1874 Deschamps t1

1874 - Les sociétés secrètes et la société  ou Philosophie de l'histoire contemporaine - T. 1

Par l'auteur du Monopole universitaire, destructeur de la Religion et des Lois

[R. P. Nicolas Deschamps, s.j.,

membre de l'Académie romaine, De Religione catholica]

Tome premier

Avignon – FR. Seguin Aînés, Imprimeur-éditeur – 13, rue Bouquerie

1874

Cet ouvrage de Nicolas Deschamps, Les sociétés secrètes et la société, comporte trois tomes. Les deux premiers ont été publiés en 1874 et le troisième tome seulement en 1876. L'éditeur explique ce retard par le décès de l'auteur survenu juste au moment de l'impression du premier tome :

« Il nous est enfin donné de reprendre et de terminer la publication de cet important ouvrage. La mort de l'auteur, survenue prématurément et presque subitement pendant l'impression du premier volume, est la seule cause d'une aussi longue interruption. Ce fâcheux événement, on le comprendra sans peine, nous prive de publier l'ouvrage avec tous les développements que l'auteur avait eu en vue et que lui seul était capable de donner à son travail. Nous pouvons du moins compléter, dans une certaine mesure, ce qui a déjà paru. M. Claudio JANNET, avocat distingué d'Aix, qui fut à la fois le disciple et l'ami du R. P. DESCHAMPS, a bien voulu dépouiller avec le soin le plus minutieux les manuscrits laissés par ce dernier; il a recueilli toutes les notes, coordonné les divers documents amassés par lui ; il en a extrait la matière d'un fort volume, que nous livrons aujourd'hui à la publicité. Une table analytique de tout l'ouvrage le termine et facilite ainsi les recherches. »

Nous publions sur cette page, le tome premier. Avec les deux autres tomes (datée de1874 pour le 2e et 1876 pour le 3e), ils constituent la première édition. Une seconde édition des 3 tomes paraît en 1880 et 1881. Ces éditions ont été modifiées par Claudio Jannet, ami de Nicolas Deschamps, qui a poursuivi son étude.

Ces ouvrages font partie d'un ensemble de livres publiés à la suite de Jean-Pierre-Louis de Luchet (Essai sur la secte des illuminés, 1789), abbé François Le Franc (Conjuration contre la religion catholique, 1792), l'abbé Barruel (Mémoires pour servir à l’histoire du Jacobinisme, 1797-1798), auxquels on peut ajouter les livres de François-Timoléon Bègue Clavel (Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie et des sociétés secrètes, 1843) et de Robison (1739-1805 - Proofs of a Conspiracy against all the Religions and Governments of Europe, carried on in the Secret Meetings of Free-Masons, Illuminati and Reading Societies, etc., Preuves de conspiration contre les religions et tous les gouvernements de l'Europe, ourdis dans les assemblées secrètes des illuminés et des francs-maçons, 1797). On trouvera dans son introduction, notamment page 22, la liste des différents livres antimaçonniques qui ont servis à Nicolas Deschamps pour établir les preuves qu'il soutient. Tous ces livres sont des panégyriques contre la Franc-maçonnerie et comportent de très nombreuses erreurs et des amalgames surprenants.

Le tome premier comporte au moins 32 occurrences avec le terme Saint-Martin, 13 avec Philosophe inconnu, 26 avec Martinisme, 22 avec illuminé, 41 avec illuminisme.

Nous publions les différentes pages qui se rapportent aux occurrences recherchées. Cependant, il faut prendre les divers commentaires avec prudence dans la mesure où de nombreuses erreurs existent dans ces pages. Nous en avons relever quelques unes, les plus flagrantes :

L'auteur confond illuminisme et martinisme, assurant que Saint-Martin a participé au convent des Gaules (1778) et était délégué au convent de Wilhelmsbad (1782). On apprend ainsi que Saint-Martin est même le "fondateur des loges martinistes". Certaines citations donnent un semblant de justification mais n'en sont pas moins tout aussi fausses, comme celle-ci : "Saint-Martin, l'auteur de cette publication [Des Erreurs et de la Vérité], devait être et était réellement l'un des coryphées du chapitre de Sion (le haut comité des amis réunis ou philalètes)" [p.79] [1].

Saint-Martin est ainsi présenté comme le réformateur de la Maçonnerie de tous les rites, et est considéré comme l'inventeur de la devise révolutionnaire "'égalité, liberté, fraternité", « formule que dans son style symbolique il appelait le ternaire sacré. » (p.513) Ou encore « la loge d'Erménonville, près du tombeau de J.-J. Rousseau, loge qui avait pour chefs et Saint-Martin lui-même et Saint-Germain, deux des députés des loges françaises, au grand Congrès maçonnique tenu à Paris vers ce temps-là. » [1785] (p.416). L'auteur mélange la franc-maçonnerie avec le spiritisme qu'il définit comme étant le "petit-fils de Saint-Martin" (p.164) et parle du livre Des Erreurs et de la Vérité, comme le "Talmud des Francs-maçons" (p.509) ou le "Talmud maçonnique" (p.511).. 

1. Citation du mémoire présenté au congrès de Vérone (1822) par le comte de Haugwitz, ministre d'état et représentant du roi de Prusse à ce congrès, tiré de : Dorow's Denkschriften und Briefen zur Charakteristik der Welt und Literatur. Berlin 1840, t.IV, p.211-221. La traduction française se trouve dans l'ouvrage La franc-maçonnerie et la révolution, par François-Xavier Gautrelet, p.499 et suiv.,


Introduction, extrait, p.19-20

[...] cependant nos recherches et nos preuves ne se sont pas bornées là : elles se sont corroborées des écrits de Weishaupt et de Knige, des livres de St-Martin, de St-Simon, d'Enfantin, de Fourier et de leurs principaux disciples, des mémoires ou manifestes des fondateurs même [page 20] de l'Internationale, Marx, Odger, Fribourg, Tolain, Langlois, etc. ; des témoignages et du manifeste du duc de Brunswick, établi grand-maitre de la Maçonnerie par les députés des loges maçonniques de l'univers entier, au convent de Wilhemsbad ; du mémoire au congrès de Vérone du baron Haugwitz, directeur des loges maçonniques en Prusse, en Allemagne, en Pologne et jusqu'en Russie ; des discours tenus dans les principales loges d'Allemagne et par les plus célèbres maçons, recueillis en livres par les maçons les plus célèbres ou imprimés dans les revues et journaux maçonniques ; des mémoires de Garibaldi par A. Dumas; des récits, témoignages et agissements du célèbre Suédois Wit, dit Doering, protégé de M. de Serres sous le ministère Decazes, élève de Follenius, ami de Cousin, et condisciple de Georges Sand, l'assassin de Kotzébüe, principe summo patriarcho de la Carbonara, et chargé de faire par lui même, et comme inspecteur, la correspondance de la haute Maçonnerie entre l'Allemagne, la France, la Suisse et l'Italie ; des mémoires et des correspondances de Voltaire, ainsi que des doctrines morales et politiques des Helvétius, d'Alembert, Diderot, Rousseau, Condorcet, Cabanis, éminents maçons, et que le secrétaire du Grand Orient nous a assurés être identiquement les mêmes que celles de la Maçonnerie.

bouton jaune  Introduction, extrait, p.19-20


Saint-Martin ou l'illuminisme français. Extrait, p.41-50

Après Weishaupt se présente Saint-Martin, le fondateur du martinisme ou de l'illuminisme français. Le plus fameux de ses écrits a pour titre : Des Erreurs et de la Vérité, par un philosophe inconnu. Louis Blanc, un des membres et des panégyristes les plus célèbres des sociétés secrètes, en parle ainsi dans le troisième chapitre du deuxième volume de l'Histoire de la Révolution Française : « Au nom d'un spiritualisme pieux, le philosophe inconnu s'élevait contre la folie des cultes humains. Les religions, disait-il, leur diversité même les condamne (comme si les diverses altérations des monnaies en les rendant fausses, prouvaient que celle qui n'a pas été altérée l'est également ).
« Par les sentiers de l'allégorie, le philosophe conduisait au sein du royaume mystérieux que dans leur état primitif [page 42] état de purs esprits) les hommes avaient habité. « Et il ajoutait : « Mais l'homme, par un funeste usage de sa volonté libre, abandonna son premier poste (il fut emprisonné dans un corps). De là des calamités sans nombre et sans mesure : cultes mensongers, etc. »
Mais écoutons St-Martin lui-même et devinons les raisons qu'il doit avoir avec toute la Maçonnerie, dans un livre qui pouvait être lu par les profanes, d'envelopper sa pensée de voiles; plus tard les faits devaient les déchirer et la faire apparaitre dans tout son jour :

« Quoique la lumière, dit-il dans son introduction, soit faite pour tous les yeux, il est encore plus certain que tous les yeux ne sont pas faits pour la voir dans tout son éclat. C'est pour cela que le petit nombre des hommes dépositaires des vérités que j'annonce est voué à la prudence et à la discrétion PAR LES ENGAGEMENTS LES PLUS FORMELS (1. Des Erreurs et de la Vérité, par un philosophe inconnu. Introduction, p. 11. Edimbourg, 1775).
« L'homme est à présent composé de deux êtres, l'un sensible, l'autre intelligence. Nous avons laissé entendre que dès son origine, il n'était pas sujet à cet assemblage et que, jouissant des prérogatives de l'être simple, il avait tout en lui et n'avait besoin de rien pour se soutenir, puisque tout était renfermé dans les dons précieux qu'il tenait de son principe. Dès son origine, l'homme avait donc pour loi de régner sur la région sensible, comme il le doit encore aujourd'hui ; mais comme il était alors doué d'une force incomparable et qu'il n'avait aucune entrave, tous les obstacles disparaissaient devant lui. Aujourd'hui il n'a plus, à beaucoup près, les mêmes forces. Lorsque l’arrêt foudroyant eut été prononcé contre lui, il ne lui resta de tous les dons qu'il avait reçus qu'une ombre de liberté, c'est-à-dire une volonté presque toujours sans force et sans empire. Tout autre pouvoir lui fut ôté celui même de l'intelligence, comme il le suppose plus bas, et sa réunion avec un être sensible le réduisit à n'être plus qu’un assemblage de deux causes inférieures en similitude de celles qui régissent tous les corps.
« Quels fruits l'homme pourrait-il donc produire aujourd'hui, si dans l'impuissance que nous lui connaissons, il [page 43] croyait n'avoir d'autre loi que sa propre volonté et s'il entreprenait de marcher sans être guidé par cette cause active et intelligente dont il dépend malgré lui, et de laquelle il doit tout attendre, ainsi que des êtres corporels parmi lesquels il est si tristement confondu ?...
« Telle est cependant la marche que les hommes ont suivie, c'est-à-dire qu'ils n'ont presque jamais porté la vue au delà du sensible. Or, cette faculté sensible étant bornée et privée du pouvoir nécessaire pour se diriger elle-même ne présentera jamais que des preuves réitérées de variété, de dépendance et d'incertitude. En effet, toutes les branches de l'ordre civil et politique qui réunit les différents peuples ont-elles d'autre but que la matière ? La partie morale même de tous leurs établissements s'élève-t-elle au delà de cet ordre humain et visible ? Il n'y a pas jusqu'à leurs institutions les plus vertueuses qu'ils n'aient réduites d'eux-mêmes à des règles sensibles et à des lois extérieures, parce que dans toutes ces choses, les instituteurs ayant marché seuls et sans guide, c'est l'unique terme où ils avaient pu porter leurs pas. La faculté intellectuelle de l'homme n'est donc absolument pour rien dans de pareils faits.
« Commençons par observer l'institution la plus respectée. et la plus universellement répandue dans tous les peuples, celle qu'ils regardent avec raison comme ne devant pas être l'ouvrage de leurs mains. Il est bien clair, par le zèle avec lequel toute la terre s'occupe de cet objet sacré, que tous les hommes en ont en eux et l'image et l'idée. Nous apercevons chez toutes les nations une uniformité entière sur le principe fondamental de la religion. Toutes reconnaissent un être supérieur qu'il faut prier, toutes le prient.
« Cependant les soins que tous les peuples, se donnent pour honorer le premier être nous présentent, comme toutes les autres institutions, des différences et des changements successifs et arbitraires dans la pratique comme dans la théorie ; en sorte que parmi toutes les religions on n'en connaît pas deux qui l'honorent de la même manière. Or, je le demande, cette différence pourrait-elle avoir lieu, si les hommes avaient pris le même guide et qu'ils n'eussent pas perdu de vue la seule lumière qui pourrait les éclairer et les [page 44] concilier. C'est donc en s'éloignant de cette lumière que l'homme demeure livré à ses propres facultés... et cependant quoiqu'il ne sache plus si l'hommage qu'il lui offre est vraiment celui que cet être exige, il préfère d'en rendre un tel qu'il conçoit à la secrète inquiétude et au regret de n'en point rendre du tout.
« Tel est en partie le principe qui a formé les fausses religions et qui a défiguré celle que toute la terre aurait dû suivre ; alors pourrons-nous être surpris de voir si peu d'uniformité dans les usages pieux de l'homme et de son culte, de lui voir produire toutes ces contradictions, toutes ces pratiques opposées, tous ces rites qui se combattent et qui, en effet, ne présentent rien de vrai à la pensée. N'est-ce pas là où, l'imagination de l'homme n'ayant plus de frein, tout est l'ouvrage de son caprice et de son aveugle volonté ? N'est-ce pas là par conséquent où tout doit paraître indifférent à la raison, puisqu'elle ne voit plus de rapports entre ce culte et l'être auquel les instituteurs et les partisans veulent l'appliquer ?
« Nous avons vu que, malgré tous les raisonnements sur la nature, les hommes étaient obligés de se soumettre à ses lois ; nous avons assez fait connaître que les lois de cette nature étaient fixes et invariables, quoique par une suite des deux actions qui sont dans l'univers (du bon et du mauvais principe, un des dogmes fondamentaux du martinisme et de la plupart des loges maçonniques, comme nous verrons), leur accomplissement fut souvent dérangé.
« Nous savons donc déjà avec évidence qu'il est dans la nature corporelle une puissance supérieure à l'homme et qui l'assujettit à ses lois... Si l'homme est soumis à cette nature, à plus forte raison le sera-t-il aux principes supérieurs qui la dirigent et la soutiennent. Que produira donc tout ce qu'il pourra faire, imaginer, dire, instituer contre les lois de ces principes supérieurs ? Loin qu'ils en soient le plus légèrement altérés, ils ne font que montrer davantage leur force et leur puissance en laissant l'homme qui s'en éloigne livré à ses propres doutes et aux incertitudes de son imagination et en l’assujettissant à ramper tant qu'il voudra les méconnaître. [page 45] 
« Nous ne pouvons donc plus douter que la raison de toutes ces différences que les nations nous offrent dans leurs dogmes et dans leur culte ne vienne de ce que, dans leurs institutions, elles ne sont pas appuyées de cette cause active et intelligente.
« On ne doit pas non plus me demander actuellement quel est celui de tous les cultes établis qui est le véritable culte; le principe que je viens de poser doit servir de réponse à toutes les questions sur cet objet (1. Des Erreurs et de la vérité, p. 199, 200, 201, 205, 206, 207, 208, 210, 211. 220. 221). »

Ainsi dogmes et cultes, tout est faux dans toutes les religions qui existent ou qui ont existé par le monde, depuis que nous avons perdu notre état primitif de purs esprits. A peine le monde en a-t-il conservé le principe fondamental, ou l'idée de l'être supérieur. Car le mot de Dieu ne se trouve jamais sous la plume du philosophe inconnu ; encore en lui appliquant le raisonnement, criterium des erreurs, le défaut d'uniformité, ce principe fondamental est-il obligé lui aussi de s'évanouir. Toutes les religions, en effet, d'après le philosophe, présentent non-seulement des différences et des variétés dans la pratique du culte à rendre à l’être supérieur, mais encore dans la théorie ou dans l'idée même qu'elles nous donnent de cet être. Tout ce qu'elles enseignent sur son existence, sa nature, sont donc, par la même raison, l'ouvrage du caprice de l'homme ou de son aveugle volonté. Et comme il n'y a pas non plus par le monde deux hommes qui se ressemblent parfaitement, et dans la nature et dans les mêmes espèces deux individus, sur le même arbre deux feuilles qui ne présentent bien des différences et des variétés, il s'ensuivrait que l'homme, son corps, la nature extérieure et sensible tout entière n'est qu'une illusion, l'ouvrage du caprice et de l'aveugle volonté.
Que restera-t-il donc debout ? rien, zéro. Et cette conséquence le philosophe inconnu non seulement l'avoue, mais entreprend de la démontrer par un procédé cabalistique.

« Nous pouvons également regarder le cercle entier, dit-il encore, comme un être corporel dont la circonférence est la forme ou le corps, et dont le centre est le principe immatériel. [page 46] Séparer ce principe de sa forme corporelle, n'est-ce pas la même chose que de séparer le centre de sa circonférence, et par conséquent la même chose que doter l'unité un du dénaire dix 1874 deschamps 01, qui figure le monde entier. Mais si on ôte une unité du dénaire dix, il est bien certain qu'il ne restera que neuf en nombre. Cependant.il nous reste en figure le zéro, 0, ou la ligne circulaire, ou enfin la circonférence. Que l'on voie aussi, d'après le rapport existant entre le zéro, qui est comme nul par lui-même, et le nombre neuf ou celui de l'étendue, si on aurait du blâmer si légèrement ceux qui ont prétendu que la matière n'était qu'apparente (Des Erreurs et de la Vérité. p. 160). »
« L'homme s'est (donc) égaré, dit toujours le fondateur des loges martinistes, en allant de quatre (seul nombre qui soit le quadruple de sa racine ou d'un), à neuf (qui équivaut à zéro) ; il ne pourra se retrouver qu'en allant de neuf à quatre, nombre sacré, quaternaire, que nous nommons principe générateur, nombre qui produit tous les êtres et qui leur sert de mesure ( Ibidem, p. 38, 414, 416). »
Mais comment exécuter cet incompréhensible retour du zéro au principe générateur, n'ayant plus qu'une ombre de liberté, une volonté presque toujours sans force et sans empire, tout autre pouvoir nous ayant été ôté, volonté aveugle et sans pouvoir nécessaire pour se diriger elle-même ? Comment revenir de neuf à quatre avec un corps qui forme autour de nous un voile ténébreux qui cache à notre vue la vraie lumière et qui est tout à la fois une source continuelle de nos illusions et l'instrument de nos nouveaux crimes, quoique n'étant qu'une simple apparence équivalant à zéro ? Comment dans un tel état regagner le bienheureux quaternaire, quand, doué d'une force incomparable, n'ayant aucune entrave, tous les obstacles disparaissant devant lui, quand ayant tout en lui et n'ayant besoin de rien pour se soutenir, l'homme n'a pu conserver ce divin quaternaire (Ibidem, p.200). » Reconnaître l'être supérieur, se soumettre à ses lois ? Mais c'est la question, c'est le retour effectué de neuf à quatre. Quelles sont les lois de cet être supérieur ? Qu'est-ce que cet être supérieur [page 47] lui-même ? Où est-il ? Quels sont les chemins qui conduisent à lui ? Qui m'y conduira ? Qui m'y fera marcher, puisque tout pouvoir m'a été ôté, et qu'environné de ténèbres, enchaîné de toutes parts dans les illusions du sensible, il me reste à peine une ombre de liberté ? Écoutons :

« Tel est, on le sait, l'état malheureux de l'homme actuel qu'il ne peut, non seulement arriver au terme, mais même faire un seul pas dans cette voie, sans qu'une autre main que la sienne lui en ouvre l'entrée, et le soutienne dans toute l'étendue de la carrière ! On sait aussi que cette main puissante est cette même cause physique à la fois intelligente et active dont l’œil voit tout et dont le pouvoir soutient tout dans le temps. Or, si ses droits sont exclusifs, comment l'homme, dans sa faiblesse et dans la privation la plus absolue, pourrait-il dans la nature se passer seul d'un pareil appui ?
« Il faut donc qu'il reconnaisse ici de nouveau et l'existence de cette cause et le besoin indispensable qu'il a de son secours pour se rétablir dans ses droits. Il sera également obligé d'avouer que si elle peut seule satisfaire pleinement ses désirs sur les difficultés qui l'inquiètent, le premier et le plus utile de ses devoirs est d'abjurer sa fragile volonté, ainsi que les fausses lueurs dont il cherche à en colorer les abus et de ne se reposer que sur cette cause puissante qui, aujourd'hui, est l'unique guide qu'il ait à prendre.
« Que ne puis-je déposer ici le voile dont je me coure et prononcer le nom de cette cause bienfaisante, la force et l'excellence même sur laquelle je voudrais pouvoir fixer les yeux de tout l'univers ! Mais quoique cet être ineffable, la clef de la nature, l'amour et la joie des simples, le flambeau des sages et même le secret appui des aveugles, ne cesse de soutenir l'homme dans tous ses pas, comme il soutient et dirige tous les actes de l'univers ; cependant, le nom qui le ferait le mieux connaitre suffirait, si je le proférais, pour que le plus grand nombre dédaignât d'ajouter foi à ses vertus et se défiât de toute ma doctrine. Ainsi le désigner plus clairement, ce serait éloigner le but que j'aurais de le faire honorer (Des Erreurs et de la vérité, p. 537). » [page 48]

Il se fera connaître plus tard et sur toute la ligne maçonnique. Mais en attendant voilà l'homme bien avancé. La religion nouvelle le réduit à zéro ; elle ne lui laisse qu'une ombre de liberté, ou l'enveloppe de ténèbres inextricables, et on veut, pour le sauver ou pour retourner de neuf à quatre, qu'il reconnaisse une cause qui est la clef de la nature sans laquelle il ne peut rien connaître, ni faire un seul pas dans la carrière du retour. Et cette cause, on ne veut pas même lui en dire le nom, et il suffirait de le lui dire pour qu'il n'y crût pas.
Est-ce assez d'impasses, de contradictions et d'absurdités ? Non, écoutons encore :

« Quelles qu’aient été les découvertes de l'homme (zéro pourtant et qui seul ne peut rien découvrir et n'avoir la certitude de rien), après avoir reconnu une cause supérieure dans la nature, après avoir reconnu qu'elle était supérieure à sa pensée, il n'a pu s'empêcher d'avouer qu'il devait y avoir des lois par lesquelles elle agissait sur ce qui lui était soumis, et que si les êtres qui devaient tout attendre d'elle ne remplissaient pas ces lois, ils ne pourraient espérer aucune lumière, aucune vie, aucun soutien. »

Ainsi l'homme connait-il l'être supérieur, en sut-il le nom qu'on ne peut et qu'on ne veut lui dire, en comprît-il toute la nécessité ou l'impossibilité sans lui de connaître la voie qui y conduit et d'y faire un pas, il faudrait encore qu'il connut ses lois et qu'il s'y soumît pour pouvoir espérer même de lui quelque lumière et quelque soutien.

« Mais, me dira-t-on, continue lui-même le grand fondateur, quand même les hommes en viendraient à convenir aussi de la nécessité de cette cause pour diriger toute la conduite des hommes (quand ils en connaîtraient et suivraient les lois), quels moyens auraient-ils pour savoir quand elle y préside ou non ? car leurs dogmes et leurs établissements en ce genre n'ayant pas la moindre uniformité, il leur faut absolument une autre loi que celle de l'opinion pour s'assurer qu'ils sont dans le vrai chemin.
« Si cependant cette cause active et intelligente ne pouvait jamais être connue sensiblement par l'homme, il ne pourrait jamais être sûr d'avoir trouvé la meilleure route et de [page 49] posséder le véritable culte, puisque c'est cette cause qui doit tout opérer et tout manifester : il faut donc que l'homme puisse avoir la certitude dont nous parlons et que ce ne soit pas l'homme qui la lui donne; il faut que cette cause elle-même offre clairement à l'intelligence et aux yeux de l'homme les témoignages (sensibles par conséquent) de son approbation; il faut enfin, si l'homme peut être trompé par les hommes, qu'il ait des moyens de ne se pas tromper lui-même et qu'il ait sous la main des ressources d'où il puisse attendre des secours évidents (Des Erreurs et de la vérité, p.222-223). »

Ainsi l'homme déchu dans son état terrestre et dans l'impuissance radicale de se réhabiliter, de connaître même quoi que ce soit avec certitude : religion, culte, morale, gouvernement, lois, que par l'appui, les lumières, la direction absolue de la cause intelligente supérieure qui conduit tout dans la nature ; et il ne peut rien obtenir d'elle, ni lumière, ni appui, qu'en se soumettant aux lois par lesquelles elle agit elle-même sur ce qui lui est soumis. Et cet appui, ces lumières, cette direction absolue, ces lois et la soumission à ces lois, c'est lui, lui seul, sujet à toutes les erreurs et les illusions du sensible, zéro au fond, qui doit les découvrir en lui, et par l'évidence sensible ou zéro encore, discerner ce que cette cause supérieure fait connaître comme la vérité ! Zéro par conséquent partout ! Mais cette évidence, c'est à chaque homme en particulier qu'elle doit être donnée, puisque l'homme peut être trompé par les hommes et dans ce cas ce ne serait qu'une variété et une différence nouvelle ajoutées à toutes les autres, et qui en prouve, selon le principe absolu du philosophe inconnu, l'erreur et la fausseté par cela même. Zéro encore .et toujours zéro; et jusqu'à ce que tout le monde reçoive à la fois la même évidence, et qui, comme sensible, ne serait encore que zéro, les loges de l'illuminisme allemand et français, quoique différant essentiellement et dans leur point de départ et dans leur but, seront cependant d'accord unanimement pour déclarer fausses toutes les religions, imposteurs tous leurs prêtres sans exception, et pour travailler efficacement à la destruction [page 50] des unes et des autres. Et à cet effet, les loges martinistes viennent de jeter dans la rue, sous le nom de spiritisme, leur lourd bagage de contradictions et d'absurdités, revues encore et augmentées par les esprits supérieurs, pour ouvrir les yeux et ramener de neuf à quatre les masses imbéciles qui cherchent la vérité dans la nécromancie, le somnambulisme et les tables tournantes et parlantes. Quelle justice de Dieu sur l'infaillibilité souveraine de la raison et sur son progrès continu !

bouton jaune Saint-Martin ou l'illuminisme français. Extrait, p.41-50


Les sociétés secrètes, destructrices de toute religion. II. L'Esprit d'impiété de l'Illuminisme, du Martinisme et de Misraïm est passé dans tous les autres rites. Extrait, p.61-62 ; 64-65 ; 68-69 ; 79

Extrait, p.61-62

Cependant l'illuminisme français ou le martinisme n'était point resté oisif devant ce travail de l'illuminisme bavarois. Il venait de tenir lui-même une grande assemblée à Lyon sous le nom de convent des Gaules, et où il avait projeté de choisir pour chef le duc Ferdinand de Brunswick, qu'avec leur appui et à leur instigation sans doute, l'assemblée de Wilhemsbad nomme bientôt en effet chef suprême de toute la Maçonnerie. Leur loge centrale, dite des chevaliers bienfaisants, à Lyon, avait acquis, on ne sait à quel titre, dit l'auteur de l'Histoire pittoresque de la Franc-maçonnerie, que nous avons déjà cité, une haute prépondérance sur les loges d'Allemagne. Elle était en quelque sorte considérée, même par les différentes fractions de la stricte observance et par les ateliers qui admettaient soit exclusivement soit en partie le système templier, comme la loge-mère de l'association.

Les loges martinistes avaient député à Wilhemsbad, avec Saint-Martin lui-même, le président du convent des Gaules, fr.:. de Villermoz [sic pour Willermoz], négociant lyonnais, et La Chappe de la Heuzière. Le Martinisme, qui avait sourdement provoqué ce convent, et dont celui des Gaules n'avait été que le précurseur, ajoute l'historien, y exerça la plus grande part d'influence ; ses doctrines dominèrent dans les nouveaux rituels, et le nom de sa loge-mère, les chevaliers bienfaisants, figura dans le titre même de la réforme, avec l'addition : de la cité sainte. Aussi ses loges adoptèrent-elles sans exception le régime rectifié qui fut substitué à la Maçonnerie de [page 62] Saint-Martin. Ce système se répandit particulièrement en France, en Suisse et en Italie (1. Histoire pittoresque de la Franc-maçonnerie, p.195). »

Nota bene : Saint-Martin n'est jamais allé au convent de Wilhemsbad

Extrait, p.64-65

Sous le Grand-Orient, plus spécialement chargé de la correspondance étrangère, était à Paris la loge appelée des Amis réunis. Elle comptait parmi ses chefs le fameux révolutionnaire Savalette de Lange, honoré de toute la confiance qu'aurait méritée le sujet le plus fidèle, chargé de la garde du trésor royal. Il était en même temps l'homme de tous les mystères, de toutes les loges et de tous les complots contre la religion et contre la royauté. Pour les réunir tous, il avait fait de sa loge le mélange de tous les systèmes maçonniques et avait pris pour base, dit Ragon, l'interprète officiel du Grand-Orient, la même doctrine que celle du martinisme. On les appelait philalètes ou chercheurs de la vérité, du nom de leur dernier grade. Cette secte, comme les autres de la réforme maçonnique, tendait à perfectionner l'homme, dit l'historien-maître à tous les degrés, Clavel, et à le rapprocher de la source divine d'où il est émané (panthéisme). C'était, [page 65] dit-il encore, un mélange des dogmes de Swedenborg et de Paschalis, dont le baron d'Holbach, auteur, avec Diderot, du Système de la nature, était le principal adepte, et Saint-Martin lui-même le réformateur (Clavel, p.170, 194, 195).

Extrait, p.68-69

Le philosophisme du siècle avait fait dans les loges tout ce qu'on pouvait attendre de Voltaire, d'Helvétius, d'Holbach, de Diderot, de J.-J. Rousseau, etc., tous vénérables de loges, maîtres à tous grades ou méritant de l'être, et de leurs disciples, tous également initiés. L'illuminisme de Weishaupt venait régulariser tout ce travail d'impiété et de révolte sanglante qui faisait le fonds de tous les mystères et y mettre le dernier sceau. Les députés allemands furent donc accueillis avec empressement par le comité secret des amis réunis faisant fonction de Grand Orient. L'alliance la plus étroite fut conclue et un convent général des maçons de France et de l'Étranger fut convoqué par le comité secret sous le nom des philalètes, supérieurs réguliers des très vénérables loges des amis réunis à l'Orient de Paris, pour le 15 février 1785.

« Nous ne croyons pas, nous n'espérons même pas, disait entre autres choses la circulaire de convocation, que les articles spécifiés dans ce projet soient l'objet unique et exclusif des travaux du futur congrès. Il y en a d'autres plus importants que la prudence nous défend de confier au papier et moins encore à l'impression, nous doutons même qu'il soit possible de les traiter avantageusement en plein CONVENT (Qu'on remarque bien le mot de convent employé par les maçons pour désigner leurs grandes assemblées : c'est la racine de la convention pour le nom comme pour la chose). Peut-être serait-il plus facile et plus avantageux au bien général de les développer en secret et pièces en mains dans des comités spéciaux, composés de délégués que leurs opinions, leurs travaux et leurs grades recommandent particulièrement. Ces comités informeraient l'assemblée générale du résultat de leurs travaux et des fruits de leurs investigations autant qu'ils le pourraient sans s'exposer à être parjures. « Il est probable que la discussion des articles proposés fera surgir de nouvelles questions qu'il est impossible de préciser ici. Tous les hommes instruits peuvent les prévoir et doivent s'y préparer. N'oublions pas que le but essentiel de ce convent étant d'une part la destruction des erreurs (religion et trônes au sens du livre de Saint Martin : Des Erreurs et de la Vérité), et de l'autre, la découverte de vérités maçonniques ou intimement liées avec la Maçonnerie [page 69] le Dieu dont le seul nom, s'il était dit, empêcherait d'y croire, les deux principes, etc.). Notre premier devoir à tous doit être de nous munir de tout ce qui paraît devoir contribuer à l'un ou l'autre de ces buts. »

Certes, il était impossible aux adeptes surtout instruits de ne pas voir, à travers des voiles si transparents, qu'il s'agissait de la destruction de la religion et de la monarchie, et de faire passer dans les rapports sociaux, religieux et politiques, la liberté, l'égalité et la fraternité maçonniques et panthéistes. Les noms des principaux députés à ce couvent de Paris par la Maçonnerie de chaque pays suffiraient pour dissiper tous les doutes s'il pouvait en exister encore. C'étaient parmi les députés français Saint Germain, Saint Martin, Touzay, Duchanteau, Etrilla, le tireur de cartes, le grand magnétiseur Mesmer, Dutrousset, d'Héricourt et Cagliostro, auxquels il faut ajouter les noms donnés plus haut de Mirabeau, Talleyrand et autres chefs des philalètes parmi lesquels Savalette de Lange fut choisi pour président du convent, et le marquis de chef de Bien, déjà député à Wilhemsbad par la loge des philalètes, pour secrétaire de la langue française.

Extrait, p.79

« Il parut un écrit ayant pour titre : Erreurs et Vérités. Cet ouvrage fit grande sensation et produisit sur moi la plus vive impression. Je crus d'abord y trouver ce qui, d'après ma première opinion, était caché sous les emblèmes de l'ordre (la nature de l'homme dans sa pureté originelle) ; mais à mesure que je pénétrai plus avant dans cet antre ténébreux, plus profonde devint ma conviction que quelque chose de toute autre nature devait se trouver dans l'arrière-fond. La lumière devint plus frappante lorsque j'appris que Saint-Martin, l'auteur de cette publication, devait être et était réellement l'un des coryphées du chapitre de Sion (le haut comité des amis réunis ou philalètes). Là se rattachaient tous les fils qui devaient se développer plus tard, pour préparer et tisser le manteau des mystères religieux (formes mystiques à la façon de Swedenborg et de l'épopte de Weishaupt) dont on s'affublait pour donner le change aux profanes.


IV. Hauts grades du rite français, Élu, Écossais, Chevalier d'Orient. Extraits, p.128-129

Dans la note 1 de la page 128, l'auteur énumère les différents grades de la maçonnerie en partant des grades symboliques ou maçonnerie bleue. Puis il parle du rite français ou moderne et ajoute :

« Le rite français ou moderne ajoute quatre grades aux trois premiers et en compte sept ; le rite des anciens maçons libres et acceptés d'Angleterre, se réduit aussi à sept ; le rite écossais ancien et accepté est celui réformé par Frédéric II, roi de Prusse : il a ajouté huit degrés aux vingt-cinq qui constituaient le rite [page 129] écossais ancien, appelé aussi de perfection ou d'Hérédom ; c'est celui que le Grand-Orient de France s'est également annexé ; Saint-Martin les a réduits à dix. Le rite ou régime rectifié, dit de la stricte observance, depuis la réforme du convent de Wilhemsbad, ne compte plus que cinq grades, mais le cinquième se divise en trois sections. Le rite ou ordre du temple se réduit aussi à sept, en faisant de ce septième la préparation au huitième ou dernier. Le rite du système de Zinnendorf, qui est celui de la grande loge nationale d'Allemagne à Berlin, se réduit également à sept grades. L'illuminisme, proprement dit de Weishaupt, s'élevait à neuf. Le rite suédois montait jusqu'à douze, et celui du système Swedemborg descendait à six. Le rite seul de Misraïm, divisant et subdivisant sans fin tous les autres, souvent en leur laissant leur nom, toujours leur esprit, s'élevait à quatre-vingt-dix, partagés en quatre séries (Clavel, Histoire pittoresque, statistique universelle de la Franc-maçonnerie, p.63. - Willaume, Manuel ou Tuileur, introduction. Ragon, Cours, etc., Table, etc., etc.) »

IV. Hauts grades du rite Écossais ancien et accepté. Extraits, p.197-199 ;  200-202 ; 204-205 ;

Extrait, p.197-199

Mais est-ce que le principe divin qui est Dieu, ou la nature, ou le feu n'est pas comporté par les minéraux, les végétaux, et par les autres animaux aussi bien que par l'homme, puisqu'ils font aussi bien que lui partie du dieu nature et du triangle sacré ? Il ne faut pas oublier, pour exalter le quaternaire, que le ternaire sacré aussi, qu'adorait Saint-Martin, au dire de L. Blanc, renfermait également l'égalité, la liberté et la fraternité, et que minéraux, végétaux et animaux, nous sommes tous côtés égaux du même triangle divin, tous frères et sœurs, comme l'enseignent avec toute la Maçonnerie, MM. Cousin et Michelet, et l'université impériale, royale et républicaine, aussi bien que le calendrier et les prénoms sous la République française, une et indivisible. Ce qui n'empêche pas que les gnostiques, dont sont descendus, selon Ragon, les Templiers et les Francs-maçons de toutes les sectes, n'aient prétendu, selon Ragon encore, que tout l'édifice de leur science reposait sur un carré dont les angles étaient : Sighé, silence, Bathos, profondeur, Nous, intelligence et Aletheia, vérité, et que Saint-Martin n'ait expliqué aussi à sa manière le quaternaire ou carré s'appuyant sur le ternaire, et le ternaire fondé sur l'unité...

« Il n'y a que trois éléments, dit-il dans son livre fameux, Erreurs et Vérités : la terre, l'eau et le feu, comme il n'y a que trois dimensions dans les corps, trois figures dans la [page 198] géométrie, trois facultés innées dans quelque être que ce soit, trois degrés d'expiation pour l'homme, ou trois grades dans la vraie Franc-maçonnerie. [Des Erreurs, p.135]

« Je déclare, ajoute-t-il, que personne ne respecte plus que moi le ternaire sacré ; je sais que sans lui rien ne serait de ce que l'homme voit et de ce qu'il connaît ; je proteste que je crois qu'il a existé éternellement et qu'il existera A JAMAIS ; et j'ose dire à mes semblables que malgré toute la vénération qu'ils portent au ternaire, l'idée qu'ils en ont est encore au-dessous de ce qu'ils devraient avoir ; je les engage à être très réservés dans les jugements sur cet objet. Enfin, il est très vrai qu'il y a trois en un, mais qu'il ne peut y avoir un en trois, sans que celui qui serait tel ne fut sujet à la mort ( ce qui est la négation palpable du mystère chrétien de la Sainte Trinité). [Des Erreurs, p.137]

« Il y a sans doute dans ce fluide (l'air), un principe que nous devons appeler air ; mais il est incomparablement plus actif et plus puissant que les éléments grossiers et terrestres dont les corps sont composés, ce qui se confirmé par mille expériences. Cet air est une production du feu, non de ce feu matériel que nous connaissons, mais du feu qui a produit le feu et toutes les choses sensibles. L'air, en un mot, est absolument nécessaire pour l'entretien et la vie de tous les corps élémentaires; il ne subsiste pas plus longtemps qu'eux, mais n'étant pas matière comme eux, on ne peut le regarder comme élément, et par conséquent il est vrai de dire qu'il ne peut entrer dans la composition des corps.

« Quelle sera donc sa destination dans la nature ? Nous ne craindrons pas de dire qu'il n'est proposé que pour communiquer aux êtres corporels la force et la vertu de ce FEU qui les a produits : il est le char de la vie des éléments, et ce n'est que par son secours qu'ils peuvent recevoir le soutien de leur existence, comme sans lui toutes les circonférences (tous les zéros, comme il l'a dit dans les passages cités au commencement de ce chapitre) rentreraient dans le centre d'où elles sont sorties (l'unité ou la première cause, comme il va le dire encore plus loin). [Des Erreurs, p.138-139]

« Veut-on, puisque l'occasion s'en présente, apprendre encore à évaluer plus juste ce que sont les corps ? Pour cet [page 199] effet, on n'a qu'à suivre l'ordre inverse de leur formation. Les solides se trouvent composés de surfaces, les surfaces de lignes, les lignes de points ; c'est-à-dire de principes qui n'ont ni longueur, ni largeur, ni profondeur, en un mot, qui n'ont aucune des dimensions de la matière, ainsi que je l'ai amplement exposé, lorsque j'ai eu lieu d'en parler. Qu'on ramène donc ainsi les corps à leur source et à leur essence primitive, et que l'on voie par là l'idée que l'on doit avoir de la matière. » [Des Erreurs, p.445-446]

Extrait, p.200-202

Il y a donc jusqu'ici parfait accord sur l'unité, le ternaire et le quaternaire, entre le fondateur des loges martinistes ou illuminées, et l'interprète autorisé [il s'agit de Ragon] du Grand-Orient; entre eux et la philosophie de M. Cousin ; c'est la confirmation sans réplique de tout ce que nous avons dit en commençant de l'influence de l'esprit de Saint-Martin au congrès de Wilhemsbad, et de ce que nous dirons plus tard de la philosophie universitaire ou d’État. Voyons s'ils ne seront pas d'accord aussi sur le nom réel de cette unité : Dieu-Pan ou cause universelle, primordiale, premier principe, principe radical, racine de toutes les puissances qui pourtant ne sont rien.

Cette cause première, ce dieu Pan ou Tout, quel est-il ? Le philosophe inconnu a refusé plus haut d'en dire le nom même, parce que ce seul nom empêchait d'y croire ; mais n'en serait-il pas de lui comme du nombre un, et ne le découvrirons-nous pas dans la progression des puissances. et dans la raison même du refus d'en dire le nom?

« Dans l'ordre vrai des choses, dit-il encore, plus le degré des puissances est élevé, plus la puissance s'affaiblit, parce qu'alors elle est plus éloignée de la puissance première, d'où toutes les puissances subséquentes sont émanées. Ainsi les premiers termes de la progression, étant plus voisins du terme radical, ont des propriétés plus actives et par conséquent des effets plus sensibles, et par là plus faciles à distinguer... Voila pourquoi le minéral est plus difficile à distinguer du végétal, que le végétal de l'animal; car c'est dans le minéral que se trouve le dernier terme de la progression des choses créées. » Des Erreurs, p.58] Il ajoute que les trois éléments ne servent de signe pour démêler les différents règnes que par leur domination dans chacun, les deux autres devant y exister aussi, mais en moindre proportion. « Si l'homme, continue-t-il, avait une chimie par laquelle il pût, sans décomposer les corps, connaître leurs vrais principes, il verrait que le feu est le propre de l'animal; l'eau, le propre du végétal; et la terre, le propre du minéral. Alors il aurait des signes encore plus certains pour reconnaître la véritable nature des êtres et ne serait plus embarrassé pour discerner leur rang et leur classe. » [Des Erreurs, p.59]

Rapprochons de ce passage identiquement le même qu'un de ceux de maître Ragon, cité plus haut comme explication [page 201] du ternaire, celui de la page 66 déjà cité du livre de Saint-Martin.

« Cette supériorité du principe actif et intelligent de l'homme ne doit plus nous étonner, si nous nous rappelons la propriété de cette progression quaternaire, qui fixe le rang et les facultés des êtres, et qui ennoblit leur essence en raison de ce qu'ils sont les plus voisins du premier terme de la progression. L'homme est la seconde puissance de ce premier terme générateur (Erreurs et Vérité, p. 58, 59, 60.). » Mais ce terme, basé, ou fondement, ou raison des trois autres côtés du quaternaire, être premier, unique, universel, qui s'est manifesté dans toutes les productions sensibles, n'est-ce pas le feu, ce feu qui domine dans l'homme, dans l'animal, comme étant le plus voisin de lui ou du premier terme de la progression, du feu qui a produit notre feu et toutes les choses sensibles, comme il a dit plus haut ; le feu que maître Ragon, au nom du Grand-Orient; proclame à chaque grade : Dieu, Pan, le vieux Jehovah de la Franc-maçonnerie, le grand architecte de tout l'univers, le feu que Voltaire a chanté en vers latins, comme ayant toutes les propriétés divines, vers que Ragon a commentés et exaltés dans son Rose-Croix ? Le nommer n'est-ce pas par là même empêcher d'y croire, comme le déclaré le fondateur de l'illuminisme français, l'inspirateur de tous les rites maçonniques? Et le sens intime, la conscience de tous les peuples et leurs universelles traditions ne se soulèvent-elles pas d'horreur pour le repousser aux enfers d'où il est sorti, et aux loges dont il est la voie et la vie ?... (note de l'auteur)

Le 29e grade écossais lui est donc spécialement consacré ; il a pour couleur le rouge, la couleur du feu, selon la parole de l'hiérophante, et ses signes, dit le Manuel général, sont les [page 202] signes des trois règnes qu'il produit et dans la progression signalée par le philosophe inconnu : signe de la terre, signe de l'eau, signe du feu ; suivi du signe de l'admiration ou de l'adoration égalitaire plutôt, puisqu'il consiste à lever les yeux au ciel, les deux mains en l'air, et à incliner le genou gauche derrière la jambe droite, de façon à former l'équerre, signe de l'égalité; puis enfin du signe du soleil qui confirme tous les autres, et qui se fait en disant: Je compasse jusqu'au soleil (p. 217, 218). 

Note de l'auteur : Dans l'édition d’Édimbourg, en 1782, cinq ans après celle que nous avons entre les mains, et beaucoup moins énigmatique, le nombre quaternaire c'est le soleil, le nombre 9 ou zéro, c'est la lune et par conséquent la terre dont elle est le satellite, p. 114, et 115, et l'adepte en conclut que l'homme avant le temps, de toute éternité, à l'état de feu pur ou d'esprit, était dans le soleil, qu'il s'en est échappé par le rayon, et qu'arrivé à la terre, en passant par la lune, il reviendra un jour à son centre, le feu. Quelle lumière satanique, quelle démonstration de l'enfer ! Barruel. Mémoires sur le Jacobinisme, tome II, p. 248, 249,

Extrait, p.204-205

Et puis au milieu de tous ces points ou principes producteurs ou produits, dieux multipliés et se multipliant à l'infini, que devient le mauvais principe, sinon une absurdité de plus, et qui met le comble à cet infiniment absurde?
« Le principe mauvais, dit le fondateur Saint-Martin, était bon avant d'enfanter l'acte qui l'a rendu mauvais; il était provenu du bon principe ou principe supérieur, et il était bon parce que l'être qui l'avait produit était la bonté, l'excellence même; mais il avait la faculté de faire ou de ne pas faire ce qui lui était imposé par son origine, tandis que le principe supérieur, portant en lui-même sa propre loi, est dans la nécessité de rester dans le bien qui le constitue, sans pouvoir jamais tendre à une autre fin. (Et pourtant ! Ce Dieu ou le bon principe, quoique tenant de soi toute sa puissance, ne pouvait former ni ce monde ni aucun être corporel sans les moyens du Dieu méchant. » Et en cela le philosophe inconnu est d'accord avec maître Ragon et maître Clavel, lorsqu'ils disent que les deux principes du bien et du mal, de la vie et de la mort, de la lumière et des ténèbres, entretiennent l'équilibre du monde.

« On voit, au contraire, tous les jours, par ses œuvres, que l'auteur du mal est comme enchaîné à sa volonté criminelle, en sorte qu'il ne produit pas un seul acte qui n'ait pour but de perpétuer la confusion et le désordre. Abîmé dans ses propres termes, il n'est susceptible d'aucune lumière et d'aucun retour au bon principe. Sa volonté et toutes ses facultés sont tout à fait impures et corrompues ; il n'a par lui-même aucune correspondance avec le bien ; il n'est en son pouvoir ni de le connaître, ni de le:sentir; la faculté et la liberté d'y revenir sont toujours sans effet pour lui; c'est ce qui rend si horrible la privation à laquelle il se trouve condamné (Histoire pittoresque de la Maçonnerie, p.75, et Erreurs et Vérités, p.28, 30, 31).

Or, comment le mauvais principe, non pas créé, mais provenu du bon, de l'unité, terme générateur, universel, propriété productrice, innée dans tout être simple, et opérant sa réintégration dans le principe, hors duquel tout le reste n'est qu'apparent, ou zéro en réalité, comment ce mauvais principe, [page 205] même essence que le bon, comme il a été dit plus haut, feu en un mot, peut-il avoir ainsi changé de nature, d'essence, de manière à devenir essentiellement et fatalement mauvais, et à ne produire que des actes dont le but n'est que la confusion et le désordre ? Peut-on imaginer plus de contradictions réunies en une seule, et de plus palpables ? Ou la racine innée en lui, et qui le fait ce qu'il est, est la racine, l'unité, cause première et universelle de tout, le feu, comme l'affirme partout le philosophe inconnu, ou elle ne l'est pas. Si c'est la même, essentiellement bonne, ne pouvant devenir mauvaise, comment l'est-elle devenue ? Et il faut en dire autant de l'esprit devenu homme, qui s'est égaré avant d'être exilé dans le corps, en passant de quatre à neuf, ou du centre à la circonférence; sinon, tous les êtres simples, produits par le un, cause universelle, n'ont pas la même racine innée en eux ; ils n'en sont donc en aucune façon une puissance quelconque ; et alors tout le système s'écroule : des deux côtés ineffable contradiction! Faut-il s'étonner que Voltaire, tout bon maçon qu'il fût, écrivît à d'Alembert, 22 octobre 1776, en parlant du livre de St-Martin ? : « Jamais on n'imprima rien de plus absurde, de plus obscur, de plus fou et de plus sot. » Ce qui convient également au système philosophique de M. Cousin et de l'enseignement universitaire.


Principes moraux de la Franc-maçonnerie anéantissant toute morale en générale. Extrait, p.315

« Le philosophe inconnu Saint-Martin, au désolant tableau des sociétés modernes, opposait l'image de l'ancien bonheur perdu, raconte L. Blanc, en analysant dans son histoire de la Révolution le livre Erreurs et vérités. Par les sentiers de l'allégorie, il conduisait son lecteur au sein du royaume mystérieux que, dans leur état primitif, les hommes avaient habité. Là, nulle distinction... tous étaient égaux..... et le mot de la grande énigme qu'il posait devant là nation française, c'était : Liberté, Égalité, Fraternité, formule que, dans son style symbolique, il appelait le ternaire sacré (la base par conséquent de toute la morale martiniste), et dont il ne parlait que sur le ton d'un enthousiasme solennel (L. Blanc, Hist. de la Révolution, t. II, ch. 3.). »

Autres principes des Sociétés secrètes anéantissant toute morale en général... Extrait, p.329-330

Extrait, p.329-330

« Il est certain, dit le grand illuminateur de la Franc-maçonnerie française, qu'en considérant les révolutions et les contrariétés qu'éprouvent tous les êtres de la nature, les hommes ont dû avouer qu'elle était sujette aux influences du bien et du mal, ce qui les amenait nécessairement à reconnaître l'existence de deux principes opposés; rien de plus sage, en effet, que cette observation, [page 329] et rien de plus juste que la conséquence qu'ils en ont tirée. » (Saint-Martin, Erreurs et vérités. p.5). 

« Or, l'un et l'autre de ces deux principes sont immuables par leur nature même ; le bon principe, le principe supérieur, dit encore le philosophe inconnu, fondateur du martinisme et réformateur de tous les autres rites, portant en lui-même sa propre loi, est dans la nécessité de rester dans le bien qui le constitue, sans pouvoir jamais tendre à une autre fin. On voit au contraire tous les jours, par ses œuvres, que l'auteur du mal (mauvais principe), est comme enchaîné à sa volonté criminelle, en sorte qu'il ne produit pas un seul acte qui n'ait pour but de perpétuer la confusion et le désordre. Abimé dans ses propres ténèbres, il n'est susceptible d'aucune lumière... Sa volonté et toutes ses facultés sont tout à fait impures et corrompues). » (Ibid. p.17. 28, 30, 31).

Enseignements de leurs interprètes les plus autorisés et de leurs éminents philosophes, détruisant toute morale... Extrait, p.351

Donc, tout ce que nous appelons mœurs, bonnes mœurs, moralité, est laissé, dans la morale maçonnique, à l'arbitraire de chacun, et les plus monstrueuses immoralités ne sont elles-mêmes qu'une question de méthode.

« Au feu, au feu tout cela, disaient également les martinistes parlant des plaisirs des sens ; donnez au feu tout ce qu'il vous demande, tout cela n'affecte pas l'âme » et le philosophe inconnu, Saint-Martin, ce réformateur de la Maçonnerie de tous les rites, n'a-t-il pas écrit lui-même dans l'Homme de désir, n° 235 : « En vain l'ennemi me poursuit par ses illusions ; il ne faut pas qu'ici-bas la matière ait mémoire de moi. Les délices de la matière, est-ce l'homme qui les goute ? Lorsque ses sens ont de la peine ou du plaisir, ne lui est-il pas aisé de voir que ce n'est pas lui qui prouve cette peine et ce plaisir ? (Mémoires pour servir à l'Histoire du Jacobinisme. tom. I, p. 103 ). »

Morale dans les rapports particuliers des hommes entre eux. Extrait, p.361-362

L'historien maçon [Louis Blanc] en dit autant du fondateur des loges égyptiennes ou de Cagliostro, et nous avons déjà, dans le chapitre précédent, rapporté son jugement en cette matière. Les aveux de ce genre, sur les loges martinistes, quoiqu'un peu voilés, n'en sont pas moins concluants. [page 362]

« Ce fut vers cette époque, dit-il, (quelques années avant 1789), que s'accrédita le Martinisme, doctrine au fond de laquelle la révolution grondait sourdement, mystérieuse exposition d'une théorie qui allait mettre à l'essai le plus formidable des triumvirats : (l'égalité, la liberté, la fraternité). Saint-Martin, le fondateur de cette secte maçonnique, en avait déposé l'esprit et le but dans un livre qui avait pour titre : Des Erreurs et de la Vérité, par un philosophe inconnu. « Le petit nombre des hommes dépositaires des vérités que j'annonce, disait-il en commençant, est voué à la prudence et à la discrétion par des engagements formels. Aussi me suis-je promis d'user de beaucoup de réserve dans cet écrit et de m'y envelopper d'un voile que les yeux les moins ordinaires ne pourront percer, d'autant que j'y parle quelquefois de toute autre chose que ce dont je parais traiter. [Des Erreurs, Introduction, p.IV-V]

Pourquoi ces détours (ces mensonges) et cette nécessité de la prudence (ou de l'hypocrisie) ? Que signifiaient ces engagements formels ? Quels étaient ces conjurés qui se groupaient, invisibles, autour d'un livre ? Jamais ouvrage plus émouvant et plus singulier n'avait paru. Semblable à ces tableaux qui présentent des oppositions bien tranchées de lumière et d'ombre, tout n'y était que vives lueurs ou ténèbres, contradictions apparentes et étudiées. Au nom d'un spiritualisme pieux, le philosophe inconnu s'élevait contre la folie des cultes humains. Il s'humiliait auprès des souverains, et il ébranlait leurs trônes. Le croyait-on perdu dans la région des fantômes, il reparaissait tout à coup au milieu des vivants, et alors il se mettait à creuser la misère sociale jusqu'à d'effrayantes profondeurs ; il ouvrait la terre jusqu'aux abîmes (L. Blanc, Histoire de la Révolution, tom. II, chap.3). »

Tout ici n'est donc encore que dissimulation et hypocrisie !

Leur morale dans ses rapports avec ces Sociétés elles-mêmes ou les serments. Extraits, p.416

Quelle hypocrite scélératesse dans tous ces serments, et cependant celui du dernier grade de l'Illuminisme français, ou de la Franc-maçonnerie de Saint-Martin, est plus exécrable encore. Le voici tel que le rapportent avec ses principales circonstances des écrivains dignes de foi, tel qu'il était prêté au commencement de la Révolution française dans la loge d'Erménonville, près du tombeau de J.-J. Rousseau, loge qui avait pour chefs et Saint-Martin lui-même et Saint-Germain, deux des députés des loges françaises, au grand Congrès maçonnique tenu à Paris vers ce temps-là.


Les sociétés secrètes destructrices de toute autorité - Témoignages. Extrait, p.450-453

[...] Parmi tous ces discours il y en avait un que le frère Robinet [Jean-Baptiste-René Robinet (1735-1820)] avait prononcé dans la loge des chevaliers bienfaisants de la sainte cité à Lyon, lorsque le grand-maître de l'ordre, le duc de Chartres, depuis duc d'Orléans et enfin Égalité, vint la visiter, dans lequel on retrouvait le germe et la substance de son célèbre ouvrage, La Nature on l'homme moral et physique, et je puis ajouter le Système de la nature de Diderot (tout ce qu'il y a de plus impie !). On en trouve un que le frère Condorcet prononça dans la loge des philalèthes à Strasbourg, où nous voyons le plan de son ouvrage posthume, les progrès de l'esprit humain (où il fait descendre les francs-maçons des Gnostiques, des Manichéens, des Albigeois et des Patares, des Templiers etc., tous communistes complets), et un autre de Mirabeau, dans la loge des chevaliers bienfaisants, à Paris, qui est rempli des principes de nivellement et de cosmopolisme...Mais les productions les plus remarquables que nous ayons dans ce genre sont les Archives mystico-hermétiques et le livre Des erreurs et de la vérité. Le premier est une relation historique et dogmatique du système de la loge des chevaliers bienfaisants à Lyon (centre et tête du Martinisme). Elle était la plus zélée de toutes les loges cosmopolites de France. Elle travailla pendant longtemps sous la protection particulière du grand-maître le duc de Chartres, ensuite duc d'Orléans, enfin Philippe-Égalité. Il se forma dans plusieurs villes de France des loges qui s'y affilièrent. Celles de Paris, Strasbourg, Lille et Toulouse, ajoutèrent à ce titre celui de philalèthes (on se rappelle que c'est dans celle de Paris que se consomma la fusion de l'Illuminisme bavarois et français et de la Franc-maçonnerie, commencée au convent de Wilhemsbade [sic]). Elles prirent ensuite le nom d'amis réunis de la vérité. Une de celles formées à Paris sous cette dénomination devint très célèbre. La mère-loge, qui était à Lyon, étendit ses correspondances en Allemagne et dans tous les autres pays étrangers, et y envoya des règlements et des systèmes d’APRÈS LESQUELS TOUTES LES LOGES DIRIGEAIENT LEURS OPÉRATIONS. [...]

[page 451] L'autre ouvrage : Des erreurs et de la vérité, est dans les mêmes principes, et peut être considéré comme l'Écriture Sainte, ou au moins le Talmud des maçons français. »
Nous avons fait connaître dans les premiers.chapitres la partie religieuse et la morale de ce livre ; bientôt nous en donnerons la partie politique.
« La même matière (l’âme du monde, feu ou dieu Pan) a été traitée d'une manière beaucoup plus détaillée dans un autre ouvrage : Tableau des rapports entre l'homme, Dieu et l'univers, qui est sans contredit de la même main, dit encore Robison. On se convaincra aisément que l'auteur n'a rien pu écrire de clair sur des choses de cette nature, et que toutes ses démonstrations ne peuvent être que des sophismes... Il y débite une morale outrée, comme dans son autre livre, et s'abandonne aux mêmes lamentations sur l'état déplorable auquel le genre humain est réduit par l'oppression des grands et des gens puissants, qui se sont ligués pour détruire la félicité de leurs semblables, en entravant tellement leurs esprits qu'ils sont volontairement devenus leurs esclaves. Pour parvenir à leur but, dit encore cet auteur, ils eurent besoin du secours de la superstition, et les princes enrôlèrent une foule de prêtres qui, abusant de la confiance qu'ils inspiraient, remplirent tous les esprits de terreurs religieuses. L'autel devint le plus ferme soutien du trône, et les hommes furent enchainés. L'étude de la raison peut seule les soustraire à cet état abject. Qu'ils dissipent donc leurs craintes, ils connaitront leurs droits et les moyens de les recouvrer.

« Il est particulièrement à remarquer que ce système, si l'on peut appeler ainsi une masse d'assertions aussi contradictoires, a beaucoup de ressemblance avec un ouvrage de Toland, (célèbre athée anglais), publié en 1720 sous le titre de Pantheisticon seu celebratio sodalilii socratici, qui rend compte des principes d'une confrérie qu'il nomme socratica, et dont les frères sont appelés pantheistæ. Il donne aussi des détails sur la doctrine qu'ils observent dans leur loge, sur [page 453] les cérémonies pour ouvrir et fermer la loge, pour l'admission des frères à tous les différents grades, etc. La raison est le soleil qui illumine cette secte, et la liberté et l'égalité sont les objets de leur culte.

« Ce livre fut très estimé en Allemagne ; il y fut traduit, commenté... Mirabeau se donna beaucoup de soin pour le faire adopter : ainsi nous devons considérer cet ouvrage comme un des trésors des opinions cosmopolitiques des chevaliers bienfaisants, des philalèthes et des amis réunis, qui furent appelées les loges perfectionnées, travaillant sous le duc de Chartres, Philippe-Egalité. Ces loges étaient au nombre de 266 en 1781( France), et ce qu'il est très important de remarquer, c'est que celle de Lyon avait envoyé un député (même plusieurs) à la grande convention de Wilhemsbade tenue en Allemagne en 1772, et qu'il s'y traita des affaires d'une si grande conséquence qu'il y resta deux ans. 

« Le livre Des erreurs et de la vérité doit donc être considéré comme un ouvrage classique dans ces opinions; nous savons qu'il fut l'ouvrage de la loge des chevaliers bienfaisants de Lyon. NOUS SAVONS QUE CETTE LOGE A TOUJOURS ÉTÉ A LA TÊTE DE LA FRANC-MAÇONNERIE FRANÇAISE, que c'est dans son sein que s'est formé l'Ordre des chevaliers Templiers maçonniques, et qu'elle a toujours été considérée comme le modèle de cette chevalerie hypocrite. Nous avons dans le nombre des orateurs et des grands officiers beaucoup de personnes qui ont enfin eu les occasions de proclamer leurs sentiments en public. L'abbé Sieyès était de la loge des philalèthes de Paris, et de celle de Lyon. Lequinio, auteur du plus infâme livre qui ait jamais souillé la presse, les Préjuges vaincus par la raison, était surveillant dans la loge du contrat social. Despréménil, Bailly, Fauchet furent du même système, quoique dans des loges différentes ; on les appelait Martinistes, du nom de leur chef Saint-Martin...

[Ces citations proviennent de John Robison (1739-1805) - Proofs of a Conspiracy against all the Religions and Governments of Europe, carried on in the Secret Meetings of Free-Masons, Illuminati and Reading Societies, etc. - Preuves de conspiration contre les religions et tous les gouvernements de l'Europe, ourdis dans les assemblées secrètes des illuminés et des francs-maçons, 1798, p.41 et suiv.] 

Extrait, p.455

« Il parut, continue le ministre, grand directeur, un écrit portant pour titre ERREURS ET VÉRITÉS. Cet ouvrage fit grande sensation et produisit sur moi la plus vive impression. Je crus d'abord y trouver ce qui, d'après ma première opinion, était caché sous les emblèmes de l'ordre; mais à mesure que je pénétrai plus avant dans cet antre ténébreux, plus profonde devint ma conviction que quelque chose de tout autre nature devait se trouver dans l'arrière-fond. La lumière devint plus frappante lorsque j'appris que Saint-Martin, auteur de cette publication, devait être et était réellement l'un des coryphées du chapitre de Sion (loge supérieure directrice). Là se rattachaient tous les fils qui devaient se développer plus tard, pour préparer et tisser le manteau des mystères religieux dont on s'affublait pour donner le change au profane.

J'acquis alors la ferme conviction que le drame commencé en 1788 et 1789, LA RÉVOLUTION FRANÇAISE, LE RÉGICIDE AVEC TOUTES SES HORREURS, non-seulement y avaient été résolus alors, mais encore étaient le résultat des associations et des serments etc... Que ceux qui connaissent mon cœur et mon intelligence jugent de l'impression que ces découvertes produisirent sur moi !

[ici, l'auteur, N. Deschamps, cite le mémoire du comte de Haugwitz, Dorow's Denkschriften und Briefen zur Charakteristik der Welt und Literatur. Berlin 1840, t.IV, p.211-221. La traduction française se trouve dans l'ouvrage La franc-maçonnerie et la révolution, par François-Xavier Gautrelet, p.499 et suiv.,]

Rites adonhiramite, écossais, allemand ou templier français et égyptien... Extrait, p. 464

Le franc-maçon a figuré, au grade d'apprenti, l'homme de la nature à sa première apparition, l'an 0,000,000, seule date raisonnable, dit Ragon, soit qu'il sortît de terre à la manière des champignons, comme le suppose la Maçonnerie en chœur, avec le spiritisme, petit-fils de Saint-Martin, soit qu'il se transformât de poisson, de grenouille ou de singe on homme, par l'effet d'une suite d'évolutions, comme le veulent les grands-pères de la génération spontanée, et le grand ministre de l'enseignement d'État en France, M. Duruy.


Les sociétés secrètes, destructrices de toute autorité civile et politique (suite). IV. L'Illuminisme, le Martinisme, le Saint-Simonisme et l'Internationale. Extrait p.502-513

[Ce passage est la reproduction du livre Des Erreurs et de la Vérité, (1775], 5. « Incertitude des philosophes, » puis « De l'association volontaire, etc.»  p.264 et suivantes.]

Saint-Martin, dans son fameux livre des Erreurs et de la [page 503] Vérité développe plus froidement et par des raisons, qui, dans le système d'athéisme des sociétés secrètes, ont une force invincible, les mêmes principes, et la nécessité d'une destruction radicale de tous les gouvernements,

« Le plus grand embarras, dit-il, qu'aient éprouvé les politiques qui ont le mieux cherché à suivre la marché de la nature a été de concilier toutes les institutions sociales avec les principes de justice et d'égalité qu'ils aperçoivent en eux. Dès qu'on leur a fait voir que l'homme était libre, ils l'ont cru fait pour l'indépendance; et dès lors ils ont jugé que tout assujettissement était contraire à sa véritable essence. Ainsi, dans le vrai, selon eux, tout gouvernement serait un vice et l'homme ne devrait avoir d'autre chef que lui-même. »

« Cependant ce vice prétendu de la dépendance de l'homme et de l'autorité qui l'assujettit subsistant généralement sous leurs yeux, ils n'ont pu résister à la curiosité de lui chercher une origine et une cause... ils ont prétendu que l'adresse et la force avaient mis l'autorité dans les mains de ceux qui commandaient aux hommes, et que la puissance souveraine n'était fondée que sur la faiblesse de ceux qui s'étaient laissé subjuguer. De là, ce droit invalide n'ayant aucune consistance est, comme on le voit, sujet à vaciller et à tomber successivement dans toutes les mains qui auront la force et les talents nécessaires pour s'en emparer. »

« D'autres se sont plu à détailler les moyens violents ou adroits qui, selon eux, ont présidé à la naissance des États, et, en cela, ils n'ont fait que présenter le même système plus étendu. [...]

« Quelques-uns ont cru remédier à cette injustice en établissant toute société sur le commun accord et la volonté unanime des individus qui la composent, et qui, ne pouvant, chacun en particulier, supporter les suites dangereuses de la liberté et de l'indépendance naturelle de leurs semblables, se sont vus forcés de remettre entre les mains d'un seul ou d'un petit nombre les droits de leur état de nature, et de s'engager à concourir eux-mêmes, par la réunion de leurs forces, à maintenir l'autorité de ceux qu'ils avaient choisis pour chefs,

« Alors, cette cession étant volontaire, il n'y a plus d'injustices, disaient-ils, dans l'autorité qui en émane. Fixant [page 504]  ensuite, par le même acte d'association, les pouvoirs du souverain ainsi que les privilèges des sujets, voilà les corps politiques tout formés. Cette opinion est celle qui paraîtrait la plus judicieuse, et qui remplirait le mieux l'idée naturelle qu'on veut nous donner de la justice des gouvernements. »

« Dans l'association forcée, au contraire, on ne voit que l'image d'une atrocité révoltante, où les sujets sont autant de victimes et où le tyran rapporte à lui seul tous les avantages de la société, dont il s'est rendu maître. Je n’arrêterai donc pas ma vue plus longtemps sur cette espèce de gouvernement quoiqu'elle ne soit pas sans exemple ; mais, n'y voyant aucune trace de justice ni de raison, elle ne peut se concilier avec aucun des vrais principes de l'homme, autrement il faudrait dire qu'une bande de voleurs forme aussi un corps politique.

« Il ne suffit pas cependant qu'on nous ait présenté l'idée d'une association volontaire ; il ne suffit pas même qu'on puisse trouver dans la forme des gouvernements qui en seraient prévenus, plus de régularité que dans tous ceux que la violence a pu faire naître ; il faut encore examiner avec soin si cette association volontaire est possible et si cet édifice n'est pas tout aussi imaginaire que celui de l'association forcée. Il faut examiner de plus si, dans le cas où cette convention serait possible, l'homme a pu légitimement prendre sur lui de la former. »

« C'est d'après cet examen que les politiques pourront juger de la validité des droits qui ont fondé la société ; et, si nous les trouvons évidemment défectueux, on apercevra bientôt par où ils pêchent, quels sont ceux qu'il faut nécessairement leur substituer: »

« Il n'est pas nécessaire de réfléchir longtemps pour sentir combien l'association volontaire de tout un peuple est difficile à concevoir; pour que les vœux fussent unanimes, il faudrait que la manière d'envisager les motifs et les conditions du nouvel engagement le fût aussi ; c'est ce qui n'a jamais eu et n'aura jamais lieu. »

« Outre qu'il faudrait supprimer dans chacun des membres l'ambition d'être le chef ou d'appartenir au chef, il [page 505] faudrait encore le concours d'une infinité d'opinions, qui ne s'est jamais rencontré parmi les hommes... De plus longues observations seraient donc inutiles pour nous faire reconnaître qu'un état social, formé librement de la part de tous les individus, est absolument hors de toute vraisemblance; et pour avouer qu'il y en ait jamais eu de semblable. »

« Mais admettons-en la possibilité : supposons ce concours unanime de toutes les voix, et que la forme aussi bien que les lois, qui appartiendront au gouvernement dont il s'agit, aient été fixées d'un commun accord; il reste encore à demander si l'homme a le droit de prendre un pareil engagement, et s'il serait raisonnable de se reposer sur ceux qu'il aurait formés. »

« Après la connaissance que l'on a dû acquérir de l'homme par tout ce qu'on a vu à son sujet (sa liberté native tenant à son essence), il est aisé de pressentir qu'un pareil droit ne pût jamais lui être accordé, et que cet acte serait nul et superflu.... »

« Réfléchissant ensuite avec plus de soin sur sa conduite, ne reconnaîtrait-il pas que non seulement il s'est exposé à se tromper (en allant contre sa propre loi); mais même qu'il a attaqué directement tous les principes de la justice, en transférant à d'autres hommes des droits dont il ne peut pas légitimement disposer et qu'il sait résider essentiellement dans la main qui doit tout faire pour lui (du bon principe).

« L'association volontaire n'est donc pas réellement plus juste ni plus sensée qu'elle n'est pratiquable [sic] ; puisque, par cet acte, il faudrait que l'homme attachât à un autre homme un droit, dont lui-même n'a pas la propriété, celui de disposer de soi ; et puisque, s'il transfère un droit qu'il n'a pas, il fait une convention absolument nulle, et que ni les chefs, ni les sujets ne peuvent faire valoir, attendu qu'elle n'a pu lier ni les uns ni les autres. ».

« Ainsi, reprenant tout ce que nous venons de dire, si l'association forcée est évidemment une atrocité, si l'association volontaire est impossible et en même temps opposée à la justice et à la raison, où trouverons-nous donc les vrais principes des gouvernements ? »

« Si, par son origine première, l'homme était destiné à être [page 506] chef et à commander, ainsi que nous l'avons clairement établi, quelle idée devons-nous nous former de son empire dans ce premier état, et sur quels êtres appliquerons-nous son autorité ? Sera-ce sur ses égaux ? Mais, dans tout ce qui existe et dans tout ce que nous pouvons concevoir, rien ne nous donne l'exemple d'une pareille loi. Tout nous dit au contraire qu'il ne saurait y avoir d'autorité que sur des êtres inférieurs, et que ce mot d'autorité porte nécessairement avec lui-même l'idée de la supériorité. »

La religion catholique est donc profondément philosophique et sociale en faisant descendre de Dieu seul toute autorité et toute supériorité et en la subordonnant elle-même aux lois de Dieu, et il est vraiment révélé par celui qui a fait l'homme pour la société le mot de Saint-Paul : non est potestas nisi a Deo, il n'y a point de légitime puissance qui ne vienne de Dieu.

« Si l'homme, continue le philosophe inconnu, fut resté dans son premier état, il est donc certain que jamais il n'aurait régné sur des hommes, et que la société politique n'aurait jamais existé pour lui. (En admettant Dieu toujours maître de déléguer son autorité à l'homme sur d'autres hommes ou à un esprit sur d'autres esprits, cette doctrine est encore évidemment fausse ; aussi implique-t-elle, comme nous l'avons démontré, le panthéisme et l'athéisme). »

« Lorsque l'homme se trouva déchu de cette splendeur et qu'il fut condamné à la malheureuse condition où il est réduit à présent, ses premiers droits ne furent point abolis ; (nous verrons bientôt la contradiction) ils ne furent que suspendus et il lui est toujours resté le pouvoir de travailler et de parvenir par ses efforts (que nous avons démontrés impossibles ou radicalement impuissants dans les théories de l'auteur) à les remettre dans leur première valeur. »

« Il pourrait donc, même aujourd'hui, gouverner comme dans son origine, et cela sans avoir ses semblables pour sujets... Mais quelles preuves aura-t-on de cette réhabilitation ? Je renvoie pour cet article à ce que j'ai dit précédemment sur les témoignages d'une religion vraie. La même réponse peut servir à l'objection précédente, parce que l'institution sacrée et l'institution politique ne devraient avoir que le même but, [page507] le même guide et la même loi ; aussi devraient-elles toujours être dans la même main, et, lorsqu'elles se sont séparées, elles ont perdu de vue, l'une et l'autre, leur véritable esprit. »

Et cependant toutes les sociétés secrètes sont conjurées contre Rome et la papauté, où les deux institutions sont; unies !
Le chef martiniste se demande ensuite : « Si, en admettant la possibilité d'un gouvernement tel que celui que je viens de représenter, on peut en trouver des exemples sur la terre. »

« Je ne serais pas cru, sans doute, répond-il, si je voulais persuader que tous les gouvernements établis sont conformes au modèle qu'on vient de voir, parce qu'en effet le plus grand nombre en est très éloigné. Mais je prie mes semblables d'être bien convaincus que les vrais souverains, ainsi que les légitimes gouvernements, ne sont pas des êtres imaginaires, qu'il y en a eu de tout temps, qu'il y en a actuellement, qu'il y en aura toujours, parce que cela tient au grand œuvre qui n'est autre chose que la pierre philosophale. (Quelle contradiction avec tout ce qui précède) ! »
« Mais, si chaque homme parvient au terme de sa réhabilitation, quels seront les chefs ? Tous les hommes ne seront-ils pas égaux, ne seront-ils pas tous des rois ? »
« Et de même que les rois de la terre ne reconnaissent pas les autres rois pour leurs maîtres; de même, dans le cas dont il s'agit, și tous les hommes étaient pleinement réhabilités dans leurs droits, les maîtres et les sujets des hommes ne pourraient pas se trouver parmi des hommes, et ils seraient tous souverains dans leur empire.

Il y a plus : le corps leur ayant été donné par châtiment de leur première faute, ce corps disparaîtrait avec toute société temporelle ; et leur état primitif, le droit de leur essence, qui n'a pu être aboli, étant l'entière liberté, l'indépendance absolue, il ne resterait, en dernière conséquence, que l'illégitimité et l'injustice de tout gouvernement.

« Mais je le répète, ce n'est pas dans l'état actuel des choses que les hommes parviendront tous à ce degré de grandeur et de perfection qui les rendrait indépendants les uns des autres ; ainsi, depuis que cet état de réprobation subsiste, [page 508] s'ils ont toujours eu des chefs pris parmi eux, il faut s'attendre qu'ils en auront toujours, et cela est même indispensable, jusqu'à ce que ce temps de punition soit entièrement accompli. »

Ainsi les rois et les gouvernements sont un châtiment nécessaire, et cependant ils sont toujours illégitimes et injustes, et, la plupart, l'effet d'une exécrable atrocité.

« C'est donc avec confiance que j'établis sur la réhabilitation d'un homme dans son principe l'origine de son autorité sur ses semblables, celle de sa puissance et de tous les titres de la souveraineté politique.

Et plus haut, il a expressément soustrait de cette autorité les semblables ou autres hommes, et cela en vertu des droits de leur nature, de leur essence qui n'ont pu être abolis. Mais si la réhabilitation n'existe pas ?

« Si le vice était à la fois dans le chef, dans l'administration et dans le sujet (ce qui a lieu nécessairement si l'homme n'a pas reconquis sa loi première) alors il ne faudrait pas me demander ce qu'il y aurait à faire ; car ce ne serait plus un gouvernement, ce serait un brigandage; or pour le brigandage IL N'Y A PAS DE LOIS (Erreurs et Vérité, par un philosophe inconnu. Édimbourg, 1775, p.261-298). »

On comprend, par ces quelques mots seuls, le jugement du Baron Haugwitz sur ce livre de Saint-Martin : « J'acquis alors ( par sa lecture) la ferme conviction que le drame commencé en 1788 et 1789, la Révolution française avec toutes ses horreurs, non-seulement y avaient été résolus alors, mais encore étaient le résultat des associations et des serments (Voyez plus haut, p.12). »

« Ce qui doit faire présumer, continue le livre Erreurs et Vérité, que la plupart des gouvernements n'ont point eu pour base le principe que j'ai établi ci-devant, savoir la réhabilitation des souverains dans leur lumière primitive, c'est que presque tous les corps politiques qui ont existé sur la terre ont passé. Cette simple observation ne nous permet guère d'être persuadés qu'ils eussent un fondement réel et que la loi qui les avait constitués fût la véritable ; car cette loi dont je parle ayant, par sa nature, une force vivante et [page 509] invincible, tout ce qu'elle aurait lié devrait être indissoluble

Il donne encore dans les pages suivantes d'autres marques de l'illégitimité des gouvernements, et il les résume ainsi : « Nous observerons donc ici trois vices essentiels, savoir : l'instabilité, la disparité et la haine qui se montrent clairement parmi les gouvernements reçus, considérés en eux-mêmes et dans leurs rapports respectifs (Erreurs et Vérité, p.301 et 312).

« Lors donc, a dit encore le livre de Saint-Martin, Talmud des Francs-maçons, comme l'appelle l'anglais Robison, que les hommes se sont habitués à regarder les gouvernements comme passagers et sujets aux vicissitudes, c'est qu'ils les ont mis au rang de toutes les institutions humaines qui, n'ayant que leurs caprices et leur imagination déréglée pour appui, peuvent vaciller dans leurs mains et être anéantis par un autre caprice. Néanmoins, et par une contradiction intolérable, ils ont exigé notre respect pour ces sortes d'établissements dont eux-mêmes reconnaissent la caducité. »

La doctrine est claire: tous les gouvernements existants ou qui ont existé ont été ou sont de grandes injustices, de vrais brigandages et par conséquent, quelque palliatif qu'on emploie ensuite pour voiler cette conséquence, hors de toutes les lois, chacun peut et doit courir sus. Cependant il faut des gouvernements même à la Révolution pour s'établir, s'étendre et régner, et Saint-Martin, dont les loges les préparent, va en tracer les caractères et les pouvoirs. Revenons un peu en arrière.

« Or, dans l'état d'expiation que l'homme subit aujourd'hui, non seulement il est à portée de recouvrer les anciens pouvoirs dont tous les hommes auraient joui, sans que leurs sujets fussent pris parmi leur espèce, mais il peut acquérir encore un autre droit, dont il n'avait pas la connaissance dans son premier état, c'est celui d'exercer une véritable autorité sur d'autres hommes, et voici d'où ce pouvoir est provenu (qu'on n'oublie pas que plus haut il a formellement exclu ce droit et affirmé en termes exprès que l'indépendance humaine tenait à l'essence de l'homme, et que le droit n'avait pu en être aboli, même par la chute). [page 510]
« Dans cet état de réprobation, où l'homme est condamné à ramper et où il n'aperçoit que le voile et l'ombre de la vraie lumière, il conserve plus ou moins le souvenir de sa gloire ; il nourrit plus ou moins le désir d'y remonter ; le tout en raison de l'usage libre de ses facultés, en raison des travaux qui lui sont préparés par la justice et de l'emploi qu'il doit avoir dans l'œuvre.
« Les uns se laissent subjuguer et succombent aux écueils semés sans nombre dans ce cloaque élémentaire ; les autres ont le courage et le bonheur de les éviter (nous en avons démontré dans notre premier chapitre l'impossibilité dans les principes de l'auteur).

« On doit donc dire que celui qui s'en préservera le mieux aura le moins laissé défigurer l'idée de son principe et se sera le moins éloigné de son premier état. Or, si les autres hommes n'ont pas fait les mêmes efforts, qu'ils n'aient pas les mêmes succès ni les mêmes dons, il est clair que celui, qui aura tous ces avantages sur eux, doit leur être supérieur et les gouverner. (Il est clair au contraire, par les principes posés plus haut par l'auteur, que tous ces avantages ne peuvent donner un tel droit et dépouiller les autres hommes du droit inhérent à leur essence qui est l'indépendance absolue des autres hommes, leurs égaux par nature, et dont leur déchéance même n'a pu les priver). »

« 1° Il leur sera supérieur par le fait même, parce qu'il y aura entre eux et lui une différence réelle, fondée sur des facultés et des pouvoirs dont la valeur sera évidente ; il le sera encore par nécessité, parce que les autres hommes, s'étant moins exercés et n'ayant pas recueilli les mêmes fruits, auront vraiment besoin de lui, comme étant dans l'indigence et dans l'obscurcissement de leurs propres facultés.

« S'il est un homme en qui cet obscurcissement aille jusqu'à la dépravation, celui qui se sera préservé de l'un et de l'autre devient son maître, non seulement par le fait et par nécessité, mais encore par devoir. IL DOIT s'emparer de lui et ne lui laisser aucune liberté dans ses actions, tant pour satisfaire aux lois de son principe, que pour la sûreté et l'exemple de la société ; IL DOIT enfin exercer sur lui TOUS LES DROITS DE L’ESCLAVAGE ET DE LA SERVITUDE, droits aussi justes et aussi [page 511] réels dans ce cas-ci qu'inexplicables et nuls dans toute autre circonstance. » Ainsi ce qui, plus haut, était injuste, atroce, un véritable brigandage devient, maçonniquement et martiniquement [sic] opéré, le plus juste, le plus nécessaire et le plus légitime des devoirs.
« Voici donc quelle est la véritable origine de l'empire temporel de l'homme sur ses semblables, comme les liens de sa nature corporelle ont été l'origine de la première société. »

Mais à quels signes reconnaitra-t-on l'homme réhabilité, à qui cette réhabilitation donne droit à l'empire, et le droit même de réduire en esclavage ceux qu'il jugera les plus éloignés de cette réhabilitation ?

« L'homme, répond le Talmud maçonnique, l'homme, dont nous offrons ici l'idée, ne peut être tel sans avoir en lui tous les moyens de se conduire avec certitude et sans que ses recherches lui rendent des résultats évidents.
« En effet, la lumière qui éclairait l'homme dans son premier état étant une source inépuisable de facultés et de vertus, plus il peut s'en rapprocher, plus il doit étendre son empire sur les hommes qui s'en éloignent, et aussi plus il doit connaître ce qui peut maintenir l'ordre parmi eux, et assurer la solidité de l'État.
« Par le secours de cette lumière, il doit pouvoir embrasser et soigner avec succès toutes les parties du gouvernement, connaitre évidemment les vrais principes des lois et de la justice, les règles de la discipline militaire, les droits des particuliers et les siens (quels droits des particuliers qui n'en ont pas d'autres que ceux de l'esclavage et de la servitude ! droits à la bastonnade et à la torture, à l'expulsion, à la confiscation et à la mort !), ainsi que cette multitude de ressorts qui sont les mobiles de l'administration.
« Il doit même pouvoir porter ses vues et étendre son autorité jusque sur ces parties de l'administration qui n'en font pas aujourd'hui l'objet principal dans la plupart des gouvernements, mais qui, dans celui dont nous parlons, en doivent être le plus ferme lien, savoir la religion et la guérison des maladies. Enfin il n'est pas jusqu'aux arts, soit d'agrément, soit l'utilité, dont il ne puisse diriger la marche et indiquer le [page 512] véritable goût. Car le flambeau, qu'il est assez heureux d'avoir à la main, répandant une lumière universelle, doit l'éclairer sur tous ces objets et lui en laisser voir la liaison. »

Ainsi l'homme ou les hommes en qui seuls le Martinisme ou les sociétés secrètes, qu'il a toutes pénétrées de son esprit, reconnaissent la souveraineté légitime, souveraineté qui donne le droit de gouverner et de décréter la religion et la conscience elle-même et de traiter en esclaves les autres hommes, est ou sont seuls juges des qualités qui leur donnent droit à cette souveraineté, ayant seuls la lumière primitive qui peut en juger et qui les élève ainsi au-dessus de leurs semblables, en les replaçant dans l'état d'origine ou les en rapprochant le plus ; seuls, ils sont maîtres absolus, et sans autre règle que leur propre lumière, des consciences et des propriétés, des arts et des sciences, des âmes et des corps des autres hommes et du genre humain tout entier, et la conscience historique prononce les noms contemporains en qui les sociétés secrètes ont reconnu ces traits et autour desquels elles se sont inclinées d'elles-mêmes.
En dehors du gouvernement d'un tel homme ou de tels hommes, tous les autres gouvernements sont sans droits, illégitimes, injustes, atroces, et, à mesure qu'ils s'en éloignent, de véritables brigandages en dehors de toutes les lois.
Vit-on jamais, sous le christianisme, peut-on même concevoir en dehors une centralisation aussi absolue, un despotisme dictatorial, qui aille au delà, un fanatisme qui lui soit comparable ! On comprend maintenant la nécessité où nous avons été d'exposer si longuement et avec les propres textes de l'auteur cette épouvantable doctrine que les sociétés secrètes et la Révolution écrivent depuis un siècle en lettres de sang et de boue sur la France, sur l'Espagne et sur l'Italie, sur l'Europe et sur l'Amérique, et qu'elles proclament la seule voie légitime pour nous ramener, ineffable progrès ! à l'âge d'or, à l'état primitif, que nous avons perdu, à l'état de nature et de parfaite égalité.

Louis Blanc, après avoir analysé le livre : Erreurs et Vérité, et y avoir, signalé avec éloge tout ce que nous venons d'y faire lire avec effroi, et la dictature elle-même, le résume [page 513] ainsi : « Au fameux cri de Luther : tous les chrétiens sont prêtres, Saint-Martin, à trois siècles de distance, répondait, par ce cri sublime : TOUS LES HOMMES SONT ROIS, et le mot de la grande énigme qu'il posait devant la nation française, c'était LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ, formule que dans son style symbolique il appelait le TERNAIRE SACRÉ, et dont il ne parlait que sur le ton d'un enthousiasme solennel... » puis il ajoute : « Le Martinisme fit, dans Paris, de rapides conquêtes ; il régna dans Avignon (et y amena les massacres de la Glacière) ; à Lyon, il se choisit un centre d'où il rayonna jusqu'en Allemagne, jusqu'en Russie. Entée sur la Franc-maçonnerie, la doctrine nouvelle constitua un rite qui fut composé de dix grades ou degrés d'instruction, par lesquels devaient successivement passer les adeptes ; et de nombreuses écoles se formèrent dans l'unique but de trouver la clef du code mystique, de le commenter, de le répandre. Voilà comment d'un livre, jugé d'abord inintelligible, sortit un vaste ensemble de combinaisons et d'efforts qui contribuèrent à élargir la mine creusée sous des institutions vieillies (Histoire de la Révolution, tome II, page 103, 101). »>


Doctrine et enseignements des philosophes et des plus célèbres maçons avant 1789. Extrait, p.539

Les rois ou dictateurs, selon Saint-Martin et tous les Francs-maçons, rejettent tout droit divin et toute morale comme une superstition et une imposture; et ils ne reconnaissent d'autre droit humain que celui qu'ils font par la violence ou la ruse. De quel côté l'inexorable logique placera-t-elle les tyrans et les despotes ? L'expérience a répondu, et la France a eu ses Robespierre, ses Convention, ses Barras et ses Napoléon; et l'Italie, ses Mazzini, ses Cavour, ses Cialdini, ses Victor-Emmanuel, ses Buoncompagni, ses Pinelli, ses Garibaldi, et tutti quanti ! leurs budgets de plus de deux milliards, et leurs banqueroutes ! leurs incendies et leurs massacres !