je croyais que j'y serais avec lui. Quand j'appris la nouvelle du lendemain, je tombai de surprise et d'admiration pour l'amour de ce Dieu envers moi ; car je vis qu'il avait pris de bon œil ce sacrifice que je lui avais fait, tandis que, lors même que je le lui offrais, il savait bien qu'il ne m'en coûterait rien. » [Mon Portrait, 542].

Il apprit ensuite qu'il y avait eu vers la fin un mandat d'arrêt lancé contre lui ; il ne le sut qu'un mois après et quand toute menace avait cessé.

Ce régime de Robespierre lui arrache quelques-unes de ces paroles d'indignation comme nous les désirons de lui et de tout homme de cœur. Son optimisme ici et cette espèce de béatitude que nous lui avons vue en quelques moments expire ; et avec cela il ne désespère jamais, il n'abdique pas son idée d'avenir et ne laisse pas échapper ce qu'il estime le fil conducteur :

« J'ai vu la plupart de mes concitoyens très alarmés aux moindres dangers qui à tout moment menacent l'édifice de notre Révolution ; ils ne peuvent se persuader qu'elle soit dirigée par la Providence, et ils ne savent pas que cette Providence laisse aller le cours des accessoires qui servent de voile à son œuvre, c'est alors qu'elle agit et qu'elle montre à la fois ses intentions et sa puissance ; aussi, malgré les secousses que notre Révolution a subies et qu'elle subira encore, il est bien sûr qu'il y a eu quelque chose en elle qui ne sera jamais renversé » [Mon Portrait, 559].

Il y a de la force dans cette vue-là, soit qu'on l'ait comme Joseph de Maistre en son belvédère de Savoie ou de Lausanne, soit qu'on l'ait comme Saint-Martin de plus près et à bout portant.

Et de plus, on sent dès à présent la différence d'esprit [216] entre lui et M. de Maistre. Saint-Martin croit qu'il y a dans la Révolution française autre chose encore qu'une destruction et qu'un jugement de Dieu, et qu'elle a introduit quelque élément nouveau dans le monde. Nous y reviendrons tout à l'heure.