Jean-Baptiste Willermoz
C'était un fabricant et commissionnaire en soieries d'une cinquantaine d'années, qui depuis deux ans s'était retiré des affaires. Sa fortune était moyenne ; sa famille, très honorable, n'appartenait pas à la riche bourgeoisie de la ville. Il vivait simplement dans un appartement du nouveau quartier des Brotteaux, auprès d'une sœur veuve qui tenait son ménage, menant la paisible existence d'un négociant retraité. Mais, en fait, ces apparences médiocres cachaient une activité fort curieuse et que connurent à l'époque un très petit nombre de gens.
Quelques francs-maçons bien renseignés et la plupart des frères de Lyon pouvaient savoir cependant que ce Willermoz, qui avait été autrefois premier chancelier et archiviste de la « Grande loge des maîtres réguliers », était un des plus anciens maçons de la ville, un de ceux qui connaissaient le mieux les secrets de l'institution et qui possédaient le plus grand nombre d'initiations et de grades divers. On savait aussi qu'il avait abandonné le Grand Orient pour se rattacher au rite allemand de la Stricte Observance et qu'il avait fondé avec ses amis « La Bienfaisance » de Lyon, chef-lieu de la Ve province dite d'Auvergne, selon les vocables templiers qui avaient cours dans la société d'outre-Rhin. Certains n'ignoraient pas que, malgré sa désertion, Willermoz avait conservé de nombreuses relations et de puissants appuis dans les conseils de l'Orient de Paris, puisque, malgré leur bon droit et leurs efforts répétés, ses concitoyens n'avaient jamais pu faire condamner officiellement cette scission. On savait aussi qu'il était allé en Allemagne pour assister à l'important convent de Wilhemsbad, en 1782, et qu'il y avait joué un rôle de premier plan, qu'il avait converti à ses idées les princes Charles de Hesse et Ferdinand de Brunswick, et par eux exerçait une grande influence sur les loges d'outre-Rhin. Ainsi, tout modeste et discret qu'il fût, Willermoz faisait figure de personnage dans le monde chimérique de la franc-maçonnerie, surtout dans celui plus restreint encore de la maçonnerie mystique. Si l'on dit que le monde est petit, cela est encore plus vrai quand il s'agit d'un tel univers en miniature. Pour peu que l'on y pénétrât, il était presque impossible de ne pas rencontrer les quelques initiés qui se targuaient du même genre de connaissances secrètes. Cagliostro, désirant exercer ses talents dans les loges françaises afin de les ranger sous sa direction, devait fatalement entendre parler de Willermoz. On peut deviner, presque à coup sûr, quelle fut la source de ses informations.