« La Sagesse triomphante»
Il ne restait plus pour l'Italien qu'à oublier sa déconvenue et utiliser au mieux de ses intérêts son séjour à Lyon. Déjà les malades et les curieux, avertis de sa présence, se pressaient en foule à l'hôtel, réclamant ses conseils. Pouvait-il refuser l'aubaine habituelle que venaient lui offrir tous ceux qui avaient foi en lui ? C'est ainsi qu'il donna ses soins à un riche propriétaire, M. Delorme, qui, atteint d'une maladie incurable, fut remis, paraît-il, entre ses mains par son propre docteur qui désespérait de le sauver. Cagliostro lui prescrivit quelques-unes de ses fameuses poudres, et le malade eut le tact de ne mourir qu'après son départ. La vogue du guérisseur ne fut pas moindre à Lyon qu'elle n'avait été à Strasbourg et à Bordeaux. En peu de jours les consultants devinrent si nombreux qu'il fallut prendre des dispositions pour les recevoir. Rey de Morande signale qu'en décembre son maître fit organiser deux grandes pièces de plain-pied pour donner ses audiences. Les consultations avaient lieu trois fois la semaine : le lundi et le mercredi pour la « première et deuxième classe des citoyens » et le samedi pour la » troisième » : pauvres gens, ouvriers, campagnards.
Cependant, les projets maçonniques n'étaient pas oubliés, loin de là. Puisque Willermoz et « La Bienfaisance » repoussaient ses avances, Cagliostro se tourna tout naturellement vers « La Sagesse ». La loge existait depuis plus de vingt ans et restait florissante, puisqu'elle venait d'acquérir une maison aux Brotteaux pour s'y installer. Elle était nombreuse et bien composée : le frère et le beau-frère de Rey de Morande, MM. Rey de Collonge et Magneval, en étaient membres avec bien d'autres Lyonnais riches et considérés. Plusieurs d'entre eux étaient même des francs-maçons chevronnés qui présidaient à la direction de toutes les loges du Grand Orient de la ville, tels Jean Alquier, le banquier Saint-Costard, Delorme (probablement le malade dont if a été question). Willermoz, qui n'ignora rien de ces tractations, parle avec dédain de cette réunion d'ignorants, qui ne connaissaient d'autre science que celle des délibérations et des banquets. C'était justement le milieu qu'il fallait à Cagliostro. Il y put sans craindre étaler sa faconde, se répandre en discours sibyllins et organiser des cérémonies sans avoir à redouter aucune objection malveillante, aucune intempestive curiosité.
Source gallica.bnf.fr / BnF : Feuilleton du Temps - 3 juillet 1942 - Alice Joly, Cagliostro et Lyon, 2.