Rencontre avec Papus, le Dr Gérard Encausse (1865-1816), pages 200-203

Le mage habitait Auteuil, avenue des Peupliers, villa Montmorency, en ces temps-là.
Il faisait un temps beau et doux, souriant de soleil léger, lorsque le comte sonna dans la matinée, vers les onze heures, à la porte de la gentille villa entourée d’arbres encore verts, en compagnie de Sédir.

Quand il fut en présence de Papus qui, tout en causant, classait des papiers, assis à sa table de travail, et prenait des notes, Lambert [page 200] s’étonna de sa jeunesse et de son aspect dépourvu de tout apparat.

A 42 ans, Papus, de son vrai nom le Docteur Gérard Encausse, avait accompli une tâche importante. Il était célèbre dans le monde entier comme occultiste et même ses ennemis — car il en avait dans les milieux scientifiques et religieux — le reconnaissaient pour une intelligence avertie et pour le chef incontesté du vaste mouvement ésotérique qui croissait, sous sa gouverne, depuis 1885 et que quelques autres écrivains de valeur tels que Guaita, Joséphin Péladan, Saint-Yves d’Alveydre, Paul Adam, Barlet et Sédir, appuyaient de leur plume, de leur vaillant apostolat.

Papus était jovial, aimable, d’un accueil cordial et franc, avec des manières rondes de bon garçon qui est à l’aise partout et qui met de suite les gens à l’aise. Lambert l’observait. Il sentait une force sous l’enveloppe en somme vulgaire et même d’allure débraillée.
La voix douce, musicale, nuancée sortant de lèvres épaisses un peu cachées par la moustache noire et la barbe assyrienne, enveloppait agréablement ; l’élocution était aisée, brillante, sans afféterie.
Des yeux très beaux, marrons, caressants et qui, doucement, magnétisaient, en ce sens qu’ils provoquaient un lien de sympathie entre Papus et l’interlocuteur charmé.
Papus accompagnait souvent ses paroles d’un sourire malicieux de la bouche et des yeux bridés, même lorsqu’il dissertait des choses les plus [page 201] élevées de la magie et de l’hermétisme, un sourire à peine en dessous, qui eut pu sembler à tort railleur ou sceptique comme le regard pétillant qui tâtait l’adversaire ou le partenaire. C’était le croisement de fer du duelliste, et Papus dodelinait parfois sa grosse tête ronde et chevelue — mal peignée — qui surmontait un corps robuste, épais et même plutôt obèse, inélégant à tout point de vue.
Certes il n’offrait rien d’un grand seigneur. Gaston fut même un peu offusqué en le voyant tirer pour se moucher, un mouchoir à carreaux de couleurs qui était sale.
L’habit ne fait pas le moine, songea le comte et le sourire dissimule sans doute une conviction sincère quant à la doctrine spiritualiste, très éclectique d’ailleurs, que le Maître prônait en l’enjolivant de récits occultes sensationnels, mais maintes fois vraiment gasconiens.

Lambert apprit du reste de la bouche même de Papus qu’il était né de père méridional et de mère espagnole. Il était donc plus que du Midi. Il était du Midi et quart. Cet ascendant pouvait expliquer les tendances de Papus à la galéjade ainsi qu’aux affabulations qu’il exposait par ailleurs avec l’humour impassible d’un britannique.
Mais ce défaut peut-être devenait une qualité car il contribuait au succès que Papus obtenait comme conférencier et dans ses écrits ou ses travaux de propagande. Une certaine fantaisie, le conte joliment brodé, plaisaient à ses auditeurs mélangés, à beaucoup de grands enfants qui l'écoutaient bouche bée, à ses fidèles auditrices [page 202] surtout, public qui se ralliait ainsi au fonds des idées présentées avec un art incomparable.
Au vrai, Lambert constata, dès cette entrevue pleine d’agréments, le rôle principal que Papus jouait dans l’occultisme : celui d’apôtre, de vulgarisateur éminent, de réalisateur pratique, d’écrivain clair et facile, accessible à la masse sinon toujours irréprochablement scrupuleux quant aux faits, ainsi qu’il apparaissait dans ses ouvrages célèbres : Traité Méthodique de Science Occulte, Traité Elémentaire de Science Occulte, La Magie et l’Hypnose, grâce auxquels des milliers de personnes connurent les principes, les textes et les lois générales de l’hermétisme enseveli jusqu’alors dans l’ombre de quelques cénacles.

Nul, au surplus, ne connaissait mieux que Papus les diverses écoles qui se partageaient la faveur des disciples de l’Invisible, les dessous, les à-côtés, les coulisses de ce monde étrange autant que nombreux, les histoires et les événements qui s’y rattachaient.
Il documenta Lambert — qu’il estimait de voir collaborer à l’œuvre entreprise et en qui il avait salué un frère d’armes — sur le passé et le présent des sociétés initiatiques dérivées des grands centres secrets de l’Illuminisme : sur la Kabbale d’origine judaïque, mais qui se reliait au christianisme par l’ésotérisme oriental, sur la Théosophie issue de l’Inde anglaise où la fantastique Blavatsky avait amalgamé, en un pot-pourri, une mixture de toutes les religions et de toutes les philosophies, syncrétisme répandu en suite par l’intermédiaire de Madame Annie Besant, de Sinnett, de Leadbeater, sur le [page 203] spiritisme, ce couloir sombre, véritable antichambre mal éclairée de l’Occultisme.
Il communiqua quantité de pièces curieuses, importantes le cas échéant, à Lambert, lui assigna sa place et son rôle dans le cénacle occulte, confirmant sa priorité et son autorité re connues d’alchimiste, et l’on convint que, avant son départ de Paris, il serait affilié aux grades supérieurs du martinisme, investi des fonctions que l’on comptait lui déléguer, en une tenue de loge générale.