[L’approche de sa fin]

Âgé d'environ soixante ans, Saint-Martin sentait intérieurement les approches de sa fin et ne continuait pas moins de cultiver ses relations d'amitié :

« J'arrive à un âge et à une époque, disait-il, où je ne puis plus frayer qu'avec ceux qui ont ma maladie. Or, cette maladie est le spleen de l'homme. Ce spleen est un peu différent de celui des Anglais ; car celui des Anglais les rend noirs et tristes, et le mien me rend intérieurement et extérieurement tout couleur de rose ». [Mon Portrait, 1105].

Le doux vieillard avait la mélancolie riante. Il voyait dans la mort comme l'aurore d'une seconde et meilleure naissance. Il prenait part cependant à la restauration de la société qui se faisait autour de lui, et y voyait le doigt de la Providence [7]. Le rétablissement du culte en particulier, loin de l'irriter, l'attendrit, ce qui est un bon signe moral ; citons deux passages qui sont un correctif nécessaire à ce qu'on a dit, et qui font foi d'une impression salutaire :

« Vers la fin de 1802, j'assistai au mariage du jeune d'Arquelai. Son père, octogénaire et mourant, se fit apporter au pied de l'autel, et vint joindre ses bénédictions à celles du prêtre. Quinze jours après, le père mourut, et j'assistai à la cérémonie funèbre dans le même lieu où j'avais assisté à celle du mariage. Lorsque je vis le fils jeter de l'eau bénite sur le cercueil, je fus frappé jusqu'au vif du tableau de cette chaîne de bénédictions tantôt douces, tantôt déchirantes, qui lie toute [225] la famille humaine et qui la liera jusqu'à la fin des choses. Ceci serait un sujet inépuisable de magnificences divines ». [Mon Portrait, 1038].

Et cet autre passage encore :

« Un jour, à Saint-Roch, j'assistai au renouvellement des vœux de baptême que l'on fit faire aux enfants des deux sexes qui avaient fait leur première communion dans la quinzaine de Pâques. Cette cérémonie me causa beaucoup d'attendrissement et me parut propre à opérer, même sur les gens âgés, de très salutaires impressions. En général, lorsque l'on considère l'Église dans ses fonctions, elle est belle et utile ». [Mon Portrait, 1114].

Il est vrai qu'il ajoute « qu'elle ne devrait jamais sortir de ces limites-là, et que par ce moyen elle deviendrait naturellement une des voies de l'esprit. » [Mon Portrait, 1114].