Rencontre avec Paul Sédir, pseudonyme de Yvon Le Loup (181-1926)
Extrait de la 2e partie, Les Fils d’Hermès, L’Ascèse. VIII – L’Equilibre, pages 196-200.
Dès son arrivée à Paris, Lambert se rendait chez Paul Sédir, avec lequel il avait particulièrement correspondu depuis un an et qui se trouvait en relations suivies et intimes avec la plupart des hermétistes, des théosophes et des spirites notoires ou éminents, connus ou cachés, de la Grande Ville.
Sédir, secrétaire général de la rédaction de la Revue L‘ Initiation, rédacteur en chef du Voile d’Isis les deux organes fondés par Papus, membre influent des Sociétés secrètes qui centralisaient le mouvement spiritualiste et bras droit de Papus, habitait alors avenue de l’Opéra.
Lambert monta cinq étages, s’égara dans un couloir à bifurcations où s’alignaient des portes identiques, heurta à deux ou trois d’entre elles avant de se trouver chez Sédir.
Une jeune femme ouvrit, qui s’effaça pour laisser pénétrer Gaston dans une petite pièce mansardée, plus longue que large et dont l’unique lanterneau prenait jour sur le toit.
Un rapide examen du lieu permit à Lambert de se rendre compte que le locataire, s’il n’était point fortuné, savait en artiste tirer partie des choses, simples, mais disposées avec goût.
Cet étroit cabinet de travail était meublé d’un bureau aux coins de cuivre ciselés, d’un sopha, de trois chaises en cuir genre-de Cordoue, et d’un fauteuil américain, large, au dossier bas, commode à l’homme d’étude.
Aux murs, des tentures, quelques belles affiches de Mucha représentant des évocations magiques ; sur le parquet, un tapis oriental. Des [page 197] fleurs sur le bureau, sortant d’une gaine de verre mauve craquelé.
Beaucoup de livres d’occultisme, aux couvertures usagées.
La portière de perles multicolores qui séparait la chambre voisine de celle-ci bruissa en s’écartant et Lambert vit s’avancer, la main tendue, la jambe gauche raide et traînante, un grand jeune homme imberbe, de 27 à 28 ans, sans teint, aux yeux étonnamment clairs et vagues, marron brûlé.
Les gestes étaient sobres, la voix grave et très lente, la tenue soignée. Correction anglaise. Col de chemise haut, à double cassure, manchettes reluisantes.
Sédir portait un complet veston gris foncé, de coupe élégante ; il avait une cravate bleu-marine et des bottines vernies.
Il parlait peu, se montrant affable, mais réservé. Lambert le jugea sympathique, d’une sincérité absolue et doué de connaissances étendues en occultisme, mais spécialement en mystique.
Disciple de Jacob Boehme, de Jeanne Leade, dont il traduisait des ouvrages peu connus, et de Cl. de Saint-Martin, Sédir pratiquait leurs enseignements théosophiques et kabbalistiques, abdiquait, disait-il, sa propre volonté pour accomplir celle d’autrui et obéir ainsi à la loi d’amour et de soumission christique, telle qu’il la concevait.
Il s’efforçait aussi de parvenir aux états supérieurs de la conscience par l’absorption de son être dans la vie intérieure de la Nature, au moyen de la vision astrale obtenue par le [page 198] miroir magique et qui permet d’atteindre le noyau, la racine même des choses, de concevoir leurs correspondances.
La magie constituait à cette époque, le fond de la doctrine exposée par les centres occultistes, à la tête desquels se distinguaient Papus, Guaita, Sédir, pour ne citer que les noms révélés au public, c’est-à-dire ceux des personnalités déléguées à la tâche en quelque sorte exotérique.
Lambert et Sédir se lièrent de suite, réunis par des idées communes et une réelle affinité.
Ils se virent les jours suivants, dînèrent ensemble, parcoururent les brasseries du quartier Latin où Sédir connaissait des types curieux d’artistes, de poètes, de philosophes et d’illuminés qu’il fit rencontrer à son camarade, puis il lui offrit de le présenter à Papus, le chef incontesté de l’Occultisme, que Gaston désirait vivement connaître et questionner.